St Jean Chrysostome 26

Darras tome 11 p. 556 

 

II. Nouvelles Intrigues.

 

9. « Ce discours, dit Sozomène, fut accueilli avec de telles accla­mations que l'orateur, interrompu à chaque instant par les applau­dissements de la foule, dut renoncer à la parole et descendre de chaire2. » — Mais, ajoute Socrate, la faction de Théophile pour être abattue n'était point découragée. Elle se fit une arme nou­velle de cette démonstration populaire. Le conciliabule du Chêne n'était pas encore dissous. Il poursuivait sa treizième session, rela­tive à l'élection du métropolitain d'Éphèse, Héraclide. Théophile présenta la conduite de Chrysostome comme une infraction à toutes les règles canoniques. L'archevêque a été régulièrement déposé par une sentence synodale, disait-il. Dès lors il ne saurait exercer aucun acte ecclésiastique avant d'être réhabilité. — Ce raisonnement, produit dans le public, n'aurait point alors eu grand effet. Aussi Théophile se garda bien de l'ébruiter. Il se contenta d'en faire l'objet d'une protestation déposée, comme pierre d'at­tente, dans les archives du synode 3.

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1. Psnlm-, cxxv, 5, 6; Joaon. Chrysost.j Sermo post redi'vi; Paf-ol. gnrc.t tom. LU, col. 443-446.

2.Sozoïnen., Hist. eccles., Jib. VIII, cap. xvm. — 3 .Socrat., Ilisl. eccies^ lib. VI, cap. xvi.

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p557 CHAP.   V.     NOUVELLES  INTRIGUES.

 

10. Le patriarche d'Alexandrie était, on le voit, un habile homme. « Cependant, continue Socrate, il poursuivait ostensible­ment l'examen de la cause d'Héraclide, dans l'espoir d'y trouver de nouveaux griefs contre Jean Chrysostome. Mais Héraclide était absent; on le jugeait sans l'entendre. Les griefs articulés contre lui se réduisaient à une plainte signée de quelques clercs subornés, lesquels se plaignaient d'avoir été incarcérés à Éphèse par un abus de pouvoir de leur métropolitain. L'opinion publique à Constantinople se prononçait ouvertement contre une semblable procédure. On di­sait qu'il était inouï de juger et de condamner un évêque sans l'en­tendre. D'autre part, la faction de Théophile soutenait qu'un tel procédé était parfaitement légitime, que les accusateurs devaient être reçus à formuler leurs plaintes et que, s'ils en démontraient la véracité, l'évêque, même en son absence, pouvait et devait être condamné. Le conflit entre la population byzantine et les émis­saires du patriarche d'Alexandrie dégénéra bientôt en une guerre déclarée. De part et d'autre, on se battit avec acharnement. Il y eut des morts et des blessés. Théophile, épouvanté, prit la fuite1. » — Tel est le récit du novatien Socrate. Celui de Sozomène est un peu plus détaillé et présente sous un jour plus compréhensible l'enchaînement des faits. « Le patriarche d'Alexandrie aurait voulu, dit Sozomène, formuler une dénonciation canonique contre Chrysostome, sous prétexte que cet archevêque, sans attendre une sentence de réhabilitation, avait publiquement fait acte de juridic­tion épiscopale et prononcé une homélie dans la basilique des Apôtres. Mais il ne se sentait pas assez fort pour hasarder une telle démarche. Il craignait de mécontenter la cour et les patri­ciens qui venaient, pour apaiser l'émeute, de rappeler spontané­ment Chrysostome de l'exil. Dans cette situation, il se promit d'ar­river au même résultat par une voie détournée, et fit instruire la cause d'Héraclide, persuadé qu'il y trouverait plus d'un prétexte pour renouveler les accusations antérieures et corroborer la sen- tence de déposition prononcée contre Jean Chrysostome. Mais une

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1. Socrat., ibid., cap. xtii.

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p558 rOMIFICAT DE  SAl.Vi-  ISSOCEIÎT   1   (iOi-iiïj.

