Nestorius 3

Darras tome 13 p. 23

 

   14. D'unanimes applaudissements éclatèrent dans l'auditoire. Nestorius monta en chaire à son tour et dit :  « Je ne m'étonne point de vos transports d'allégresse. Les fidèles de Jésus-Christ ne peuvent qu'exalter la bienheureuse Marie. Son privilège d'avoir été le temple de la chair du Seigneur est digne de toutes nos louanges. Mais prenons garde, frères bien-aimés, d'exagérer ce sentiment. Sous prétexte d'honorer Marie, évitons de rabaisser la dignité du Dieu Verbe en lui attribuant une double naissance. Pour mieux vous faire comprendre ma pensée, je vais m'exprimer en termes clairs et à la portée de tous. Si l'on disait simplement que Dieu est né de Marie, ce serait livrer la majesté du plus grand de nos dogmes à la risée du premier païen venu. Que nous reproche-t-on? dirait-il. Est-ce que les chrétiens ne donnent pas eux-mêmes une femme pour mère à leur dieu? On peut donc adorer des dieux qui naissent, qui meurent, qui sont enterrés. Ainsi, vous le voyez, il faut reconnaître que le Christ, né dans le temps, sou­mis à la loi commune des naissances, était un homme. Sans doute à cette nature humaine Dieu vint s'unir. Mais il est bien différent d'enseigner que Dieu, le Verbe du Père, s'est uni au fils de Marie, ou bien de dire que la divinité elle-même naquit dans le temps. Le Verbe Dieu a fait le temps, il n'a pas été fabriqué dans le temps. Sous ce point de vue, j'ai fort approuvé la distinction faite par le maître qui vient de parler, quand il a dit : « Le Christ est né non

---------------

1 Ezech., xliv, 1, 2. — 2. S. Procl., Orat. de laudibus sanctissimœ Dei geni' ricis Mariœ, pass.; Pa',r,grœc, tom. LXV, col. 680-692.

=================================

 

p24          PONTIFICAT DE SAINT CÉLESTIN I  (422-432).

 

pas Dieu seulement, ni seulement homme1,» ou selon son expres­sion littérale : « non pas Dieu nu, » Théos ou gumnos. Non, Dieu n'était pas nu, et il n'avait pas besoin de revêtir notre nature par la géné­ration. Nul ne saurait enfanter plus ancien que soi. L'enfantement de Marie a donné naissance à un homme auquel Dieu s'est joint. Je veux vous pénétrer profondément de cette doctrine. Je l'ai ensei­gnée naguère à Antioche, et vous n'êtes ni moins intelligents ni moins zélés pour la pureté de la foi que les chrétiens d'Antioche. Eh bien, je ne puis admettre qu'on dise que dans l'incarnation « Dieu a été fait pontife 2. » Si en effet le Christ créateur est en même temps pontife, de qui les pontifes de la terre tiennent-ils leur délégation? Je confie ces quelques réflexions à votre examen. J'en dirais davantage, si je ne craignais d'affecter le rôle odieux d'un redresseur de torts, surtout vis-à-vis des docteurs de l'Église3. »


   15. Malgré l'affectation hypocrite de ce langage, personne ne se méprit sur l'opiniâtreté du patriarche dans son hérésie. Les esprits s'échauffaient de plus en plus. Un nouvel incident vint augmen­ter le trouble. L'évêque de Marcianopolis, métropole de la Mésie IIe, nommé Dorothée, était alors à Constantinople. Ami dévoué de Nestorius, plus ignorant que lui et non moins présomp­tueux, il entreprit de réfuter l'homélie de saint Proclus. Le di­manche suivant, il monta dans la chaire de Sainte-Sophie, en pré­sence du patriarche, de tout le clergé et d'une foule immense. « Si quelqu'un, dit-il, appelle Marie mère de Dieu, qu'il soit anathème ! » Un tumulte effroyable suivit cette parole. Le peuple cria au blasphème. On quitta l'Église, et de ce jour la communion fut rompue entre le patriarche et la grande majorité des fidèles. Sans s'émouvoir, Nestorius monta à l'autel et célébra les saints

---------------

1. Voici la phrase grecque de saint Proclus, à laquelle Nestorius fait ici al­lusion : 'O.V iysrrffin ex vuvaixJi; 0eô; où yu|jL.v6î, y.ai âv6pu7uoc où <|«}.â;. Natus ex muliere est, Deus non nudus, ac nec purus Iiotho. (Procl., Serm. citât., n° 2.)

