Darras tome 10 p. 557
§ IV. Maxime et les Priscillianistes.
23. De Trêves, où il avait réussi à établir sa puissance, Maxime suivait attentivement les démarches de Justina. Autant celle-ci montrait d'acharnement à persécuter l'Eglise, autant il affectait de zèle pour la défendre. Porté sur le trône par l'influence païenne
==========================================
p558 PONTIFICAT DE SAINT SIRICICS (3S3-398).
des sénateurs romains, il avait rompu avec ces premiers antécédents, non point par le fait d'une conviction sincère, mais uniquement par calcul politique. Le partage de l'Occident, consenti à l'amiable entre Valentinien et lui, laissait au premier le gouvernement de Rome. Peu importait dès lors à Maxime que le parti païen du Capitole fût ou non satisfait. Les Gaules et l'Espagne sur lesquelles il régnait étaient sincèrement catholiques. Il voulut leur plaire en se montrant lui-même orthodose fervent. Une circonstance particulière s'offrit bientôt de prouver son zèle pour l'orthodoxie, et il la saisit avidement. Un espagnol, simple laïque, Priscillien, disciple du sectaire égyptien Marc de Memphis, avait introduit dans la péninsule Ibérique les erreurs et les rêveries du Manichéisme. Comme système religieux ou philosophique proprement dit, Priscillien n'avait rien inventé de nouveau. Il s'en tint fort exactement au Manichéisme oriental, avec ses deux principes coéterneîs, ses généalogies de divinités bonnes et mauvaises empruntées au gnosticisme, ses observances astrologiques, son démiurge inférieur, ses mystérieuses initiations, ses assemblées où la purification de l'âme s'achetait par la débauche, enfin cette fameuse loi du secret qui autorisait le mensonge pour couvrir l'infamie, et dont saint Augustin nous a conservé la formule :
Jura, perjura, secretum prodere noli.
Les ravages de cette doctrine ténébreuse, véritable société secrète dirigée également contre les deux pouvoirs religieux et civil, avaient été tels en Egypte et en Syrie, depuis une vingtaine d'années, que Théodose, en 382, avait enjoint par un décret spécial au préfet du prétoire d'Orient d'établir des inquisiteurs pour la recherche et la poursuite de ces sectaires. C'est la première fois que le nom d'inquisiteurs (inquisitores), destiné dans l'avenir à un tel retentissement, nous apparaît dans l'histoire. L'invasion du Manichéisme en Espagne souleva un cri d'horreur au sein des catholiques. On se racontait avec effroi les profanations épouvantables commises par les disciples de Priscillien. Sous pré-
===========================================
p559 CHAP. V. — MAXIME ET LES PrtISCILLIANISTES.
texte que la chair, création des génies du mal, était chose immonde, ils ne voulaient pas consumer la sainte Eucharistie, de peur de s'incorporer la chair de Jésus-Christ. Profitant de l'usage établi alors dans les églises, ils recevaient comme les autres sur un linge blanc (corporal) qu'ils tenaient à la main, les espèces consacrées remises par le diacre : mais au lieu de les porter à leur bouche et de se communier eux-mêmes, ils emportaient l'auguste sacrement qu'ils jetaient ensuite en pâture aux animaux. Malgré ces abominations, ou peut-être en raison même de leur infamies, car il est des natures perverses pour lesquelles la monstruosité dans le crime est un attrait de plus, Priscillien réussit à enrôler dans la secte deux évêques, Instantius et Salvien, dont les sièges ne nous sont point connus; un laïque de distinction, Elpidius, et un certain nombre d'autres adhérents vulgaires. Hyginus, évêque de Corduba (Cordoue), fut le premier à dénoncer les progrès de cette ligue pernicieuse. II en avertit le métropolitain de la province Lusitanienne, Idacius, évêque de Mérida : des mesures furent aussitôt prises pour combattre les nouveaux hérétique? Un concile se réunit, en 380, à Caesar-Augusta (Saragosse), sous la présidence de saint Phœbadius, évêque d'Agen, auquel son grand âge et sa vertu firent décerner unanimement cet honneur. L'illustre vieillard était venu à Saragosse avec son ami saint Delphinus (Del-phin), de Burdigala (Bordeaux). Quelques auteurs prétendent que saint Martin de Tours s'était rendu aussi à ce synode ; mais Sulpice Sévère semble insinuer le contraire. Quoi qu'il en soit, la réunion composée seulement de douze évêques, condamna solennellement les erreurs manichéennes et déposa Instantius et Salvien. Parmi les prélats espagnols qui montrèrent en cette circonstance le plus de zèle, on distingua Ithacius, évêque de Sossuba, siège aujourd'hui transféré à Sylves, dans les Algarves. Il devait être, avec Idacius de Mérida, le plus violent adversaire des Priscillianistes. L'anathème prononcé contre ces derniers à Saragosse ne fit que redoubler l'animosité des sectaires. Instantius et Salvien,
--------------------
1.S. Augustin, Ilares. LSS : Epist. CCXXXVII.
