Bysance 39

Darras  tome 19 p. 472


   31. Rome cependant était livrée à toutes les horreurs de la  guerre. Le roi Hugues était revenu (933) l'assiéger avec une armée formidable. Albéric repoussa victorieusement l'assaut, mais toutes les campagnes environnantes furent dévastées et revirent des horreurs pareilles à celles que commettaient naguère les Sarrasins ou les Hongrois. Hugues montrait une cruauté qui justifie le surnom de Tibère que Muratori lui attribue. Il fit crever les yeux à son frère utérin Lambert, duc de Toscane, et s'empara de ses États. Les princes italiens indignés de ce nouvel acte de barbarie songèrent à renverser ce tyran. Ils s'adressèrent d'abord à Rodolphe qui, depuis 925, s'était retiré dans son royaume de la Bourgogne transjurane et l'invitèrent à revenir à Pavie. Mais une première expérience avait pour jamais désabusé ce prince sur le compte des Italiens. Loin de se prêter à détrôner Hugues, il entra en négociations avec lui, et lui vendit tous les droits qu'il avait à la couronne d'Italie et dont il ne voulait plus se servir, …………..

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Cf. Lebeau. Biit. du Bai-Bmpin. Livre LXXIII, chap. uv.

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---------Une flotte de Sarrasins venue d'Afrique aborda à Gênes, emporta la ville d'assaut, mas­sacra toute la population virile, n'épargnant que les enfants et les femmes réservés pour l'esclavage. Tous les trésors des mai­sons, des palais, des églises et des monastères furent entassés sur les navires des pirates qui transportèrent ce riche butin en

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p474           PONTIFICAT DE JEAN XI  (931-936*).


Afrique. A la même époque, les Sarrasins de Fraxinetum péné­traient dans le Montferrat, où ils commettaient les mêmes hor­reurs  

  

Darras tome 19 p. 508


   80. Son avènement (le papa Marin II) coïncidait avec une nouvelle révolution à Constantinople. Romain Lécapène avait mis l’empire au pillage pour grandir sa propre famille. « C'était, dit Zonaras, comme une hydre aux mille têtes qui avait pris possession du palais; il y poussait une moisson d'empereurs, comme autrefois du champ mythologique où l'on avait semé les dents du dragon, germa une armée de géants1. » L'aîné de ses fils Christophe, celui que Lé­capène considérait comme l'héritier présomptif de son trône im­périal étant mort prématurément, laissant un enfant en bas âge, nommé comme son aïeul, Romain, cet entant fut déclaré Auguste et prit rang avant Constantin Porphyrogénète le légitime héri­tier du trône. «Mais au moment où Lécapène se croyait bien assuré, dit un autre chroniqueur, et pensait avoir bâti avec l'as­phalte un monument digne de Sémiramis, il tomba à la renverse et se cassa les reinsa. » Ce furent ses propres fils qui devinrent les instruments de sa ruine. Alarmés de sa prédilection pour leur jeune neveu Romain, les deux Césars Etienne et Constantin réso­lurent de détrôner leur père. Au milieu de la nuit, ils pénétrèrent dans son appartement, le poignard à la main, et lui signifièrent que s'il jetait un cri, il serait à l'instant égorgé. Lécapène se tut, on l'enveloppa dans un manteau et ses fils l'envoyèrent, dit Luitprand, « philosopher avec les moines de l'Ile de Proté3» (944). Ils auraient voulu, du même coup, enlever Porphyrogénète, et ils se disposaient à l'expédier pour la même destination; mais le peu­ple soulevé prit les armes, menaçant d'envahir le palais si on ne lui montrait sain et sauf le légitime héritier du trône. Le bruit de sa mort avait en effet circulé parmi la foule, qui s'était adressée à l'évêque Sigefried, ambassadeur du roi Hugues d'Italie, le priant d'intervenir pour sauver, s'il en était temps encore, les jours de l'empereur. Le tumulte s'apaisa quand le peuple le vit paraître

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1 Zonaras. Annal, Lib. XVI. cap. xix. Pair, grasc, tom. CXXXV, col. 95. —« ifmaaues in Léon. Cf. A. Rambaud. L'Empire grée au z* tiède, p. 10.

