Apologistes

Darras tome 7 p. 315

 

31..... …….. « Il est vrai, nous refusons nos hommages à des idoles insensibles, mais nous sommes les adorateurs du Dieu unique, qui existe avant toutes choses et les domine toutes ; nous sommes les  adorateurs du Christ, Verbe de Dieu, qui était avant les siècles3.»  …………..« Je conçois qu'il n'est pas facile à l'esprit humain de se

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1 Nous ne comprenons pas qu'après ce témoignage si explicite on puisse encore mettre eu doute la réalité du décret favorable aux chrétiens, rendu par Autonin. (Cf. chapitre précédent, n° 27.)

2.       Pitra. Spicileg. Suies-menue, loin. Il, p. 53-56. Fragmenta codicis Syriaci Apo­
logie? S. Melitouis Sardk.
Ces fragments sont précisément ceux que l'Histoire
ecclésiastique
d'Eusèbe nous avait déjà transmis. (Euseb.. Hist. eccles., lib. IV,
cap. xxvi.)

3.       Ce fragment, qui ne s'est point retrouvé dans les manuscrits sytriaques  a été Chronicon Pascale Alexandrinum. (Spicileq. Soiesmcnse,
conservé par le loin, il, pag. 36.*

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p316       TONTIFICAT  DE SAINT   ELEUTHÈUE   (170-183).

 

dégager des liens d'une erreur séculaire 1. Cependant cela se peut. Quand l'homme consent à faire un instant abstraction des préjugés qui enveloppent sa pensée, il voit aussitôt surgir, aux regards de son âme, l'image de la vérité. C'est le même phénomène qui se produit dans le monde extérieur, quand les nuages se dissipent et rendent la sérénité au ciel. Dès que l'homme tourne vers Dieu l’œil de son âme, le voile d'erreurs qui obscurcissait la vérité se déchire. L'erreur n'est qu'une maladie, une démence passagère ; la vérité est la clef qui ouvre toutes les portes de la délivrance et du salut. C'est elle qui ressuscite les morts spirituels, et les tire du sommeil de leur tombeau. A sa lumière, ils comprennent, ils voient, ils entendent, ils discernent ce qui est de ce qui n'est pas. Combien d'hommes, en effet, qui prennent l'iniquité pour la justice, et qui se croient en sûreté de conscience, parce que leur erreur est partagée par le grand nombre ! Pour moi, je n'admettrai jamais la raison du nombre, comme justification d'aucune erreur. Si la folie d'un seul homme est déjà fort dangereuse, que sera-ce si cette folie se trouve répétée par des multitudes ? Or, j'appelle une véritable folie, l'abandon du vrai Dieu, et le culte de divinités qui n'existent pas. Dieu est l'être souverain, par la puissance duquel tout subsiste. Il n'a reçu lui-même l'existence de personne; il n'a jamais eu de commencement ; il est de toute éternité ; il sera dans la succession infinie des siècles ; pendant que tout change, il demeure immuable ; l'œil humain ne saurait le voir, l'intelligence le comprendre, la parole le définir. Ceux qui l'aiment, ce Dieu véritable, lui donnent le doux nom de Père. En dehors de ce Dieu unique et éternel, adorer une divinité quelconque, c'est évidem­ment adorer une créature. Le feu, l'eau, la terre, sont des éléments

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1. Ici commence la partie nouvelle de l'Apologie, tirée du Mss. du VIIe siècle, n° 14;658 (Codd. Addend.), du Musée britannique. Nous croyons devoir si­gnaler, comme une particularité curieuse, que la traduction latine, repro­duite par le Spicilegium Solesmense, est due à M. E. Renan. Elle est accom­pagnée de quelques notes du même auteur, qui ne manquent point d'intérêt, au point de vue de l'exégèse. Nous aurons l'occasion d'en faire passer un pécimen sous les yeux du lecteur.

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p317 CHAP.  in.  — APOLOGISTES.