 

violente opposition se manifesta. Les partisans de Chrysostome déclaraient qu'il était contraire à toutes les règles du droit ecclé­siastique et civil de juger uu évêque sans l'entendre, et de procé­der contre lui à son insu et en son absence. De leur côté, les Égyptiens que le patriarche avait amenés en grand nombre et qui remplissaient le faubourg de Calcédoine soutenaient que Théo­phile avait raison. Ils menaçaient d'égorger quiconque se permet­trait d'avoir un autre avis. Les matelots alexandrins, plus habitués aux luttes du poignet qu'à celles de la théologie, se jetèrent sur les contradicteurs. Une affreuse mêlée s'engagea, et il resta sur le terrain un certain nombre de morts et de blessés. Severianus de Gabala et les autres évêques de son parti s'enfuirent aussitôt, Théophile, malgré l'état de la mer qui était alors menaçante, s'embarqua la nuit suivante avec tous ses Égyptiens et son fameux protégé Isaac qui ne le quittait plus. Le lendemain, on n'eût pas trouvé un seul membre du conciliabule eu Chêne dans tout le fau­bourg de Chalcédoine 1. »

 

11. « Or, continue Sozomène, la navigation de Théophile fut plus heureuse qu'il n'aurait pu l'espérer. Un vent favorable le conduisit au port de Géras, petite cité de la côte d'Egypte, à quinze stades2 de Pelusium. L'évêque de Géras venait de mourir. Ils avaient élu pour lui succéder un vénérable solitaire, qui vivait dans une grotte voisine, et se nommait Nilammon. Cet homme de Dieu s'était renfermé vivant dans sa caverne; il en avait muré l'en­trée, et refusait obstinément la dignité épiscopale qu'on voulait lui conférer. Toute la population assiégeait inutilement cette porte qui ne s'ouvrait pas. Théophile vint lui-même et dit au solitaire: Dieu lui-même m'envoie pour vous sacrer. Résignez-vous donc à la volonté du ciel.—Nilammon lui répondît: Mon père, vous ferez demain tout ce que vous voudrez de moi. Laissez-moi seulement cette tournée pour me disposer à quitter ma cellule. — Le lende­main donc, Théophile revint, accompagné de tout le peuple. — Ouvres, dit-il au solitaire. — Je suis prêt, répondit Nilammon.

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1. Sosome lib. VIN, cap. xvn. — 2. Huit kilomètres environ.

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p559 CHAP. V.—  NOUVELLES   IMU.uiJ&S.

 

Mais, de grâce, adressons d'abord une prière à notre Dieu. — La foule s'agenouilla et se mit en prières ; mais, durant l'oraison, la solitaire avait rendu l'âme. On attendit longtemps, sans que la porte s'ouvrît. On prenait patience, respectant le recueillement de l'anachorète. Enfin, comme le jour s'écoulait, après l'avoir appelé inutilement, on démolit l'entrée de la grotte et l'on trouva le saint agenouillé, les bras en crois. Ce n'était plus qu'un cadavre. On l'ensevelit avec grand honneur au lieu même où il était mort. Une église, encore aujourd'hui très-fréquentée, s'éleva sur son tombeau. C'est ainsi que Nilammon obtenait de Dieu la grâce de mourir, plutôt que d'accepter le fardeau de l'épiscopat dont sa modestie se croyait indigne 1. »

 

12. « Cependant, poursuit le chroniqueur, Jean Chrysostome recueillait chaque jour de nouvelles preuves de l'amour de son peuple. Soixante évêques réunis en ce temps à Constantinople cassèrent les injustes décrets rendus par le conciliabule du Chêne. Après cette réhabilitation solennelle, Chrysostome consentit enfin à célébrer les saints mystères, à conférer des ordinations et à rem­plir tous les autres devoirs de la charge épiscopale. Jusque-là, il s'en était abstenu, se bornant exclusivement au ministère de la parole. Ce fut à cette époque que son archidiacre Sérapion fut élu pour le siège épiscopal d'Héraclée, en Thrace. Jean le sacra de ses mains 1 » — Cette halte entre deux tempêtes ne dura que deux mois. « La réconciliation d'Eudoxia avec le saint pontife n'avait été qu'un expédient de la peur, une hypocrisie nouvelle ajoutée à tant d'autres lâchetés. L'impératrice ne se consolait pas d'avoir acheté de ses larmes le triomphe d'un ennemi. La vengeance, ajournée et condensée dans son cœur, n'y bouillonnait que plus fort. Il ne manquait pas d'ailleurs autour d'elle de courtisans et de valets pour en attiser la flamme. Une circonstance inattendue la fit éclater 3. »

