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En transmettant le fait au gouvernement français, l'intendant Robert assaisonnait ses lettres de tous les ingrédients de circonstance ; il déclamait naturellement un peu contre le gouvernement pontifical ; en bon et loyal sujet, il transmettait aussi l'opinion des personnes sages et modérées, les mieux posées de la ville sainte : «D'autres personnes, dit-il, raisonnent sur cette affaire-ci tout différemment ; ils trouvent que le Pape ne peut pas s'empêcher de maintenir sa bulle jusqu'à ce que cette affaire-ci des franchises soit accommodée ; qu'étant obligé de maintenir sa bulle et de la faire reconnaître pour valide, il est certain que, suivant ladite bulle, M. de Lavardin étant dans Rome et jouissant du quartier, est excommunié ; et qu'étant excommunié, le curé de Saint-Louis n'a pas pu lui donner la communion ; et que, l'ayant fait, il a encouru la peine de l'interdiction, et qu'ayant encouru ladite peine, le Pape a dû faire fermer cette église; et que, s'il ne l'eût fait, il aurait donné lieu de croire qu'il se rétractait de sa bulle ; qu'ainsi, dans cette occasion, on ne doit pas croire qu'il y ait à présent pour cela plus d'aigreur dans l'esprit du Pape qu'auparavant, et qu'il se veuille plus éloigner que jamais d'entendre parler d'accommodement. Voilà ce que disent les personnes de Rome les plus posées et qui cherchent le plus à déguiser la violence du Pape, son entêtement, et, s'il est permis de parler ainsi, sa trop grande obstination. M. le chevalier de Tincourt vient de me dire qu'un de ses amis, frère d'un cardinal, lui venait de parler dans les mêmes termes. Quoi qu'il en soit, ces discours sages et modérés, cette justification si prudente de la conduite du Pape n'empêchent pas que toute la ville de Rome, autant les étrangers que les gens du pays, ne regardent cette interdiction comme une action faite au grand mépris de l'ambassadeur du roi; on ne doute plus que le Pape se mette en peine de garder désormais aucun ménagement avec la France... »
20. Ces actes de vigueur apostoliques émurent la cour de France. Colbert de Croissy ne voyait le nonce que pour lui dire des duretés;
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Louvois armait quinze bataillons pour les lancer sur Rome. Par un arrêt, le Parlement déclara nulles la bulle contre les franchises, l'excommunication de Lavardin, et la sentence du cardinal-vicaire qui avait interdit Saint-Louis ; d'un autre côté, il ordonna l'enregistrement de l'appel au futur concile qui avait été formé la veille devant un notaire apostolique. C'était l'application d'une des prétentions gallicanes, que ni le roi, ni ses officiers ne pussent être excommuniés pour des actes de leur vie publique. Cette théorie défendue surtout par les régalistes qui avaient si profondément altéré la notion de la royauté chrétienne et ressuscité le césarisme païen sous des formes encore catholiques, dominait dans les conseils du roi, dans les cours de justice, et, il faut l'avouer avec tristesse, elle était au moins tolérée dans une partie du clergé. Nous n'avons pas à la discuter ici ; elle ne repose d'ailleurs sur aucun fondement sérieux. La distinction entre les actes de la vie privée et les actes de la vie publique est certainement plausible, mais pas en morale et devant la conscience. Un acte humain, qu'il soit posé par un simple particulier ou par un officier public, peu importe, est toujours bon ou mauvais. S'il est mauvais, s'il y a péché public et scandaleux, c'est plutôt une circonstance aggravante qu'une excuse ou un brevet d'innocence. Dans ce cas, l'acte coupable, soit par la réserve du péché, soit par recours ou appel, soit par la simple application des lois de l'Église, tombe sous la compétence du souverain pontife. Quand le souverain pontife a parlé, ce serait un bien absurde chrétien celui qui dirait : « Le Pape m'a frappé de censures, mais cela m'est égal, du moment que j'ai un arrêt contraire du Parlement. » Ce n'est ni aux parlements, ni aux rois que Jésus-Christ a remis les clefs du royaume des cieux.
