Pélage 7

Darras tome 12 p. 381

 

12. La réponse de l'épiscopat africain au pape fut rédigée sous forme de lettre synodale, par un concile de deux cent quatorze évêques, tenu vers le mois de novembre 417. A l'unanimité des suffrages, cette imposante réunion avait adopté le canon suivant : « Nous déclarons que la sentence portée par l'évêque de Rome Innocent, de bienheureuse mémoire, contre Pélage et Cœlestius, subsistera dans toute sa rigueur jusqu'à ce qu'ils confessent nettement que la grâce de Jésus-Christ nous aide non-seulement pour connaître mais encore pour pratiquer la justice en chacune de nos actions, en sorte que, sans cette grâce, nous ne pouvons avoir, penser, dire ou faire rien qui appartienne à la véritable pieté. » Nous n'avons plus le texte même de la lettre synodale, dont saint Augustin nous fait d'ailleurs suffisamment connaître le sens général. Elle fut portée à Rome par Marcellinus, sous-diacre de l'Eglise de Carthage. Paulin de Milan profita de ce message pour s'excuser, près du pape Zozime, de ne pas se présenter à Rome afin d'y soutenir l'accusation que six ans auparavant il avait formulée à Carthage même contre l'hérésiarque. «Cœlestius, disait-il, a abandonné l'appel qu'il avait interjeté au saint-siège, en 411. Je n'ai plus d'intérêt particulier dans une affaire qui est devenue celle de toute l'Église. Permettez-moi donc seulement de rendre grâces à votre béatitude apostolique de la solennelle approbation que vous avez daigné accorder à ma doctrine, quand, dans l'interrogatoire de Cœlestius, vous avez prononcé cette parole : il ne s'agit point de mettre en doute l'orthodoxie du diacre Paulin; elle nous est assez

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1 S. August., Contra Episl. pelagkm. ad Bonifac. pap., lib. II, cop. nȔ Patr. lat., toui. XLIV, col. 574, 57a.

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p382 PONTincAT de saint zozime (411-41S).

 

connue. Condamnez-vous les propositions qu'il vous reproche d'avoir enseignées?—Tel est, en effet, seigneur et pape vénérable, le magnifique privilège de l'Église apostolique. Jamais la foi n'y peut être attaquée sans que les docteurs de mensonge ne soient découverts et punis, en sorte que leur mauvaise doctrine est aussitôt extirpée dans sa racine, s’ils la rétractent, et au contraire eux-mêmes tombent frappés du glaive spirituel, s'ils persistent dans l'erreur 1. »

 

13. Les évêques d'Afrique avaient pu craindre un instant que la bonne foi du souverain pontife n'eût été surprise par les hypocrites déclarations des deux hérésiarques. Leur lettre synodale exprimait respectueusement cette appréhension. Zozime s'empressa de les rassurer par le rescrit suivant : « La tradition de nos pères attribue au siège apostolique une autorité tellement absolue dans l'Eglise que nul n'a le droit de réformer son jugement. Cette règle canonique a toujours été observée ; la sainte antiquité non moins que la discipline actuelle sont unanimes à proclamer la puissance de l'apôtre Pierre, à qui Jésus-Christ Notre-Seigneur a conféré le privilège de lier ou de délier. Ce privilège appartient par droit d'héritage aux successeurs du prince des apôtres. Pierre continue toujours à porter la sollicitude de toutes les églises, mais il veille avec un soin particulier sur le siège de Rome qui est le sien propre; il ne souffre ni défaillance ni incorrection dans les jugements doctrinaux émanés de la chaire qu'il a honorée de son nom, et constituée sur des fondements inébranlables. Quiconque se heurte à cette pierre, s'y brisera. Tel est donc Pierre, le chef de la plus haute autorité qui soit ici-bas ! Les lois divines et humaines, la discipline ecclésiastique tout entière confirment ce pouvoir éclatant de l'Église romaine, à la tête de laquelle nous avons été établi, comme vous le savez, bien-aimés frères, dans la plénitude de l'autorité apostolique. Cependant malgré cette puissance suprême dont le dépôt est entre nos mains, nous n'avons pas voulu agir, dans l'affaire présente, sans prendre votre avis. Dans un sentiment de dilection vraiment fraternelle,  nous avons fait appel à votre

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1 Paulin. Mediol., Libellus ad Zozim. contra Cœlest.; Patr. lai., tom. cit., toi. 711 et seq.

