tome 24 p. 474
CHAPITRE LI.
La foi catholique s'affermit au milieu même des contradictions suscitées par les hérétiques.
1. Mais le démon, voyant qu'on abandonnait ses temples et que le genre humain tout entier se ralliait rapidement au nom du Médiateur qui était venu l'affranchir, suscita les hérétiques. En conservant le nom de Chrétiens, ils devinrent les adversaires de la doctrine chrétienne. Ils s'imaginaient peut‑être qu'ils pouvaient demeurer dans la Cité de Dieu aussi bien et sans plus d'inconvénient, que les philosophes dans la Cité de la confusion, tout en professant des opinions entièrement opposées. Mais, dans l'Église du Christ, si ceux qui s'attachent à des opinions dangereuses et dépravées , s'opiniâtrent dans leurs sentiments, après avoir été repris; si, au lieu de rétracter ces erreurs qui renferment un venin mortel, ils persistent au contraire à les défendre, alors ce sont des hérétiques, et rejetés du sein de l'Église, ils sont regardés comme des ennemis qui éprouvent sa vertu. Leur malice même est ainsi utile aux catholiques, véritables membres du Christ, puisque Dieu se sert
=================================
p475 LIVRE XVIII. ‑ CHAPITRE LI.
même des méchants pour une bonne fin, et que tout contribue à l'avantage de ceux qui l'aiment. (Rom. viii, 28.) En effet, tous les ennemis de l'Église, n'importe quelle erreur les aveugle et quelle malice les corrompe, s'ils ont reçu le pouvoir de l'affliger corporellement, ont aussi pour but d'exercer sa patience; s'ils la combattent seulement par leurs erreurs, ils exercent sa sagesse; et comme les ennemis doivent être toujours aimés, ils exercent sa bienveillance, ou sa charité, soit par la persuasion de sa doctrine, soit par les salutaires terreurs de sa discipline. Aussi le diable, prince de la Cité impie, en excitant ses suppôts contre la Cité de Dieu, étrangère en ce monde, ne saurait lui nuire. Dieu ne la laisse point sans consolation dans l'adversité, de peur qu'elle ne s'abatte; ni sans épreuves dans la prospérité, de peur qu'elle ne se corrompe, établissant par sa Providence, l'équilibre entre ces deux états, qu'il modère l'un par l'autre; selon ce qui est dit dans le psaume : « Vos consolations ont réjoui mon âme, en proportion des afflictions de mon cœur. » (Ps. xciii, 19.) C'est pour cela que l'Apôtre dit aussi : « Réjouissez‑vous dans l'espérance et supportez patiemment les tribulations. » (Rom. xii, 12.)
2. Car il ne faut pas s'imaginer que cette autre parole du même auteur : « Tous ceux qui veulent vivre avec piété en Jésus‑Christ, souffriront persécution » (11. Tim. 111 12) puisse manquer de réalisation en aucun temps. En effet, si les violences du dehors sont apaisées, et c'est là une tranquillité réelle, très‑propre à consoler les faibles surtout, les ennemis ne manquent pas au‑dedans; ils sont même en grand nombre, torturant les âmes pieuses par leur conduite déréglée. C'est par leur faute que l'on blasphème le nom chrétien et catholique, et plus ce nom est cher à ceux qui veulent vivre avec piété en Jésus‑Christ, plus ils s'affligent de ce qu'il n'est pas aimé selon leurs pieux désirs, et à cause de la perversité des ennemis du dedans. Les hérétiques eux‑mêmes, s'imaginant posséder le nom de chrétiens, les sacrements, les Ecritures et la foi véritable, sont aussi un grand sujet d'affliction pour les âmes pieuses; car plusieurs qui voudraient embrasser le christianisme, restent forcément dans le doute, par suite des discordes causées par les hérétiques; de plus, ces hérétiques fournissent à ceux qui sont mal disposés une occasion de blasphémer le nom chrétien, parce qu'ils portent eux-mêmes ce nom. Ces déréglements et ces erreurs font souffrir persécution à ceux qui veulent vivre avec
=================================
p476 DE LA CITÉ DE DIEU.
