La Cité de Dieu 27

tome 23 p. 700

 

CHAPITRE XXIX.

 

On doit rapporter au seul vrai Dieu, tout ce que les philosophes ont rapporté au monde et à ses parties.

 

   En effet, tout ce que, d'après la théologie de ces dieux, les philosophes ont rapporté au monde, par des raisons naturelles, combien plus raisonnablement, et sans avoir à craindre aucune opinion sacrilége, pourrait‑on le rapporter au vrai Dieu, qui a fait le monde, au Créateur de toute âme et de tout corps? Remarquons bien cela, en procédant de cette manière: Nous adorons Dieu, et non pas le ciel et la terre, ces deux parties qui constituent le monde, ni l'âme ou les âmes répandues dans tous les corps vivants. Nous adorons Dieu, qui a fait le ciel et la terre, et tout ce qu'ils renferment. Enfin, nous adorons Dieu, qui a fait toute âme quelle qu'elle soit, ou privée de sentiment et de raison, ou douée seulement de sentiment, ou ornée de l'intelligence.

 

CHAPITRE XXX.

 

Sentiments par lesquels nous discernons le Créateur des créatures, et nous n'adorons pas à la place d'un seul Dieu autant de divinités, que l'unique auteur de toutes choses a tiré d'êtres ou d'objets du néant.

 

  Et d'abord commençons à parcourir les œuvres du Dieu unique et véritable. Car c'est à cause de ses ceuvres que, dans le but de donner une ex­plication presque honnête à leurs mystères, qui sont l'excès de la honte et du crime, les païens se sont fait cette multitude de faux dieux. Nous adorons ce Dieu, qui fixe aux natures qu'il a créées le commencement et la fin de leur exis­tence et de leur mouvement. C'est lui qui possède en lui‑même les causes de toutes choses, en a la connaissance et en marque la disposition. C'est lui qui a mis dans les semences cette force cachée qui les développe, et dans les êtres vi­vants, sur lesquels sa bienveillance s'est exercée, l'âme raisonnable qu’on appelle l'esprit. Il a donné également à ceux‑ci la faculté et l'usage de la parole. Il a distribué à certains esprits, suivant son bon plaisir, le don d'annoncer l'avenir. Lui-même révèle les choses futures par qui il lui plaît,

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(1) L'erreur puisqu'on représente Janus avec plusieurs têtes. ‑ La fureur avec laquelle les Galles célébraient ses mystères, montre que Tellus n'avait pas la tête saine, puisqu'elle se laissait honorer par de telles infamies.

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et également il chasse les maladies par qui il lui plaît. N'est‑ce pas lui aussi qui, dans les guerres elles‑mêmes, lorsqu'il juge à propos de corriger ou de châtier de cette manière le genre humain, en ménage les commencements , les progrès et les résultats? Il a créé aussi et il gouverne le feu, l'élément du monde le plus rapide et le plus violent, de manière à maintenir l'immense nature. Il est le créateur et le modérateur de toutes les eaux. Il a créé le soleil, la plus brillante de toutes les lumières matérielles, et il lui a donné la chaleur nécessaire et le mouvement. Les enfers mêmes ne sont point soustraits à sa domination et à sa puissance. Il fournit les semences et les aliments dont usent les mortels, et secs ou liquides il les dispense aux différentes substances, selon leur nature. Il affermit la terre et la féconde; il en distribue les fruits aux animaux et aux hommes. Il connait et gouverne, non‑seulement les causes principales, mais encore les causes secondes. Il assigne à la lune ses phases diverses; il ouvre des chemins au ciel et sur la terre pour que les corps puissent se mouvoir et chan­ger de lieu. A l'esprit humain qu'il a créé, il a dispensé la science des différents arts nécessaires pour le soutien de la vie et de la nature. C'est lui qui a établi l'union des deux sexes pour la propagation des espèces. C'est lui aussi qui a donné aux sociétés humaines, pour l’entretien des foyers et des flambeaux, le bienfait du feu terrestre pour les usages les plus ordinaires de la vie. Voilà assurément toutes ces fonctions divines que Varron a entrepris de distribuer au dieux choisis, par je ne sais quelles interprétations physiques qu'il a reçues de la tradition d'autrui, ou qu'il doit à ses propres conjectures. Mais tout cela est l'action du seul vrai Dieu. Il agit en Dieu, c'est‑à‑dire qu'il est tout entier partout; qu'il ne peut être ni circonscrit par aucun lieu, ni retenu par aucun lien; qu'il n'es susceptible ni de division, ni de changement qu'il remplit le ciel et la terre par la présence de sa toute‑puissance, et non pas par le besoin de se placer. Il gouverne donc tellement tous le êtres qu'il a créés, que, même en les dominant il leur laisse l'exercice et la liberté de leurs propres mouvements. Bien qu'ils ne puissent être rien sans lui, ils ne sont pas pourtant ce qu'il est. Il fait beaucoup de choses par le ministère des anges, mais il ne les rend heureux que de lui‑même. Ainsi quoique, pour certaines causes, il envoie ses anges aux hommes, toutefois ce n'est pas par les anges, mais par lui-même, qu'il veut rendre les hommes participants du bonheur des anges. C'est de cet unique et véritable Dieu que nous espérons la vie éternelle