==========================================
p560 PONTIFICAT DE SAIST SIR1CIUS (383-308).
loin de se soumettre à la juste censure qu'ils venaient d'encourir, sacrèrent Priscillien en qualité d'évêque d'Avila.
24. Cette audacieuse usurpation donna un nouveau crédit à la secte. Les troubles qui surgirent, à cette occasion, dans les églises d’ Espagne, appelèrent l’attention de l’empereur Gratien qui régnait alors. Un édit de ce prince enjoignit aux chefs de la secte d’avoir à quitter sur-le-champ la péninsule Ibérique. Les trois évêques acceptèrent, avec une sorte de solennité dédaigneuse, le décret qui les condamnait à l'exil. Ils déclarèrent qu'ils allaient quitter l'Espagne, mais qu'ils en appelaient de l'empereur au pape et qu'ils se rendaient à Rome où leur innocence serait bientôt reconnue et proclamée à la face de l'univers. Cependant ils n'étaient pas si pressés qu'ils semblaient le paraître. A leur arrivée dans les Gaules, ils parcoururent toute la province d'Aquitaine, non en voyageurs mais en propagandistes zélés, abusant les peuples et semant partout les germes de leur détestable doctrine. La ville épiscopale d'Elusa (Eause) fut presque tout entière pervertie par eux. Saint Delphinus, à Bordeaux, eut assez d'influence pour leur faire interdire l'entrée de la cité; mais ils se répandirent dans les riches villas du voisinage et recrutèrent parmi les familles patriciennes un certain nombre d'adhérents. Leur plus illustre conquête fut celle d'une veuve opulente, nommée Euchrotia, qui mit à leur disposition son crédit et sa fortune. Après tous ces délais, ils se rendirent à Rome et y arrivèrent au moment où éclatait la révolution qui coûta la vie à l'empereur Gratien. Le pape Damase refusa de leur accorder une audience ; saint Siricius, son successeur, fit de même. La condamnation canonique du concile de Saragosse devait, selon ces deux illustres pontifes, suffire pour éclairer les sectaires. Priscillien n'insista pas davantage. Salvien, l'un de ses compagnons, ayant été enlevé par une fièvre soudaine, il se décida avec lnstantius à reprendre le chemin de l'Espagne. La mort de Gratien leur faisait espérer que le décret d'exil porté contre eux par ce prince ne les atteindrait plus. Ils retournèrent donc dans leur patrie et recommencèrent à dogmatiser comme auparavant.
===========================================
p561 CHAP. V. — MAXIME ET LES PRISCIIXIANISTES.
33. Telle était la situation lorsque Maxime arriva au pouvoir. La parvenu impérial n'avait garde de manquer une circonstance si favorable pour déployer en faveur du catholicisme son zèle de fraîche date. Ithacius lui avait adressé une requête pour le supplier de mettre un terme au scandale donné par les Priscillianistes. Maxime s'empressa d'y faire droit. Par ses soins, un concile dut se réunir à Burdigala, pour examiner de nouveau l'affaire. L'assemblée eut lieu. Priscillien et Instantius y comparurent. La préfet des Gaules et le vicarius d'Espagne avaient reçu l'ordre d'y amener en outre les principaux laïques affiliés à la secte. Le synode renouvela les anathèmes de Saragosse. Mais Priscillien, qui deux ans auparavant en avait appelé de l'empereur au pape, interjeta cette fois son appel du concile à l'empereur. Idacius de Mérida et Ithacius de Sossuba eurent le tort de recevoir cet appel anticanonique. Ils se rendirent à Trêves, en même temps que Priscillien et Instantius. Maxime était au comble de la joie de voir son tribunal ainsi reconnu par les deux partis. La tache sanglante de son usurpation disparaissait en quelque sorte devant cet hommage rendu à son pouvoir.