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1 Sozomen., Iib. VIII, cap. XVII, 2. Id. ibid. 3 M. Martia d'AgScfeSi^ Ht S, Jean Chrysost., pag. hil.

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13. Quelques semaines après, Arcadius fit ériger sur le forum, en face de la basilique de Sainte-Sophie, une statue d'argent repré­sentant l'Augusta, son épouse, vêtue de la pourpre impériale. Le piédestal de la statue était une colonne monolithe de porphyre. « On voit encore aujourd'hui cette colonne, dit Sozomène, sur la façade méridionale de la basilique, en avant du palais sénato­rial. » Cette remarque de l'historien nous fait conjecturer que la statue elle-même avait déjà disparu. Sans doute, le trésor de l'em­pire en avait eu besoin dans l'intervalle, et le métal précieux avait reçu une autre destination. Quoi qu'il en soit, l'inauguration du monument fut accompagnée du cérémonial païen usité en pareille circonstance. On organisa des jeux de gladiateurs, des courses de chars, des spectacles publics avec mimes et danseurs. Le voisinage de l'église aurait dû imposer quelque réserve à ces exhibitions scandaleusement idolâtriques. Le novatien Socrate n'hésite pas à blâmer énergiquement ce retour officiel aux usages païens. Mais il prétend qu'une démarche préalable de Chrysostome auprès d'Eudoxia aurait suffi pour faire changer le programme. «L'archevêque, dit-il, avec le talent de persuasion qui lui était familier, aurait fa­cilement obtenu des princes une faveur de ce genre1. » Nous croyons au contraire que non-seulement !a démarche de Chrysostome n'aurait eu aucun résultat, mais que la démonstration proje­tée par la cour avait uniquement pour but de braver son autorité épiscopale. C'est du moins ce que dit Sozomène en termes expli­cites. Toujours est-il que la fête païenne eut lieu, et que le grand orateur, du haut de la chaire sacrée, stigmatisa avec son énergie ordinaire ces spectacles licencieux. Nous n'avons plus le discours qu'il prononça en cette circonstance. Il nous est donc impossible d'apprécier à leur juste valeur les travestissements dont il fut l'ob­jet de la part de la cour. « On fit croire à l'impératrice, dit Sozo­mène, que l'archevêque avait outragé publiquement sa majesté souveraine et cherché à soulever le peuple contre elle. Eudoxia prit feu à cette nouvelle. Le ressentiment qu'elle conservait du

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1. Socrat., Hist. écoles., lib. VI, cap. xvm.

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p561 CHAP.   V. — NOUVELLES INTRIGUES.    

 

passé ne demandait qu'une occasion pour éclater encore. Sans ce donner la peine de contrôler un rapport calomnieux, elle fit écrire aux évêques qui avaient tenu le conciliabule du Chêne, de revenir immédiatement à Constantinople et d'y reprendre leurs poursuites contre Chrysosiome l. »

 