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CHAPITRE XXXI.

 

De quels bienfaits de Dieu usent spécialement les amis de la vérité, abstraction faite des libéralités que Dieu exerce généralement à l'égard de tous les hommes.

 

Car, outre ces bienfaits que, dans le gouvernement de la nature dont nous avons dit quelque chose, Dieu dispense aux bons et aux méchants, nous recevons de sa part un grand témoignage de son amour extrême, et ce témoignage est spécial aux bons. Car sans doute l'existence, la vie, la faculté de contempler le ciel et la terre, l'usage de l'esprit et de la raison, qui nous fait aller à la recherche de celui‑là même qui a tout créé, sont des bienfaits, dont nous pouvons à peine rendre de dignes actions de grâces. Toutefois, rappelons‑nous que, chargés et couverts de péchés, obstinés à nous détourner de la clarté de Dieu pour ne la pas voir, déterminés à nous condamner nous‑mêmes à l'aveuglement, par suite de notre amour pour les ténèbres de l'iniquité, nous n'avons point été entièrement abandonnés de Celui dont nous rejetions la lumière. Il nous a envoyé son Verbe, son Fils unique, afin que, par l'incarnation, la naissance et les souffrances de ce divin Fils, mystères opérés pour nous, nous apprissions à quelle valeur il estimait l'homme; que nous fassions, par ce sacrifice unique, purifiés de tous nos péchés, et que, par sa charité répandue dans nos coeurs avec son Esprit, nous pussions surmonter toute difficulté, arriver à l'éternel repos et jouir des douceurs ineffables de sa contemplation. Or, en présence de tels bienfaits, quels coeurs et quelles langues auraient la prétention de suffire aux actions de grâces?

 

CHAPITRE XXXII.

 

Le mystère de la Rédemption du Christ n'a fait défaut à aucune époque dans le passé. Il a toujours été affirmé par différents signes.

 

Dès l'origine du genre humain, les anges ont annoncé ce mystère de la vie éternelle à ceux que Dieu avait désignés. Ils l'ont annoncé au moyen de certains signes et de certains mystères conformes aux temps. Ensuite, le peuple hébreu fut réuni en une seule république pour représenter ce mystère. Et c'était afin qu'au sein de ce peuple et par la voix de certains hommes, les uns sachant ce qu'ils annonçaient, les autres l'ignorant, tout ce qui devait se passer depuis l'avénement du Christ jusqu'à présent, et encore dans la suite, fût prédit d'avance. Voilà pourquoi cette nation des Hébreux a été dispersée à travers les nations, pour rendre témoignage aux Ecritures, qui ont annoncé le salut éternel en Jésus‑Christ. Car ce ne sont pas seulement toutes les prophéties les plus claires, ni les préceptes de la vie destinés à former les moeurs et la piété, qui sont contenues dans ces Ecritures;

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mais ce sont encore les rites sacrés, le sacerdoce, le tabernacle, le temple, les autels, les sacrifices, les cérémonies, les fêtes et tout ce qui se rapporte au culte du à Dieu, et appelé en grec latrie, qui ont signifié et annoncé, et ce que, en vue du salut éternel des fidèles, nous croyons accompli, et ce dont nous voyons actuellement l'accomplissement, et ce que nous espérons devoir s'accomplir en Jésus‑Christ.