Bientôt le roi menaça le Pape d'une guerre plus redoutable. Une armée était prête à marcher sur Civita-Vecchia ; si elle ne prit pas la mer, c'est qu'elle en fut empêchée par la politique du roi et par des événements européens. A bout de voies, Louis XIV recourut à un expédient extra-diplomatique ; il envoya secrètement à Rome, sous un faux nom, le marquis de Chamlay, pour traiter directement avec Innocent XI, à l'insu de l'ambassadeur. Le roi était porté à
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cette démarche par la nécessité seule, non par aucun sentiment de justice, ni par aucun désir de satisfaire le Pape. Prévoyant le cas où Innocent XI n'accepterait pas ses conditions, et croyant très à tort qu'un roi très chrétien devait rougir de faire, au Pape, des propositions d'accomodement, il prescrivit à Chamlay de menacer le Pape, d'un démenti solennel, s'il révélait les propositions de la France. Chamlay partit sous un nom et un déguisement flamands; il s'en alla d'abord à Venise, puis à Rome. A Rome, il devait régler trois points : la paix de l'Europe, les bulles des évêques et les difficultés de la Régale. Ces trois points réglés, on venait aux franchises ; en cas de refus, on se retirait.
Chamlay avait compté, pour se faire introduire, sur le cardinal Casoni qui fut sourd à toutes ses raisons, insensible à toutes ses séductions. Le cardinal Cibo fut aussi inflexible que Casoni. Ne sachant plus que faire, Chamlay se découvrit à Lavardin et au cardinal d'Estrées; on alla jusqu'au Pape qui donna un refus sec à n'y plus revenir.
Le 18 août, Chamlay avait ordre de revenir (1). Le 20, Louis XIV accusait le Pape de semer, au profit des protestants, la division parmi les catholiques. Le 6 septembre, une lettre royale fut envoyée au cardinal d'Estrées : c'était un réquisitoire virulent, plein de récriminations et de menaces, une déclaration de rupture à l'adresse du Pape. Dès que le Pape en eut entendu la lecture, pour toute réponse, il invoqua la justice de Dieu, puis il fit appeler un secrétaire, et, devant le cardinal, lui commanda d'expédier sur-le-champ les bulles qui conféraient, au prince Clément de Bavière, l'archevêché de Cologne, en ajoutant: Precipiti il mondo; Dio giusto punira chi è colpevole. Pereat mundus ut fiat jus.
Le 13 septembre, Louis XIV déclarait la guerre au Pape. Ordre était donné de se tenir prêt à saisir Avignon, de mettre la main sur l'évêque de Vaison et de le conduire à l'île de Rhé, en lui faisant entendre qu'on l'embarquera pour Siam ou pour le Canada.
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(1) Cette curieuse affaire de Chamlay a été découverte par M. Camille Rousset, qui en a révélé le secret dans son Histoire de Louvois, t. II, p. 63 et seq.
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Le 24 septembre, le roi, en présence du P. de la Chaise et de l'archevêque de Paris, donne ordre au procureur général d'interjeter appel au futur concile contre toutes les procédures faites ou à faire par Innocent XI contre le roi de France ! L'acte d'appel fut dressé le 27 septembre. On demandait à Louis XIV d'aller plus loin, d'assembler les notables, de convoquer un concile national. Mais le roi s'arrêta aussitôt qu'il s'aperçut qu'on le poussait dans la voie du schisme. Il permit bien à ses magistrats d'interjeter cet appel au futur concile, mais il ne demanda pas à un seul évêque de son royaume d'adhérer à cet acte : il voulut seulement en faire lire le procès-verbal devant les prélats alors présents à Paris.
21. Le nonce, cardinal Ranuzzi, ne cherchait pas à troubler la paix du royaume; il s'appliquait, au contraire, à rapprocher les deux cours et crut y réussir par l'entremise du duc d'Orléans. Lorsqu'on sut à Versailles que le Pape n'avait pas reçu Lavardin, le roi fit dire à Ranuzzi qu'il ne lui donnerait plus audience ; au moment ou le Pape frappait d'interdit Saint-Louis des Français, le roi menaçait d'occuper Castro et Avignon ; quand la mission de Chamlay eut échoué, le roi ordonna d'observer le nonce et même de l'arrêter, s'il voulait quitter Paris. Sur ces entrefaites, le Pape avait invité son nonce à revenir ; le roi fit séquestrer le nonce. On lui donna pour geôlier, un gentilhomme nommé Saint-Olon.