2. Cette expression avait été employée par saint Proclus, dans la forme suivante : "Ci vaôç, t-i S> 0eô; ye'yovev Iejeù; tt,-> çûctv ji=Taga>.ùv, àX>,à T^v xarà T7iv râSiv toù Me).;(t(je3èv. Si ôîxtov ÈvSu<7«|xevo;! (S. Procl., ibid., n° 3.)

3. Nestor., Sermo iv, l'atr. lai., tom. XLVHI, col. 782.

========================================

 

p25 CHAP.   I.   — NESTORIUS. 

 

mystères, ayant à ses côtés le métropolitain de Mésie. Il voulut même le communier de sa main, pour mieux accentuer l'approba­tion qu'il donnait à sa doctrine. La séparation entre l'église de Constantinople et son indigne pasteur n'en fut que plus tranchée. Les fidèles désertèrent les temples; la plupart des monastères reje­tèrent toute communion avec l'hérésiarque. Les prêtres et les reli­gieux catholiques écrivirent au patriarche d'Alexandrie saint Cyrille, pour lui adresser leurs plaintes légitimes. En même temps ils prévenaient les abbés de Nitrie et de la Thébaïde de se tenir en garde contre les nouvelles erreurs. De son côté, Nestorius redou­blait d'ardeur et de violences. Son crédit à la cour durait encore, et nous verrons bientôt qu'il lui fut maintenu jusqu'à la dernière extrémité. Il profita de son influence pour obtenir des lettres de rappel en faveur du pélagien Cœlestius. Celui-ci revint en toute hâte. La doctrine de Nestorius était la sienne ; il n'hésita point à lui prêter son concours. Il rédigea un mémoire contre le prêtre Philippe, le chef de l'opposition orthodoxe dans les rangs du clergé. Sans souci d'aucune espèce de logique, Cœlestius accusait de ma­nichéisme quiconque donnait à la sainte Vierge le titre de Mère de Dieu. Nestorius reçut gravement le mémoire qu'il avait dicté lui-même, et cita le prêtre Philippe à comparaître devant son tri­bunal. Il espérait vraisemblablement que Philippe ne tiendrait au­cun compte de cette sommation irrégulière, fondée sur la dénon­ciation d'un excommunié notoire tel que Cœlestius, auquel le droit canonique et civil refusait toute espèce d'action en matière ecclé­siastique. Cependant Philippe se présenta au jour indiqué, prêt à confesser sa foi et à la prouver à l’encontre de tous les opposants. Cœlestius, le seul qui aurait pu expliquer en quoi le dogme de la maternité divine se rattachait aux erreurs manichéennes, n'osa pas se montrer. Nestorius lui-même ne jugea pas à propos d'insister sur ce point. Pourquoi, dit-il à Philippe, avez-vous l'audace de tenir des assemblées secrètes, et de célébrer les synaxes dans des maisons particulières? — Parce que vous occupez les églises et que les fidèles de Jésus-Christ, sous un pasteur tel que vous, n'ont pas d'autre ressource. —Une sentence d'interdit fut prononcée par

========================================

 

p26         PONTIFICAT  DE   SAINT  CÉLESTIN  I   (422-432).

 

Nestorius contre le généreux confesseur. Mais au sortir de l'au­dience, le peuple qui entourait les avenues du palais épiscopal salua de ses acclamations le courageux prêtre, déclarant qu'il ne voulait communiquer qu'avec ceux qui professaient sa doctrine. Le supérieur général, ou archimandrite de tous les monastères de Constantinople, était alors le saint abbé Dalmatius. Ancien officier de la garde prétorienne sous Théodose le Grand, il avait dans la maturité de l'âge renoncé aux honneurs de la terre, et avec son fils aîné Faustus était venu se mettre sous la direction du saint ermite Isaac, celui qui avait autrefois prédit à l'empereur Valens sa fin tragique l. Plus tard, Nectarius lui avait donné l'ordination sacerdotale et l'intendance de sa maison. A la mort de ce patriarche, Dalmatius, heureux de se livrer à sa passion pour la solitude, s'était renfermé dans un monastère. Depuis quarante ans il n'en avait pas une seule fois franchi le seuil. Vénéré de la cour, du clergé et du peuple, il avait conquis par ses vertus une influence telle que ses paroles étaient recueillies comme autant d'oracles. On cita depuis celle qu'il adressa à quelques religieux, le jour même de l'installa­tion de Nestorius. « Priez, mes frères, et veillez, leur dit-il. Cons­tantinople caresse un monstre (thèrion) qui tuera des milliers d'âmes2. » Cependant l'heure était venue où le monstre de l'héré­sie allait tomber sous les coups d'un nouvel Athanase, non moins intrépide que le premier et comme lui patriarche d’Alexandrie.


