FOI CHRÉTIENNE
hier et aujourd'hui
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1V. LIMITE DE LA CONCEPTION MODERNE DE LA RÉALITÉ ET POINT D'INSERTION DE LA FOI
Si, à la lumière de nos connaissances historiques, nous jetons un coup d'oeil sur l'évolution de l'esprit humain, nous pourrons constater, aux différentes époques, différentes formes de prise de position à l'égard de la réalité: orientations magiques, métaphysiques et scientifiques (au sens des sciences de la nature).
Chacune de ces orientations fondamentales a un certain rapport avec la foi, et chacune à sa façon lui fait obstacle. Aucune ne la recouvre, mais aucune ne lui est simplement indifférente; chacune peut la servir et en même temps la desservir.
L'attitude scientifique moderne, qui conditionne à notre insu nos sentiments et qui nous situe à une place déterminée dans la réalité, est caractérisée par le fait qu'elle se limite aux « phénomènes”, à ce qui est apparent et saisissable.
Nous avons renoncé à rechercher l'en‑soi caché des choses, à sonder l'essence de l'être; cette recherche nous apparaît comme une entreprise inutile, puisque, en définitive, nous ne pouvons jamais atteindre le fond de l'être.
Notre point de perspective, c'est ce que nous pouvons voir et mesurer. La méthode expérimentale est fondée sur cette limitation aux phénomènes. Ils nous suffisent; avec eux, nous pouvons agir à notre guise et nous forger ce monde qui nous permettra de vivre en hommes.
Ainsi s'est créée peu à peu dans la pensée moderne et dans la vie pratique, une nouvelle conception de la vérité et de la réalité, qui marque inconsciemment nos pensées et nos paroles, mais qu'il nous faut rendre consciente pour la juger et la dominer.
Ici apparaît la fonction de la pensée non scientifique, qui vise à réfléchir sur ce qui a été accepté sans réflexion et à amener dans le champ de la conscience la problématique humaine sous‑jacente à une telle orientation.
a) Premier stade: la genèse de l'historisme.
Si nous essayons de comprendre comment l'on est arrivé à cette position que nous venons de mentionner, nous pourrons, à mon avis, constater deux stades successifs de la révolution spirituelle.
Le premier stade, préparé par Descartes, reçoit son expression plénière chez Kant, et déjà, dans un contexte de pensée un peu différent, chez le philosophe italien Giambattista Vico (1688-
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1744).
Celui‑ci a sans doute été le premier à formuler une idée entièrement nouvelle de la vérité et de la connaissance.
Dans une audacieuse anticipation, il a forgé la formule typique de l'esprit moderne, concernant le problème de la vérité et de la réalité. A l'équation scolastique: « verum est ens = l'être est la véritée, il oppose sa formule: “verum quia factum”, ce qui veut dire: nous ne pouvons connaître que ce que nous avons fait nous‑mêmes.
Cette formule, à mon sens, sonne le glas de la vieille métaphysique et annonce l'esprit spécifiquement moderne. Ici éclate avec une netteté inimitable la révolution de la pensée moderne, en opposition avec tout le passé.
Pour l'antiquité et le Moyen Age, l'être lui-même est vrai, c'est‑à‑dire connaissable, parce que Dieu, l'Intelligence absolue, l'a ainsi fait; Il l'a fait en le pensant. Penser et faire se confondent dans l'Esprit Créateur, le Spiritus Creator.
Les choses sont parce qu'elles sont pensées. Dans la perspective antique et médiévale, tout être est une pensée de l'Esprit absolu. Inversement, puisque tout être est pensée, tout être est sens, “logos”, véritée .
La pensée humaine devient de ce fait “re‑pensée” (Denken/Nach‑denken) de l'être lui‑même, réflexion de la pensée qu'est l'être lui‑même.
Or l'homme est capable de réfléchir sur le logos, le sens de l'être, parce que son propre logos, sa propre intelligence est logos de l'unique Logos, pensée de la Pensée, de l'Esprit Créateur, Principe de tout être.
Dans cette même perspective, l'oeuvre humaine apparaît, à l'opposé, comme contingente et transitoire. L'être est pensée, donc pensable, objet de la pensée et de la science qui aspire à la sagesse.
L'oeuvre humaine au contraire, est un mélange de logique et d'illogique, qui peu à peu se perd dans le passé. Elle ne saurait être comprise tout à fait, car il lui manque la présence nécessaire pour être objet de vision, ainsi que le logos, l'intelligibilité complète.
Pour cette raison, dans les milieux scientifiques de l'antiquité et du Moyen Age, la connaissance des réalités humaines était regardée comme technè, comme un savoir purement pratique, non comme une vraie connaissance et une vraie science.
Aussi, à l'Université médiévale, les artes, les arts demeuraient une simple introduction
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à la véritable science dont le propre est de réfléchir sur l'être lui-même.
On peut encore trouver ce point de vue chez Descartes au début des temps modernes, quand il refuse expressément à l'histoire un caractère scientifique.
L'historien, qui prétend connaître l'histoire ancienne de Rome, en connaît moins, en fin de compte, qu'un cuisinier romain de ce temps‑là; et comprendre le latin veut dire ne pas en savoir plus long que la servante de Cicéron.
Un siècle plus tard, Vico renversera de fond en comble ce canon médiéval de la vérité, qui s'était ainsi encore exprimé chez Descartes, et marquera le tournant fondamental pris par l'esprit moderne. C'est alors seulement que commence l'ère « scientifique”, dont le développement se continue encore toujours 10.