2.Manasses. Ibid.

3.Luitprand. Antapodotit. Lib. V, cap. uni. — Pair, lot., tom. CXXXVI, «Ol. 888.

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à l'une des fenêtres du palais. On l'acclama avec des transports d'enthousiasme. Quelques semaines après, les fils de Lécapène furent envoyés à leur tour « philosopher» avec leur père dans le  monastère de Proté. Quand ils y arrivèrent conduits par une escorte de soldats, Lécapène, vêtu d'une robe de moine, leur adressa ce discours ironique : « C'est un heureux jour que celui où vos sublimités impériales daignent visiter notre néant ! Je reconnais bien là cet esprit de charité qui, après m'avoir chassé du palais, n'a pas permis à votre amour filial d'y rester long­temps. Vous avez montré une prévoyance fort sage en me faisant prendre les devants. Comment ces bons moines, mes compa­gnons, tout absorbés dans leurs méditations pieuses, auraient-ils su la manière de recevoir des empereurs, s'ils n'avaient eu en moi un homme rompu à toutes les exigences de l'étiquette? Aussi, voyez, tout est prêt : de l'eau fraîche comme celle des glacières impériales, des fèves délicieuses, des légumes de primeur, des poireaux arrachés ce matin même. Ici on n'est pas malade pour manger trop de poisson de mer, c'est plutôt pour jeûner trop souvent. Quant à la suite nombreuse et brillante qui vous escorte, il n'y a pas de place pour elle dans notre pauvreté ; nous ne rece­vrons que vos majestés, qui sont venues pour ne pas laisser à l'abandon la vieillesse de leur père. » Cette allocution que Luitprand met dans la bouche de Lécapène et qu'il a saupoudrée sans doute du sel qu'aimait de préférence son esprit caustique, dut avoir peu de charmes pour les Césars déchus. Ils ne prirent pas, comme leur père, le parti de la résignation chrétienne. Ils tramèrent une conspiration pour ressaisir le sceptre, ils ne réuissirent qu'à faire aggraver leur peine ; on les soumit à une flagellation ignominieuse et ils finirent leurs jours dans un cachot. ! Seul, leur frère Théophylacte, ce patriarche de vingt ans,  échappa aux désastres de sa famille. Il continua jusqu'en 956 à souiller de ses mœurs infâmes le siège patriarcal. Enfin la justice divine l'atteignit : un cheval qu'il montait s'emporta et lui brisa la tête contre une muraille. 21. L'empereur Constantin VII avait quarante ans, lorsque

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cette série de révolutions politiques le débarrassa de la tutelle forcée de l'ambitieuse famille des Lécapène. Jusque-là il n'avait eu que le titre impérial, sans prendre la moindre part au gou­vernement. Les nobles distractions qu'il trouvait dans l’étude lui parurent préférables au tourbillon des affaires. Peintre, poète, musicien, érudit, il a laissé en tout genre des ouvrages encore maintenant estimés. Il ne changea rien à un genre de vie qui avait eu jusque-là pour lui tant de charmes. Son chambellan et plus tard l'épouse du jeune Romain son fils le dominèrent, comme Lécapène l'avait dominé. Il laissa les rênes de l'État entre leurs mains, et se contenta de se faire l'empereur des savants et des hommes de lettres. Les études refleurirent par ses soins à Constantinople; mais il oubliait qu'elles ne doivent jamais être que le délassement des souverains, non leur but principal. Les hommes d'État s'illustrent à les protéger, et pourtant ils tombent bientôt dans le mépris public s'ils négligent pour elles des soins plus graves et plus importants. Constantin Porphyrogénète n'en était pas encore là en 945. Son fils Romain, qu'il avait eu d'Hé­lène fille de Romain Lécapène, n'avait encore que sept ans. II se hâta de l'associer à l'empire. On eut ainsi le singulier spectacle d’une impératrice régnante, femme et mère d'empereurs, fille d'un empereur déchu et sœur de Césars exilés. A Byzance où tant de révolutions successives avaient habitué le peuple aux plus étranges anomalies, on n'y prit pas garde: Constantin Porphy­rogénète fut aimé parce qu’il était humain, juste et pieux.