§ Saint Cyrille d'Alexandrie.

 

   16. Abandonné par la partie la plus saine et la plus vertueuse du clergé et du peuple, Nestorius était loin cependant de rester seul et sans appui. La princesse Pulchérie malgré sa piété vive et sincère, l'impératrice Eudocia malgré ses connaissances théolo­giques dont elle nous a laissé des monuments et qui dépassaient de beaucoup celles qu'on rencontre d'ordinaire chez les femmes, con­tinuaient à respecter Nestorius et à suivre sa communion. Le lan-

----------------

1 Cf. tom. X de cotte Histoire, pag. 377. — 2 Concil. Ephes., Epist. synod. ad Valmat.; Patr. lut., tom. XLVIII, col. 734.

=========================================

 

p27 CHAP.   I.   — SAINT  CYRILLE   D'ALEXANDRIE. 

 

âge équivoque et ambigu du patriarche prêtait singulièrement à l'illusion, en un temps où la doctrine de l'unité de personne en Jésus-Christ n'était point, comme elle l'est pour nous, l'objet d'un ensei­gnement net et défini que l'enfance chrétienne reçoit avec les pre­miers éléments du catéchisme. Un grand nombre de catholiques persistaient à communiquer avec Nestorius, sans réellement par­tager ses erreurs. Ils se persuadaient que la controverse était pu­rement spéculative; qu'on exagérait la portée de quelques expres­sions imprudentes; ou qu'on ne tenait point assez compte de ses explications ultérieures et de ses demi-rétractations. Enfin, il faut bien le dire, parmi les prêtres plus familiarisés avec ces matières et qui n'avaient pas l'excuse de l'incompétence théologique, un cer­tain nombre préférait suivre le crédit et la fortune de l'hérésiarque, tant que cette fortune et ce crédit seraient debout. Ils trouvaient le parti d'autant plus avantageux qu'ils se mettaient ainsi à couvert des violences dont Nestorius accablait ses adversaires et se main­tenaient à portée des grâces et des faveurs qu'il distribuait encore. Tristes et lâches calculs qu'on retrouve à toutes les époques cri­tiques ! Ils ont le double résultat de déshonorer les subalternes et d'entretenir l'aveuglement de leurs chefs.

 

17. Telle était la situation des esprits à Constantinople en 430, lorsque les religieux et les prêtres fidèles déposèrent entre les mains de l'empereur Théodose le Jeune un mémoire où ils deman­daient la réunion d'un concile œcuménique, pour définir et juger la doctrine du patriarche. En même temps, on recevait à Byzance les exemplaires d'une lettre que saint Cyrille d'Alexan­drie venait d'adresser à tous les monastères de l'Orient, pour dé­noncer et combattre la nouvelle erreur. Nestorius n'y était point désigné nominativement; mais tout son système, tel qu'il l'expo­sait, y était vigoureusement réfuté. « Je ne saurais assez exprimer mon étonnement, disait saint Cyrille, quand je vois des chrétiens hésiter à donner à la sainte Vierge le titre de mère de Dieu. Puisque Notre-Seigneur Jésus-Christ est Dieu, comment la Vierge qui l'en-

------------------

1Concil. Ephes., Epist. synod. ad Dalmat.; Patr. lat.. tom. XLVHI, col. 734;

=========================================

 

p28 POSllïICAT  DE  SAINT  CÉLESTIN  I  (422-432).