piété en Jésus‑Christ, quand même personne ne s'acharnerait à tourmenter leurs corps. Ils souffrent cette persécution, non dans leurs corps, mais dans leurs cœurs. De là vient cette parole : « En proportion des afflictions de mon coeur; » car il n'est pas dit : des afflictions de mon corps. De plus, comme les promesses divines sont immuables, et que, selon la parole de l'Apôtre : « Le Seigneur connaît ceux qui sont à lui, » (11. Tim. 11, 19) car « il les a prédestinés dans sa prescience, pour être conformes à l'image de son Fils, » (Rom. viii, 29) en sorte qu'aucun d'eux ne saurait périr, le Psalmiste ajoute : « Vos consolations ont réjoui mon âme. » Or, cette douleur qui afflige les âmes pieuses contristées par la conduite des mauvais ou des faux chrétiens, est très‑utile à ceux qui la ressentent, parce qu'elle a pour principe la charité, et sous son influence, ils ne veulent ni la perte de leurs ennemis, ni qu'ils s'opposent au salut des autres. Enfin, ils sont grandement consolés quand ils s'amendent, et leur conversion excite dans les cœurs vertueux autant de joie qu'ils avaient ressenti de chagrin de leur perte. Ainsi, dans ce siècle et ces jours mauvais, non‑seulement depuis l'avénement temporel du Christ et de ses apôtres, mais même depuis Abel, le premier juste tué par un frère impie, et jusqu'à la fin des siècles, l'Église poursuit son pélerinage au milieu des persécutions du monde et des consolations que Dieu lui ménage.
CHAPITRE LII.
S'il faut en croire, comme plusieurs le pensent, qu'après les dix persécutions passées, il n'y en aura point d'autre, à l'exception de la onzième, qui doit arriver au temps même de l'Antechrist.
1. Aussi, il me semble téméraire de dire ou de croire, comme plusieurs l'ont pensé ou le pensent encore, que l'Église n'aura plus à subir d'autres persécutions jusqu'à l'époque de l'Antechrist, en dehors des dix précédentes, sinon la onzième et dernière persécution, dont l'auteur sera l'Antechrist. La première, disent‑ils, arriva sous Néron; la seconde, sous Domitien ; la troisième, sous Trajan; la quatrième, sous Antonin; la cinquième, sous Sévère; la sixième, sous Maximin; la septième, sous Dèce; la huitième, sous Valérien; la neuvième, sous Aurélien; la dixième, sous Dioclétien et Maximien. Or, ils pensent que les dix plaies d'Égypte envoyées avant la sortie du peuple de Dieu, sont la figure de ces dix persécutions, en sorte que celle de l'Antechrist ressemblerait à la onzième
=================================
p477 LIVRE XVIII. ‑ CHAPITRE LII.
plaie, dont les Égyptiens furent frappés en poursuivant, à main armée, les Hébreux, car ils furent engloutis dans la mer rouge, tandis que le peuple de Dieu la traversa à pied sec. Mais, à mon avis, ce qui se passa en Égypte ne figurait point prophétiquement ces persécutions. Il est vrai que les partisans de cette opinion font à ce sujet des rapprochements d'une ingénieuse habileté, mais ils ne sont point appuyés sur l'Esprit prophétique, ce sont de pures conjectures; et si l'esprit de l'homme parvient quelquefois à la vérité, quelquefois aussi, il se trompe.