22. Quelques semaines après son avènement, le 16 avril 945, il célébrait solennellement l'anniversaire de la réception faite l'année précédente à Byzance de l'image miraculeuse d’Édesse, le portrait traditionnel de notre Seigneur qui avait, à l'époque de la passion, été remis à Agbar 1. Cette image avait toute une his­toire que Constantin Porphyrogénète, ou du moins l'orateur qui parla en son nom et dont le discours nous a été conservé parmi les œuvres de cet empereur, raconta en détail à l'auditoire im-

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1 Cf. Tom. Vde cette Bùu>ire, p. îeo.

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mense qui remplissait la basilique de Sainte-Sophie. Agbar, disait-il, informé par un de ses serviteurs, nommé Ananias, que Jésus-Christ remplissait la Palestine de ses miracles, écrivit au Sauveur, le priant de venir à Édesse, et chargea Ananias de porter cette lettre. L'officier royal, arrivé en Judée, trouva l'Homme-Dieu environné d'une telle multitude qu'il ne put l'aborder. S'étant donc assis sur un rocher qui dominait toute la scène, il commença à dessiner les traits du Sauveur. Mais Jésus-Christ, connaissant en esprit ce qui se passait, le fit appeler, lui remit une réponse pour Agbar; puis, s'étant lavé la visage, prit un linge dont il s'essuya la face. Ce linge miraculeux reproduisait une admirable image de la figure tbéandrique ; il la remit à Ana­nias pour le porter à son maître. — Tel est en substance le dis­cours prononcé à Constantinople en ce jour mémorable où l'image divine, apportée du fond de l'Orient, fit son entrée triomphale par la Porte-d'Or.  Jadis elle avait guéri Agbar d'une maladie réputée incurable. Le prince reconnaissant l'avait fait placer au-dessus de la porte d'Édesse, où, de tous les points de l'Orient, elle attirait d'innombrables pèlerins qui trouvaient en l'invoquant la guérison de leurs maladies. Plus tard on l'avait murée dans sa niche pour la soustraire à l'impiété d'un petit-fils d'Agbar qui avait abjuré la foi chrétienne. Des siècles après, instruits par une apparition surnaturelle, quelques serviteurs de Dieu avaient retrouvé la divine relique. La lampe qu'on avait enfermée avec elle brûlait encore lorsqu'on démolit la paroi qui la recouvrait. Il n'était bruit dans tout l'Orient que des miracles accomplis par la sainte image. Romain Lécapène tenta plusieurs fois de l'acheter à l'émir musulman d'Édesse. Il offrait en échange deux cents captifs et douze mille pièces d'argent. L'émir craignait une ré­volte de ses sujets chrétiens, s'il concluait un pareil marché. Enfin en 944 les armées grecques, après une série de victoires, parurent sur les bonds de l’Euphrate. L'émir épouvanté demanda la paix : une des premières conditions fut naturellement la re­mise de L'image miraculeuse au prix déjà convenu. De son côté, Lécapène, par une bulle d'or, s'engageait, pour lui et ses suc-