 

CHAPITRE XXXIII.

 

Par la seule religion chrétienne on a pu reconnaitre la fourberie des esprits mauvais, qui se réjouissent des erreurs des hommes.

 

   Ainsi, par cette religion une et vraie, on a pu reconnaître que les dieux des nations sont les plus immondes démons. Ces démons, profitant des différentes occasions du passage des âmes dans l'autre vie, ou bien, prenant la forme de créatures mondaines, ont voulu passer pour des dieux. Leur impur orgueil leur fait savourer les honneurs divins avec toutes les circonstances criminelles et infâmes qui les accompagnent, et leur fait envier aux âmes humaines le retour au vrai Dieu. De leur cruelle et impie domination, l'homme s'affranchit lorsqu'il croit en Celui qui lui a donné, pour se relever, l'exemple d'une humilité aussi grande que l'orgueil qui les a fait tomber. Parmi eux, il faut compter, non‑seulement ceux‑là dont nous avons déjà beaucoup parlé, et puis d'autres semblables, et d'autres encore adorés dans d'autres pays et sous d'autres climats, mais encore ceux‑ci dont nous traitons maintenant, et qui, étant les dieux choisis, forment comme un sénat parmi les dieux. Je les dis choisis. En effet, ils le sont vraiment, non par la dignité de leurs vertus, mais par la haute réputation de leurs crimes. Tandis que Varron s'épuise en efforts pour expliquer leurs mystères sacrés, comme par des raisons naturelles, cherchant à jeter un voile d'honnêteté sur des infamies, il ne peut trouver moyen de se conformer à ses raisons et de se mettre en accord avec elles. Le motif en est que les causes mêmes de ces mystères ne sont pas celles qu'il croit, ou plutôt qu'il veut qu'on croie. En effet, si ces causes étaient, je ne dis pas celles‑là même qu'il allègue, mais seulement des causes semblables, ne se rapportant en rien au vrai Dieu et à la vie éternelle, fin suprême de la religion ; toutefois, par une explication telle quelle de la nature des choses, elles adouciraient un peu l'horreur que doivent exciter dans ces mystères les infamies, et les absurdités dont on ne comprend pas le sens. Voilà à quoi ont tendu les efforts de Varron, par rapport à certaines fictions des théâtres, ou à certains mystères des temples. Mais en cela il

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n'a point justifié les théâtres, à cause de leur ressemblance avec les temples. Il a plutôt condamné les temples, à cause de leur ressemblance avec les théâtres. Cependant, quoi qu'on puisse dire de ses efforts, il n'en a pas moins voulu, en cherchant ses raisons dans les causes naturelles, apaiser le trouble que de si affreuses infamies jetaient dans les esprits.

 

CHAPITRE XXXIV.

 

Livres de Numa. Le Sénat les fit brûler dans la crainte de faire connaître les causes des mystères sacrés, expliqués dans ces livres.

 