 

tanta ne serait-elle pas mère de Dieu? Les apôtres nous l'ont enseigné, bien que l'expression même de Théotoxos; ne se trouve pas dans leurs écrits. Mais les saints pères n'ont jamais fait difficulté de l'employer. Pour n'en citer qu'un seul exemple, l'illustre Athanase, la gloire de la cité d'Alexandrie et de l'Église entière, à chaque page de son livre De Trinitate, donne à Marie ce titre qu'on veut aujourd'hui lui refuser. Certes, on ne saurait s'écarter de la vraie doctrine des livres saints, en suivant celle de ce grand inter­prète de l'Écriture, de cet immortel docteur dont le concile de Nicée admirait la science et la foi. Mais, dit-on, si considérable que soit l'autorité d'Athanase et celle des autres pères, il n'en est pas moins certain que le concile de Nicée n'a pas employé l'ex­pression de Théotoxos, et qu'il garde sur ce point le même silence que les livres saints. Et moi, je réponds : Pénétrez plus profondément la doctrine de Nicée et celle de l'Écriture relativement à l'écono­mie du mystère de l'Incarnation, et vous demeurerez convaincus que la vierge Marie fut réellement mère de Dieu et qu'elle a droit d'en porter le titre. Les pères de Nicée, ou plutôt l'Esprit-Saint qui les inspirait et parlait par leur bouche, ont défini la question dans l'immortel symbole qui est la règle de toute foi sin­cère. Ils disent : « Je crois en un seul Seigneur Jésus-Christs Fils unique de Dieu, né du Père avant tous les siècles, Dieu de Dieu, lumière de lumière, vrai Dieu de vrai Dieu, engendré non créé, consubstantiel au Père, par qui toutes choses ont été faites qui s'est incarné par l'opération du Saint-Esprit dans le sein de la vierge Marie et s'est fait homme. » Vous l'entendez. Il n'y a pas, en la personne unique de Notre-Seigneur Jésus-Christ, un Fils de Dieu de création récente adjoint au Fils éternel du Père. C'est là pourtant l'opinion insensée des nouveaux hérétiques. De Jésus-Christ, le roi immortel des siècles, le Verbe qui subsistait avant tous les siècles et tous les âges, ils ne rougissent pas de faire une créa­ture de date moderne, à laquelle ils assignent un commencement et qu'ils placent dans une sorte de milieu entre la nature divine et la nature humaine, un peu au-dessus de la seconde sans pouvoir atteindre la plénitude de la première. Voilà la créature fantastique

=========================================

 

p29 CHAP.   I.   — SAINT  CYRILLE  D'ALEXANDRIE.  

 

qu'ils veulent nous faire adorer, au mépris de la parole de l'Écri­ture : Non erit in te deus recens, neque adorabis deum alienum1. Voilà dans quels sentiers tortueux ils s'égarent, courant au-devant des précipices et des écueils, désertant la voie royale, le grand chemin de la vérité. Mais nous, illuminés par les oracles de l'Esprit-Saint et de la tradition, nous croyons et confessons que le Fils de Dieu hypostatiquement uni à son Père, « le Verbe, comme dit l'Écriture, s'est fait chair, » c'est-à-dire qu'il a pris un corps et une âme semblables aux nôtres. Avec le saint et auguste concile de Nicée, fermement appuyés sur la doctrine évangélique, nous croyons et confessons que le Fils unique de Dieu, le Verbe consubstantiel au Père, s'est incarné et a souffert, est mort, est res­suscité, et qu'il est notre Dieu et unique Seigneur Jésus-Christ. On nous dit que le nom de Christ a été donné par l'Écriture à d'autres qu'à l'Emmanuel. Nous le savons bien. Les rois, les pontifes sur qui a coulé l'onction sainte sont quelquefois appelés dans les livres saints les christs du Seigneur. Mais quand il s'agit de Notre-Seigneur Jésus-Christ, est-ce que le bienheureux apôtre Paul ne le distingue pas nettement sous le nom de «Christ Dieu 2 ? » Si l'on veut nous conserver à nous autres pontifes, serviteurs de Dieu, le titre de christs, à cause de notre onction sainte, on pourra don­ner dans ce sens à nos mères le titre de Christiparae (mère d'un christ) ; en ce sens aussi, la sainte Vierge peut porter ce titre, mais à elle seule appartient celui de Deipara (mère de Dieu), parce que ce n'est pas un homme qu'elle a enfanté, mais le Verbe in­carné et fait homme. L'Écriture nous donne aussi dans un certain sens le titre de dieux : Ego dixi : dii estis et filii Excelsi omnes3. Qui donc serait assez insensé pour en conclure que nous sommes dieux à la manière du Verbe, que nous sommes les fils de Dieu à la manière du Fils unique et consubstantiel? Vous me demanderez peut-être ; Mais est-ce que la sainte Vierge fut mère de la divi­nité? Je vous ai déjà suffisamment appris que le Verbe éternel préexistait à Marie, qu'il subsiste de toute éternité au sein du Père.

