Darras tome 10 p. 84
34. Disséminés sur tous les points du monde, les Hébreux se rassemblèrent, comme au temps de Zorobabel, pour aller reprendre possession du sol de la patrie. Ce mouvement ne se produisit pas sans compromettre en divers lieux la sécurité des chrétiens. Fiers de la protection de l'empereur, les fils d'Israël ne résistèrent pas à la cruelle satisfaction de la vengeance. On les vit à Alexandrie, à Damas, se ruer sur les basiliques et les livrer au pillage. Il faut le dire pourtant, ces violences furent circonscrites au sein de quelques localités. Le sentiment patriotique des Hébreux domina bientôt les passions féroces qui eussent compromis le but suprême des espérances nationales………………..
Bientôt les marbres précieux, les pierres de taille, les bois de construction s'accumulèrent à Jérusalem, pendant que de vastes ateliers s'organisaient pour exécuter les divers travaux de ciselure, de sculpture, de tissage, ou d'orfèvrerie. La colonie chrétienne de Jérusalem, envahie et comme cernée par l'agglomération juive qui la pressait de toutes parts, était chaque jour l'objet des insultes et des sarcasmes de la foule. « Les fils d'Israël étalaient, dit Rufin, une arrogance et une fierté qui ne connaissaient plus de bornes. Ils se permettaient contre nous des actes de cruauté qui restaient toujours impunis; ils inauguraient par ces violences le retour du règne de David ; c'est ainsi qu'ils l'appelaient1. »
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Des tribunaux de l'Inquisition ne relevaient ni les Juifs ni les Maures, à moins d'être baptisés. Les relaps en étaient seuls justiciables. On les nommait Marranus2 ou Moriscos, suivant leur origine. L'opinion les confondait dans une même hérésie. Or, les progrès en étaient devenus d'autant plus alarmants qu'elle comptait en assez grand nombre, parmi ses adeptes, des hommes puissants par leurs richesses ou par les dignités dont ils étaient investis dans l'Etat, et même parfois dans l'Eglise. Cette institution excita chez les hérétiques les craintes les plus vives, au point que les Juifs, extérieurement rattachés au catholicisme, se révoltèrent en Aragon. Les esprits remuants de la noblesse se joignirent aux insurgés, sous le prétexte que le gouvernement de la couronne introduisait dans les lois des innovations qui portaient atteinte aux anti-
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1 Innocent. Lib. Brev. sign. num. 1909, pag. 46, 49. — Maman, de reb. Ih's-
f.anic. xxv, 7.
2 Des érudits font sérieusement dériver ce mot de l'anathème Maran-Atha.
L'étymologie me paraît moins scientifique. Les espagnols, dans le langage populaire, appellent marrano l'animal abhorré par les Juifs.
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p82 PONTIFICAT d'innocent VIII (1484-1492).
ques fueros, en ce qu'on ne se contentait pas de dépouiller de leurs biens ceux qui étaient accusés d'hérésie, et qu'on allait jusqu'à ne point produire de témoignages contre eux. Après avoir, pendant quelque temps, joué sur les mots au sujet du maintien des fueros, les Cortès d'Aragon envoyèrent des députés à Ferdinand, pour lui demander d'abolir la peine de la confiscation des biens, prononcée contre les hérétiques. Les Juifs néophytes essayèrent d'enlever cette faveur en corrompant à prix d'or des conseillers influents de la Cour de Castille et de la Cour pontificale. Ils espéraient, une fois la confiscation des biens abolie, voir tomber la censure en désuétude. Sûrs de l'appui de plusieurs Grands, qui voyaient dans la sévérité des inquisiteurs une menace de servitude prochaine, et redoutaient la ruine des libertés publiques, ils jurèrent la mort des juges récemment institués. Ils avaient la confiance qu'après leur fin tragique, personne n'oserait accepter leur succession. Le complot contre la vie de tous les membres du tribunal suprême ne réussit pas ; mais le censeur apostolique Pierre d'Arbues tomba sous le poignard de ces fanatiques. Le 13 septembre 1483, à l'entrée de la nuit, pendant qu'il priait à genoux au pied de l'autel, il fut percé de coups par les assassins, qui prirent aussitôt la fuite. Les clercs présents dans l'église l'emportèrent baigné dans son sang. Le martyr de la Foi ne survécut que deux jours à ses blessures. Cet odieux forfait souleva d'indignation tout le peuple de Tarragone ; il prit soudain les armes, et, sans l'intervention de l'archevêque parcourant les rues à cheval pour apaiser la fureur publique, les Juifs eussent été massacrés tous, innocents et coupables, sans aucune forme de procès. La procédure fut d'ailleurs rapidement menée; le juste châtiment des assassins ne se fît pas attendre. Leur crime au lieu d'amener, comme ils l'avaient espéré, le renversement du tribunal de la censure, ne fit que contribuer à son affermissement. Les juges furent logés en sûreté dans la citadelle d'Algiafar, et les relaps furent poursuivis avec une rigueur nouvelle1.