   Contre ces raisons, nous avons découvert, et Varron, cet homme si docte, en a trahi le secret, nous avons découvert, dis‑je, que les livres de Numa, dévoilant les causes des mystères sacrés, ne purent nullement être tolérés. Non‑seulement on les a jugés indignes d'arriver par la lecture à la connaissance des âmes religieuses; mais on n'a pas voulu les laisser subsister même dans la profondeur des ténèbres. Car je vais dire ce que j'avais promis au troisième livre (voyez TITE‑LIVE, liv. XL; VALÈRE MAX., liv. 1, Ch. I; PLINE, liv. XIII; LACTANCE, liv. 1, ch. xxii) de cet ouvrage. Je m'étais engagé à en parler en son lieu. En effet, voici ce qu'on lit, dans le même Varron, au livre du Culte des dieux (chap. IN): «Un certain Térentius avait un fonds de terre au pied du mont Janicule. Son bouvier, faisant passer la charrue près du sépulcre de Numa Pompilius, en retira et fit sortir de terre les livres où ce roi avait relaté les causes de l'institution des mystères sacrés. Térentius rentra dans la ville et porta ces livres au préteur. Celui‑ci, en ayant examiné le commencement, en déféra au sénat comme pour une chose grave. Les principaux du sénat ayant lu certaines raisons de l'institution des mystères sacrés, le sénat approuva ce qu'avait fait le roi défunt Numa, mais dans sa religion il décida que le préteur brûlerait ces livres.» Chacun peut croire de cela ce qu'il voudra. Même je laisse dire ce que la fureur de disputer pourra suggérer à quiconque se fera gloire de défendre une pareille impiété. Qu'il me suffise de faire remarquer que les causes des mystères sacrés, exposées dans les livres du roi Pompilius, fondateur de ces mystères chez les Romains, ont dû rester inconnues et au peuple et au sénat et même aux prêtres, et que ce n'est que par une curiosité illicite que Numa Pompilius est arrivé à découvrir ces secrets diaboliques qu'il a écrits pour se les rappeler. Mais en même temps qu'on fasse attention à ceci, c'est que tout roi qu'il était, et bien qu'il n'eût personne à craindre, il n'a osé en instruire personne, et qu'il n'a pas voulu non plus en rien détruire par

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aucun moyen. Ainsi, il n'a voulu que personne en sût rien, dans la crainte de donner aux hommes des leçons criminelles. D'un autre côté, il a reculé devant leur suppression, de peur d'irriter les démons. Il les a donc enfouis dans un lieu qu'il croyait sûr. Il ne s'imaginait pas que la charrue pût ainsi s'approcher de son tombeau. Mais le sénat, redoutant de condamner la religion des ancêtres, se trouve par là même forcé de respecter les institutions de Numa. Cependant, il juge ses livres si nuisibles qu'il n'ordonne pas de les enfouir de nouveau. Il craint que la curiosité n'en ait que plus d'ardeur à rechercher une chose déjà découverte; mais il fait détruire par le feu ces monuments du crime. Croyant qu'il était nécessaire de célébrer ces mystères, il trouve le spectacle de l'Etat livré à l'erreur par suite de l'ignorance des causes, bien plus supportable que la vue du trouble qui le désolerait, si ces causes venaient à être connues.

 

CHAPITRE XXXV.

 

De l'hydromancie par laquelle certains démons se jouaient de Numa en lui faisant apparaitre leurs images.

 

   Numa, ne recevant de la part de Dieu ni prophète, ni ange, se vit forcé de pratiquer l'hydromancie pour voir dans l'eau les images des dieux, ou plutôt les prestiges des démons, et apprendre d'eux ce qu'il devait établir et observer dans les mystères sacrés. Le même Varron dit que ce genre de divination a été apporté par les Perses, et il raconte que Numa et après lui le philosophe Pythagore y ont eu recours. Il dit également qu'on interrogeait aussi les enfers, en se servant de sang; ce que, selon lui, les Grecs appelaient nécromancie. Mais qu'on appelle cela hydromancie ou nécromancie, c'est toujours la même chose, et ce sont toujours les morts qui annoncent l'avenir. Comment tout cela se fait? C'est l'affaire des païens. Car je ne veux pas dire que ces arts divinatoires fussent interdits par les lois chez les païens, même avant la venue du Sauveur, ni qu'ils fussent bien sévèrement punis. Non, je n'ai point l'intention de dire cela. Peut‑être alors ces choses étaient‑elles permises? Toutefois, c'est par l'emploi de ces arts divinatoires que Pompilius a appris ces mystères sacrés, dont il révéla les différentes actions et dont il enfouit les causes, tant il eut peur de ce qu'il avait appris. Quant à ces causes, le sénat fit brûler les livres qui les promulguaient. Quelles explications vient donc m'apporter Varron sur je ne sais quelles autres causes qu'il appelle physiques, et par lesquelles il veut donner une couleur honnête à ces mystères. Si ces livres de Numa n'avaient révélé que des causes sem-