26. Il avait précisément alors à sa cour l'illustre thaumaturge saint Martin, qui venait demander la grâce des comtes Narsès et Leucadiuf, condamnés à mort pour leur attachement à la cause du malheureux empereur Gratien. A son arrivée à Trêves, Maxime l'avait fait inviter à se rendre sur-le-champ au palais et à s'asseoir à sa table. « Non, répondit le saint. Je ne mangerai pas le pain de l'hospitalité avec un homme qui a fait tuer son maître pour prendre sa couronne ! » — Cette réponse fut transmise à l'usurpateur. Loin de s'en irriter, Maxime vint en personne trouver l'évêque et entreprit de se justifier à ses yeux. « Si j'ai pris la couronne, disait-il, ce fut contre mon gré, pour obéir à la volonté de l'armée et pour prévenir les désordres qu'une révolution aurait faire éclater. Mes mains sont innocentes du sang de Gratien. Ce n'est pas moi qui ai donné l'ordre de tuer ce malheureux prince. Tout s'est accompli avec une rapidité et une spontanéité qui défiaient la prévoyance humaine. La promptitude même de ma victoire et la
============================================
p562 rOXTIFICAT DE SAINT SIRICIUS (385-398).
paix qui en fut la suite sont les meilleures preuves de l'intervention divine dans ces graves événements. » —Il pouvait y avoir dans tout cela un fond de vérité. Saint Martin, sans se prononcer sur la question politique, crut devoir passer par-dessus ses scrupules personnels, et répondit au souverain qu'il accepterait l'invitation. Ce fut pour Maxime un véritable triomphe. Les principaux personnages de la cour furent conviés au festin. Le saint évêque, placé à la droite de l'empereur, avait près de lui le comte Marcellin, frère de Maxime, celui-là même que saint Ambroise avait ramené à Trêves lors de sa précédente ambassade. Vers le milieu du repas, on présenta selon la coutume la coupe de l'hospitalité à l'empereur. Mais il fit signe qu'on l'offrît d'abord au saint évêque, «s'honorant, disait-il, de la recevoir ensuite de sa main. » Saint Martin y porta donc le premier les lèvres, mais, après avoir bu, au lieu de passer la coupe à l'amphytrion couronné, il la tendit à un prêtre qui se trouvait parmi les convives. « Nul ne s'étonnera, dit-il, qu'un évêque fasse cet honneur au sacerdoce de Jésus-Christ! » — Maxime se montra fort édifié de cette démarche et de cette parole. A l'exemple du prince, les courtisans témoignèrent leur admiration pour l'indépendance tout apostolique de l'homme de Dieu. « Il a osé, disaient-ils, à la table de l'empereur, ce que nul autre évêque n'eût essayé à celle du moindre magistrat! » L'impératrice surtout professait pour le grand thaumaturge un respect sans bornes et une dévotion véritable. Elle ne pouvait se lasser de l'entendre discourir des choses du ciel. Elle s'asseyait à ses pieds pendant qu'il parlait, et comme la femme de l'Évangile, elle arrosait ses pieds de larmes, les essuyant avec ses cheveux. Son plus vif désir eût été que Martin consentît à accepter chez elle un repas. Mais le saint évêque s'était imposé la loi de ne jamais manger en compagnie des femmes. L'impératrice le supplia de faire en sa faveur une exception à cette règle. Maxime lui-même joignit ses instances à celles de l'impératrice. L'homme de Dieu céda encore. « La pieuse princesse, dit Sulpice-Sévère, voulut avoir seule l'honneur de servir le bienheureux Martin : elle ne permit à aucun de ses officiers ni à aucune de ses femmes de le partager avec elle. Les mets simples qu'elle voulut lui
============================================
p563 CHAP. V. MAXIME ET LES PMSCILLIANISTES.