2. Et que diront‑ils de la persécution où le Seigneur lui‑même fut crucifié? A quel rang la placeront‑ils? Et s'ils croient devoir faire une exception pour celle‑là et ne compter que celles qui regardent le corps, sans s'occuper de la tête elle‑même; que pensent‑ils de la persécution qui, après l'Ascension du Christ, s'élèva dans Jérusalem? Là, le bienheureux Etienne fut lapidé; là, Jacques, frère de Jean, eut la tête tranchée; là , l'Apôtre Pierre, avant de mourir, fut jeté en prison et délivré par un ange; là, les frères furent chassés de Jérusalem et dispersés de tous côtés; là, Saul, qui plus tard devint l'apôtre Paul, désolait l'Église; et bientôt, pour la foi qu'il s'était efforcé de proscrire, il endurait les tourments qu'il avait fait souffrir aux fidèles, devenu lui‑même l'objet de la persécution, soit dans la Judée, soit dans les autres contrées où l'ardeur de son zèle le portait à prêcher Jésus‑Christ. Pourquoi donc commencer à Néron l'ère des persécutions, quand c'est par les supplices les plus atroces et qu'il serait trop long de rapporter en détail, que l'Église s'est propagée jusqu'au règne de ce prince? S'ils veulent seulement compter les persécutions suscitées par les rois; il était roi, cet Hérode qui, après l'Ascension du Seigneur, en organisa une si cruelle. D'ailleurs, celle de Julien qu'ils ne comptent pas, qu'en feront‑ils? Est‑ce qu'il ne fut pas un persécuteur de l'Église, lui qui défendit aux chrétiens d'apprendre et d'enseigner les belles‑lettres. C'est sous lui que Valentinien l'aîné, devenu ensuite empereur, fut privé de sa charge, pour avoir confessé la foi du Christ. Sans parler de ce qu'il se proposait de faire à Antioche où il avait fait arrêter un grand nombre de chrétiens pour les martyriser; mais un jeune homme, d'une foi admirable, ayant été le premier soumis à la torture, chanta tout le long du jour des psaumes, au milieu des plus cruels supplices; le
=================================
p478 DE LA CITE DE DIEU.
tyran effrayé de tant de courage et de cette joie sereine, fit cesser les bourreaux, dans la crainte que la constance des autres ne tournât encore davantage à sa honte. Enfin, de nos jours, l'arien Valens, frère de Valentinien, n'a‑t‑il pas violemment persécuté l'Église catholique, en Orient? Que prétend‑on ? Est‑ce que l’Église, répandue par tout le monde où elle multiplie ses fruits de salut, ne pourrait être persécutée par les rois, en certaines contrées, tandis qu’elle ne l'est point dans les autres? Peut‑être ne faudra‑t‑il pas compter parmi les persécutions, celle que le roi des Goths organisa dans son royaume, avec une étonnante cruauté, contre les catholiques, dont plusieurs reçurent la couronne du martyre; comme nous l'avons appris par quelques‑uns de nos frères, jeunes alors, mais qui se rappelaient bien en avoir été témoins? Que dirais‑je maintenant de la Perse? Est‑ce que la persécution allumée contre les chrétiens n'a pas été si violente, (supposé qu’elle soit éteinte à présent,) que plusieurs ont été obligés de s'enfuir et de se cacher dans les villes Romaines? Quand je réfléchis sur ces faits et d'autres semblables, il ne me paraît pas possible de déterminer le nombre des persécutions qui doivent servir d'épreuves à l'Église. Mais aussi il n'y aurait pas moins de témérité à prétendre que les rois doivent lui en faire subir d'autres, à l'exception de la dernière, dont, parmi nous, personne ne doute. Nous laisserons donc la question indécise, et sans prendre un parti, nous nous contenterons d'inviter les présomptueux à se défier de leurs affirmations.
CHAPITRE LIII.
Le temps de la dernière persécution est inconnu.
1. Quant à cette dernière persécution dont l'Antechrist sera l'auteur, le Sauveur Jésus la dissipera par sa présence. Car il est écrit « qu'il sera tué par le souffle de sa bouche, et qu'il sera anéanti par l'éclat de sa présence. » (11. Thes. 11, 8.) Sur ce passage, on a coutume de faire cette question : Quand cela arrivera‑t‑il? Demande tout à fait inopportune. S'il nous eût été utile de le savoir, qui mieux que Dieu nous l'eût appris par ses disciples interrogeant leur maître à ce sujet? Car, devant lui, ils ne gardèrent pas le silence là‑dessus, mais ils lui firent cette question : « Seigneur, sera‑ce en ce temps que vous apparaîtrez, et quand rétablirez‑vous le royaume d'Israël? » Mais il leur répondit : « Il ne vous appartient pas de savoir
=================================
p479 LIVRE XVIII. ‑ CHAPITRE LIII.
