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Darras tome 33 p. 566

 

141. Un fait non moins certain, c'est que les Sociniens dérivent des Luthériens. Luther, pour nous servir d'une expression d'Erasme, Luther a pondu l'œuf, Socin l'a couvé et en a tiré sa doctrine anti-trinitaire. L'origine est certaine, visible, incontes­table, bien que contestée par les Luthériens qui ne peuvent accep­ter d'être les pères de ces fils de perdition. Il y a toutefois entre les deux sectes des différences caractéristiques et même une opposition manifeste. « Les Sociniens, dit Cantu, comme les disciples de Lu­ther, se proclamaient les restaurateurs du Christianisme primitif, par cela seul, qu'ils prenaient la Sainte-Ecriture pour unique règle

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1 Cf. Deschamps, Les Sociétés secrètes, t. III, p. 610 et passim.

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p567 CHAP.   XII.   —  LE  SOCINIANISME  ET  LA   FRANC-MAÇONNERIE.    

 

de foi et pour mesure de leurs actions. Luther, en éliminant de la Bible ce qui n'était pas de son goût, conserva les dogmes de la Tri­nité, du péché originel, de l'incarnation et de la divinité de Jésus-Christ, le baptême et une sorte d'Eucharistie. Socin supprima tout. Le Luthéranisme avait donné la prépondérance à l'élément divin, le socinianisme à l'élément humain. Luthériens et réformés exagé­rèrent le dogme du péché héréditaire, les sociniens ne le recon­nurent pas. Suivant les uns, Dieu seul opère la justification, et l'homme reste un être entièrement passif; suivant les autres, l'homme seul est agissant, il s'élève et se perfectionne de lui-même, sans que Dieu fasse autre chose que de lui révéler sa doctrine. Pour les Protestants, le divin Sauveur est venu sur la terre afin de nous racheter par son sacrifice ; pour les Sociniens, c'est un homme qui a été envoyé sur la terre afin de donner aux hommes une nouvelle doctrine, et de leur montrer en sa personne le modèle à imiter. Les Protestants, se fiant entièrement en la Grâce, méprisent la raison : les Sociniens proclament que la raison et ses droits sont au-dessus de tout mystère, et qu'elle est seule compétente pour éclaircir les nuages épais qui enveloppent les saintes Ecritures. Les Protestants (dit Gioberti) ont puisé dans les ouvrages des païens les acces­soires et l'éloquence : les Sociniens en ont renouvelé substantielle­ment les tendances, l'esprit et les doctrines. En rejetant le supra-intelligible idéal et révélé, ils obscurcissent l'intelligible à force de logique, ils lui enlèvent cette pureté et cette perfection qui sura­bondent dans les préceptes évangéliques; ils réduisent la sagesse du Christ aux étroites proportions de celle de Socrate et de Pla­ton : à l'idée lumineuse et pleine d'harmonie de la chrétienté ca­tholique, ils substituent l'idée boiteuse et nébuleuse de la philoso­phie païenne. Ils conservent seulement en apparence les vérités supra-rationnelles de la révélation pour établir une harmonie appa­rente entre l'aristocratie socinienne et la multitude, et pour former une doctrine exotérique à l'usage exclusif du vulgaire 1


   142. Telle était donc sous le pontificat de Paul III la situation

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1. Les Hérétiques d'Italie, t. III, p. 401.      .hivU.'n*<t

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p568      PONTIFICAT  DE  PAUL  III  (1534-1549).

 

générale de la chrétienté. La rivalité de François Ier et de Charles-Quint épuisait, à des disputes stériles, les forces des deux plus puissants états catholiques. Luther achevait en Allemagne sa car­rière de négations et de ruines ; ses adeptes, soutenus par la France, qui soutenait aussi les Turcs, tenaient en échec les forces de l'Empire. A Genève, Calvin, émule de Luther, organisait et ter­rorisait son pachalick, codifiait les doctrines protestantes et prépa­rait, pour les jeter en France, les feux de la guerre civile. En An­gleterre, Henri VIII, schismatique à force de libertinage et auto­crate au même titre, coupait des têtes, semait des divisions et s'essayait aussi à terroriser les consciences. Dans les pays du Nord, des despotes couronnés, tablant sur le libre examen, faisaient ce que faisaient partout les protestants, pillaient les églises, détrui­saient les monastères et s'adjugeaient, en récompense, les bénéfices de l'autocratie. Un peu partout les humanistes énervaient les moeurs et désertaient les traditions de l'esthétique chrétienne. En Italie, en Suisse, en Pologne, les Sociniens, venus après Luther et Calvin, comme les petits rongeurs suivent et lèchent les traces sanglantes du lion, poussaient à la négation fatale du dogme chré­tien et inauguraient, en se cachant, les ravages du rationalisme philosophique. La chrétienté est comme une mer agitée en même temps par vingt tempêtes. Le nautonnier, préposé au gouvernement de la barque du prince des Apôtres, devait s'orienter au milieu de ces orages. Personnellement habile de cette habileté qui procède de la foi et conduit à la grandeur, il savait ne rien laisser aux pas­sions et à l'erreur, de tout ce qu'il pouvait leur enlever par la di­plomatie. Mais homme d'Église avant tout et par dessus tout pon­tife, s'il savait se faire bravement représenter par ses nonces, il savait encore mieux soutenir la lutte en s'appuyant sur la force d'En Haut. A son appel, l'Inquisition jeta le filet sur la péninsule et fit fuir au loin tous ces sectaires masqués qui rongeaient les bases de sa constitution sociale et religieuse. A sa voix, Ignace et les Jé­suites, fortifiés par la plus explicite approbation du Saint-Siège, se placent, comme une troupe d'élite, aux avant-poste de la bataille et, par la savante stratégie de leurs cohortes, font reculer partout

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p569 CHAP. XII. — l'inquisition.     


l'ennemi. Sur sa convocation, le concile de Trente, représentant l'Église universelle, reprend toutes les questions obscurcies par le protestantisme, les environne de tout l'éclat de l'évidence et couvre de son anathème toutes les négations inconsidérées de la fausse réforme. C'est l'heure d'un grand combat ; les deux armées sont en présence ; la mêlée est générale. Paul III, du haut de son ob­servatoire romain, anime du regard les guerriers de la foi, soutient leur bravoure dans tous les échecs et les ramène à l'ennemi pour remporter la dernière victoire. Aucun spectacle ne peut donner, de la vertu magnifique des Pontifes Romains, une plus haute idée. Ce n'est pas la Jérusalem délivrée que chantait Le Tasse ; c'est la Rome délivrée qu'admire l'histoire. Léon X avait fait face à l'ennemi. Clément VII avait préparé le grand combat ; Paul III le livre, et bien que traversé par les circonstances contraires, il offre, par sa décision et ses succès, à la fois une parfaite entente des choses et une merveilleuse réussite. — Nous allons le voir, à la tête de ses troupes et moissonnant partout des lauriers.

 

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