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p383 CHAP.   III.   —  CONDAMNATION   DES   TLLAGIENS.    

 

conseil commun, non par ignorance de notre devoir ou par impuissance de l'accomplir en la forme la plus utile pour l'Église, mais parce qu'il s'agit d'un accusé qui a déjà comparu à votre tribunal, et qui se coustitue devant le nôtre pour y purger un appel antérieur, provoquant lui-même sa confrontation avec ses accusateurs, et anathématisant les erreurs qui lui étaient, dit-il, faussement reprochées. Dans une première lettre, nous vous avions exposé fort clairement cette situation et le sens exact de la requête de Cœlestius. La réponse que vous nous fîtes alors  nous donna lieu de croire que vous nous aviez parfaitement compris. Cependant en lisant avec une scrupuleuse attention les lettres que nous apporte Marcellinus, sous-diacre de Carthage, nous nous apercevons que vous avez interprété notre précédent rescrit dans le sens d'une approbation complète donnée à Cœlestius, et comme si nous avions ajouté une foi entière à chacune de ses paroles. Il n'en est rien. Des matières aussi graves ne se jugent pas légèrement. Votre fraternité saura donc que rien n'a été changé ni dans la décision doctrinale portée par notre saint prédécesseur, ni dans le jugement à intervenir sur la question de fait relative à Cœlestius et à Pélage. Donné le XII des calendes d'avril, sous le consulat XIIe d'Honorius Auguste (21 mars 418) 1. »

 

14. Cette lettre apostolique, où respirent à la fois la condescendance et la majesté du souverain pontificat, ne parvint à Carthage que le III des calendes de mai (29 avril)3. Dans l'intervalle, Zozime avait levé contre les sectaires le glaive spirituel dont il était armé pour la défense de la foi. La présence de Cœlestius à Rome et l'accueil bienveillant fait à ses rétractations, lors de son premier inter-

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1 Nous n'avous plus cette première réponse des évêques d'Afrique au pape Zozime. La mention qui en est faite ici nous donne idée de l'activité de la correspondance échangée alors entre le saint-siége et les évêques d'Afrique; elle justifie le mot de saint Augustin : Tôt enim et tantis iider apostolicam tedem et Afros episcopos currentibus et recurrentibus scriptis ecclesiasticis. (S. August., Contraduus epist. pelagian.,cnp. ni; Pair. lat.,tom. XLIV.col. 574J

2. S. Zoziin., Epist. xii; Patr. lat., tom. XX, col. 675-678- — ! Accepta tertio kalcndns maias. Cette note se trouve ajoutée d'une autre main au bas du manuscrit du Vatican, d'où ce rescrit pontifical a été tiré. (Cf. Patr. lat., tom. XL1V, col. 678.)

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p384 VONTIFICAT DE  SAINT ZOZIME  (417-418).

 