44. « Cet éclat n'intimida point l'homme de Dieu, continue Sozomène. Il parlait toujours avec la même indépendance. Ce fut alors que, dans une homélie devenue célèbre, il débuta par ces paroles : « Hérodiade est encore en fureur, elle recommence à danser, et demande une seconde fois la tête de Jean 2. » Cependant les évêques ses ennemis arrivaient à Constantinople. Leontius d'Ancyre et Acacius de Borée s'y montrèrent d'abord. Ils furent bientôt suivis d'Ammonius de Laodicée, de Briso de Philippopolis, et de quelques autres non moins audacieux qu'empressés. «Cepen­dant, dit Palladius, cette assemblée était comme un corps sans âme. Il lui manquait une direction et un chef. Ils écrivirent donc à Théophile, patriarche d'Alexandrie. Accourez, lui mandaient-ils, et venez vous mettre à notre tête pour accabler cette fois Chrysostome. Si vous craignez la fureur du peuple de Byzance et que vous n'osiez paraître en personne, du moins indiquez-nous la marche que nous devons suivre et la manière de nous y prendre. — Théophile avait gardé un souvenir trop vif des dangers qu'il avait courus naguère, pour les affronter de nouveau. Il envoya à sa place trois évêques intrigants , Paul, Poimen et un autre récemment sacré, dont le nom m'échappe. Il leur donna ses ins­tructions et leur remit un recueil de canons dressés jadis par les ariens d'Alexandrie contre le bienheureux Athanase. L'un de ces canons, spécialement dirigé contre Athanase, portait qu'un évêque, même injustement condamné par un synode, s'il se permettait un seul acte de juridiction ecclésiastique, ne pourrait plus jamais être

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1. Seznm., Hi/t. ncvlci., lib. VIII, cnp. xx.

2.  Nous n'avons plus aucuns homélie de saint Jean Chrysostome commen­cant par cette allusion significative. Pent-ête même Jean ne prononça-t-il jamais de semblables paroles. La malignité de ses ennemis était assez ingé­nieuse pour les lui prêter par une calomnie vraiment homicide.

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réhabilité. Telle devait être la machine de guerre qui accablerait Chrysostome. Cependant, tous les métropolitains et les évêques de Syrie, de la Cappadoce, de la Phrygie et du Pont, arrivaient à Constantinople et communiquaient publiquement avec l'arche­vêque. C'était leur devoir et leur droit. Mais Eudoxia s'en montra fort irritée. Les courtisans répandirent le bruit que l'impératrice ne souffrirait pas longtemps une conduite aussi injurieuse pour sa majesté. Dans un groupe de prélats où l'on parlait ainsi, se trouva par hasard le vénérable Théodore, évêque de Tyane. Il comprit sur-le-champ qu'il s'agissait d'une conjuration nouvelle, où l'on se promettait de reprendre en sous-œuvre la ténébreuse assemblée du Chêne. A l'instant même, et sans prendre congé de personne, il quitta la ville et retourna dans sa province, jurant de ne plus ja­mais remettre le pied dans une cour dégénérée, et déclarant qu'il resterait fidèle à la communion de Rome, celle dont l'Apôtre a dit : « Votre foi est annoncée dans tout l'univers1. » Théodore fut fidèle à son serment. Il n'en fut pas de même de Pharétrius, évêque d'Argée. Ce prélat n'avait pas même quitté son diocèse. Mais, effrayé du bruit qui se faisait autour du nom de Chrysostome, il prit les devants et écrivit aux adversaires de ce bienheureux qu'il adhérait à toutes les mesures qu'on jugerait à propos de décréter contre lui. Leontius d'Ancyre et Ammonius de Césarée, les deux chefs de la cabale, ne trouvèrent pas non plus grand obstacle du côté des évêques présents à Constantinople. La plupart se mon­traient disposés à faire tout ce que voudrait la cour. On n'eut pas même besoin d'employer la menace; les séductions d'Eudoxia suf­firent à les convaincre. Ce fut dans ces dispositions que se fit l'ou­verture du deuxième synode, continuation de celui du Chêne. Acacius de Bérée et Antiochus de Plolémaïs en furent nommés pré­sidents. Selon le perfide conseil émané de Théophile, on convint qu'il serait superflu de procéder à une nouvelle enquête contre Chrysostome, puisque d'après le canon arien déjà cité, la première sentence de déposition avait toute sa valeur. Voici le texte exacte

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p563 CHAP.   V.  — SECOND EXIL ÛB CHRYSOSTOME.