offrir avaient été apprêtés par ses mains. Quand le saint se présenta, elle lui donna elle-même à laver. Il se mit à table; mais elle se tint debout et le servit, accomplissant ainsi le double rôle de Marie et de Marthe, dont l'une écoutait et l'autre servait le Seigneur. Après le repas, elle recueillit soigneusement le pain auquel l'homme de Dieu avait touché, et le conserva comme une relique précieuse. »
27. Il faut convenir que, légitime ou non, l'impératrice de Tréves en agissait mieux avec saint Martin que celle de Milan avec saint Ambroise. Le thaumaturge des Gaules assista au premier acte du procès qui s'instruisait contre les Priscillianistes, devant le tribunal dn préfet du prétoire, Evodius, chargé par Maxime de suivre cette cause importante. Sulpice-Sévère accompagnait saint Martin dans ce voyage ; il fut donc témoin oculaire des faits qu'il raconte. Nous lui laissons la parole. « Ce fut, à mon sens, une grave erreur, dit-il, de la part des évêques d'Aquitaine, d'admettre le recours à l'empereur interjeté par les Priscillianistes. Ils devaient formuler eux-mêmes la sentence définitive, ou du moins, s'ils craignaient que les sectaires ne récusassent leur juridiction, ils auraient dû renvoyer l'examen à d'autres évêques. Mais en aucune façon ils ne pouvaient admettre, en matière ecclésiastique, le recours à l'empereur. Quoi qu'il en soit, appel et recours furent admis. Priscillien et Instantius furent conduits à Trêves; Idacius et Ithacius leurs accusateurs les y suivirent. Je ne blâmerais pas le zèle de ces deux évêques pour la condamnation des hérétiques, s'ils n'eussent apporté à ce débat une ardeur excessive, où la question d'amour-propre personnel joua un trop grand rôle. Mais, à mon gré, accusés et accusateurs étaient ici souverainement méprisables. Ithacius, j'ose le dire, n'avait aucune espèce de gravité ni de sainteté. Audacieux, bavard, impudent, dépensier, il aimait deux choses : la table et les plaisirs. Stupidement ignorant, il enveloppait l'étude, l'abstinence et le jeûne dans l'anathème dont il frappait les crimes de Priscillien. Il eut l'audace d'accuser d'hérésie Martin lui-même, cet homme apostolique, qu'il rencontra, alors à Trêves. C'est que Martin ne cessait de lui reprocher son intervention dans la procédure civile. L'homme de Dieu supp-
==========================================
p564 PONTIHCAT DE SAIKT SIRICIUS (385-398).
pliait en même temps Maxime de ne pas infliger la peine capitale aux accusés. Il suffit, disait-il, que les hérétiques condamnés par la sentence des évêques, soient chassés de l'Église. C'est un attentat inouï de voir le juge séculier prononcer dans une cause ecclésiastique 1. » — « En réalité, tant que Martin demeura à Trêves, la sentence ne fut point prononcée. Avant de quitter cette ville, l'homme de Dieu fit encore une fois promettre à l'empereur de ne pas sanctionner la peine capitale contre les accusés. Mais après son départ, Maxime, sollicité en sens contraire par les évêques Magnus et Rufus, permit au préfet du prétoire Evodius de poursuivre l'examen de la cause. Evodius était, par caractère, enclin à la rigueur et à la sévérité. Interrogé par lui, en deux séances consécutives, Priscillien fut convaincu de divers crimes. Il avoua lui-même les obscénités de la secte, les désordres qui se commettaient dans les réunions nocturnes; enfin il confessa qu'une des pratiques de leurs conciliabules était de se mettre dans un état complet de nudité pour la prière publique. Après de tels aveux, Priscillien fut incarcéré. Le préfet adressa son rapport à l'empereur, auquel il appartenait de prononcer en dernier ressort. Maxime, après avoir pris connaissance de l'affaire, déclara qu'il y avait lieu d'instruire contre Priscillien et ses complices un procès criminel. Le résultat devait être une sentence de mort. Quand les affaires eurent pris cette tournure, Ithacius comprit enfin qu'il déshonorerait pour jamais son caractère épiscopal, s'il continuait
---------------
1 Snmque tum Martinus a/xid Treviros constitutus, non dtsinebat increpnre Ithnau'i tit nb accusatione desisteret ; Maximum orare ut sanguine infelicium absti-neret ; satis iu;errjue sufficere ut episcopali sententiâ hœretici judicati e clesujlleientur ; novum esse et innuditum nefas causai» Ecclesiœ jndex sœculi judica re (Sulpit. Sever., Histor. Sacra, lin. Il, cap. Lj Hn: lot., lora XX, col. 158).