Saint-Olon couchait à
la porte de la chambre du nonce ; il le suivait à table, en voiture, jusqu'à
l'autel. Dans la forme, il était poli, respectueux ; dans le fond, il était
gardien d'un prisonnier. Pour piquer la curiosité du ministre et faire valoir
ses services, il prêtait à son prisonnier des défauts et lui supposait des
projets qui n'existaient que dans la cervelle détraquée de Saint-Olon. La vérité
est que Ranuzzi était plus fin que son geôlier et s'en moquait souvent avec
esprit. Une partie de cette correspondance est vraiment affligeante ; c'est
celle qui nous fait voir, d'une part, le nonce refusant de communiquer in
divinis avec Saint-Olon, de célébrer la messe en présence d'un homme qui
attente à la liberté d'un évêque et d'un cardinal, et qu'il tient avec raison
pour frappé des censures
ecclésiastiques, — et de l'autre, le
roi et son ministre prescrivant
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à Saint-Olon d'assister à la messe de Ranuzzi malgré lui, et de violer ainsi en sa personne la loi divine comme la loi humaine. Le nonce resta ainsi séquestré pendant plus de six mois. A l'heure au Louis XIV réclamait, même par les armes, la franchise pour son ambassadeur, il séquestrait un cardinal, un nonce du Saint-Siège Apostolique.
22. Au milieu de toutes ces folies, le roi de France envoyait au cardinal d'Estrées, une longue lettre contre le Pape. Dans cette lettre, il osait bien dire que Lavardin était un messager de paix, que le Pape était l'agresseur, qu'il favorisait l'hérésie, perdait la religion et mettait l'Europe en feu. Louis XIV répandait depuis longtemps des libelles contre Innocent XI ; pour soulever l'opinion contre le Saint-Siège, il donna, à cette, lettre, une grande publicité : c'était la plus maladroite inspiration qu'il put avoir. Le Pape eut pu dédaigner de se défendre ; il ne craignît pas de mettre, sous les yeux des peuples civilisés, les pièces et les faits du procès. Voici son mémoire: c'est un résumé énergique des griefs du Saint-Père et une protestation du bon droit désarmé contre l'injustice triomphante. Leibnitz lui-même a constaté le succès de cette réponse : « Le public, dit-il a été satisfait de ce qu'on a répondu à Rome à la lettre au cardinal d'Estrées. »
Réflexions pour servir de réponse sur la lettre en forme de manifeste que m. le cardinal d'estrées distribue
Si le roi très chrétien avait été bien informé de la vérité, et que les choses ne lui eussent pas été représentées autrement qu'elles ne sont par des gens pleins de passion et peu affectionnés à sa véritable gloire, il ne serait pas possible que Sa Majesté eût jamais donné entrée dans son esprit et dans son cœur à des sentiments tels que sont ceux de la lettre en forme de manifeste que M. le cardinal d'Estrées a lue au Pape et qu'il continue de distribuer aux cardinaux d'une manière qu'on pourrait qualifier de séditieuse. Et à dire le vrai, c'est une chose qui doit paraître assez surprenante qu'un cardinal de la sainte Église romaine, si étroitement obligé par serment à en défendre la dignité et les droits, ait
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pu se résoudre en cette occasion à faire la fonction de héraut contre elle et donner lieu par là de le soupçonner d'avoir voulu troubler la joie que Sa Sainteté et toute cette cour venaient de recevoir par la nouvelle de la prise de Belgrade et faire comme une espèce de diversion en faveur des Turcs par la fabrication de cette lettre, qui se trouve datée du même jour que cette importante place a été soumise aux armes chrétiennes.
Ces sentiments paraissent d'autant mieux fondés que tout le monde est témoin que le Pape, depuis le commencement de son pontificat, n'a cessé de se conduire comme un véritable père commun envers tous les princes chrétiens, et spécialement à l'égard de la France, n'ayant point manqué, toutes les fois que sa conscience lui a permis de donner à sa majesté très chrétienne des marques très effectives de l'estime particulière et de l'affection paternelle qu'il a toujours eues pour elle, comme il serait aisé de le montrer en rapportant un grand nombre de grâces qu'il lui a successivement accordées.
Ainsi, loin que Sa Sainteté ait jamais témoigné la moindre aversion ou fait la moindre chose qui pût donner un juste sujet au roi très chrétien de s'offenser de sa conduite, c'est plutôt elle qui a tout sujet de se plaindre de tant d'injures et de violences qu'il lui a fallu souffrir jusqu'à présent de la part de la France, presque dans toutes les affaires où le Saint-Siège est obligé de prendre part. Il serait trop long d'en faire un dénombrement exact. On se contentera d'en rapporter les principales.
1. Sa Majesté très chrétienne, de sa seule autorité, a étendu la Régale sur plus de la moitié de l'Église de son royaume, contre la disposition expresse du second concile général de Lyon et la possession immémoriale de ces Eglises, confirmée et autorisée par les ordonnances des rois ses prédécesseurs, par les arrêts du Parlement de Paris, par les registres de la Chambre des comptes et par le sentiment universel des plus célèbres jurisconsultes français.