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Au moment où l'Inquisition s'établit, la croisade est près de finir, mais l'heure est solennelle ; l'Espagne a dans ses mains les destinées de l'Église et du monde ; elle est maîtresse en Afrique, maîtresse en Amérique, prépondérante en Europe. Cependant elle porte dans son sein des chrétiens judaïsants dont la richesse et l'influence sont un danger permanent ; ces Juifs sont alliés aux Maures qu'ils soutiennent dans leurs résistances et s'efforcent de relever après leur défaite, et les Maures épient l'instant de planter leur drapeau sur Gibraltar. D'un autre côté, le protestantisme menace l'Italie, se propage dans les hautes classes de l'Espagne, va la diviser, l'ensanglanter plus que tout autre pays. La sagesse des rois catholiques recourt alors aux moyens extrêmes, elle épouvante, elle tue ; mais aussi elle sauve la foi et l'indépendance si chère à l'Espagne et elle assure à l'Église la prépondérance en Europe. Sans cette résistance, l'Église était réduite à n'être en Europe que tolérée, on sait que cette tolérance n'est que la persécution voilée sous le masque légal du libéralisme. L'histoire de l'Inquisition d'Espagne se divise en trois périodes : la première comprend le temps où l'Inquisition fut purement religieuse; la seconde celle où elle fut politico-religieuse et dirigée contre les Juifs, les Maures et contre le protestantisme ; la troisième celle où, à dater de Philippe II, elle se contenta de réprimer les vices infâmes et de fermer le passage à la philosophie de Voltaire, jusqu'à son abolition en 1811. La première période ne présente aucun fait important. L'Inquisition s'établit en
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p587 CHAP. XII. — l'inquisition.
Aragon d'abord, pour éloigner les Albigeois, puis elle passe en Castille, en Navarre et en Portugal. Mais en Castille même elle est tellement bénigne que le franciscain Espina s'en plaint au Pape disant qu'elle est pour les Juifs et les hérétiques un objet de dérision. C'est alors que, pour enlever aux évêques l'odieux de la répression et le danger des inimitiés, Innocent IV charge exclusivement les Dominicains des offices inquisitoriaux, comme délégués du Saint-Siège, sous la juridiction du Pape, et en dehors de la juridiction épiscopale. La seconde période est celle où l'Inquisition devient politico-religieuse. Il ne faut pas se méprendre sur le sens de cette expression, ce n'est point une Inquisition nouvelle, c'est l'ancienne qui change de caractère, ou plutôt qui sert au roi pour sauver ses Etats en sauvant la foi. L'action du roi sur l'Inquisition est évidente : c'est lui qui nomme ou destitue les inquisiteurs, lui qui a tout le bénéfice des confiscations, lui qui met dans les attributions du Saint-Office des affaires temporelles qui ne sont nullement du ressort de l'Église, lui enfin qui se sert ça et là de l'Inquisition pour ôter aux riches leurs biens et aux puissants leur autorité. Aussi des opprimés en appellent-ils souvent à Rome qui les absout. Voici les faits saillants de cette période. L'an 1477, Ferdinand et Isabelle montent sur le trône. Les dangers que fait courir à la foi et à la nationalité espagnole l'opulence des Juifs attirent leur attention. On commence des missions pacifiques ; le cardinal de Mendoza répand un catéchisme de la vie chrétienne, et les Juifs pour toute réponse, publient un libelle contre la religion et la conduite du gouvernement. Alors Ferdinand et Isabelle conseillés par le Dominicains Alonzod de Oyeda emploient une autorisation obtenue de Sixte IV en 1478, et fondent en Castille le tribunal de l'Inquisition, composé de deux ou trois dignitaires de l'Église, âgés d'au moins quarante ans, gradués et de bonnes mœurs. Le premier inquisiteur général fut Thomas de Torquemada, le croque-mitaine des grands enfants d'aujourd'hui, celui qu'on répute le bourreau par excellence, encore qu'il soit complètement justifié par Herréras et Mariana. Torquemada convoqua les inquisiteurs, dressa les statuts et pour inspirer la terreur voyagea entouré de quarante cavaliers et de deux cents gardes ; il
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fit brûler partout les livres et les hérétiques opiniâtres, en tout 8.800 victimes. Un de ses assesseurs fut Pierre d'Arbues, chanoine de Sarragosse qui fut assassiné par les chrétiens Judaïsants et que l'Église a canonisé. Sous Charles-Quint le danger est passé et avec lui les rigueurs. Mais à l'avènement de Philippe II les tentatives du protestantisme amènent une recrudescence de sévérité : les mauvais livres circulent, des personnages influents sont gagnés à l'hérésie, même dans le clergé, le peuple espagnol va se laisser fanatiser par les idées de réforme, quand le grand roi, par des mesures énergiques, conjure les périls. Alors se déroule la triste affaire de l'archevêque de Tolède, Barthélémy de Caranza dont l'innocence est reconnue, quoique plusieurs de ses paroles sur la justification prêtent à la censure. En somme, l'Inquisition a fait mourir, pendant trois siècles, d'après les calculs les plus exagérés, 341.000 personnes ; mais elle jugeait, outre le crime d'hérésie, quatorze autres crimes, et elle a épargné à l'Espagne les horreurs de guerres religieuses qui ont inondé l'Europe de sang.
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