Edit de Nantes 1

Darras tome 37 p. 531


§  III.   LA RÉVOCATION  DE L'ÉDIT DE NANTES.


A côté de la Déclaration de 1682 se place, dans l'histoire d'Innocent XI et de Louis XIV, la révocation de l'édit de Nantes.


  43. Avant d'entrer dans les détails de ce grand acte, il n'est pas inutile de relever un caractère du XIIe siècle, l'intolérance. A cette époque, dans aucune croyance et dans aucune nation, on n'avait l'idée de la tolérance telle que l'a prêchée le libéralisme. Pour nous en tenir aux gouvernements que leurs intérêts mettaient en rapport ou en opposition avec la France, que se passait-il en Hollande et en Angleterre? En Angleterre, depuis Henri VIII, nous ne voyons qu'intolérance  envers les dissidents, surtout envers les

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catholiques. Sous Charles II, prince pourtant sympathique à l'orthodoxie, que d'embarras, que de lâchetés dans la défense d'une cause légitime. A la fin de la guerre de Hollande, une misérable, sans autre preuve que son audace, terrorise l'Angleterre par cette burlesque accusation d'une invasion des Jésuites. Dans sa terreur, l'Angleterre remplit les prisons de la capitale de 2000 catholiques ; on arrête cinq pairs catholiques ; on exclut les catholiques de la pairie et cette exclusion dura cent cinquante ans ; on chasse des environs de Londres plus de trente mille catholiques, pour refus du serment d'allégeance et de suprématie ; on met à mort le secrétaire du duc d'York, Coleman, dont tout le crime est d'avoir travaillé à obtenir la tolérance pour les catholiques, et on couronne des exécutions nombreuses, par la mort du vicomte de Strafford, un des pairs emprisonnés dès le commencement. — La pratique n'était pas plus libérale en Hollande. En 1673, au congrès de Cologne, les Hollandais signifient qu'ils aimeraient mieux abandonner dix de leurs villes importantes, que d'accorder la tolérance aux catholiques. A propos des lois pénales de Jacques II, un anglais demandait, au grand pensionnaire, quels étaient à cet égard les sentiments du prince et de la princesse d'Orange. Flagel répondit que Guillaume et sa femme ne trouveraient pas mauvais qu'on laissât aux catholiques et aux autres non-conformistes une liberté privée d'exercer leur religion sans bruit, mais qu'il fallait conserver en leur pleine vigueur les lois qui excluaient les catholiques de tous les emplois, comme aussi les lois qui assuraient la religion protestante contre les catholiques romains. Partout ou le protestantisme avait pris la place de l'Eglise, il s'en arrogeait tous les droits et les exerçait avec âpreté. On trouvait les catholiques assez bons soldats pour conquérir la liberté ou pour la défendre, mais trop mauvais citoyens pour avoir leurs parts aux avantages conquis par leurs-sacrifices. (1) 


    44. Le protestantisme n'hésitait pas d'avantage à réclamer le concours du bras séculier, pour contraindre les consciences à la foi. Henri VIII, Elisabeth, Calvin, Jeanne d'Albert, Charles Ier d'Angle-

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(1) Dumont, Corps diplomatique, t. VII, p. 151.

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terre l'avaient surabondamment prouvé. Ce qui dépasse ces exemples, c'est de voir les victimes du bras séculier, en invoquer et en reconnaître le droit, au milieu même de la dispersion. Après la révocation de l'édit de Nantes, l'un des plus ardents adversaires de cette mesure, le ministre Jurieu, remarquait avec douleur que les indifférents ou sociniens pullulaient parmi les protestants. Jurieu excitait les ministres et les synodes à surveiller les coupables, à les suspendre, à les excommunier. Mais le principe même de la réforme, l'interprétation individuelle, ruinant l'autorité des censures comme des synodes, des docteurs comme de l'Écriture, Jurieu en vint bientôt à recourir aux magistrats. Il faut lire ces paroles dont aucun commentaire ne peut égaler la force : « Les princes et les magistrats sont oints du Seigneur et ses lieutenants en terre... Mais ce sont d'étranges lieutenants de Dieu, s'ils ne sont obligés à aucun devoir par rapport à Dieu en tant que magistrats : comment donc peut-on s'imaginer que le magistrat chrétien, qui est le lieutenant de Dieu, remplisse tous ses devoirs en conservant pour le temporel la société à la tête de laquelle il se trouve, et qu'il ne soit pas obligé d'empêcher la révolte contre ce Dieu dont il est le lieutenant, afin que le peuple ne choisisse un autre Dieu ou ne serve le vrai Dieu autrement qu'il ne veut être servi. » En conséquence, il invite les princes à gêner, à bannir les hérétiques ; il permet encore « qu'on procède jusqu'à la peine de mort, lorsqu'il y a des preuves suffisantes de malignité, de mauvaise foi, de dessein de troubler l'Eglise et l'État conjoint avec audace, impudence et mépris des lois. » Ne croit-on pas entendre l'auteur du Contrat social condamner au banissement quiconque n'admet pas les dogmes de la religion civile ? Voilà ce que prêchait en 1690, un défenseur des bannis, et le modéré, devant ces emportements était Bossuet, qui dans l’Histoire des variations, justifiant par ces aveux protestants, par l'exemple de Luther et de Calvin, la conduite des princes catholiques, ajoutait: « Le droit est certain, mais la modération n'en est pas moins nécessaire. (1) »

