La foi chrétienne hier et aujourd’hui 80

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   Les Pères de l'Église ont interprété en ce sens les bras étendus du Christ en croix. Ils y voient tout d'abord la forme primitive du geste de la prière chrétienne, de l'attitude de l'orante, telle que nous la rencontrons dans les représentations émouvantes des catacombes.

 

Les bras du Crucifié montrent donc en lui l'adorateur, mais en donnant en même temps à l'adoration une nouvelle dimension, qui fait la spécificité de la glorification chrétienne de Dieu: ses bras ouverts sont aussi expression d'adoration précisément parce qu'ils expriment le don total aux hommes, parce qu'ils sont le geste de l'étreinte, de la fraternité pleine et sans réserve.

 

Par référence à la croix, la théologie des Pères a pu voir représentées symboliquement dans l'attitude chrétienne de la prière, la coïncidence de l'adoration et de la fraternité, l'inséparabilité du service des hommes et de la glorification de Dieu.

 

   Être chrétien, signifie essentiellement passer de l'être pour soi à l'être pour les autres. Par là s'explique aussi le sens réel de la notion d'élection (choix parmi plusieurs), qui nous paraît souvent si étrange. Elle n'est pas synonyme d'une préférence pour tel individu particulier, qui le laisserait enfermé en lui‑même et séparé des autres, elle veut dire au contraire l'entrée dans la tâche commune, dont nous parlions tout à l'heure.

 

Aussi l'engagement chrétien fondamental, l'accueil du christianisme, représentent‑ils l'abandon de tout égo-centrisme et l'adhésion à l'existence, toute tournée vers

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l'ensemble, de Jésus‑Christ.

 

Dans le même sens, le mot de Jésus qui nous exhorte à porter la croix à sa suite n'exprime nullement une dévotion privée, mais l'exigence, que l'homme abandonne l'isolement et la tranquillité de son «Moi », et sorte de lui‑même pour suivre le Crucifié, en mettant une croix sur son « Moi », et en vivant pour les autres.

 

D'une manière générale d'ailleurs, les grandes images de l'histoire du salut, qui constituent en même temps les grands symboles fondamentaux du culte chrétien, sont des formes d'expression de ce principe du « pour ».

 

Pensons par exemple à l'image de l'exode (sortie), qui depuis Abraham, et bien au‑delà de l'Exode classique de l'histoire du salut, ‑ la sortie d'Égypte‑ reste l'idée fondamentale qui régit l'existence du peuple de Dieu et de ses membres: ceux‑ci sont appelés à l'exode permanent du dépassement d'eux‑mêmes.

 

Le même thème est sous‑jacent à l'image de la Pâque ‑ passage ‑, dans laquelle la foi chrétienne a exprimé la connexion du mystère de la croix et de la résurrection de Jésus avec l'idée de « sortie » de l'Ancien Testament.

 

   Jean a rendu le tout dans une image empruntée à la nature. Par là l'horizon s'élargit au‑delà de l'anthropologie et de l'histoire du salut jusqu'au cosmique: ce qui est présenté ici comme structure fondamentale de la vie chrétienne est au fond déjà la marque de la création: « En vérité, en vérité, je vous le dis, si le grain de blé ne tombe en terre et ne meurt, il reste seul; s'il meurt, il porte beaucoup de fruit » (Jn 12, 24).

 

C'est une loi déjà dans le domaine cosmique, que la vie ne prend naissance qu'à travers la mort, à travers la perte de soi‑même. Ce que la création préfigure s'accomplit en l'homme et finalement en l'homme exemplaire Jésus‑Christ: en partageant le destin du grain de blé, en passant par le sacrifice, en acceptant d'être livré et de se perdre, il inaugure la vraie vie.

 

En partant des expériences de l'histoire des religions, qui sur ce point précisément rejoignent de très près le témoignage de la Bible, on pourrait aussi dire que le sacrifice alimente la vie du monde.

 

Les grands mythes qui prétendent que le cosmos serait issu d'un sacrifice primordial et ne pourrait vivre qu'en mourant perpétuellement à lui‑même, voué au sacrifice 41, ces mythes trouvent ici leur vérité

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p175 JE CROIS EN JESUS‑CHRIST

 

et leur valeur.

 

A travers ces images mythiques apparaît le principe chrétien de l'exode: « Qui aime sa vie la perd; et qui hait sa vie en ce monde la conservera en vie éternelle” (Jn 12, 25).

 

Il faut ajouter, en terminant, que tous les dépassements opérés par l'homme lui-même ne pourront jamais suffire. Celui qui ne veut que donner et n'est pas prêt à recevoir, qui ne veut que vivre pour les autres, sans reconnaître que lui‑même vit du don et du sacrifice des autres, don qu'il n'est pas en droit d'attendre ni d'exiger, celui‑là méconnaît le mode d'être fondamental de l'homme et altère nécessairement le vrai sens de ce qu'est vivre les uns pour les autres.

 

 Pour être féconds, tous les dépassements de nous‑mêmes exigent que nous sachions aussi recevoir de l'autre et en fin de compte de cet autre qui est véritablement autre par rapport à toute l'humanité, et en même temps pleinement uni à elle : l'homme‑Dieu Jésus‑Christ.

 

© Robert Hivon 2014     twitter: @hivonphilo     skype: robert.hivon  Facebook et Google+: Robert Hivon