les temps que mon Père s'est réservé. » (Act. 1, 6.) Ils ne demandaient ni l'heure, ni le jour, ni l'année, mais le temps; et ils reçurent cette réponse. C'est donc en vain que nous nous efforçons de calculer et de déterminer les années qui doivent s'écouler jusqu'à la fin du monde, puisque la vérité même nous apprend qu'il ne nous appartient pas de le savoir. Et cependant les uns parlent de quatre cents, d'autres de cinq cents, et même de mille ans, à partir de l'Ascension du Seigneur jusqu'à son dernier avénement. Il serait long et bien inutile de rapporter les raisons sur lesquelles s'appuient ces opinions différentes. Ce ne sont, en effet, que des conjectures humaines, et personne n'apporte de témoignages certains tirés de l'autorité de l'Écriture canonique. Mais tous ces calculateurs ont eu les doigts coupés par celui qui, leur ordonnant de se tenir tranquilles désormais, a dit : « Il ne vous appartient pas de savoir les temps que mon Père a réservés à sa connaissance. »
2. Mais cette sentence est une sentence évangélique, il n'est donc pas étonnant qu'elle n'ait pas empêché les adorateurs des faux dieux d'attribuer aux démons qu'ils adorent comme des divinités, des réponses qui déterminent la durée de la religion chrétienne. Voyant que tant de cruelles persécutions. au lieu de la détruire, avaient au contraire contribué à sa propagation merveilleuse, ils imaginèrent je ne sais quels vers grecs cités comme la réponse d'un oracle; le Christ, il est vrai, est entièrement étranger à cette comédie sacrilége; mais ils supposent que Pierre aurait employé certains maléfices pour faire adorer le nom du Christ pendant trois cent soixante‑cinq ans, et qu'après cet espace de temps, ce culte serait aboli. Belle invention pour des savants! Eh quoi! grands esprits, qui refusez de croire en Jésus‑Christ, vous allez croire de pareilles rêveries! Vraiment, son disciple Pierre qui n'a point appris de son maître la magie, serait devenu magicien bien que le Christ fût étranger à ces sortiléges! Et Pierre aurait mieux aimé faire adorer par sa magie, le nom de son maître, que le sien! Et pour arriver à ce but, il se serait exposé à toutes sortes de périls, il se serait voué à la souffrance et il aurait même répandu son sang! Si Pierre le magicien a tant fait pour que le monde aimât ainsi le Christ, qu'a donc fait le Christ innocent pour être tant aimé de Pierre? Qu'ils se répondent à eux‑mêmes, et s'ils en sont capables, qu'ils comprennent que c'est ici
=================================
p480 DE LA CITÉ DE DIEU.
le même chef‑d'œuvre de la grâce céleste, produisant dans le monde l’amour du Christ pour la vie éternelle, dans Pierre le même amour, pour cette même vie éternelle qu'il devait recevoir du Christ, après la vie du temps dont il lui faisait le sacrifice. D'ailleurs, que sont donc ces dieux qui peuvent faire de telles prédicdions, sans pouvoir les conjurer; qui se laissent vaincre par un seul maléfice, par un scélérat de magicien qui, disent‑ils, a tué un enfant d'un an, l'a coupé en morceaux et l'a enseveli avec des cérémonies sacriléges? Que sont‑ils, s'ils permettent qu'une secte ennemie subsiste pendant de si longues années, qu'elle triomphe de si horribles persécutions, non par la résistance, mais par la patience à les souffrir, et qu'elle renverse leurs idoles et leurs temples, entraînant dans la même ruine leurs sacrifices et leurs oracles? Enfin, quel est le Dieu de ceux‑là, car ce n'est certes pas le nôtre, pour avoir été gagné ou forcé par un si grand crime à souscrire de pareilles conditions? Car, d'après ces vers, ce n'est pas à un démon, mais à un dieu que Pierre les a imposées par son art magique. Tel est le dieu de ceux qui ne reconnaissent pas le Christ.