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(1) Sixième avertissement aux protestants, IIIe partie, et Hist. des variations, liv. X.

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   45. Il n'y a donc rien d'étonnant que Louis XIV ait suivi l'impulsion de son siècle et de ses voisins. Il y était, en outre, autorisé, par le caractère de l'édit de Nantes. Cet édit n'était pas un traité entre deux parties égales, c'était une concession royale, dont Henri IV eut pu s'abstenir, qu'il eut dû restreindre, mais qu'il restait maître de reprendre. Grotius, protestant, mais honnête homme, a parfaitement reconnu que l'édit ne liait pas la royauté. Quand le protestantisme avait obtenu cet édit, ce n'était pas une humble communion religieuse ne demandant qu'à vivre à l'ombre des lois; c'était une puissance politique et militaire, ayant ses capitaines, ses armées, ses places fortes, ses impôts, ses alliances au dedans et au dehors, féodale dans ses chefs, républicaine dans ses membres, vouée tout entière par nature et par position à la ruine du catholicisme et au renversement de la monarchie. Henri IV se crut d'autant plus obligé de compter avec cette rébellion armée ; d'autant qu'il la voyait plus forte et plus ardente. « Nous vous exhortons et adjurons, leur écrivait-il, par la charité et affection que vous avez à votre patrie, de penser premièrement et devant toutes choses, à repousser l'étranger ; il y aura après tout du temps assez pour reprendre vos demandes. » Malgré ce touchant appel à leur patriotisme, les protestants lâchèrent pied devant Amiens, au moment ou l'Espagnol pénétrait au cœur du royaume. De plus, ils envoyèrent des députés à la reine d'Angleterre, au prince Maurice de Nassau et aux États des Pays-Bas, pour faire rompre le traité qui se préparait entre la France et l'Espagne, reconnaissant bien les avantages que le projet d'édit concédait, mais déclarant vouloir plus encore. Enfin, Sully, dans ses Economies royales, nous fait connaître que les protestants allèrent jusqu'à la menace de se constituer en république au sein de la France, avec un protecteur étranger, — menace qu'ils tentèrent de réaliser plus tard. L'édit de Nantes ne mit pas un terme à leur mécontentement, puisque leur prétention n'allait à rien moins qu'à devenir seuls maîtres, à l'instar de leurs coreligionnaires étrangers. En conséquence, ils n'acceptèrent l'édit que sous la réserve de le violer, dès qu'ils le pourraient. Dans ce but, ils conspirèrent sourdement sous Henri IV lui-même qui s'en plaignit

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un jour au landgrave de Hesse et qui mourut préoccupé des maux qu'ils préparaient à son héritier, disant à Marie de Médicis « que les huguenots étaient ennemis de la France ; qu'ils feraient un jour du mal à son héritier, s'il ne leur en faisait, que, tôt ou tard, la reine serait obligée d'en venir aux mains avec eux ; que, pour lui, il en avait beaucoup souffert, parce qu'ils l'avaient un peu servi ; mais que son fils châtierait un jour leur insolence. (1) »