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cesseurs, à respecter la ville d'Édesse et son territoire. L'évêque de Samosate, Abraham, fut envoyé pour recevoir, au nom de l'empereur, l'image vénérée. Les habitants d'Édesse protestèrent contre ce déplacement; une insurrection fut sur le point d'éclater au moment du départ, l'émir réussit à maintenir l'ordre; un orage soudain, qu'on regarda comme un signe du ciel, lui vint fort opportunément en aide. « Pendant tout le voyage d'Édesse à Constantinople, dit M. Rambaud, les miracles se multiplièrent. Toute l'administration des thèmes  (préfectures) d'Asie, toute la population fut en mouvement pour lui rendre hommage. Le pro­tovestiaire et les premiers personnages de l'empire vinrent à sa rencontre et lui firent escorte comme à un roi. De toutes les villes sortaient au-devant d'elle évêque, clergé et fidèles en procession. Mais rien n'égala la splendeur des fêtes qui l'accueillrent à Con­stantinople : station de la sainte image dans les diverses églises et dans les palais impériaux; les empereurs à pied avec tout le Sénat, le patriarche portant l'image; tout l'immense clergé de Constantinople, la foule des évêques accourus de tous les points de l'empire, la multitude de peuple, pieds nus, traversant les rues semées de fleurs, ou inondant les toits et les terrasses des maisons; le chants des psaumes et des cantiques, la splendeur des vêtements sacerdotaux, l'éclat de myriades de cierges ; une théorie solennelle dans des barques richement pavoisées le long des quais de Constantinople, sur le Bosphore et sur la Corne-d'Or; une procession autour des murailles maritimes comme autour des remparts continentaux de la grande ville, afin que celles-ci comme ceux-là devinssent imprenables par la protection de l'image miraculeuse et fussent comprises dans le cercle infran­chissable à l'ennemi qu'elle traçait dans sa marche autour de la capitale de l'Orient4. » Déposée d'abord dans l'église de Notre-Dame des Blackernes, où Romain Lécapène célébra la fête de l'Assomption (15 août 944), la sainte image fut portée le lende-

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1 A. Rambaud. L'Empire grée au itècle. p. no. — Gf. Constantin. Por-pbyrogenet. Narratio de imagine Edeuena. Pair, grote., toin. CXIII, col. 423.

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main à Sainte-Sophie, d'où sortirent pendant une semaine en­tière les diverses processions à l'intérieur et sur les remparts de la ville ; enfin elle fut définitivement transférée dans la basilique du Phare, la principale église du palais. Vers l'an 1383, elle fut donnée par l'empereur Jean Paléologue à Léonard de Montalto, doge de Gênes, pour le récompenser des services militaires qu'il avait rendus à l'empire grec1. L'archevêque Jacques de Fresque exposa pour la première fois ce trésor sacré à la vénération pu­blique dans l'église de Saint-Barthélémy, où il est encor con­servé de nos jours 2. »


   23. « Cette grande solennité pour la translation d'une relique au Xe siècle, dit M. Rambaud, ce panégyrique prononcé en présence de l'empereur et presque de tout l'empire, n'est pas un fait isolé dans l'histoire de Constantin VII. En 956, la main de saint Jean-Baptiste fut enlevée par un diacre aux habitants d'Antioche et transportée à Constantinople. Théodore Daphnopatès, un des plus célèbres chroniqueurs de Byzance, prononça à cette occasion

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1. Moroni Dizionario, artic. Genova.