-------------------

1 Psalm. LXXXj 10; Exod., XX, 3. — 2 Ephes., v, 5. — 3 Psalm. lxxxi, 6.

=========================================

 

p30         PONTIFICAT  DE  SAINT  CÉLESTIN  I  (422-432).

 

Mais, dans l'incarnation mystérieuse du Verbe, il s'est produit un phénomène que nous pouvons en une certaine mesure compa­rer à la génération ordinaire. Tous les hommes qui naissent sont composés d'un corps et d'une âme. Nos mères selon la nature ne nous ont fourni que la substance corporelle à laquelle Dieu a atta­ché une âme; cela n'empêche pas qu'on ne dise qu'elles donnent le jour à un homme, et personne ne s'aviserait sérieusement d'éta­blir ici une distinction et de les appeler carnipares (mères du corps), leur refusant le titre d'animipares (mères de l'âme). Pour­quoi? C'est que de l'union de l'âme et du corps se compose la per­sonne unique qu'on appelle l'homme, et que celle qui a donné le jour à un homme en est réellement la mère. Or, de la même ma­nière que l'âme s'unit au corps si étroitement, si indissolublement qu'on ne les peut séparer dans la personne humaine sans détruire l'homme, ainsi dans l'incarnation le Verbe s'est uni à la nature humaine pour naître en la personne unique et indivisible de Jésus-Christ notre Seigneur et notre Dieu. » Saint Cyrille établit par les textes de l'Écriture la réalité de cette union hypostatique des deux natures dans le mystère du Verbe incarné, et il conclut en ces termes : « Il est donc certain que le Christ, qui est né du sein de Marie, qui a souffert et qui est mort pour nous, était vrai Dieu, Verbe éternel et consubstantiel. Donc Marie doit être appelée mère de Dieu. Ne distinguez donc pas deux personnes dans notre Emmanuel; ne scindez pas les deux natures divine et humaine qui y sont unies. Autrement le Juif viendra vous dire : Je ne suis pas un déicide, je n'ai mis à mort qu'un homme vulgaire! Le païen, à son tour, vous dira : De quel droit me reprochez-vous mon ido­lâtrie, puisque vous adorez vous-même le Christ qui ne fut qu'un homme 1 ?

   18. Cette instruction pastorale de saint Cyrille, dont nous n'avons reproduit que les grandes lignes, était un véritable traité sur la matière. Elle servit de base à toute la discussion catholique et fut toujours citée comme la démonstration la plus complète du

-------------

1 S. Cvrill. Alexand., Epist. l, passim; Pair, grœc, tom. LXXVJI, col. 1-40.

=======================================

 

p31 CHAP.   I.   — SAINT  CYRILLE  D'ALEXANDRIE.  

 