 

créés par Dieu, ils ne sont pas Dieu. J'en dis autant du soleil, de la lune et des autres astres, qui accomplissent leurs révolutions dans l'ordre fixé par Dieu lui-même. A plus forte raison, l'argent et l'or, transformés en statues, et se prêtant à tous les usages du caprice humain, ne sauraient être des dieux. II en est de même du bois, que nous brûlons à notre gré, des pierres que notre main brise quand il lui plaît. Qui ne voit que c'est un crime de prosti­tuer le nom auguste et incommensurable de Dieu, à des créatures qui tiennent leur être d'un décret de Dieu? Cependant, jusqu’au jour où l'homme vint à découvrir l'existence de ce maître et sou­verain Seigneur de toutes choses, son égarement était, à un certain point, excusable. On ne blâme point un aveugle de ne pas marcher droit. Dans leur recherche de la divinité, les hommes se sont heurtés au bois et à la pierre ; poursuivant leurs investigations, et enrichis par leur découverte même, ils ont rencontré l'argent et l'or. C'étaient autant d'obstacles qui les retardaient en chemin. Mais aujourd'hui, la parole de la vérité a retenti à la fois sur tous les points du monde 1 ; partout on a prêché qu'il n'y a qu'un seul Dieu véritable ; la lumière a brillé à tous les yeux. Il ne reste donc plus d'excuse à ceux qui rougissent d'abandonner les voies de l'erreur, parce que la multitude s'obstine à les suivre. Rougir de la vérité, c'est se vouer à la mort. Ouvrez donc enfin les yeux et voyez ; ce n'est plus une lueur passagère, c'est la splendeur du vrai qui éclate enfin et qu'il est donné à nos jours de pouvoir contempler. Fermer les yeux, quand le soleil s'est levé à l'horizon, et courir de gaieté de cœur au précipice, n'est-ce pas le fait d'un insensé ? Il ne s'agit plus de s'égarer avec la multitude ; c'est un devoir pour tout homme d'éclairer la multitude elle-même, et, s'il échoue dans cette généreuse tentative, du moins il aura sauvé son âme. La majorité des intelligences ne sait point s'élever au-dessus de l'horizon terrestre. Il a fallu, à ces esprits grossiers, des

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1. Nunc vero quum vox audita est in universa terra. (Melit., Apolog ad Marc. Aurel.;Spicileg. Solesm,, tom. II, pag. 40.) C'est encore là un témoignage désin­téressé que les manuscrits de Nitrie apportent à la thèse vingt fois prouvée de l'apostolicité de nos églises des Gaules.

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p318       PONTIFICAT DE SAINT ELETJTHÈRE  (170-183).

 

dieux choisis sur cette terre qui absorbe toutes leurs pensées. Lamentable aveuglement, qui transporte à des objets périssables le nom du Dieu infini; la dignité du Créateur, à des créatures et à des idoles fabriquées par une main mortelle 1 ! Ils en vinrent donc, et je l'ai déjà dit2, à adorer les images et les statues des rois morts. Nous avons d'autant moins de peine à le comprendre que, de nos jours, on adore les statues des Césars vivants, et le culte qu'on leur rend est plus suivi que celui des anciens dieux. César est en effet le plus grand et le plus puissant des dieux ; c'est à lui qu'on paie l'impôt et le cens ; aussi vous punissez de mort les rebelles à César, comme vous punissez de mort les contempteurs des dieux. Il est pourtant, parmi vous, des philosophes qui com­prennent qu'on ne doit rien adorer de ce qui tombe sous les sens; mais, et c'est là le plus grand des malheurs, soit ambition, soit avarice, soit amour d'une vaine popularité, ils n'ont garde de proclamer en public leurs véritables sentiments, au contraire, ils emploient toute leur influence à retenir le peuple sous le joug d'une grossière idolâtrie. Pour moi, je ne saurais parler autrement que je ne pense. Je dirai donc la vérité tout entière. Voici com­ment l'antiquité transforma les rois et les tyrans en divinités. Argos avait vu naître Hercule ; c'était un homme d'une taille et d'une force extraordinaires ; il délivra la contrée des animaux malfaisants qui la dévastaient. On lui éleva des statues, moins encore par reconnaissance que par un sentiment de terreur, car on le redoutait pour sa violence, et surtout pour l'impétuosité de ses passions qui ne respectaient rien. Avec l'aide d'un persan, Zarad, son ami, il enlevait de vive force les filles et les femmes. Dionysos (Bacchus), roi de l'Attique, eut des autels, parce qu'il cultiva le premier la vigne, dans ce pays. Les Égyptiens adorèrent, sous le nom de Serapis, l'hébreu Joseph, parce que, dans une période de disette, il leur fournit du blé en abondance. Les Athé­niens adorèrent Athena (Pallas), fille de Jupiter, roi de l'île de

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1. S. Mélit., Apotog. ad Marc. Aurel.; Spicileg. Soletm.,tow. Il, pag. 38-41.