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blables, le sénat ne les aurait pas fait brûler, ou bien les Pères conscrits auraient fait brûler également ceux de Varron, qui sont écrits et adressés à César, pontife. Ce qu'on dit de Numa qu'il retirait (en latin egerere), c'est‑à‑dire qu'il emportait de sa demeure l'eau nécessaire à ses expériences d'hydromancie, a donné lieu au récit de son mariage avec la nymphe Egérie, comme tout cela est exposé au livre de Varron cité plus haut. C'est ainsi que les faits véritables se trouvent transformés en autant de fables lorsqu'on les a comme revêtus de mensonges. C'est donc par cette hydromancie que, poussant la curiosité à ses dernières limites, ce roi de Rome apprit les mystères sacrés qu'il fit consigner dans les livres des pontifes, et les causes de ces mystères dont il se réserva à lui seul la connaissance. Ayant donc écrit ces causes à part, il les associa d'une certaine manière à sa mort, ayant soin de les dérober à la connaissance des hommes, et les faisant ensevelir avec lui. De cela il faut conclure, ou que ces livres avaient dépeint chez les démons des passions tellement ignominieuses et criminelles, que toute la théologie civile paraissait abominable même aux yeux de pareils hommes, qui, cependant, avaient déjà admis dans leurs mystères mêmes tant de cérémonies honteuses; ou bien que tous ces dieux y étaient montrés comme n'étant rien autre chose que des hommes morts qui, à la faveur du temps, avaient fini par être regardés parmi les nations comme des dieux immortels, et admis comme tels par la foi de presque tous les peuples. Cela était d'autant plus naturel, que ces mêmes démons prenaient assurément plaisir à de pareils mystères; et, pour recevoir eux‑mêmes leurs honneurs, se substituaient à la place de ces morts qu'ils avaient laissé passer pour des dieux, par certains signes trompeurs et certains miracles mensongers. Mais, grâce à une providence cachée du vrai Dieu, il est arrivé que, gagnés par ces arts divinatoires qui constituent l'hydromancie, et devenus les amis de Pompilius, ils ont été mis à sa discrétion et lui ont tout avoué. Et cependant il ne leur a pas été permis de l'avertir qu'à sa mort il eût à brûler ses secrets plutôt que de les enfouir. Et pour que la connaissance n'en pût arriver à personne, ils n'ont pu arrêter ni la charrue qui les a exhumés, ni la plume de Varron qui nous a transmis le récit de cet événement. Car ils ne peuvent pas aller au delà de ce qui leur est permis. Et par un juste et profond jugement du Dieu souverain, il ne leur est rien permis qu'en raison de ce que valent ceux qui méritent d'être seulement affligés par eux, ou même d'être entièrement soumis à leur domination et à leurs illusions. Mais combien on a jugé ces écritures pernicieuses et opposées au culte de la vraie Divinité ! On peut s'en rendre compte par ce fait, que le sénat aima mieux brûler ce que Pompilius s'était contenté de cacher,

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que d’avoir cette crainte qui avait ôté à Pompilius toute résolution là‑dessus. Que celui donc qui ne veut pas vivre pieusement ici‑bas, cherche dans de pareils mystères le moyen de vivre éternellement. Quant à celui qui rejette toute société avec les esprits de malice, qu'il ne craigne en rien cette superstition coupable par laquelle on les honore, mais qu'il reconnaisse la véritable religion, qui les dévoile et triomphe de leur malice.

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LIVRE HUITIEME

 

Le saint docteur passe à la troisième sorte de théologie, c'est‑à‑dire à la théologie naturelle. Il discute avec les platoniciens, qui étaient les plus célèbres des philosophes et les moins éloignés de la vérité chrétienne, la question de savoir si le culte de ces dieux sert pour acquérir cette vie heureuse, qui doit suivre la mort. Il réfute d'abord Apulée et les autres, qui veulent qu’on bonore les démons comme des médiateurs entre les dieux et les hommes; il montre que ces démons sont sujets à des vices que les hommes sages et honnêtes évitent et condamnent; qu'ils qu'ils ont introduit les fables sacrilèges des poètes, les jeux obscènes du théâtre, les maléfices et les crimes de la magie, qu’ils aiment toutes ces choses, et qu'ils s'en repaissent; d'où il conclut qu'ils sont impuissants à rendre les dieux bons, favorables aux hommes.

