Apollonius de Tyane 1


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Paul quitta donc la synagogue et en éloigna les disciples. Il adopta, pour ses prédications, l'école d'un docteur éphésien, nommé Turannos, et chaque jour il y annonçait l'Évangile. Deux années s'écoulèrent ainsi, et la parole de Dieu fut connue de la sorte par tous les habitants de

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l'Asie, Juifs et païens. Le Seigneur opérait des prodiges extraordinaires, par les mains de Paul. On faisait toucher aux infirmes les linges et les ceintures dont l'Apôtre s'était servi, et à l'instant la maladie les quittait et les esprits du mal sortaient de leur corps. Quelques exorcistes juifs essayèrent d'opérer des guérisons de ce genre, et d'invoquer sur les possédés le nom du Seigneur Jésus. Ils disaient: Je vous adjure, par Jésus que Paul prêche! Or il se trouvait, parmi ces imposteurs, les sept fils d'un prêtre juif, nommé Sceva. Deux de ces jeunes gens exorcisaient un jour. L'esprit du mal, auquel ils adressaient ces paroles, leur répondit : Je connais Jésus; je sais qui est Paul; mais vous, qui êtes-vous donc? — Et le possédé, se précipitant sur eux, les maltraita tellement qu'ils s'enfuirent de la maison, les habits déchirés et le corps couvert de plaies. Cet événement, connu bientôt de tous les Juifs et de tous les païens qui habitaient Éphèse, répandit une crainte salutaire dans tous les esprits, et le nom du Seigneur Jésus fut glorifié. La multitude des croyants venait confesser ses fautes, et les déclarer à l'Apôtre. Un grand nombre d'entre eux, qui s'étaient adonnés aux pratiques de la magie, apportèrent leurs livres et les brûlèrent devant tout le peuple. On estima à cinquante mille deniers la valeur de ces ouvrages dangereux. Ainsi la parole de Dieu allait croissant et affermissait sa puissance 1. »

 

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§ IV. Apollonius de Tyane.

 

   20.  Par l'estimation en argent des livres d'astrologie  et de magie brûlés sur la place publique d'Ephèse, on peut se faire l'idée du crédit que ces superstitions exerçaient alors sur les esprits. Si l'on prend la monnaie désignée par le texte des Actes pour des deniers romains, représentant cinquante centimes de notre pays, la valeur totale aurait été de vingt-cinq mille francs. Les contagions diverses du spiritisme, du somnambulisme divinatoire, du magnétisme animal, du mesmérisme; toutes ces modernes dénominations, données aux arts occultes de la magie païenne, nous font comprendre les ravages que de telles doctrines sont capables de produire dans les sociétés. Et pourtant la fièvre de la démonologie n'est heureusement chez nous qu'à l'état d'intermittence, tandis qu'elle constituait l'essence même des civilisations païennes. Pendant le séjour de saint Paul à Éphèse, l'arrivée d'un voyageur célèbre, qui passait pour le plus puissant des mages, mit en émoi toute la cité1. On le nommait Apollonius. Il avait alors cinquante ans et revenait, disait-on, du pays des brachmanes, où les mystères de la théurgie indienne lui avaient été révélés. Sa naissance et sa vie n'étaient qu'un tissu de merveilles. Quand sa mère le portait encore dans ses flancs, elle avait eu une vision divine. Quel sera, demanda-t-elle à son  interlocuteur céleste,  l'enfant que je mettrai au monde? — Moi, lui fut-il répondu. — Qui, toi? reprit la femme.—Protée, dieu égyptien 2. — Quelques mois plus tard, surprise par le sommeil, dans la prairie qui entoure la petite ville de Tyane, en Cappadoce, l'heureuse mère fut réveillée par des cygnes qui voltigeaient autour de sa tête, en faisant entendre un chant mélodieux. Elle avait donné le jour sans douleur à un fils. Quant elle le prit dans ses bras, la foudre tomba à ses côtés, puis remontant, s'évanouit dans les airs; signe infaillible de la gloire et de la nature supé-

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1  Apollonius était né l'an III de l'ère chrétienne. Son voyage à Éphèse, l'an 50 de son âge, dut ainsi coïncider avec la présence de saint Paul en cette ville.