dogme attaqué par Nestorius. Bientôt répandue en Orient, elle fut accueillie avec enthousiasme. A Constantinople surtout elle entraîna de nombreuses conversions. Quelques-uns des person­nages les plus considérables de la cour écrivirent au patriarche d'Alexandrie pour le remercier d'avoir éclairci leurs doutes et dis­sipé les nuages dont l'erreur s'efforçait d'envelopper cette question théologique. Nestorius, au contraire, ne dissimula pas son ressen­timent. Il fit écrire par Photius, un de ses prêtres, une réfutation de la lettre de saint Cyrille. S'étant mis en rapport avec quelques clercs chassés d'Alexandrie pour leurs mœurs scandaleuses, il les attira près de lui, et les chargea de dresser un mémoire d'accusa­tion contre leur patriarche. Averti de ces intrigues, saint Cyrille crut devoir en écrire directement à Nestorius : « Des personnes vénérables et dignes de foi, dit-il, m'assurent que votre piété a pris à mon égard des sentiments hostiles et qu'elle ne néglige rien pour me nuire. Ils attribuent votre mécontentement à la lettre que j'ai adressée aux monastères d'Egypte, et dont les copies se sont ré­pandues dans votre ville épiscopale. Or, il me semble que s'il y a quelque agitation à ce sujet, ce n'est point à ma lettre qu'il faut l'attribuer, mais aux écrits qui circulent à tort peut-être sous votre nom. Le Christ y est représenté non pas comme Dieu, mais comme l'organe, l'instrument de la divinité, ou si vous l'aimez mieux, comme un homme divinisé. Évidemment nous avons le droit de protester contre de tels blasphèmes. On prétend les mettre sous votre patronage. Dans la réalité, je ne sais que croire de tous ces bruits. Quel que soit l'auteur de cette doctrine sacrilège, mon devoir est de prendre la défense de la foi. Le silence en pareille matière n'est pas permis. Je vous en conjure donc, éclairez ma religion sur ce point. Le très-pieux évêque de l'Église de Rome, Célestin, vient de m'écrire pour me demander si les homélies qui circulent sous votre nom sont effectivement votre œuvre. Ses lettres respirent la plus légitime indignation contre l'erreur nouvelle. De tous les points de l'Orient, on m'adresse des plaintes du même genre. Comment donc votre piété songe-t-elle à m'accuser, quand c'est elle-même qui suscite tant de troubles? Ah! plutôt n'hésitez

=========================================

 

p32         PONTIFICAT  DE  SAINT  CÉLESTIN   I   (422-432).

 

pas à rétracter ce que vous avez avancé témérairement ! Je vous en supplie, ne persistez pas à scandaliser les fidèles en refusant à la vierge Marie le titre de mère de Dieu. Retirez d'imprudentes pa­roles, aidez-nous à rétablir la concorde et la paix dans l'Église, sauvez l'honneur de l'épiscopat et l'intégrité de la foi catholique. Quant à moi, je le déclare, la prison, les chaînes, les persécutions, la mort même, je suis prêt à tout souffrir plutôt que d'apostasier. Du vivant d'Atticus, votre prédécesseur de bienheureuse mémoire, j'ai écrit contre les ariens un livre intitulé : De sancta et consubstantiali Trinitate1. J'y professais sur l'incarnation du Verbe la même doctrine que j'ai reproduite dans ma lettre aux solitaires. Or ce traité fut lu, au moment de sa publication, par les évêques et les clercs, les ignorants et les savants. Personne n'en a contesté l'or­thodoxie. Il est vrai qu'alors vous n'étiez pas encore monté sur le siège de Constantinople 1. »

   19. Nous avons encore la réponse que Nestorius fit à cette lettre. La voici : « Au très-religieux et très-saint collègue (ou».eiToupYq>) Cyrille, Nestorius, salut. Rien ne résiste à la piété chrétienne. Celle du prêtre Lampo qui m'a remis votre lettre en est la preuve. Il a tant insisté pour obtenir de moi une réponse qu'il m'a en quelque sorte forcé la main. J'avoue que, pour ma part, je ne sais rien re­fuser aux instances d'un homme vertueux, d'un fidèle disciple de Jésus-Christ, quand il parle au nom du Dieu qui l'inspire. J'adresse donc ces lignes à votre piété, bien qu'elle vienne de me témoigner des sentiments fort peu fraternels. Mais je ne veux pas récriminer : je conserverai jusqu'au bout la patience et les relations de la cha­rité. L'avenir prouvera si les instances du très-vertueux prêtre Lampo auront servi à quelque chose. En attendant, moi et tous les frères qui m'entourent, nous vous saluons 3. »

-----------------

1 Nous avons encore ce traité de saint Cyrille, Pair, grœc, tom. LXXV, col. 1-656.11 est suivi dans les œuvres complètes du grand docteur des deux appendices : De Trinitate dialogi très, et De Trinitate liber unus. (Pair. grœc., ibid., col. 1147-1254.)

2. S. Cyrill., Epist. Il; Pair, grœc., tom. LXXV1I, col. 40-42.

3. S. Cyrill., Epist. ni; Patr. grœc, tom. LXXV1I, col. 44.

==========================================

 

p33 CHAP.   I.     SAINT   CYRILLE   I>'ALEXANDRIE.     