 

de ce canon impie, unanimement repoussé par le concile de Sardique, par le siège de Rome et par tous les catholiques du monde. «Tout évêque ou prêtre frappé, justement ou non, d'une sentence de déposition, qui sera sans réhabilitation préalable rentré dans son église, ne pourra plus être admis à se justifier, et restera dé­posé à tout jamais. » Telle était l'arme dont les sectaires avaient prétendu jadis frapper l'immortel Athanase et les papes Jules et Libérius. Mais il se présenta une difficulté imprévue. Un certain nombre d'évêques protestèrent contre la validité de ce prétendu canon, et déclarèrent qu'il n'avait jamais été ratifié par les catho­liques 1. »


§ III. Second exil de Chrysostome.

 

15. « En présence de cette fin de non-recevoir, continue Palladius, Acacius de Bérée, Cyrinus de Chalcédoine, Severianus de Gabala, Ammonius de Césarée et Leontius d'Ancyre, eurent l'idée d'en appeler à l'intervention impériale. Ils obtinrent une audience d'Arcadius, lui exposèrent la situation et le prièrent de terminer par une sentence définitive le débat engagé entre ceux qui soute­naient la validité du canon d'Alexandrie et ceux qui la rejetaient. L'empereur manda aussitôt Elpidius, évêque de Laodicée, et Tranquillus, tous deux vénérables par leur sainteté non moins que par leurs cheveux blancs, et en présence des émissaires du conciliabule, il les consulta sur la question. Ce serait, dirent-ils, une affreuse iniquité de condamner Chrysostome sans l'entendre. Il n'a point été déposé canoniquement. Il a été expulsé par un ordre émané de vous. Il n'est pas revenu spontanément. C'est votre ma­jesté qui lui a intimé, par un de ses notaires impériaux, l'ordre de remonter sur son siège. Dès lors, la cause est complètement en­tière. Quant au canon dont on parle à votre majesté, c'est une œuvre notoirement arienne qui n'a pas la moindre autorité dans Église. — A ces mots, les adversaires de Chrysostome élevèrent

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1. Pallad., DiaU de Vita Chryt., cap. lx ; Patr. grcec, loin. XLVH, col. 30,31,

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564   PONTIFICAT DE  SAÏNT INNOCENT I  (401-417).

 

la voix et firent entendre les plus bruyantes réclamations. Elpidius, dont la science canonique était universellement admirée, laissa s'écouler ce flot de colères et d'injures. Puis, quand le silence se fut peu à peu rétabli, il continua en ces termes : Auguste empe­reur, il serait non moins ridicule qu'inconvenant de prolonger devant votre majesté une pareille scène de violences. Il est un moyen beaucoup plus simple de terminer la controverse. Ordonnez aux évêques qui soutiennent la validité de ce canon, de signer une attestation écrite dans laquelle ils déclareront partager la croyance et la foi de ceux qui l'ont jadis formulé. — L'empereur admira la simplicité de l'expédient qu'on lui proposait. Il se tourna, en souriant, vers Antiochus de Ptolémaïs : Voila, dit-il, qui me paraît aussi in­génieux que péremptoire ! — En parlant ainsi, l'empereur était de bonne foi. Arcadius d'ailleurs était innocent des crimes commis sous son règne par l'intrigue et l'audace de quelques ambitieux, qui boule­versaient au gré de leurs passions toutes les lois ecclésiastiques et civiles. Cependant, la proposition d'Elpidius et surtout la faveur marquée avec laquelle le prince venait de l'accueillir, déconcer­tèrent Severianus de Gabala et ses cinq acolytes. On les vit tout à coup changer de couleur et perdre contenance. Toutefois, comme il fallait prendre une décision, ils répondirent que la signature qu'on leur demandait ne les embarrassait point, qu'ils la donne­raient quand le temps serait venu, et après cet échappatoire, ils prirent congé de l'empereur et se retirèrent 1. »

 

16. « Ils étaient loin cependant, continue Palladius, de vouloir tenir une promesse de ce genre. C'eût été se déclarer ouvertement ariens. Aussi, quand on les somma de tenir leur parole, ils répon­dirent que leur engagement avait été irréfléchi, involontaire, ef qu'ils ne se croyaient pas obligés en conscience de le remplir. Cette première machine de guerre ainsi brisée dans leurs mains, ils en cherchaient une autre, sans pouvoir la trouver. Neuf ou dix mois s'écoulèrent sans résultat. Dans l'intervalle, les quarante évêques fidèles au bienheureux Chrysostome ne le quittaient pas. L'homme

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1. Pallad., loc. cit.

