La foi chrétienne hier et aujourd’hui 60

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III. POINT DE DEPART DE LA CONFESSION DE FOI: LA CROIX

 

   Tout devient plus clair, si nous revenons, au‑delà du symbole apostolique, à l'origine même de la confession de foi chrétienne. Aujourd'hui, nous pouvons établir avec quelque certitude que le lieu d'origine de la foi en Jésus comme Christ, c'est‑à‑dire le lieu d'origine de la foi « chrétienne » tout court, a été la croix.

 

Jésus lui‑même ne s'était pas proclamé directement comme le Christ (Messie). Cette assertion nous paraîtra sans doute quelque peu insolite, mais elle se dégage maintenant avec une certaine netteté des discussions, par ailleurs souvent déroutantes, entre historiens; l'on ne pourra y échapper même et surtout en opposant aux entreprises hâtives de réduction qui se font jour dans la recherche actuelle sur Jésus, l'attitude critique qui convient.

 

Jésus ne s'est donc pas proclamé nettement Messie; c'est Pilate qui le fit, lorsque, s'associant aux accusations des Juifs et cédant à leurs attaques, il présenta Jésus, du haut de la croix, par l'inscription rédigée dans toutes les langues du monde d'alors, comme le roi (Messie, Christ) supplicié des Juifs.

 

Ce titre d'exécution, la condamnation à mort de l'histoire, devint en même temps et paradoxalement « confession de foi », le véritable point de départ et d'enracinement de la foi chrétienne qui voit en Jésus le Christ; en tant que crucifié, ce Jésus est le Christ, le roi.

 

Pour lui, être crucifié, c'est être roi; être roi, pour lui, veut dire qu'il s'est livré lui‑même aux hommes, que parole, mission et existence s'identifient dans le sacrifice de cette existence même.

 

Ainsi, son existence est parole. Il est parole, parce

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qu'il est amour. A partir de la croix, la foi réalise que ce Jésus n'a pas seulement fait ou dit quelque chose, mais qu'en lui, message et personne sont identiques, qu'il est ce qu'il dit. Jean n'avait qu'à tirer l'ultime conséquence: s'il en est ainsi ‑ et c'est le thème christologique fondamental de son évangile ‑ alors ce Jésus est “Parole”.

 

Or, une personne qui n'a pas seulement des paroles mais qui est sa parole et son oeuvre est le Logos (la Parole, le Sens) lui‑même; elle existe depuis toujours et pour toujours; elle est le fondement sur lequel repose le monde; s'il nous arrive de rencontrer une telle personne, alors c'est elle le Sens qui nous soutient et par qui nous sommes tous soutenus.

 

   Cette intelligence des réalités, que nous appelons foi, se développe à partir de la croix; les chrétiens découvrent d'abord l'identification de la personne, de la Parole et de l'oeuvre, ce qui est véritablement décisif en fin de compte et devant quoi tout le reste devient secondaire.

 

C'est pourquoi leur confession de foi pouvait se limiter à la simple association des mots Jésus et Christ; tout était dit par là. Jésus est vu à partir de la croix qui parle plus fort que toutes les paroles: il est le Christ; cela suffit. Le « Moi » crucifié du Seigneur est une réalité si pleine que tout le reste passe à l'arrière‑plan.

 

Dans une deuxième étape, en partant de l'intelligence ainsi acquise sur Jésus, on se mit à réfléchir sur ses paroles. A son grand étonnement, la communauté revivant ses souvenirs devait s'apercevoir maintenant que, dans la parole de Jésus, il y a déjà cette même façon de tout centrer sur son « Moi »; son message, lu rétrospectivement, se présente de telle façon qu'il débouche toujours sur ce «Moi », sur l'identité de la parole et de la personne et qu'il nous ramène toujours à cette identité.

 

Dans une dernière étape, Jean pouvait enfin relier les deux mouvements. Son évangile est pour ainsi dire la lecture des paroles de Jésus à partir de la personne, et de la personne à partir de ses paroles.

 

Le fait que Jean présente sa « christologie », son témoignage de foi au Christ, comme le message de l'histoire de Jésus, et qu'il fasse de l'histoire de Jésus une christologie, montre que l'unité du Christ et de Jésus est accomplie, unité qui demeure constitutive pour toute l'histoire ultérieure de la foi 10.

 

© Robert Hivon 2014     twitter: @hivonphilo     skype: robert.hivon  Facebook et Google+: Robert Hivon