 

   20. Ce langage est bien celui d'un sectaire. Il nous fait à merveille comprendre la vanité, l'aigreur, les implacables ressenti- ments de Nestorius. Le ton d'insolence rogue et magistrale qu'il affecte ici cachait la satisfaction intérieure dont son âme était pleine, à la pensée des scandaleuses accusations dont il se prépa­rait à accabler saint Cyrille. A force d'argent et d'intrigues, il avait réuni quatre faux témoins : Chérémon, Victor, Sophronas et un
valet de Flavien le banqueroutier, dont le nom ne nous est point parvenu. Ces dignes personnages avaient signé un libelle diffama­toire contre le patriarche d'Alexandrie. Ils l'adressèrent au prétoire impérial, demandant qu'un concile
  œcuménique fût rassemblé pour leur rendre justice et déposer le saint évêque. Nestorius, on le conçoit, appuya chaleureusement la requête de ses complices. A demi caché derrière eux, il soulevait à la cour une véritable tempête contre l'illustre patriarche d'Alexandrie. Suivant l'usage de cette époque, les évêques des principaux sièges d'Orient et d'Oc­cident entretenaient à la cour, sous le nom d'apocrisiaires, des ecclé­siastiques qui leur servaient de correspondants pour les affaires à traiter avec les ministres et l'empereur lui-même. C'étaient de véri­tables légations permanentes, semblables à nos ambassades mo­dernes. Les agents de saint Cyrille l'informaient très-régulièrement
de tout ce qui se tramait contre lui à Byzance. Il ne lui fut donc pas difficile de lire entre les lignes du billet plein de morgue et d'arrogance que Nestorius venait de lui adresser. Il y répondit en ces termes : « J'apprends que d'insignes calomniateurs trompent votre piété, en articulant contre moi des griefs aussi odieux que chimériques. Ils assiègent les magistrats de leurs plaintes ; peut-être, en agissant ainsi, ne croient-ils pas absolument vous déplaire. Quoi qu'il en soit, je n'ai à me reprocher vis-à-vis d'eux aucune espèce de tyrannie ou d'injustice. Ils ont été très-régulièrement jugés; leur culpabilité a été manifestement établie. L'un avait dé­tourné le bien des pauvres et des orphelins; un autre avait frappé sa mère d'une main parricide; le troisième s'était associé avec une servante pour dévaliser une famille. Ce sont des hommes telle­ment discrédités que nul n'aurait le courage de souhaiter à son plus
========================================

 

p34  PONTIFICAT DE SAINT CÉLESTIN  I  (422-432).

 

grand ennemi la moitié des forfaits dont ils se sont rendus cou­pables. Vous permettrez donc que je ne me préoccupe pas le moins du monde d'accusations parties de si bas. Dieu m'est témoin cepen­dant qu'aucune pensée d'orgueil ne m'inspire ce langage. Mais enfin c'est un fait d'expérience que l'innocence la mieux établie ne sera jamais à l'abri de l'attaque des méchants. Abandonnons aux remords de leur conscience et surtout au jugement de Dieu ces misérables personnages, et revenons au point capital de toute cette affaire. Laissez-moi vous exhorter et vous supplier, comme mon frère en Jésus-Christ, de mettre fin au scandale que vos prédications excitent dans l'Église entière. Vous êtes si zélé et si ardent à prendre en main la cause de trois ou quatre plaignants que vous croyez victimes d'une injustice ! Ne le soyez pas moins vis-à-vis d'une multitude immense dont vous blessez la foi; Con­sentez, je vous prie, à étudier la tradition catholique et les ouvrages des pères. Relisez le symbole de Nicée et vous demeurerez bientôt convaincu que le titre de mère de Dieu a été donné de tout temps à la sainte Vierge, parce qu'elle a enfanté le Verbe fait chair, Jésus-Christ Notre-Seigneur, personne unique renfermant les deux na­tures divine et humaine indissolublement conjointes. En présence de ce grand Dieu qui nous voit, au nom des saints anges qui l'a­dorent, je vous conjure de revenir enfin à l'intégrité de la foi et de rétablir entre nous le lien de la concorde et de la paix 1. »

© Robert Hivon 2014     twitter: @hivonphilo     skype: robert.hivon  Facebook et Google+: Robert Hivon