 

CHAPITRE PREMIER.

 

Question de la théologie naturelle à discuter avec les philosophes dont la doctrine est la plus éminente.

 

  Maintenant il nous faut une application beaucoup plus grande que lorsqu'il s'est agi de la solution des précédentes questions, et de l'explication des livres antérieurs. Car ce n'est pas avec les premiers venus que nous allons avoir à discuter sur la théologie qu'on appelle naturelle. Il ne s'agit plus, en effet, de la théologie fabuleuse ou civile, je veux dire de cette théologie de théâtre, ou de cette théologie d'état, dont l'une étale les crimes des dieux, dont l'autre proclame leurs dé­sirs les plus criminels, et par là même plus dignes de démons que de dieux. Non, c'est avec des philosophes qu'il nous faut conférer, c'est‑à‑dire avec des hommes dont le nom s'interprète en latin, (voyez CICÉRON, II Offic.) comme exprimant un engagement formel à aimer la sagesse. Or, si par sagesse on doit entendre le Dieu par qui tout a été fait, comme l'autorité et la vérité divine l'ont démontré (Sag., vii, 25; Hébr., 1, 3), le vrai philosophe est l'ami de Dieu. Mais parce que la chose même que représente ce nom ne se trouve pas dans tous ceux qui se font gloire de le por-

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ter (LACTANCE, liV. 111) (et, en effet, tous ceux qui s'appellent philosophes ne sont pas pour cela amis de la sagesse), il faut sans doute, entre tous ceux dont les écrits ont pu nous faire connaître les doctrines, choisir ceux avec lesquels cette question pourra être traitée d'une manière convenable. Car dans cet ouvrage je n'ai pas entrepris de réfuter toutes les vaines opinions de tous les philosophes, mais seulement les opinions qui appartiennent à la théologie, c'est‑à‑dire à la science qui traite ou qui parle de la divinité, suivant la signification des mots grecs qui en sont la racine. Et encore ce ne sont pas les opinions théologiques de tous que je veux réfuter, mais seulement les opinions de ceux qui, d'accord avec nous sur l'existence de la divinité et sur le soin qu'elle prend des choses humaines, s'imaginent toutefois que le culte d'un Dieu unique et immuable n'est pas suffisant pour gagner une vie heureuse après la mort, mais qu'il faut encore pour arriver là adorer cette multitude de dieux créés et établis par le Dieu unique. Ces philosophes déjà vont bien au delà de la sphère de Varron, ils se rapprochent bien plus que lui de la vérité. Si, en effet, Varron a pu étendre toute la théologie naturelle jusqu'à ce monde et à l'âme du monde, ceux-ci confessent au‑dessus de toute nature d'âme un Dieu qui, non‑seulement a fait ce monde visible nommé souvent le ciel et la terre, mais encore a créé absolument toute âme, et qui rend heureuse l'âme raisonnable et intelligente, telle que l'âme humaine, par la participation de sa lumière incorporelle et immuable. Ces philosophes, on les appelle platoniciens, nom dérivé de celui de leur maître Platon. Quel est celui qui pourrait ignorer cela, si peu qu'il ait entendu parler de philosophie? Au sujet de Platon, je toucherai légèrement et en peu de mots ce qui me paraît nécessaire à la présente question. Et d'abord je ferai mention de ceux qui l'ont précédé dans le même genre d'écrits.

 

CHAPITRE Il.

 

De deux sortes de philosophes, qui sont ceux de l'école italique et ceux de l'école ionienne. Fondateurs de ces écoles.

 

   Quant à ce qui regarde la littérature grecque, dont la langue est la plus célèbre parmi les autres langues des nations païennes (voyez liv. VII, quest. sur les juges), il y a deux sortes de philosophes, les Italiques ainsi appelés de cette partie de l’Italie autrefois nommée la grande Grèce, et les Ioniens qui tirent leur nom de ces contrées qu'on appelle encore maintenant la Grèce. L'école italique a eu pour auteur Pythagore de Samos, à qui on attribue le mot

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p709 LIVRE VIII. ‑ CHAPITRE Il.