2.    Dans les fragments de l'Apologie, que nous traduisons, le passage auquel saint Mélilon en réfère ici n'a point été conservé.

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p319 CHAP.   II,.   —  .LPOLOfiJSTES.

 

Crète, parce qu'elle avait bâti la fameuse citadelle d'Athènes, et qu'elle leur donna pour roi Erichtée, un fils adultérin, qu'elle avait eu de son beau-frère Éphaistos (Vulcain), un forgeron. Elle entretint toute sa vie une alliance étroite avec Hercule, son frère du côté paternel. Jupiter avait en effet séduit Alcmène, fille d'Électryon, roi d'Argos, et en avait eu Hercule. Les Phéniciens adorèrent Vénus, reine de Chypre, parce que cette femme, éprise d'un fol amour pour Adonis, fils de Cythère, roi des Phéniciens, quitta tout pour suivre l'objet de sa passion. Elle vint s'établir dans la cité phénicienne de Gabala, remettant son propre royaume aux mains de Cythère. Auparavant elle s'était abandonnée à Mars (Arès) : son mari (Éphaistos) qui avait déjà surpris cette première intrigue, poursuivit également la seconde, et vint tuer Adonis (Thammuz), dans les gorges du mont Liban. Voilà comment des rois furent transformés en divinités et leurs images en idoles 1. »

 

32. « Mais vous, esprit indépendant et libre, fait pour connaître la vérité, pouvez-vous être dupe de telles fables? Songez que vous êtes homme, et croyez au seul Dieu véritable. Tournez vers lui le regard de votre âme ; c'est lui qui peut vous donner la vie éter­nelle, car il est tout-puissant. Voyez les choses telles qu'elles sont ; les images sont des images; les idoles sont de simples statues. Pre­nez garde de donner à la créature le nom du Créateur. L'éternité de Dieu embrasse tous les temps; c'est lui qui anime et pénètre votre intelligence, car votre esprit porte son empreinte et reflète sa ressemblance. On ne le voit pas ; on ne l'ébranle pas ; on ne le peut saisir. Tout se meut pourtant par son ordre et sa volonté. Sachez-le donc; si vous adorez ce Dieu éternel et immuable, quand vous aurez dépouillé l'enveloppe fragile de la mortalité, vous serez admis devant sa face à une vie de joie et de science immortelle. Vos œuvres, comptées par sa providence, seront pour vous des trésors inépuisables, des richesses inamissibles. Or, leprincipe et le commencement de toute œuvre pieuse et bonne, c'est de connaître et d'adorer le vrai Dieu. Cette connaissance est-elle

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1. Mélit., Àpol., Spicileg. Solesm., tom. II, pag. 41-43.

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p320         PONTJFICAT DE SAINT ELEUTHÈRE   (170-183).

 

difficile à acquérir? Non. Qu'est-ce que Dieu ? C'est la vérité éter­nelle, dont le Verbe est la manifestation. — Qu'est-ce que la vérité? C'est l'Être infini, souverain, qui tient de soi-même l'exis­tence, qui n'a jamais eu de commencement et n'aura jamais de fin. — Donc, en adorant une créature, ou un objet fabriqué par un ouvrier, l'homme n'adore ni la vérité, ni le Verbe de vérité. Je pourrais ajouter bien d'autres considérations, mais je rougis d'avoir à parler devant des hommes qui ne comprennent pas leur supério­rité sur leurs propres œuvres. Ils donnent un lingot à un orfèvre et lui disent : Fais-moi un dieu ! Le lendemain, ils reviennent et adorent ce métal ainsi transformé. Quel plus grand crime à l'homme que d'adorer ses richesses et de négliger le culte de Celui qui dis­tribue à son gré les richesses. Combien de ces insensés qui tuent sans pitié un homme vivant, leur esclave, et qui vont se prosterner devant la statue d'un homme divinisé ! Combien qui égorgent un bœuf, et courent adorer la statue du bœuf Apis. Remarquez-le, c'est bien une image qu'il adorent. La preuve, c'est que nul ne se prosterne devant des grains d'encens, amoncelés dans une cor­beille. Mais, que l'ouvrier transforme ces grains d'encens en une figurine, aussitôt on l'adore. De même on ne se prosterne pas devant des paillettes d'or ou d'argent; mais que l'orfèvre, les jetant au creuset, en fasse une statuette, aussitôt on l'adore. Insensé ! Qu'a donc de plus ce métal, pour que maintenant tu te prosternes devant lui? Est-ce parce qu'il représente un oiseau? Mais vois cet oiseau vivant, pourquoi ne l'adores-tu pas ? Est-ce parce qu'il a la forme de quelque bête sauvage? La forêt voisine nourrit par centaines des bêtes sauvages toutes vivantes. Pourquoi ne les adores-tu pas? Si c'est l'art du sculpteur qui t'arrache ces hommages, quelle idée ne devrais-tu pas avoir de la grandeur du Dieu qui a créé l'univers? Il a donné à l'homme un trait de sa res­semblance divine, en lui accordant le génie d'imiter ses œuvres dans une certaine mesure. Mais, diras-tu, pourquoi Dieu ne m'a-t-il pas créé de telle sorte que je ne pusse servir que lui, au lieu de me laisser adorer des idoles? — Ingrat! Dieu t'a créé libre. Il a étendu devant toi l'univers, comme un royaume dont tu peux