2. Mozzani dans ses Tavole Cronologiche, donne deux dessins de l'image mi­raculeuse d'Edesse. Le premier, antérieur à la translation d'Edesse à Constan­tinople et reproduit d'après des peintures archaïques, est sans contredit le por­trait le plus saisissant, et au point de vue purement artistique, celui qui exprime le mieux l'idéal de l'auguste figure de l'Homme-Dieu (ratiof. Crono-tojieke. Secolu i», p. 5). A son arrivée à Constantinople la toile miraculeuse subit les enjolivements des peintres byzantins qui commencèrent par entourer d'une couche d'or toute la tête : ils écrivirent de chaque côté les paroles sui­vantes : K XS, To ayiov pavorpW. Sur la bordure de la toile, ils disposèrent du reste avec beaucoup de goût dix médaillons représentant les principaux épisodes historiques relatifs à l'image miraculeuse. 1° Agbar envoyant Ananias nu Sauveur; Ananiat essayant de dessiner les traits de Jésus; 3° Entretien du Sauveur avec Ananias; Le Sauveur remet à Ananias le linge miraculeux; 5" Ananias offrant à Agbar le portrait du Sauveur; 6» Agbar fait placer la sainte image dans une galerie de son palais et une idole voisine tombe sponta­nément de la colonne qui la soutenait ; V Découverte de l'image miraculeuse par l'êréjue d'Edesse après quatre siècles d'oubli; 8° Une tuile s'empreint miraculeu­sement des traits de la sainte image; 9* Un feu sacré s'échappe de l'image sainte et brûle les guerriers de Chosroésqui assiégeaient Édesse; 10* Un démoniaque est délivré durant la translation d'Edesse à Constantinople. L'image miraculeuse présente aujourd'hui ces diverses peintures. Mazzoni les a reproduites avec la figure du Sauveur dans set Tavole Cronologiche, Secolo x, p. 115.

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un discours qui nous est resté 1. La description qu’il nous donne de l'entrée de cette relique dans la capitale, de la pompe ecclé­siastique et civile, des chants, des illuminations, est tout à fait semblable à celle que nous a déjà offerte la réception de l'image d'Édesse. On serait tenté d'attribuer ces deux discours au même auteur, ou plutôt de voir dans ces ressemblances l'influence d'une même école littéraire. Les discours religieux des Byzantins se ressemblaient comme se ressemblent leurs tableaux religieux. L'impersonnalité hiératique est un caractère de leur éloquence comme de leur peinture 2. »


   24. L'école littéraire dont parle M. Rambaud, cette école qui dut toute sa fécondité et sa gloire aux encouragements de Constantin Porphyrogenète, a produit des historiens, des savants et des jurisconsultes célèbres. L'empereur lui-même, dans ses oeuvres complètes qui forment deux volumes de la Patrologie grecque, s'est montré tout à la fois orateur, homme d'état, tacti­cien, théologien et poète. On ne voit pas sans quelque surprise un César Byzantin du X° siècle se préoccuper d'une idée qui a fait depuis la gloire des Bollandistes, et mettre tout son crédit, toutes les ressources de sa puissance à la disposition d'un logothète érudit, en le chargeant de recueillir dans toutes les provinces ca­tholiques, de coordonner et de transcrire les actes des martyrs et des saints. Ce logothète se nommait Siméon; la gigantesque entre­prise qu'il fut assez heureux pour mener à bonne fin lui a valu le surnom de Métaphraste (traducteur). Nous avons eu précédemment l'occasion de signaler la charité de Simon le Métaphraste, lors de la destruction de Thessalonique par les Maures en 904. « A cette époque, dit-il, l'empereur Léon VI le Philosophe de bienheureuse mémoire, m'avait chargé d'une ambassade près des Arabes de l'Ile de Crète et j'étais monté sur un navire qui faisait partie de la flotte d'Himerius, le plus illustre de nos généraux. Dans une relâche à Paros, je visitai un vénérable anachorète nommé comme

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1. ActaSS. Î4 juin, tom. IV, p. 739.

2.Rambaud. L'Empire grée au x' tiicle, p. Ht.

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moi Siméon. Cet homme de Dieu avait le don de prophétie et le discernement surnaturel des esprits. Il m'exhorta à entreprendre une collection générale des vies des saints. Je m'excusai sur mon inexpérience, mes fonctions officielles, mes devoirs d'époux et de père. N'importe, me dit-il. Vous êtes choisi de Dieu pour cette œuvre. Commencez à recueillir tous les actes authentiques que vous pourrez rencontrer dans vos voyages, plus tard vous les mettrez en ordre. Tel fut le point de départ d'une vocation qui transforma un jeune diplomate de la cour de Léon VI en un hagiographie consommé.