 

même de philosophie. (CICÉRON, v Tuscul.) Avant lui, on appelait sages ceux qui paraissaient être supérieurs aux autres par un certain genre de vie qui leur attirait l'estime. Mais lui, interrogé sur sa profession, répondit qu'il était pbilosophe, c'est‑à‑dire qu'il recherchait et aimait la sagesse. Car faire profession d'être sage lui paraissait prétentieux au suprême degré. L'éole ionienne a eu pour chef Thalès de Milet, l'un des sept connus sous le nom de sages (1). Tandis que les six autres se distinguaient par leur genre de vie et par certains préceptes qui apprennent à bien vivre, Thalès, pour se donner des continuateurs de sa doctrine, s'éleva au‑dessus d'eux en cherchant à pénétrer la nature des choses et en perpétuant ses démonstrations par des écrits. Ce qui l'a rendu surtout remarquable, c'est que, par des calculs astrologiques parfaitement conçus, il a pu annoncer d'avance les éclipses de soleil, et même celles de lune. (CICERON, I de la Divination.) Cependant il a cru que l'eau était le principe des choses, et que c'était de l'eau que tiraient leur existence tous les éléments du monde, le monde lui‑même et tout ce qui y est engendré. Quant à cette oeuvre que nous voyons si admirable lorsque nous contemplons le monde, il ne la soumet à rien de ce qui se rattache à l'intelligence divine. Son successeur fut Anaximandre, son disciple. Celui‑ci ne garda point l'opinion de son maître sur la nature des choses. Car il n'admit point un principe unique comme Thalès qui proclamait que ce principe était l'eau, mais il crut que les choses avaient leurs principes spé­ciaux ; ces principes étaient, selon lui, infinis, et ils engendraient des mondes innombrables, et tout ce qui prend naissance dans ces mondes. Il prétendait que ces mondes tantôt périssaient et tantôt renaissaient, chacun avec la durée qu'il pouvait atteindre. Quant à l'intelligence divine, il ne lui faisait honneur de rien dans toutes ces œuvres. Il laissa pour disciple et pour succes­seur Anaximène qui attribua toutes les causes des choses à l'air infini. Il ne nia point l'exis­tence des dieux, il ne les passa point sous si­lence. Toutefois, il ne crut pas que l'air fût fait par eux; au contraire, il pensa qu'ils tiraient leur origine de l'air. Mais Anaxagore, son dis­ciple, comprit que le créateur de toutes ces choses que nous voyons, c'est un esprit divin. Il dit qu'une matière infinie, composée de particules semblables les unes aux autres, constituait chaque genre d'êtres suivant la mesure et l'espèce qui leur est propre, mais sous l'action de l'esprit divin. Diogène (2), autre disciple d'Anaximène, dit également que l'air est la matière

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(1) Thalès vécut, dit‑on, sous le règne de Romulus (Voyez au livre XVIII de cet ouvrage ch. xxiv.) Les six autres appelés sages avec lui sont Chilon de Lacédomone, Pittacus de Mitylène, Bias de Priène, Cléobule de Lindos, Périandre de Corinthe et Solon d'Athènes.

(2) Ce Diogène n'est pas le fameux Cynique, mais Diogène Apolloniate, dont Cicéron parle au ler livre de la nature des dieux.

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p710 DE LA CITÉ DE DIEU.

 

des choses, et que tout en est fait. Mais il ajoute qu'il lui faut pour cela la raison divine sans laquelle rien ne peut se produire de lui. A Anaxagore succéda son disciple Archélaüs. Celui‑ci de même crut que tout se composait d'atomes semblables les uns aux autres, et dont chaque chose se faisait. Toutefois, dans sa pensée, il y a en ces atomes une intelligence qui, soit en joignant, soit en séparant ces corps toujours existants, je veux dire les atomes, produit tous les phénomènes que nous voyons. Socrate fut, dit‑on, le disciple d'Archélaüs. Il devint le maitre de Platon, en vue duquel j'ai retracé en abrégé tout ce que je viens d'exposer.

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