LETTRE XVIII (1)
Trois sortes de natures: Dieu, les esprits et les corps.
AUGUSTIN A CÉLESTIN (2).
1. Il est une chose que je voudrais vous répéter sans cesse, c'est qu'il faut nous débarrasser de tous soins inutiles, pour nous charger seulement de ceux qui sont utiles et salutaires. Car de vivre en ce monde exempt de tous soucis, c'est une chose qu'on ne saurait espérer. Je vous ai écrit, et n'ai point reçu de réponse. Je vous ai envoyé parmi mes livres contre les Manichéens ceux qui étaient prêts et revus, et vous ne m'avez pas encore fait connaitre ce que vous en pensez. Je crois maintenant pouvoir vous les redemander, comme vous pouvez me les rendre. Veuillez donc ne différer ni ce renvoi, ni votre réponse, par laquelle je désire savoir à quoi mes livres vous ont servi ou si vous avez besoin de nouvelles armes pour combattre cette erreur.
2. Voici pour vous que je connais une question qui, malgré sa brièveté, n'en est pas moins grande. Il y a une nature muable par rapport au temps et aux lieux ; c'est le corps. Il y a aussi une nature muable, non par rapport aux lieux, mais par rapport au temps, c'est l'âme: il y a enfin une nature qui n'est muable ni par rapport aux lieux ni par rapport au temps et c'est Dieu. Ce que je vous indique comme muable d'une manière quelconque s'appelle créature ; ce qui est immuable en tous points s'appelle créateur. Or, comme les choses ne sont qu'autant que nous pouvons dire qu'elles subsistent et qu'elles sont unies, et que l'unité est la forme et le principe de toute beauté, il vous est facile de voir dans cette division des natures, ce qui est d'une manière souveraine, et ce qui tout en tenant le dernier degré de l'être, ne laisse pourtant pas d'exister; comme ce qui tient le milieu entre ces deux degrés, c'est‑à‑dire ce qui est au‑dessus du plus bas, et ce qui est au‑dessous du plus haut. Le plus haut degré, ou l'être souverain, c'est la béatitude même ; le plus bas, n'est ni la béatitude, ni le malheur. Le degré intermédiaire est malheureux s'il penche vers le plus bas, comme il est heureux s'il se tourne vers le plus haut, c'est‑à‑dire vers l'être souverain. Celui qui croit en Jésus‑Christ n'aime pas le degré inférieur, ne s'enorgueillit point d'occuper le degré du milieu, et devient capable de s'attacher au degré supérieur, c'est‑à‑dire à l'être suprême. Cela comprend tout ce qu'on nous ordonne de faire, ce qu'on nous enseigne, et ce qui doit être l'objet de nos voeux le plus ardents.
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(1) Ecrite l'an 390. ‑‑ Cette lettre était la 63e dans les éditions antérieures à l'édition des Bénédictin, et celle qui était la 18e se trouve maintenant la 81e.
(2) Quel est ce Célestin? Serait‑ce ce même diacre à qui quelques années après saint Augustin écrivit en 418 la lettre 1920, et qui fut pape?
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