CHAPITRE LIV.
De la sotte erreur des Païens qui supposent que la religion chrétienne ne doit pas durer plus de trois cent soixante‑cinq ans.
Voilà, entre beaucoup d'autres raisons, ce que je dirais si cette fameuse année, promise par un oracle trompeur et sottement attendue, n'était pas encore passée. Mais comme depuis l'établissement du culte chrétien par la présence du Verbe fait chair et l'apostolat de ses disciples, il s'est écoulé déjà plus de trois cent soixante‑cinq ans, qu'ai‑je besoin d'ajouter pour réfuter ce mensonge? Car, si nous ne prenons pas la naissance du Christ pour point de départ de cet événement, puisque, dans son enfance, il n'avait pas encore de disciples, au moins se fit‑il connaître sensiblement, et la religion chrétienne parut‑elle; dès qu'il commença à en avoir, c'est‑à‑dire après avoir été baptisé dans le Jourdain, par saint Jean. Aussi, c'est bien à son sujet que les Prophètes avaient dit : « Il étendra sa domination d'une mer à l'autre, et depuis le fleuve jusqu'aux extrémités de la terre. » (Ps. LXXI, 8.) Mais, comme avant sa Passion et sa Résurrection d'entre les morts, la foi n'avait pas encore été annoncée à tous;
=================================
p481 LIVRE XVIII. ‑ CHAPITRE LIV.
elle ne le fut, en effet, que par sa Résurrection, selon ces paroles de l'apôtre saint Paul aux Athéniens : « Il avertit maintenant tous les hommes, en quelque lieu qu'ils soient, de faire pénitence, parce qu'il a arrêté un jour pour juger le monde dans la justice par celui dont il a voulu établir la foi, en le ressuscitant d'entre les morts; » (Act. xvii, 30 et 31) il vaut mieux, pour résoudre cette question, commencer le calcul, à partir de cette époque. De plus, c'est alors que fut donné le Saint‑Esprit, et il convenait, qu'après la Résurrection du Christ, ce divin Esprit descendit dans cette ville, d'où devait sortir la seconde loi, c'est‑à‑dire le Nonveau‑Testament. La première sortit du Mont Sinaï, par le ministère de Moïse, et c'est l'Ancien Testament. Quant à celle‑ci, dont le Christ devait être l'auteur, voici la parole prophétique qui l'annonce : « La loi sortira de Sion, et la parole du Seigneur de Jérusalem. » (Is. 11, 3.) Aussi, le Christ a dit lui‑même, qu'il fallait prêcher en son nom, la pénitence à toutes les nations, en commençant toutefois par Jérusalem. Le culte de ce nom a donc commencé en cette ville; c'est là qu'on a cru d'abord en Jésus-Christ, crucifié et ressuscité. Là, dans son illustre berceau, la foi fût si ardente, que plusieurs milliers d'hommes, convertis miraculeusement au nom du Christ, vendirent leurs biens pour les distribuer aux pauvres; par une résolution sainte qu'anime le feu de la charité, ils se vouent à la pauvreté volontaire; et, au milieu des Juifs furieux et altérés de sang, ils se tiennent prêts à combattre jusqu'à la mort pour l'amour de la vérité, non par la force des armes, mais par la force plus puissante de la patience. (Act. 11, 41. Ibid. iv, 4 et 32.) Si ce fait ne peut être attribué à la magie, pourquoi douter que la même vertu divine ait pu l'opérer dans tout le monde, comme à Jérusalem? Mais si ce sont les maléfices de Pierre qui ont porté à adorer le nom du Christ, toute cette multitude si ardente pour crucifier le Sauveur, ou pour se moquer de lui sur la croix, il faut rechercher, depuis l'année même de cet événement, jusqu'où vont les trois cent soixante cinq ans prédits par l'oracle. Le Christ est mort le huitième jour des calendes d'avril, sous le consulat des deux Géminus. Il est ressuscité le troisième jour, d'après le témoignage des Apôtres, témoins oculaires. Quarante jours après, il monta au ciel, et le dixième jour suivant, c'est-à-dire le cinquantième, depuis sa Résurrection, il envoya l'Esprit‑Saint. Alors, trois mille hommes embrassèrent sa foi, sur la prédication des Apôtres. Alors, commença le culte de son nom,
=================================
p482 DE LA CITÉ DE DIEU.