2. Philostrat., Apollon, vita, lib. I, cap. iv.

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rieure de cet enfant 1. A quatorze ans, Apollonius fut conduit par son père au rhéteur Euthydème, qui tenait alors une école fameuse à Tarse. Deux ans plus tard, il embrassait le genre de vie des pythagoriciens, et se fixait à Egée, près du temple d'Esculape 2. « Je ferai comme les médecins, dit-il. Leur premier soin est de purger, et ainsi ils préviennent les maladies, ou les guérissent. » A partir de ce moment, il renonça à l'usage de la viande, nourriture, selon lui, impure et propre à alourdir l'esprit; il ne mangea plus que des légumes et des fruits, parce que, disait-il, tout ce que donne la terre est pur. Il prit l'habitude de marcher nu-pieds, ne porta que des étoffes de lin, renonçant à toutes celles qui sont faites du poil des animaux, il laissa croître sa chevelure et vécut dans le temple. Esculape, par la voix du prêtre, rendit un solennel hom-mage à sa vertu. « Je suis heureux, dit le dieu, d'avoir ce jeune homme pour témoin des guérisons que j'opère. » On accourut dès lors de toute la Cilicie et des provinces voisines, pour le voir, et ce fut bientôt un proverbe à Egée que de dire : « Où courez-vous si vite? Allez-vous voir Apollonius 3? » Un jour, le jeune pythagoricien vit l'autel d'Esculape couvert de riches offrandes; le sang et la graisse des victimes ruisselaient sous la main des sacrificateurs; deux vases d'or, sertis de diamants, étaient déposés devant la statue du dieu. Quel est l'opulent étranger qui honore ainsi Esculape? demanda-t-il.— C'est, répondit le prêtre, un riche Cilicien, qui a un œil crevé. Il renouvellera chaque jour ces libéralités, jusqu'à ce qu'il en ait recouvré l'usage. — Apollonius demanda le nom du suppliant, et quand il l'eut appris : 0 prêtre, s'écria-t-il, cet homme est un criminel qu'il faut bannir du temple ! — La nuit suivante, Esculape rendit cet oracle : Que le Cilicien soit expulsé et qu'il garde ses présents. Il ne mérite pas même d'avoir l'œil qui lui reste. — Des renseignements ultérieurs ne tardèrent point à apprendre qu'en effet l'étranger était un coupable indigne de la pitié des dieux 4. Cet événement accrut la réputation d'Apollonius et redoubla l'affluence des visiteurs. « Les dieux savent tout, leur

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1 Philostrat., Apollon, vita, lib. I, cap. v. — 2. Id., ibid., cap. vu.— 3. ld. ibid., cap. vin. — 4.  Id., ibid., cap. z.

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disait l'adolescent. Lors donc qu'un homme, d'une conscience pure, aborde leur sanctuaire, il doit se contenter de dire : 0 dieux, donnez-moi ce qui m'est dû ! Or, si les hommes pieux ont droit à quelques faveurs, il n'est du aux méchants que des maux 1. » Apollonius avait un frère, dont la conduite licencieuse et dissipée contrastait singulièrement avec la sienne. A la mort de leur père, Apollonius céda à ce jeune prodigue la moitié de sa part d'héritage. « Mon frère, dit-il, a besoin de beaucoup de richesses, et moi je sais me contenter de peu 2. » Ce fut à cette époque qu'il commença à observer les cinq années de silence, prescrites par le code pythagoricien. Il avoua depuis que cette épreuve lui fut très-pénible et qu'il dut plus d'une fois se dire à lui-même : Prends patience, mon cœur; prends patience, ma langue3. Ce temps de silence fut employé par lui à parcourir la Pamphylie et la Cilicie. Sans ouvrir les lèvres, il apaisa soudain une émeute, survenue à propos d'une course de chevaux. Ses gestes, sa physionomie, son regard indigné, suffirent à calmer le tumulte et il se fit un silence aussi profond que dans les mystères. Il entra dans la ville d'Aspende, en Pamphylie, au moment où la populace, exaspérée par les souffrances d'une cruelle famine, menaçait de brûler vif le gouverneur. Le malheureux s'était réfugié aux pieds de la statue de l'empereur, plus redoutée alors que celle de Jupiter-Olympien, car l'empereur n'était autre que Tibère. Cependant la foule qui attribuait la disette au trafic de riches accapareurs, semblait prête à violer même la majesté de Tibère, pour assouvir sa vengeance. Apollonius s'approcha du gouverneur et lui demanda par signes ce dont il s'agissait. Il reconnut son innocence et la fit comprendre par gestes à toute la multitude, dont la fureur se tourna tout entière contre les accapareurs. On voulait se ruer sur leurs maisons et les massacrer eux-mêmes. Apollonius, sans rompre le silence, fit signe qu'on amenât devant lui les coupables. A leur vue, il ressentit une indignation qu'il eut peine à maîtriser. Cependant il se contint; et prenant des tablettes, il y traça ces mots : « Apollonius aux accapa-

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1 Philostrat., Apollon, vita, lib. I, cap. xi. — Md., ibid., cap. xm. — s Id., ibid.t cap. xiv.