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p321 CHAP.   III.   —  APOLOGISTES.

 

disposer à ton choix, fixant ton cœur et ta volonté dans le bien. Sous tes yeux, le soleil et la lune parcourent leur route lumineuse : les eaux des mers obéissent à sa loi; la terre ouvre sous tes pas sa vaste étendue. Mais c’est Dieu qui tient la mer en équilibre; sa main la fait trembler quand il lui plaît. Il commande aux nuées de condenser les vapeurs dans le ciel, et de verser les pluies bienfai­santes. Or, celui qui dirige ainsi la nature est plus grand qu'elle. C'est précisément pour le comprendre que Dieu t'a donné l'intelligence. Connaître Dieu et se connaître soi-même, voilà donc le devoir de l'homme. Nous portons dans notre âme comme un reflet qui peut nous aider à comprendre, jusqu'à un certain point, la nature divine. C'est par l'âme que l'œil voit, que l'oreille entend, que notre langue articule des sons, que tout le corps se meut. Quand il plaît à Dieu de séparer l'âme du corps, celui-ci tombe et se corrompt. Par cet élément invisible qui fait partie de nous-même, nous pouvons comprendre comment la puissance de Dieu dirige et conserve le monde ; qu'elle vienne à se retirer, et l'univers tombe en poudre, comme un corps inanimé 1. »

 

33. « Mais, demanderez-vous, pourquoi ce monde a-t-il été créé? pourquoi est-il périssable? pourquoi un corps, destiné à mourir, et à ressusciter ensuite ? Autant de problèmes qui restent insolubles pour les intelligences courbées sous le joug de l'idolâtrie. Ouvrez les yeux à la véritable lumière et vous verrez planer, au-dessus de ce monde, la toute-puissance et la bonté du Créateur et du maître de l'univers. Alors vous admirerez les conseils de sa providence. Tant que la connaissance du Dieu vivant ne vient pas illuminer l'âme humaine, elle reste ensevelie comme une morte dans son tombeau de chair. Voilà pourquoi tant d'égarés se pros­ternent devant des démons et des fantômes, adressant leurs vaines supplications à des idoles sourdes et muettes. Levez-vous du milieu de cette foule agenouillée, qui colle ses lèvres à des statues de pierre; jette à la flamme des autels les meilleurs de ses aliments: fait toucher à une idole la frange de sa tunique ou de son manteau, comme si l'homme, doué de vie et d'intelligence, devait des ado-

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1. Melit., Apol., Spicileg. Solesm., tom. II, pag. 4M7.

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p322 PONTIFICAT  DE  SAINT  ELEUTHÈRE   (170-18Ô).

 