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p565 CHAP.   V.     SECOND   EXIL  DE   CHRYSOSTOME.      

 

de Dieu présidait avec eux les assemblées ecclésiastiques et conti­nuait à instruire son peuple, avec un zèle et une sollicitude admi­rables. On eût dit que le danger redoublait la sérénité de son âme.. L'époque du jeûne dominical, ce printemps de l'année ecclésias- tique, était arrivé. Antiochus de Ptolémaïs, avec quelques autres de sa faction, revint trouver l'empereur. Il est temps, dit-il, de mettre un terme à tant de scandales. Jean Chrysostome a été dou­blement condamné. Votre majesté ne doit plus souffrir qu'il pro- fane l'Église par sa présence. Veuillez donc prendre des mesures pour qu'il soit expulsé avant les prochaines fêtes de Pâques. — Arcadius y consentit. Il envoya un commissaire impérial chargé de notifier à l'archevêque un ordre d'exil. — Jésus-Christ, notre Sauveur et notre Dieu, m'a confié cette Église, répondit Jean. Il m'a imposé le soin de la gouverner; je ne l'abandon­nerai pas volontairement. Allez dire à votre maître qu'il peut employer contre moi la force dont il dispose. Cette ville lui appar­tient, il est libre de m'en faire expulser. Mais autrement, je ne déserterai pas mon poste. — L'officier retourna au palais et y transmit cette noble réponse. On n'insista pas pour le moment, Toutefois, par prudence, Chrysostome s'abstint dès lors de paraître aux offices publics et se tint renfermé dans la demeure épiscopale. Mais le grand samedi (samedi saint), anniversaire du jour où le Christ descendit aux limbes et en arracha les âmes des justes, un messager impérial se présenta de nouveau et intima au bienheu­reux Jean l'ordre de quitter Constantinople. Il répondit comme la première fois. Arcadius était retenu par le respect d'un jour aussi saint et par la crainte de soulever une sédition dans la ville. Par son ordre, Acacius de Bérée et Antiochus de Ptolémaïs furent man­dés au palais. Que faut-il faire? leur dit-il. Prenez garde à ce que vous demandez. Vos conseils ne me paraissent ni opportuns, ni sages. — Ces traîtres, affectant alors le langage du dévouement le plus absolu et de la conscience la plus droite, s'écrièrent : Auguste empereur, nous répondons sur notre tête de la légitimité, des me­sures que veus allez prendre contre Chrysostome. — Ce mot fixa les incertitudes du prince. On sut bientôt que les ordres les plus

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p566            PONTIFICAT  DE  SAINT  INNOCENT   I   (401-417).

 

rigoureux allaient être donnés. Il restait une dernière ressource. Les quarante évêques réunis autour de Jean se rendirent près de l'empereur et de l'impératrice, les suppliant avec larmes d'avoir pitié de l'Eglise du Christ, de ne pas convertir la solennité pascale en un deuil public, et de ne pas retarder le bonheur des catéchumènes qui devaient, après une si longue préparation, rece­voir en ce jour le sacrement de baptême des mains de leur pasteur et de leur père. On ne daigna pas les entendra. L'un d'eux, le bienheureux Paul, évêque de Craté, saisi d'une généreuse indigna­tion, s'approcha de l'impératrice et lui dit à haute voix : « Eudoxia, il en est temps encore, songez à la justice de Dieu et à l'avenir de vos enfants. Gardez-vous d'ensanglanter ce grand jour où le Christ est ressuscité pour le salut du monde1 ! »

© Robert Hivon 2014     twitter: @hivonphilo     skype: robert.hivon  Facebook et Google+: Robert Hivon