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reurs d'Aspende. La terre est la mère commune; elle est juste; mais vous, vous en faites votre mère à vous seuls. Si vous ne cessez vos pratiques, je ne souffrirai pas que vous restiez plus longtemps sur son sein. » En lisant ces menaces, les coupables furent frappés de terreur, ils ouvrirent leurs greniers, le marché se remplit de grains et la cité revint à la vie 1.

 

   21. Après avoir accompli fidèlement sa période de silence, Apollonius réunit sept disciples, avec lesquels il parcourait les solitudes et visitait les temples des dieux. Au lever du soleil, il faisait à l'écart certaines cérémonies auxquelles il n'admettait pour témoins que ceux qui avaient observé le silence pendant quatre ans. Le reste du jour, s'il était dans une ville grecque et si les rites observés en cet endroit lui étaient connus, il s'entretenait sur les dieux avec les prêtres rassemblés, et reprenait ceux des sacrificateurs qui s'écartaient de la tradition. Lorsqu'il se trouvait dans une ville barbare, qui avait ses coutumes particulières, il s'informait de l'origine et de la raison de ces rites et se faisait instruire de la manière de les pratiquer; s'il lui venait à l'esprit quelque chose de mieux que ce qui se faisait, il le disait nettement. Ensuite il revenait à ses disciples et les engageait à lui faire telles questions qu'ils voudraient. Après leur avoir donné la solution de tous leurs problèmes, il se mettait à enseigner la foule; ce qu'il ne faisait jamais avant midi précis. Lorsqu'il croyait avoir assez parlé, il se faisait oindre et frictionner par les parfumeurs, puis se baignait dans l'eau froide, car il avait pour maxime que les bains chauds sont la vieillesse des hommes 2. Ses disciples l'avaient suivi jusque-là avec assez de zèle, mais il leur annonça un jour son projet de départ pour les Indes, dans le dessein, disait-il, « d'étudier la sagesse des brachmanes, ou hommes des forêts. » Leur fidélité ne résista pas à une telle épreuve; ils refusèrent de le suivre. «J'ai pris conseil des oracles, dit Apollonius. Puisque le courage vous manque, adieu : philosophez à votre aise. Pour moi je vais où la divinité m'appelle. » Il partit donc, accompagné de deux serviteurs, l'un sténo-graphe, l'autre rédacteur habile 3. Arrivé à Ninive, l'antique cité,

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1. Philostrat., Apollon, vita, lit). 1, cap. xv. — 2. ld., ibid., cap. xvi. — 3. ibid., cap. xvni.

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il vit une statue représentant une femme barbare. Apollonius y reconnut une image d'Io, fille d'Inachus. Il fit part de cette décou-verte aux prêtres du lieu qui n'y comprenaient rien, mais son interprétation archéologique séduisit un citoyen de Ninive, nommé Damis, qui, dans son enthousiasme pour Apollonius, s'offrit à l'accompagner dans son voyage aux Indes. « Je sais, lui dit-il, le nom de toutes les villes et de tous les villages que nous aurons à traverser; les langues des Arméniens, Mèdes, Perses et Cadusiens me sont familières. Je pourrai donc vous être utile. — Mon ami, répondit Apollonius, je sais toutes les langues, sans en avoir appris aucune. —A ces mots, Damis fut saisi d'un respect religieux et considéra Apollonius comme un dieu 1. Le maître et le disciple, désormais inséparables, entrèrent en Mésopotamie. Apollonius ré-pondit au percepteur des péages, sur le pont de l'Euphrate, qui lui demandait à visiter ses bagages : « J'apporte la continence, la justice, la force, la tempérance, la bravoure et la patience2 . » En cette compagnie, que le péager ne trouva pas sans doute fort redoutable, il arriva aux frontières de la Babylonie, gardées par un des satrapes eunuques qu'on nomme les yeux du roi. Qui t'a envoyé, vers nous? lui demanda le magistrat, qui le prenait pour un démon, tant il lui trouvait la face exténuée. — Je viens ici de moi-même. Je veux voir si, malgré vous, on peut faire de vous des hommes. — Qui es-tu? reprit le satrape. — Je suis Apollonius de Tyane. — Homme divin, s'écria le gouverneur, ta réputation nous est depuis longtemps connue. Le roi Vardane, mon maître, céderait même son trône d'or à un sage tel que toi3. — Ainsi accueilli, Apollonius franchit la frontière. Il rencontra, à vingt stades plus loin, une lionne de taille gigantesque que des chasseurs venaient d'abattre à coups de flèches. L'animal fut dépecé par les habitants, on lui trouva huit lionceaux dans le corps. Apollonius, savant dans l'art des présages, dit à ses compagnons : « Notre séjour chez le roi de Babylone sera d'un an et huit mois. Il ne nous laissera point partir plus tôt. Le nombre des lionceaux me fait conjecturer celui des mois et la lionne