46. Tant que vécut Henri IV, les assemblées générales des protestants ne sortirent guère du cercle tracé par l'édit. Henri IV mort, le premier mot des réformés fut que « pendant la minorité du roi, c'était le moment de se faire majeur. » En effet, ils se liguèrent, et sous le faux prétexte qu'ils avaient à se garantir contre le retrait de l'édit, ils le violèrent eux-mêmes les premiers, en exigeant des avantages plus considérables que ceux qu'il leur octroyait. « On nous opposera, je le sais, disait le duc de Rohan, que nous demandons plus que nous ne possédions du temps du feu roi ; à cela je répondrai que c'est le dérangement des choses qui nous donne de l'appréhension. » En conséquence, ils levèrent l'étendard de la guerre civile, et auxiliaires toujours empressés des factions à l'intérieur et des ennemis du dehors, ils prirent six fois les armes contre Louis XIII, dans l'espace de douze années. « Les assemblées, dit un historien protestant, se constituèrent en assemblées souveraines, à l'exemple des États généraux de Hollande et provoquèrent le trouble et la rébellion... On revit alors le spectacle étrange d'un roi de France voyageant dans son royaume, à la tête d'une armée, et faisant son entrée dans ses bonnes villes précédés de canons avec des mèches allumées. L'odieux en retombe sur les protestants, devenus sans nécessité les alliés d'une noblesse factieuse. On put les accuser avec raison d'être toujours prêts à seconder les ennemis de l'État, et dès lors sans doute on résolut leur ruine... Pour subvenir aux frais de la guerre civile, leur assemblée ordonna de saisir tous les revenus ecclésiastiques et d'arrêter les deniers royaux provenant des tailles, des aides et des gabelles. Elle con-

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(1) Correspondance avec le landgrave de Hesse, p. 67; Histoire de la mère et du (ils, dans les Mémoires de Richelieu, p. 157.

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firma dans leurs charges les seuls officiers de finance de justice, qui faisaient profession de religion, et assura le traitement des ministres sur le plus clair des ressources de l'Église. C'était proclamer ouvertement une république protestante à l'instar de celles des Provinces-Unies, élever la Rochelle au rang d'une nouvelle Amsterdam et donner le signal d'une guerre fatale, qui pouvait amener le démembrement du royaume et que ne justifiait pas l'excès de l'oppression. (1)» Weiss se trompe dans ce dernier jugement ; l'excès de l'oppression avait toujours été, pour les protestants, de ne pouvoir l'exercer eux-mêmes. En 1625, lorsque Richelieu allait remettre la main au grand projet de Henri IV, les protestants l'arrêtèrent. Richelieu fut dès lors frappé de l'impossibilité où serait la France de tenter rien de grand, tant qu'elle serait travaillée de ce mal intérieur et que les huguenots auraient le pied dans le royaume. Mais, dès lors, les protestants, par leurs révoltes, avaient provoqué la révocation de l'édit, le refus d'obéissance entraînait le retrait de la concession. Ainsi, à partir de 1626, l'édit ne subsistait plus que sous le nom d'édit de grâce. Weiss exalte avec raison la clémence de Richelieu qui le laisse subsister, même à ce titre, contre le sentiment général de son temps et la nécessité évidente de souscrire à son anéantissement par la révolte. 


   47. Peu avant l'avènement de Louis XIV, les protestants français traitaient encore avec l'Espagne, s'engageant à ne faire aucun accommodement avec le roi de France, et à faire, moyennant 600.000 ducats d'or, telle diversion qui plairait au roi d'Espagne, en Languedoc, en Dauphiné et en Provence. La puissance de Louis XIV réduisit ces odieux desseins à se cacher dans l'ombre. Mais alors même, dit le duc de Bourgogne dans un mémoire sur cette question, « c'était moins la volonté qui manquait aux religionnaires que la puissance. Malgré leurs protestations magnifiques de fidélité, et leur soumission en apparence la plus parfaite à l'autorité, on apprenait, par des avis certains, qu'ils remuaient sourdement dans les provinces éloignées et qu'ils entretenaient des intelligences avec les ennemis du dehors. Nous avons en main des actes authentiques 

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(1) Weiss, Histoire des réfugiés protestants de France, 1.1, pp. 13, 19 et 21.