25. Constantin Porphyrogénète, que l'œil prophétique du saint ermite de Paras avait sans doute aperçu dans l'avenir,  fut le véritable promoteur de cette grande entreprise. Ici nous laissons parler M. Rambaud, qui a eu l'honneur en ces derniers temps de réhabiliter la personnalité si longtemps calomniée de Métaphraste. Nous sommes trop heureux de laisser ainsi la parole à des écri­vains officiels. On les écoute sans défiance parce qu'ils ne sont pas suspects de cléricalisme. Qu'on le sache pourtant, moi qui suis prêtre de la sainte Église catholique, apostolique et ro­maine et qui en écris l'histoire, je déclare ici que quiconque voudra impartialement étudier les monuments , et qui aura la bonne foi de les reproduire tels qu'ils sont, fera bon gré mal gré une his­toire cléricale. Cela peut être désespérant pour les hérétiques ou les incrédules. Mais cela est. Le siècle qui vient de s'écouler a commis un crime social dont nous portons en ce moment la peine. Il a perverti toutes les sources de l'histoire, sciemment, volontai­rement, et avec un parti-pris diabolique dont notre époque ac­tuelle expie en ce moment la criminalité terrible. « C’est une bonne fortune pour nous, dit M. Rambaud, de pouvoir nous prendre enfin à un véritable personnage sur le caractère, les habitudes et la vie duquel nous avons des données certaines. Métaphraste a été fort attaqué par les écrivains protestants du XVIe siècle qui lui reprochent sa crédulité, son manque de critique, se moquant de « ces charretées de contes à dormir debout, » (Hamaxarius anilium fabularum), Peu versés dans les institutions

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byzantines, ils ont cru, sur la foi de son titre de Magister, que Métaphraste était un pauvre maître d'école byzantin, ludi magister, trivialis. un grammairien de carrefour, Allatius n'a pas eu de peine à venger le Métaphraste de ces dédains peu fondés, et à montrer quel était à Constantinople l'éclat de ces deux titres, magister et logothète : l'un constituant le premier grade de noblesse après les membres de la famille impériale, l'autre, une des premières fonctions de l'empire. « D'abord, dit son panégyriste, Siméon le Métaphraste participa aux affaires les plus secrètes (mustikotérès)  et aux délibérations les plus intimes des empereurs. Puis, lorsque la confiance des princes l'eût distingué parmi ses collègues, il partagea dans le sanctuaire impérial les soucis du gouvernemert. Il portait au souverain les communications des étrangers, et aux étrangers (tois exsotènes) les ordres de l'empereur. Il était comme le lien vigoureux de l'administration publique ; il discutait les réso­lutions dans le conseil impérial, et, discutées, il les exécutait; il repoussait les barbares loin des frontières de l'empire, ou les for­çait à la soumission, les uns par la force des armes, les autres par la diplomatie. » Ainsi, le biographe des saints, l'auteur ou le directeur de l'immense compilation de la Vie des saints, n'était point un simple savant de bibliothèque, comme Constantinople en avait tant à cette époque, encore moins un magister de village selon la donnée ironique de ses détracteurs du XVIe siècle. Tour à tour administrateur, diplomate, ambassadeur en Crète et à Thessalonique, officier de marine sur la flotte de la mer Egée et plus tard, si nous en croyons le panégyriste, général accompli, enfin membre du conseil privé et chargé d'une des plus hautes fonctions de l'empire, il eut tous les genres d'activité. C'était un de ces hommes complets, nullement enfermés dans une spécialité, tels que Rome les enfantait autrefois, et après elle son héritière, Constantinople. »

 

© Robert Hivon 2014     twitter: @hivonphilo     skype: robert.hivon  Facebook et Google+: Robert Hivon