par la vertu de l'Esprit‑Saint, selon notre foi et selon la vérité; ou, par les sortilèges de Pierre, soit que l'impiété le suppose, soit qu’elle le pense ainsi. Peu de temps après, s'opère un grand miracle : il y avait à la porte du temple, demandant l'aumône, un pauvre, boiteux de naissance, et tellement infirme qu'on était obligé de le porter chaque jour à cette place; mais, à la parole de Pierre, au nom de Jésus‑Christ, le mendiant se relève guéri, cinq mille hommes se convertissent encore à ce prodige; ensuite, grâce à de rapides conquêtes, l'Eglise vit se multiplier le nombre des croyants. Ainsi, il est facile de préciser, même le commencement de ces années fameuses, puisqu'elles datent du jour où le Saint‑Esprit fut envoyé, c'est‑à‑dire aux Ides de mai. Or, en calculant d'après les consulats, les trois cent soixante‑cinq ans se trouvent révolus sous le consulat d'Honorius et d'Eutichien. Cependant, l'année suivante, sous le consulat de Manlius Théodore, quand déjà, selon l'oracle des démons, ou la fiction humaine, il ne devait plus y avoir de religion chrétienne; alors même, sans parler de ce qui pouvait se passer ailleurs, nous savons que dans la célèbre ville de Carthage, en Afrique, Gaudentius et Jovius, lieutenants de l'empereur Honorius, le quatorzième jour des calendes d'avril, renversèrent nt les temples des faux dieux, et brisèrent leurs idoles. Et depuis, jusqu'à cette heure, c'est‑à‑dire pendant près de trente ans, qui n'admire la propagation rapide du culte chrétien, surtout depuis qu'un grand nombre, détournés de la foi par cet étrange oracle, qu'ils regardaient comme l'expression de la vérité, en ont reconnu l'imposture, l'époque de l'accomplissement étant passée, et se sont convertis? Pour nous, chrétiens de nom et d'effet, nous ne croyons pas en Pierre, mais en Celui dont Pierre a eu la foi; nous n'avons pas été sous le charme des sortiléges de Pierre, mais nous avons été édifiés par sa prédication du nom de Jésus‑Christ; nous n'avons pas été trompés par ses maléfices, mais aidés par ses bienfaits. Ce maître de Pierre, le Christ, dont la doctrine conduit à la vie éternelle, est aussi lui‑même notre maître.
2. Mais, terminons ce livre, après avoir démontré suffisamment, ce me semble, le progrès temporel des deux Cités mêlées ici‑bas, depuis le commencement jusqu'à la fin. La Cité terrestre s'est créée des dieux à sa fantaisie, elle a même rendu les honneurs divins à des hommes, leur offrant des sacrifices : mais la Cité céleste, étrangère en ce monde, ne fait pas de faux dieux, elle est établie par le vrai Dieu, dont
=================================
p483 DE LA CITÉ DE DIEU.
elle est elle‑méme le véritable sacrifice. Toutes deux, néanmoins, ont une part égale aux biens et aux maux de la vie présente, seulement, elles diffèrent par la foi, l'espérance et l'amour, jusqu'à la complète séparation qu'opérera, le dernier jugement; alors, l'une aussi bien que l'autre, sera arrivée à sa fin, dont le terme ne viendra jamais. C'est de cette fin des deux Cités que nous nous occuperons désormais.