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des synodes clandestins, dans lesquels ils arrêtaient de se mettre sous la protection de Cromwell, dans le temps où l'on pensait le moins à les inquiéter, et les preuves de leurs liaisons avec le prince d'Orange, subsistent également. Rappeler les huguenots, après la révocation de l'édit de Nantes, concluait l'élève de Fénelon, ce serait rappeler des amis des ennemis de la France. » On sait, par ailleurs, que les Anglais venaient s'aboucher avec eux en Guienne, et si les troupes anglaises étaient descendues là où les religionnaires étaient en force, elles eussent donné au roi, beaucoup de peine. Aussi un historien moderne, dont les appréciations premières, ne sont pas dépourvues de pénétration, ni de science, Michelet, constate que tel était le sentiment de la France et que ce sentiment était juste : « A cette époque, dit-il, il y avait une grande exaspération contre les protestants. La France, bornée dans ses succès par la Hollande, sentait une autre Hollande en son sein, qui se réjouissait des succès de l'autre. » (1)


Telles étaient les dispositions des protestants sous Louis XIV. Nous ne voulons pas en conclure qu'elles constituaient un danger immédiat et provoquaient des mesures de salut public. Les protestants politiquement désarmés, s'adonnaient à l'industrie et au commerce ; ils ne présentaient plus les mêmes dangers qu'autrefois ; mais c'était un parti vaincu. Des conjonctures funestes pour la patrie, pouvaient trouver en lui un complice, intéressé par son abattement même, à se relever, à contrarier tout au moins l'unanimité des efforts suprêmes d'où pouvait dépendre le destin de la France. C'en est assez pour conclure que le bien public était intéressé à ce que, par des moyens pacifiques et persuasifs, Louis XIV mit la dernière main à l'œuvre commencée par Richelieu. La France se trouverait par là délivrée d'un élément étranger, sinon hostile à ses intérêts et à sa gloire, et la monarchie, d'un élément révolutionnaire, fort dangereux pour l'autorité.

soaal.


48. Le protestantisme, d'ailleurs, pour avoir perdu sa puissance politique et ne plus présenter, sous ce rapport, le même danger

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(1) Proyart, Vie du Dauphin, pièces justificatives; Clément, Hist. de Colbert, p. 305; Michelet, Précis de l'histoire moderne, p. 255, 6' édition.

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qu'autrefois, n'en était pas moins, n'en était que plus même, le protestantisme : c'est-à-dire le branle-bas de la révolution, le principe de dissolution des croyances, base éternelle de l'ordre social, constituant ainsi un danger plus radical pour l'avenir. Ce péril social avait été ajourné plutôt qu'écarté par le danger politique ; il lui succédait avec toute la force d'une activité rendue à elle-même, après avoir été suspendue par les complots et détournée par la guerre. Le rôle politique dans lequel avait été absorbé jusque-là le huguenotisme, l'avait distrait de son action dogmatique, l'avait préservé lui-même de sa propre dissolution, en le surexcitant par le fanatisme et surtout en avait préservé la nation, en liant la cause du patriotisme à celle de la foi orthodoxe. En rejetant son rôle politique, le protestantisme revenait à l'action continue de ses doctrines dissolvantes, il pénétrait dans les entrailles de la nation ; il portait le désordre du dehors au dedans, dans les âmes, dans les fondements religieux de la société, et creusait un abime bien autrement profond que tous ceux où il avait déjà précipité la France. « C'est un redoutable levain pour une nation», écrivait de la Tremblade, le 3 mars 1687, Fénelon à Bossuet. — Nous ne pouvons aujourd'hui, avec nos idées vagues et molles, nous faire qu'une imparfaite idée de ce péril. Nous discourons à notre aise parmi les ruines, et, philosophes par nécessité, nous faisons bon marché de cette unité que nous n'avons plus, en décorant, du beau nom de tolérance, ce désintéressement absurde. Mais, pour nous vanter aujourd'hui de notre tolérance, comme d'un progrès moral, il faudrait y joindre la foi de nos pères et un peu de leur vertu. Cette toléranee ne s'exerçant qu'à l'égard d'une individualité qui ne trouve plus rien à blesser en nous, qui flatte même notre scepticisme, n'est que de l'indifférence, s'il n'est pas une connivence tacite. La preuve c'est qu'elle nous abandonne tout à coup, dès qu'on touche, par exemple, à la propriété ou au droit politique. Nous défendons les seuls biens qui nous restent; alors on défendait tout, parce qu'on n'avait rien perdu. Au XVIIe siècle, toutes les révolutions religieuses ne pouvaient être que des révolutions sociales. Il était donc naturel qu'on s'inquiétât, de sentir la religion sur

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laquelle se posait majestueusement l'édifice social, sourdement ruinée par l'hérésie ouvrant la brèche au déisme et à l'impiété.


