p399
LE DON DE LA SAGESSE
------
------- il est nécessaire de poser la question: qu'est‑ce donc au juste que la sagesse ? Et que veut‑on dire quand on la caractérise comme un « don du Saint‑Esprit »? A ce sujet, il faut d'abord répondre que le mot «sagesse » possède une longue histoire. Il s'est identifié au combat que l'homme mène au cours des siècles contre lui‑même et pour sa propre conquête, pour la véritable réalisation de l'être humain, et il nous met pour ainsi dire en contact avec la lutte de l'homme pour atteindre sa propre identité. C'est pourquoi son contenu ne peut être compris que si l'on a sous les yeux pour le moins quelques grandes lignes de cette lutte historique. Dans l'Ancien Testament comme dans tout le proche Orient ainsi que dans le monde grec primitif, la sagesse signifie d'abord quelque chose comme capacité et dextérité. Elle désigne l'habileté de l'artisan qui connait son affaire ; elle vise avant tout la capacité de jugement, le coup d'oeil, l'adresse avec laquelle un homme arrive à s'en sortir, est capable de dire et de faire ce qui convient au moment convenable. La sagesse, dans cette conception ini-
==================================
p400
tiale, est l'attribut du succès. On prend conscience qu'une telle sagesse, en tant qu'elle est une qualité de nature spirituelle, a plus de valeur que la simple force physique, incapable de fonder de façon durable la supériorité de l'homme530.
----------------
----------- Dans le domaine de l'Ancien Testament, on reconnaît une étape décisive du passage à de nouvelles conceptions dans Isaïe 11, 1‑5, c'est‑à‑dire dans le texte prophétique sur lequel repose la tradition chrétienne des sept dons du Saint‑Esprit531. Le prophète avait d'abord menacé du jugement de Dieu le royaume davidique en décomposition comme un bûcheron s'attaquant aux arbres avec sa hache, ainsi devait faire Dieu à l'égard du Royaume de David. Mais au‑delà de la chute d'une monarchie basée sur la puissance et le succès, le prophète voit venir un nouveau souverain envoyé par Dieu lui‑même. Il surgira comme un rejeton sorti de la souche de Jessé, et sur lui reposera l'Esprit de Dieu : esprit de sagesse et d'intelligence, esprit de conseil et de force, esprit de science et de crainte de Dieu.
Le mot de sagesse devient donc ici l'expression par laquelle le prophète cherche à décrire ce qui est propre à l'Esprit de Dieu et qui le différencie de la spiritualité humaine. Placé comme une accolade devant les six ou sept expressions particulières, il doit être d'un bout à l'autre maintenu devant les yeux. Ce qui sera déterminant chez le nouveau roi, c'est qu'il n'agira pas tout simplement dans son propre intérêt et en son propre nom, comme le font les monarques absolus de tous les temps. Il n'agit pas pour lui et en vue de son propre succès, mais il se tient dans le domaine des sentiments de Dieu. L'agir en rectitude, vraiment royal, naît lorsque l'homme est d'abord un “recevant”, lorsqu'il se laisse associer aux sentiments de Dieu devant lesquels il doit s'effacer, lui et sa volonté personnelle.
------
==================================
p401
----------- La sagesse du roi se montrera dans le fait qu'il garantira le droit des pauvres et des nécessiteux. Sa sagesse est intégrité, elle donne force au droit, aussi et surtout quand lui manque la force extérieure532. Elle ne se montre d'ailleurs pas inférieure quand elle punit un coupable et se dresse avec rigueur contre l'injustice533. La sagesse est donc encore ici une facilité à juger, mais comprise à présent de façon plus radicale: elle est une participation au pouvoir que Dieu a de voir les choses et d'en décider selon ce qu'elles sont en réalité. Dieu se manifeste comme Dieu par la conformité de ses jugements à la vérité; comme Dieu il voit les choses sans accommodation, telles qu'elles sont, et distribue à chacun selon sa vérité. La sagesse est participation à cette capacité qui est en Dieu de voir les choses en référence à la vérité.
---------
-------- elle comporte aussi cette pureté du Je sans laquelle l'homme ne peut être intègre. --------ce n'est qu'en se laissant purifier par l'intégrité du Je, et en prenant ainsi peu à peu l'habitude de vivre de Dieu, de se tenir en union avec Lui, qu'on arrive à la véritable liberté intérieure du jugement, à une indépendance intrépide de la pensée et des décisions, sans se soucier désormais de l'approbation ou du mécontentement des autres, mais en s'en tenant à la vérité seule. --