rogatoire, avaient exalté toutes les espérances des pélagiens. Du fond de l'Orient, ils entretenaient avec le centre de la catholicité des relations actives. Un parti s'était formé pour les défendre. Bientôt ils prirent, à Rome même, l'initiative de l'attaque et commencèrent à dénoncer les catholiques comme des séditieux. Un ancien vicaire du prétoire, Constantius, chrétien fervent, leur résista de toute son influence et contribua plus que personne à démasquer leurs intrigues. Il se procura un exemplaire du commentaire de Pélage sur les épîtres de saint Paul, et le remit entre les mains du pape. La secte cachait avec soin ce livre, où le maître avait nettement articulé ses erreurs contre le dogme de la déchéance originelle, contre l'efficacité du baptême et la nécessité de la grâce de Jésus-Christ 1. La découverte de Constantius renversait tous les calculs du parti. Pélage et Cœlestius ne pouvaient plus se renfermer dans les propositions générales sous lesquelles ils avaient l'art de glisser leurs réticences et leurs équivoques favorites. Ils allaient être placés en face d'un texte précis, et forcés de le rétracter, s'ils voulaient sincèrement rentrer dans la communion de l'Eglise. Le souverain pontife ouvrit en personne, le 15 avril 4182, l'assemblée solennelle du clergé romain, pour l'interrogatoire définitif de Cœlestius et le jugement à porter sur son appel. Le prêtre hérétique ne jugea point à propos d'affronter cette épreuve. Il quitta furtivement la ville éternelle, dévoilant ainsi aux yeux de tout l'univers sa perfidie et sa mauvaise foi. L'anathème lancé contre lui et son maître Pélage ne fut que plus retentissant et plus terrible. Le pape confirma solennellement le canon du concile de Carthage de l'an 417 portant que les deux hérésiarques ne pourraient être rétablis dans la communion catholique, tant qu'ils n'auraient pas confessé nettement le dogme de la grâce. Il renouvela contre eux la sentence fulminée par le pape saint Innocent I, déposa Cœlestius du sacerdoce, et déclara que, même en cas de résipiscence, il ne pourrait plus  exercer les fonctions de son  ordre. Tout le

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1 S. August., De peccat. orignol., cap. XXI, n° 2i; Conira iluns enlst, poing., lib. Il, cap. m. —2.  Voir la justification de cette date. Pair, lat., tom. XLV111, col. 3^0.

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p385 CHAP. III.  — CONDAMNATION  DES PÉLAGIESS.     

 

clergé de Rome souscrivit la sentence pontificale. Le prêtre Sixte, sur lequel les pélagiens comptaient le plus, fut le premier à donner l'exemple. Non-seulement il se soumit avec une touchante docilité, mais il voulut écrire aux évêques d'Afrique en général, et à saint Augustin en particulier, une lettre dans laquelle il expliquait sa conduite précédente envers Cœlestius par la persuasion où il était de la bonne foi de ce prêtre, dont les protestations réitérées d'orthodoxie l'avaient abusé.

 

15. Dans une constitution dogmatique, adressée à tous les évêques du monde et connue aujourd'hui sous le nom de Tractoria, terme emprunté à la chancellerie impériale qui donnait ce nom aux circulaires destinées à toutes les provinces (tractus), Zozime parlait ainsi ; « Le Seigneur est fidèle dans ses paroles. Le sacrement de baptême, qu'il a institué pour la rémission des péchés, a la plénitude de son efficacité en paroles 1 aussi bien qu'en action pour tous les membres du genre humain, de quelque sexe, âge ou condition qu'ils puissent être. Puisque ce sacrement nous délivre, c'est donc qu'avant de le recevoir nous étions esclaves du péché; puisqu'il nous rachète réellement, c'est donc que réellement aussi nous étions les captifs du démon. Telle est la doctrine de l'Évangile qui dit : « Quand le Fils vous aura délivrés, vous serez réellement libres2. » Dans le Fils de Dieu nous renaissons spirituellement, de même qu'en lui nous sommes crucifiés au monde. Par sa mort est révoqué le décret de mort que toute âme contracte en Adam par la naissance, qui pèse sur nous tous, et auquel sont soumis tous les enfants des hommes jusqu'à ce qu'ils aient reçu le baptême3. » Saint Augustin, qui nous a conservé ce fragment de la Tractoria de Zozime, aimait à le citer comme un modèle de précision théologique. «Dans ces paroles du successeur de Pierre, dit-il, la foi antique et certaine de la catholicité est attestée si clairement que

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1 Le pape fait allusion ici à la formule du baptême, usitée alors soit pour les enfauts, soit pour les adultes. Cette formule élait ainsi conçue : Haptiza lu N. in nomme Pulris et Filii et Spirilus Suncti in remissionem peccuiorum, ut 'wleas vitam œlernam. Cf. Pair, lat., ton:. XX, co!. C93, not. a.