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1 Philostrat., Apollon, viia, lib. I,  cap. xix. — s Id., ibid., cap. xx. — 8 Id., ibid.,  cap. xxi.

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représente l'année. Il faut comparer le complet au complet1.—Quelques jours après, les voyageurs arrivaient à Babylone. Les murailles de cette ville avaient quatre cent quatre-vingts stades de tour, un plèthre 2 et demi de hauteur, et un demi-plèthre d'épaisseur. L'Euphrate la traverse et la coupe en deux parties à peu près égales. Sous le lit du fleuve, une galerie souterraine fait communiquer secrètement les habitations royales bâties sur les deux rives. Apollonius fut reçu dans une salle, dont la voûte, en forme de dôme, était entièrement construite de saphirs 2. Il eut de longs entretiens avec les mages, qui lui apprirent, dit-il, de merveilleux secrets 4. Admis à l'audience du roi, au moment où ce prince allait sacrifier au soleil un cheval blanc, il fut invité à prendre part à la cérémonie. « Grand roi, dit Apollonius, vous pourrez sacrifier à votre manière, mais permettez-moi de sacrifier à la mienne. — Et prenant de l'encens, il le jeta sur les charbons, en disant : Soleil, accompagnez-moi aussi loin qu'il vous conviendra et que je le désirerai. Faites-moi la grâce de connaître les bons, de ne pas connaître les méchants et de n'en être pas connu 5. » Le roi de Babylone, heureusement pour Apollonius, savait le grec; ils purent donc converser à l'aise. Le roi montrait à l'étranger ses trésors : «  Ce sont là pour vous des richesses, dit Apollonius; pour moi c'est de la paille. — Que dois-je en faire, dit le prince, pour les employer à un bon usage? — Les dépenser, car vous êtes roi6. » — Une autre fois, le roi lui demanda le moyen d'affermir et d'assurer son pouvoir. C'est, ré- pondit-il, d'honorer beaucoup de vos serviteurs et de n'avoir confiance qu'en un petit nombre 7. — Le roi lui montrait un jour la galerie souterraine de l'Euphrate et lui demandait : Que pensez-vous de cette merveille? — Pour réprimer le faste de ces paroles, Apollonius répondit : La vraie merveille serait si vous pouviez traverser à pied un fleuve aussi profond et aussi peu guéable que celui-ci. — Et comme le roi lui vantait les murailles d'Ecbatane et

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1 Fhi\ostra.t., Apollon. vita,l\b. I, cap. xxu. — 2. Le plèthre correspond à 31 mètres,le stade à 1 hectomètre et 85 mètres. — 3 Philostrat., Apollon, vita, lib. I, cap. xxv. — 4. ld., ikid., cap. xxvi. — 5. Id., ibid., cap. xxxi. — 6. ld., ibid., cap. xxxix. — 7 ld., ibid., cap. xxxvm.

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disait : C'est une demeure de dieux. — De dieux, je le nie, s'écria Apollonius; d'hommes, je ne le crois pas. Les Lacédémoniens n'ont pas de murailles à leur ville1. — Cependant Apollonius ne perdait pas de vue son voyage aux Indes. Il disait à Damis : Partons pour le pays des brachmanes. Les voyageurs qui abor-daient chez les Lotophages, oubliaient leur patrie et le reste du monde. Nous aussi, bien que cette terre ne produise rien de semblable, nous nous y arrêtons plus qu'il ne faut. — Volontiers, dit Damis, mais j'attendais que le temps fixé par le présage de la lionne fût accompli. Or il n'y a encore qu'un an et quatre mois que nous sommes à Babylone. — Sois tranquille, le roi ne nous laissera pas partir avant que le huitième mois soit écoulé. Tu vois comme il est bon, et comme il mériterait mieux que de régner sur des barbares. — Le jour du départ arriva enfin et Apollonius fit grâce au monarque d'accepter un guide et des chameaux pour le conduire 2.