rations à des objets inertes et inanimés ! C'est au Dieu éternel qu'il vous faut adresser la prière d'une âme immortelle, alors la vérité vous apparaîtra comme un rayon libérateur. Vous rendrez grâce à ce grand Dieu, qui vous a donné le libre arbitre, pour que dans la plénitude de votre indépendance, vous puissiez vous diriger vous-même dans le chemin de ses commandements. En établissant l'homme dans la souveraineté sur l'univers, il lui a dit : Si tu choisis le mal, une damnation éternelle punira tes œuvres mau­vaises; si tu choisis le bien, tu recevras dans l'éternelle vie la récompense d'une félicité sans bornes. Vous êtes donc libre, et par conséquent rien ne s'oppose à ce que, renonçant à des erreurs et à des préjugés séculaires, vous puissiez enfin connaître le vrai Dieu, l'aimer et le servir de tout votre cœur. Il ne se refuse point à ceux qui le cherchent, il se livre à leurs investigations dans la mesure compatible avec l'intelligence humaine. Mais peut-être l'empereur répondra: Je ne puis pas agir ainsi; il me faut compter avec l'opinion publique et ne pas heurter les instincts populaires. — Et pourquoi, demanderais-je à mon tour, le prince ne se ferait-il pas l'initiateur d'un si heureux progrès? Pourquoi n'emploierait-il pas l'autorité qu'il a sur son peuple, à fonder l'empire du bien dans les âmes, et à propager la connaissance du vrai Dieu ? Pourquoi ne donnerait-il pas, en sa personne, l'exemple de ce retour à la vérité et à la vertu? Ce serait là le rôle d'un grand monarque. N'est-ce pas en effet une inconséquence, qu'un sou­verain qui suit une religion perverse, juge et condamne les pervers? J'estime donc qu'un royaume ne peut être florissant, qu'à la con­dition que le souverain connaisse Dieu et le craigne ; il pourra dès lors inspirer ces sentiments à son peuple; sa justice sera celle d'une conscience éclairée, qui sait que Dieu la jugera à son tour. Ses sujets le respecteront et se respecteront eux-mêmes, parce qu'ils auront la crainte de Dieu. Voilà comment peut se réaliser l'idéal du plus florissant empire. Quoi de plus grand qu'un souve­rain qui délivre son peuple du joug de l'erreur, et par conséquent de tous les maux qui en sont la suite 1 ? »

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:Melit. Apol., Spicileo. Solesm., tom. Il, pag. 47-50.

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p323 CHAP. 10. — APOLOGISTES.

 

31. « Et qu'on ne répète plus cette objection puérile : Nous suivons les traditions de nos pères. — Quoi donc! Un enfant à qui son père n'a pas laissé de fortune, se croit-il interdite la faculté de s'enrichir? Celui à qui ses parents n'ont pu donner d'instruction se croit-il pour cela dans l'obligation de croupir dans l'ignorance paternelle? Les fils d'un aveugle ou d'un boiteux voient et marchent. Loin d'imiter l'erreur de ses aïeux, l'homme doit rompre avec elle. Commencez donc par vous rendre compte de la voie suivie par votre père : si elle était bonne, suivez la; sinon, aban­donnez la pour prendre vous-même la route de la vérité et de la justice, et y faire marcher vos fils après vous. Priez pour l'âme de votre père; gémissez sur son égarement; vos larmes peuvent encore lui être utiles 1. Dites ensuite à vos fils : Dieu est le père commun de tous. Il n'a jamais eu de commencement, nul ne lui a donné l'existence; rien ne subsiste que par sa volonté. C'est lui qui a créé la lumière visible qui nous éclaire, et lui, lumière invi­sible, ne peut être perçu par nos regards mortels. Ceux-là peuvent le contempler qui, dégagés de la prison du corps, sont entrés dans le royaume de sa gloire. Ceux-là ne seront point plongés dans les flammes éternelles, quand le déluge de feu viendra consumer l'u­nivers. Il y eut un premier déluge d'eau, où le genre humain et tous les animaux périrent. Une seule famille de justes fut sauvée dans l'Arche. Quand viendra le déluge de feu, la terre et ses mon­tagnes seront consumées; les hommes périront, avec les idoles qu'ils s'étaient fabriquées et les statues qu'ils adorent. La mer desséchée verra ses îles en proie aux flammes. Les justes seront préservés de ce feu terrible, comme ils le furent autrefois du cata­clysme diluvien. Alors ils disparaîtront dans des feux inextin­guibles, les insensés qui invoqueront en vain leurs idoles embra­sées ! César, si vous embrassez cette doctrine, et l'enseignez à vos fils, vous leur laisserez un héritage impérissable et d'éternels tré­sors. Vous assurerez votre salut et le leur, pour le jour du juge­ment suprême et universel. Dieu vous connaîtra alors, si vous

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« Nous avons ici une allusion évidente au dogme du purgatoire et à la prière pour les morts.

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p324       fONTIFICAT DE SAINT ELEOTHÈRE   (170-183).