   49. Ce péril social n'échappait pas à l'attention et au zèle des Opinion des vieux protestants. Voici ce qu'écrivait, après la révocation, des expulsés même, Jurieu : « Le rideau a été tiré, dit-il, on a vu le fond de l'iniquité, et ces messieurs se sont presque découverts depuis que la persécution les a dispersés en des lieux où ils ont cru pouvoir s'ouvrir en liberté. » Les jeunes gens, venus tout nouvellement de France, gros de la tolérance de toutes les hérésies et de leur libertinage, ont cru que c'était ici le vrai temps et le vrai lieu d'en accoucher. Il est temps de s'opposer à ce torrent impur et de découvrir les pernicieux desseins des disciples d'Épiscopius et de Socin. Quand le poison commence à passer aux parties nobles, il est temps d'aller aux remèdes. Outre que le nombre de ces indifférents se multiplie plus qu'on n'ose le dire, notre langue n'était pas encore souillée de ces abominations ; mais, depuis notre dispersion la terre est couverte de livres français, qui établissent la charité dans la tolérance du paganisme, de l'idolâtrie et du socinianisme. » Ainsi parlait Jurieu à Rotterdam ; c'est ainsi qu'il accueillait les réfugiés de France. — D'un autre côté, trente-quatre ministres, anciennement réfugiés de France en Angleterre, ne s'alarmaient pas moins « du scandale des nouveaux ministres réfugiés, qui, étant infectés de nouvelles erreurs, travaillaient à les semer parmi le peuple : erreurs qui ne vont à rien moins qu'à renverser le christianisme... Le péril est si grand, ajoutaient-ils, et la licence est venue à un tel point, qu'il n'est plus permis aux compagnies ecclésiastiques de dissimuler et que ce serait rendre le mal incurable que de n'y opposer que des remèdes palliatifs. » (1) Après de pareils aveux, la cause n'est-elle pas jugée et Bossuet, dans son sixième avertissement, n'a-t-il pas raison de s'écrier : « C'est ainsi que la jeunesse était élevée parmi nos prétendus réformés. Elle était grosse de l'indifférence des religions, et ce monstre que les lois du royaume ne lui permettraient pas d'enfanter en France, a vu le jour aussitôt

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(1) Tab, lett. I, p. 8; lett. VI, p. 48; lett. VIII, p. 479; Lettres écrites au synode d'Amsterdam.

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que cette jeunesse libertine a respiré à l'étranger un air plus libre. » Ces protestants avancés, dont le rappel dilatait la joie satanique de Voltaire, ne devaient-ils faire aucun ombrage à la France catholique de Bossuet et de Louis XIV, et n'était-il pas naturel qu'elle s'émut de ce danger moral et social qu'elle nourrissait dans son sein ? 


   50. Depuis vingt ans, à chacune de ses assemblées quinquennales, le clergé réclamait la suppression de quelqu'une des franchises octroyées aux protestants. L'uniformité des croyances au sein de la nation, était le vœu des cœurs les plus modérés, tels que Vauban. La coalition des protestants étrangers contre la France, leur ancienne alliée, rendait le peuple peu favorable aux huguenots de l'intérieur. Ce peuple, tout en réclamant contre les charges de la guerre de Hollande, tenait cependant à la mode et aux avantages de la guerre ; il n'avait pas vu sans rancune ces avantages compromis, ou restreints par la triple alliance, par l'obstination des amis du prince d'Orange, par les espérances que ces ennemis fondaient sur le concours des religionnaires français. L'antipathie populaire se manifestait çà et là par des violences.- Le 6 mai 1681, un arrêt du conseil nous fait connaître qu'à Grenoble, on avait forcé les portes du temple protestant et brûlé la Bible ; en divers lieux du Dauphiné, enlevé les portes, les bancs, le tapis de la chaire et les registres ; à Houdan, mis le feu au temple ; à Saintes, rompu les portes et les fenêtres, abattu les tuiles du toit ; à Vendôme, tué un ministre qui allait consoler un malade. (1) Le roi, qui réprimait ces actes par esprit d'équité, y voyait pourtant une manifestation des vœux du plus grand nombre. D'abord il s'était montré tolérant chez lui, protecteur de la tolérance chez les autres ; à la fin, dégagé de toute réserve par les refus qu'il éprouvait à l'étranger, encouragé au dedans par le sentiment public, et dans un temps où rien ne lui résistait, il entreprit de supprimer le protestantisme en convertissant les huguenots à sa manière , en les contraignant au besoin à se convertir. Il lui arriva, comme à tous ceux qui n'ont pas grâce d'état, de compromettre et de gâter son œuvre par des

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(1) Isambert, Anciennes lois françaises, t.  XIX.

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