2. Joan., vm, 3G. — 3 S. Zozitn., Iractor. Fragm.; Pair, lut., tom. XX, Ml. 093.

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p386 PONTincAT de saint zozime (417-418).

 

désormais il n'est plus permis à un chrétien d'élever un doute sur cette matière1. » La Tractoria n'était pas moins explicite sur le dogme de la grâce. « Est-il un instant de notre vie, disait le pape, où nous n'ayons besoin du secours de Dieu? Il nous faut invoquer l'appui de ce Dieu, notre protecteur et notre aide, dans tous nos actes, nos besoins, nos pensées, nos mouvements. Il n'y a qu'orgueil et présomption chez ceux qui exaltent outre mesure les forces de la nature humaine. L'Apôtre disait : « Ce n'est pas seulement contre la chair et le sang que nous engageons la lutte, c'est contre les principautés et les puissances infernales, contre les esprits de malice répandus dans l'air5. » Il ajoutait : « Malheureux homme que je suis! qui me délivrera du corps de cette mort? La grâce de Dieu par Jésus-Christ notre Seigneur 3. » Et encore : « C'est par la grâce de Dieu que je suis ce que je suis. Cette grâce n'a pas été stérile en moi. J'ai travaillé, non pas moi, mais la grâce de Dieu avec moi 4. » Nous adoptons donc et nous proclamons comme décrets du siège apostolique les définitions du concile de Car-thage (417) ainsi conçues : « Quiconque dit que la grâce de Dieu par laquelle nous sommes justifiés en Jésus-Christ Notre-Seigneur n'a d'efficacité que pour la rémission des péchés déjà commis, et que cette grâce n'est point un secours qui nous aide à n'en pas commettre, qu'il soit anatbême. — Quiconque dit que la grâce de Dieu, qui nous est départie en Jésus-Christ Notre Seigneur, nous aide à ne pas commettre le péché en ce sens seulement qu'elle nous révèle l'intelligence des commandements et nous apprend ce que nous devons éviter ou faire, sans nous inspirer le désir et nous donner la force de pratiquer le bien qui nous est connu, qu'il soit anathôme. » — En effet puisque l'Apôtre a dit : « La science enfle, mais la charité édifie 5, » ce serait une impiété de croire que la grâce du Christ se borne seulement à nous donner la science qui enfle, tandis qu'elle resterait impuissante à nous procurer la charité qui édifie. La science et la charité sont l'une et l'autre un don de Dieu : par la première, nous savons ce qu'il faut pratiquer ; par la seconde,

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1  S. Angust., Epist. esc, n» 23;   Pair,  lat., tom.   XXXIII,   col. 866.— 2. Ep/ies., vi, 12. — 3.Rom., xu, 24. — 4. I Cor., xv, 10. — 5. I Cor., via, 1.

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p387 CHAP.   III.. —  CONDAMNATION   DES  PÉLAGIEXS.      

 

nous aimons le bien que nous devons faire. De l'harmonie de toutes deux résulte l'édifice de notre salut. S'il a été écrit de Dieu « qu'il enseigne à l'homme la science1, » il a été écrit de même que « la charité est de Dieu 2. » Aussi nous sanctionnons par notre autorité apostolique cet autre canon du concile de Caithage : «Quiconque dit que la grâce de la justification nous est donnée uniquement pour que nous puissions plus facilement pratiquer le bien que notre libre arbitre a le devoir d'accomplir, comme si, sans la grâce, le libre arbitre pouvait seul, quoique plus difficilement, observer les préceptes divins, qu'il soit anathème. » Notre-Seigneur en effet n'a pas dit : Sans moi vous ne pouvez que difficilement agir ; il a dit3 : « Sans moi vous ne pouvez rien faire 4. » — La Tractoria devait être souscrite par tous les évêques du monde. Zozime voulait, selon la belle expression de saint Prosper d'Aquitaine, «armer l'épiscopat catholique du glaive de saint Pierre, afin d'abattre sur tous les points à la fois les têtes de l'hydre pélagienne 5. »