 

consentez à le connaître aujourd'hui. Que si vous estimez que sa connaissance soit superflue, à son tour, il ne vous rangera point parmi ceux qui l'auront connu et servi. Ce peu de mots suffiront à Votre Majesté. Si elle voulait d'autres éclaircissements, je suis prêt à les lui fournir 1. »

 

35. Le lecteur aura sans doute remarqué, dans cette Apologie du saint évêque de Sardes, un caractère saillant, qui tranche sur les œuvres analogues dont nous avons eu jusqu'ici à nous occuper» Saint Méliton trace, d'une main ferme, le tableau d'un empire chrétien. On dirait que, d'un regard prophétique, il avait sondé l'avenir et entrevu pour l'Église les horizons de l'ère constanti-nienne. Cette échappée de vue à travers les siècles donne à sa requête une physionomie toute nouvelle. Jusque-là les Apologistes avaient réclamé pour l'Église et la vérité, le droit commun dont jouissaient tous les autres cultes, sous la législation romaine. Ce sera, comme nous le verrons bientôt, la thèse reprise et développée par Athénagore. Saint Méliton devance réellement son époque et formule, au IIe siècle, l'idéal de l'empire chrétien, tel que le conçurent plus tard, sous l'influence de la papauté, Constantin, Théo­dose et Charlemagne. Saint Méliton offre nettement à Marc-Aurèle le rôle inouï jusque-là, mais sublime d'un souverain qui subor­donne son règne au règne de Dieu et de la vérité. Cette magni­fique idée a donné naissance à ce qu'on appela jadis la Chrétienté. On ne la comprend plus guère aujourd'hui, ce qui ne lui ôte rien de sa grandeur. Par certains côtés de son caractère, Marc-Aurèle était digne d'entendre un tel langage. Il aimait la sagesse pour elle-même, et n'avait point les enivrements du pouvoir qui étour­dissent les âmes faibles. On pourrait, en étudiant ses œuvres, suivre, à la trace, l'impression que des idées si nouvelles, mises en circulation par le christianisme, avaient produite sur son esprit.


 Darras tome 7 p. 333

 

39. « On nous accuse de trois crimes : athéisme, anthropophagie dans des festins de Thyeste, promiscuité incestueuse. Princes, si vous pouvez trouver le moindre fondement à cette triple accusation, n'hésitez pas, frappez notre race, vengez sur des monstres les droits de la nature outragée. Oui, s'il en est un seul parmi nous qui commette de pareilles horreurs, exterminez-nous tous avec nos enfants et nos femmes. Ces forfaits qu'on nous reproche dépassent les limites mêmes de la bestialité. L'animal suit du moins certaines lois naturelles ; il ne s'attaque pas à ceux de sa propre espèce ; s'il obéit à l'instinct conservateur de sa race, c'est en un temps déterminé et dans une mesure restreinte ; enfin, la bête féroce elle-même sait reconnaître la main qui lui distribue des aliments ou des secours. Si donc un homme se trouvait qui mon­trât plus de cruauté et de fureur que les bêtes mêmes, il n'y aurait

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1 Athenag., Legatio pro Christian., cap. I ; Patrol. grœc, tom. VI, col. 389-391. — 2 ld., ibid., cap. n.

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p334        POSTIFICAT DE SAINT ELECTHÉRE  (170-183).

 

pas de châtiments proportionnés à un tel forfait. Mais si cette triple accusation qu'on nous intente se réduit à de vaines paroles et à d'absurdes calomnies: si elle n'a d'autre fondement que la haine naturelle du vice contre la vertu, l'opposition de ces deux prin-cipes contraires du mal et du bien, qui se combattent suivant une loi providentielle ; si vous-mêmes enfin avez rendu déjà témoi­gnage de notre innocence, quand vous avez défendu de nous dénoncer aux tribunaux, sur le simple grief de porter le nom de chrétiens ; dans ce cas, c'est pour vous une obligation stricte et rigoureuse, d'ouvrir une enquête sur nos mœurs et nos doctrines ; de vous renseigner exactement sur le zèle et la soumission que nous professons envers votre autorité impériale et votre dynastie; enfin, de tenir la balance égale entre nos ennemis et nous. Cette impartialité nous suffit; nous vaincrons nos persécuteurs, nous qui savons mourir pour la vérité 1 ! » Après cet élan d'indignation éloquente, l'Apologiste aborde successivement la discussion des trois griefs, formulés par le vulgaire, contre les chrétiens.

© Robert Hivon 2014     twitter: @hivonphilo     skype: robert.hivon  Facebook et Google+: Robert Hivon