Nous avons voulu citer intégralement ce texte pour rendre plus saillante la mauvaise foi des rationalistes modernes, qui interprétent la parole de saint Martin dans le sens que le juge séculier n'aurait pas le droit, après une condamnation eeclésiasliqne, de sévir contre des sectaires troublant l'ordre et la sécurité générale. Ce dont se plaint saint Marlin, c'est qu'on n'ait pas laissé Priscillien à ses juges légitimes, les évêques, et qn'on aît porté au prétoire impérial une sentence ecclésiastique. En un mot, saint Martin revendiquait les droits et l'indépendance du for ecclésiastiane : rien de plus, rien de moins.
============================================
p565 CHAP. V. — MAXIME ET LES PBISCIU.IAXISTES.
à intervenir dans les nouvelles délibérations. Il se retira donc : mais il était trop tard. Un laïque, Patricius, trésorier du fisc, fut chargé par Maxime de remplir les fonctions d'accusateur qu'Ithacius venait d'abandonner. Sur son réquisitoire, Priscillien fut condamné à avoir la tête tranchée. Le diacre Aurelius; deux clercs apostats, Felicissimus et Armenius; deux laïques, Latronianus et Asarinus, ainsi que la veuve Euchrotia de Bordeaux, eurent le même sort. L'évêque Instantius avec Tiberianus furent déportés dans l'île Sillina (l'une des Sorlingues), au delà de la Grande-Bretagne. Trois autres accusés, Tertullus, Potamius et Jean durent à leur condition servile la grâce qui leur fut faite. On les condamna seulement à un exil temporaire dans l'intérieur des Gaules. Ainsi finirent, par le glaive ou le bannissement, ces sectaires vraiment indignes de vivre, dont la doctrine et la conduite étaient aussi infâmes que dangereuses. Mais leur condamnation n'en fut pas moins un précédent détestable. Ithacius qui en avait assumé la responsabilité, succomba sous le discrédit de l'opinion et fut chassé de son siège. Idacius son complice, se fit justice à lui-même et se démit volontairement : sage et noble conduite qu'il désavoua malheureusement depuis, en faisant d'inutiles efforts pour revenir sur sa première détermination. Du reste, la mort de Priscillien, loin d'étouffer son hérésie, lui donna un nouveau lustre. Ses adhérents, après l'avoir vénéré comme un saint durant sa vie, l'invoquèrent après son supplice comme un martyr. On transporta en Espagne les ossements des condamnés, comme des reliques précieuses; des funérailles magnifiques leur furent faites. Jurer par Priscillien, devint parmi la secte un serment aussi sacré que celui des évangiles 1. » — On a voulu voir dans ce récit de Sulpice-Sévère la condamnation en principe, par saint Martin, de toute répression pénale, autre que celle dite canonique, contre les hérésiarques et leurs fauteurs. Le meilleur moyen de réfuter cette interprétation erronée était de reproduire intégralement le texte de l'historien. L'équivoque disparaît à la simple lecture. Ce que Martin soutenait,
-------------------
1. Sulpit. Sev., Ibid., cap. l, ll
=============================================
p566 PONTIFICAT DE SAINT SIEICIOS (383-398).
c'était l'incompétence du juge séculier en matière de foi, et l'indépendance du for ecclésiastique vis-à-vis des empiétements du pouvoir civil. A ce compte, saint Martin pourra perdre les sympathies de nos rationalistes modernes, mais il n'en aura pas moins la gloire de s'être montré le défenseur intrépide de la vérité, de la justice et de la saine raison.