 

16. L'Orient et l'Occident, de concert, applaudirent à la constitution pontificale. Elle reçut l'adhésion de tous les conciles provinciaux de la catholicité, moins un seul, celui d'Apulie où dix-huit évêques refusèrent de la souscrire. Le chef de cette opposition était Julianus, titulaire d'Éclane, ville épiscopale située au quinzième milliaire de Bénévent et appelée pour cela Quintodecimum par quelques anciens géographes. Ruinée depuis par les barbares, elle n'est plus maintenant qu'un pauvre village nommé Frigento (Freqwminus) du diocèse d'Avellino. Mais au Ve siècle, et déjà même à l'époque où fut dressé l’Itinerarium d'Antonin, Éclane était florissante et peuplée.  Julianus son évêque avait

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1.Psalm. xcill, 10. — 2. t Joan., IV, 7. — 3. I Joan., xv, 5.

4. Cet autre fragment de la Tractoria de Zozime nous a été conservé par le pape saint Célestin I, dans une lettre aux évêques des Gaules sur la question du pélagianisme. Pair, lat., tom. L, col. 534.

5.S. Prosper. Aquit., Contra Collatorem (Cassianum), cap. xxi, alias XLF; Pair, lat., toui. Ll, col. 271. Africanorum concitiorum decretis beatœ recorda-iionis popa Zoiimus senlentiœ suœ robur annexuit, et ad inpiorum detruncationem gladio Pétri dexteras omnium armavii antisiitum*

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p388  PONTIFICÀT  DE   SAINT Z0ZIME   (417-418).

 

été sacré par le pape saint Innocent I. Il appartenait à une famille patricienne de Rome. Son père Memorius avait exercé les plus hautes fonctions administratives, avant d'être élevé sur le siège de Capoue qu'il honora par une vie exemplaire. Sa mère Juliana s'était consacrée au Seigneur, lors de la promotion de son époux. Cette noble et pieuse famille était unie par les liens d'une étroite amitié avec saint Paulin de Nole 1. Saint Augustin, sans la connaître personnellement, entretenait avec elle une correspondance épistolaire. Possidius de Calame, le disciple fidèle et le futur biographe de l'évêque d'Hippone, à l'époque de son voyage à Ravenne (410)2, avait visité Memorius à Capoue et lui avait remis une lettre où saint Augustin s'exprimait ainsi : « Il m'est bien dur de penser que je ne puis vous voir, vous qui m'aimez tant! Notre saint collègue et frère Possidius, en qui vous trouverez la meilleure partie de moi-même, aura ce bonheur. Les lettres dont je le charge pour vous ne sont point une recommandation banale, comme on en donne libéralement à des voyageurs vulgaires. Possidius a été nourri du pain que le Seigneur fournit à ma table; il est mon ami, ou plutôt un autre moi-même 3. » A cette époque, Julianus avait perdu sa jeune épouse, la descendante des Paul-Émile 4, prématurément enlevée à la fleur de l'âge. Frappé dans ses plus chères affections, il s'était consacré au Seigneur et avait reçu le diaconat. « Votre fils, le diacre Julianus, continuait saint Augustin, pourra retirer quelque plaisir et quelque fruit de la lecture des ouvrages que je vous envoie. Je n'ose pas dire que j'aime ce jeune homme plus encore que je ne vous aime; cela ne rendrait pas exactement ma pensée : mais il est vrai que je désire plus vivement le voir que je ne désire vous voir vous-même. Tous allez vous étonner de cette nuance, dans une affection qui est égale pour tous deux; mais c'est que je puis espérer plus facilement voir Julianus que vous. Si vous daigniez

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1. S. Paulin. Nol., Ad Juliaa. Epithulam. xxn; Patr. lat., tom. LXI, col. 602. — 2. Cf. chapitre précédent, n° 20.— 3. S. August., Epis(. ci ad RIemor.; Patr, lat., tom. XXXI11, col. 368. —4. Née Mi sufficiebat palernct nobilitoti JEmi ivrum fasces adrnovisse. {Pair, lat., tora. XLV11I, col. 287.)