 

   22. L'animal que montait le sage avait des rênes dorées, comme pour une escorte royale, en sorte que les voyageurs furent partout accueillis avec les honneurs officiels 3. En traversant le Caucase, ils virent des hommes qui avaient cinq coudées de haut4. Ce qui les surprit davantage fut la rencontre d'une empuse qui leur apparut par un clair de lune superbe, et qui prenait sous leurs yeux tantôt une forme, tantôt une autre. Apollonius que rien n'effrayait ordonna à ses compagnons de charger le monstre d'imprécations. Il le fit lui-même et le fantôme s'enfuit, en poussant des cris aigus 5. Sur le mont Nysa, ils trouvèrent l'enceinte sacrée que Bacchus traça lui-même et qui se compose de lauriers rangés en cercle 6. En approchant de l'Indus, ils virent un enfant de treize ans environ, monté sur un éléphant qu'il accablait de coups. Damis admira le courage de l'enfant, Apollonius la docilité de l'animal7. Leur con-

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1 Philostrat., Apollon, vita, lib. I, cap. xxxix. — 2.Id., ibid., cap. xl, xu. —3 Id., ibid., lib. II, cap. i. —4. Id., ibid., cap. iv. Il s'agit ici de la Coudée royale philétrrienne, qui valait 0,720 millimètres. Des hommes de cinq coudées avaient donc 3 mètres 60 centimètres de haut. Un pareil phénomène méritait bien d'être; mentionné. — 5.., ibid. — 6. Id., ibid., cap. vm. — 7. Id., ibid., cap. xi.

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versation fut interrompue par l'arrivée d'une troupe d'éléphants, parmi lesquels ils distinguèrent celui qui portait le roi Porus à la bataille de l'Hydaspe. Il avait au cou une inscription grecque ainsi conçue : Alexandre, fils de Jupiter, consacre Ajax au soleil 1. Damis eut tout le temps de s'extasier sur la longévité des éléphants pendant qu'Apollonius lui apprenait que ces animaux ont parmi eux des médecins qui pansent les plaies de leurs frères, et connaissent mieux que Dioscore les propriétés curatives des simples 2. Nos voyageurs traversèrent sans encombre le fleuve Indus, malgré les crocodiles et les hippopotames qui se jouaient dans ses ondes3. Arrivés à Taxiles, le roi fit avertir Apollonius, par un interprète, qu'il lui donnerait pendant trois jours l'hospitalité dans son palais. Ce roi indien se nommait Phraote. Il ne se servait d'ailleurs d'un interprète que par fantaisie, car il savait parfaitement le grec et s'exprima dans cette langue avec Apollonius. Pourquoi, lui demanda ce dernier, vous être servi tout d'abord d'un intermédiaire pour me parler? — C'est, dit le roi, que je ne voulais point vous paraître présomptueux. J'aurais pu d'ailleurs être accusé de me méconnaître et d'oublier que la fortune m'a fait barbare. — Apollonius rassura le monarque timide, en reçut mille compliments, et Damis craignit un instant que le roi indien ne fût plus sage que son maître, d'autant qu'Apollonius avait entrepris de démontrer la supériorité des buveurs d'eau sur ceux qui boivent du vin. Après trois jours d'une réception splendide, le prince remit à Apollonius des lettres de recommandation pour Iarchas, le chef des brachmanes.  Il lui  donna  un chameau et un guide et lui offrit de l'or, des pierres précieuses, des vêtements de pourpre et de riches tissus. Apollonius refusa l'or, disant qu'il avait assez de celui que Vardane, à son insu, avait donné au guide. Il accepta les vêtements dont la forme lui parut se rapprocher de l'habillement des anciens, choisit une des pierres précieuses dans laquelle il reconnut sans doute quelque vertu secrète et divine, car en la prenant il dit : 0 pierre rare! Par quelle bonne fortune et par

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1. Philostrat., Apollon, vita, lib. II, cap. xn. — 2. Id., ibid., cap. xvi. —  3. Id. ibid., cap. xil.

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p47 CHAP.   IV.   —  ArOLLUNIl'S   l'K   HANE.                             

 

quelle faveur des dieux je te trouve ici! —Damis ne crut pas devoir se montrer plus difficile que son maître : il ne dédaigna pas les diamants qu'on mit à sa disposition 1.

 

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