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p389 CHAP.   III.   —   C0.NDA1INATION   DES  TÉLAGIEUS.   

 

l'envoyer à Hippone, rien ne s'opposerait à ce voyage, puisqu'il n'est pas retenu comme vous par tant de liens. Il me serait ainsi donné de contempler l'image du père, dans la personne de son fils 1. » Saint Augustin ne pouvait prévoir alors que ce jeune diacre de tant d'espérances deviendrait le coryphée du pélagianisme, et prendrait rang, avec Cœlestius, parmi les plus ardents fauteurs de cette insidieuse hérésie. Cependant Julianus nourrissait déjà dans son âme le venin caché de l'erreur. Il avait rencontré Pélage à Rome, durant les années de ses premières études. Le moine breton avait compris l'importance de s'attacher un enfant appartenant à une famille illustre à la fois dans l'état et dans l'église. « Le roitelet avait été de la sorte, selon l'expression du vénérable Bède, nourri dans l'antre du serpent2.» Julianus était tellement doué, sous le rapport des facultés intellectuelles, que Gennadius a écrit de lui : «Avant qu'il se démasquât comme fauteur de Pélage, on le comptait parmi les docteurs de l'Église 3. » Les pélagiens lui donnèrent depuis le surnom de Démosthène romain 4. Quoi qu'il en soit, Julianus avait appris à bonne école l'art de la dissimulation et de la fourberie. Ni son père Memorius qui l'ordonna diacre et prêtre, ni le pape Innocent I qui lui conféra de ses mains l'onction épiscopale, ne surent rien de ses véritables sentiments. Lorsque le souverain pontife son consécrateur fulmina l'anathème contre le pélagianisme, Julianus était à Rome. Il reçut à ce sujet les confidences du pape, et ne laissa pas même transpirer ses sympathies secrètes en faveur de l'hérésiarque 5. Mais après la promulgation du décret doctrinal de Zozime, il jeta le masque. On croit que Cœlestius s'était réfugié près de lui à Éclane. Pélage ne tarda point à les aller rejoindre. Tous les évêques leurs partisans,  au  nombre  de dix-sept, souscrivirent

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1 S. Augnst., Epist. ci, torn. cit. — 2. Veocrab Bed., In cantic. eantic. aile-gor. exposi!., lib. I, cap. v; Pair, fat., tora. XCI, col. 1073.— 3. Gcnuad., De script, ercles., cap. xlv ; Pntr. fat., loin. LVIII, col. 1084.

4 Pair, tut., toin. XLVIII, col. 200. Il ne nous reste plus aucun des ouvrages de Julianus. Nous savons seulement, par les réfutations du vénérable Bède, qu'il avait composé un livre de commentaires sur le Cantique des cantiques, et un traité de Constantia. —5.  Cf. loin. XLVII1, Pair, fat., col. 291.

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deux lettres rédigées par Julianus 1, dans lesquelles ils refusaient nettement leur adhésion à la sentence du saint-siége, sous prétexte que les accusés n'avaient point été entendus et que les questions controversées appartenaient à des discussions d'école, non à des matières de foi. Zozime répondit à cette injurieuse démarche par l'excommunication de Julianus et de ses adhérents. D'autre part, un rescrit de l'empereur Honorius (30 avril 418) prononça la peine du bannissement contre Pélage, Cœlestius et tous leurs fauteurs 2. Le pélagianisme devenait ainsi un crime de lèse-majesté humaine et divine. Il résista cependant à tant d'efforts réunis pour le combattre, et nous le verrons bientôt relever la tête avec une audace nouvelle.

© Robert Hivon 2014     twitter: @hivonphilo     skype: robert.hivon  Facebook et Google+: Robert Hivon