2. On a entrepris d'assujettir aux nominations royales le monastère de Charonne, ceux des Urbanistes et plusieurs autres, quoique par leur institut et selon le droit commun, les supérieures y fus-
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sent électives et même triennales, ce qui a été cause d'une part, qu'on a entièrement détruit la maison de Charonne, et dispersé les religieuses en d'autres monastères pour s'être pourvues par devers le Saint-Siège ; et, de l'autre, qu'on a introduit de force et à main armée dans la plupart des maisons des Urbanistes des religieuses ambitieuses en qualité d'abbesses nommées par le roi : ce qui a causé une extrême confusion et un très grand scandale.
3. On s'est efforcé de s'emparer de cinq abbayes de la congrégation de Chezal-Benoît, pour les donner en commende, quoiqu'ils fussent unis à la congrégation de Saint-Maur, qui est en possession depuis longtemps par l'autorité du Saint-Siège et du consentement des rois très chrétiens.
4. Par un simple arrêt du Conseil et une déclaration du Roi on a réuni à l'hôpital des Invalides de Paris les revenus de plusieurs maisons religieuses de l'ordre de Saint-Lazare et ceux d'un très grand nombre d'hôpitaux établis dans tous les diocèses du royaume, quoique ces biens fussent destinés pour le soulagement des pauvres et des lieux, selon la volonté des fondateurs et les propres termes des dations autorisées par les évêques et confirmées par les décrets apostoliques.
5. On a empêché les évêques de France d'écrire au Pape et de recourir au Saint-Siège sur des matières de doctrine et qui regardaient la religion, selon qu'ils sont obligés par la subordination hiérarchique et qu'ils l'ont de tout temps pratiquée.
6. On a laissé vaquer longues années l'abbaye de Cluny, chef d'ordre et relégué l'abbé canoniquement élu, afin de la faire tomber en commende en obligeant d'autorité absolue les religieux à choisir M. le cardinal de Bouillon qui s'en est mis en possession sans avoir pu obtenir la confirmation et les bulles de Sa Sainteté.
7. On a traité très indignement le corps de feu M. Varèse, nonce, le laissant plusieurs jours sans sépulture, parce qu'on prétendait qu'il était sujet aux droits parochiaux bien que ce prélat fût archevêque, et qu'en qualité de nonce il représentât le souverain pontife.
8. On refusa d'admettre à l'audience M. Lauri, qui était demeuré
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à Paris, en qualité de ministre de la nonciature, et il ne put obtenir de M. de Croissy secrétaire d'État, le même traitement qu'on ne refuse pas aux envoyés des moindres princes.
9. On a dépouillé feu
M. l'évêque de Pamiers des revenus de son évêché parce qu'il défendait la liberté canonique de son Église contre
l'usurpation de la Régale ; et, après sa mort, on a persécuté à toute outrance
les chanoines réguliers de l'église cathédrale et un très grand nombre
d'ecclésiastiques de piété et de mérite du même diocèse, les emprisonnant, les
reléguant, leur faisant souffrir toutes sortes de mauvais traitements, tant
parce qu'ils ont refusé d'acquiescer à l'introduction de la Régale que parce
qu'ils n'ont point voulu reconnaître les grands vicaires schismatiques que l'archevêque
de Toulouse avait entrepris de nommer pendant la vacance du siège, au préjudice
des grands vicaires canoniquement
élus par le chapitre et confirmés par le Saint-Siège, et l'on en est venu à un
tel excès qu'on a donné arrêt de mort contre le P. Cerles, un des grands
vicaires, et qu'on l'a exécuté publiquement en effigie, revêtu de son habit de
chanoine et de religieux.
10. On refusa à Nimègue d'exprimer dans le traité de paix qu'il s'était fait par la médiation du Pape, sous prétexte que dans la commission du nonce on s'était servi selon le style et l'usage ordinaire des termes utrumque regem, sans distinguer le roi de France de celui d'Espagne, en cas qu'on n'eût point fait cette difficulté à l'égard des ambassadeurs d'Angleterre qui se trouvaient dans le même cas ; et qu'ensuite, lorsqu'il fallut signer le traité chez les ambassadeurs des États généraux de Hollande, on convint de choisir une salle tellement disposée pour les portes et les sièges qu'il ne parut point que l'une des couronnes eût été préférée à l'autre.
11. On a usé de représailles sur les biens du Comtat d'Avignon, parce que le vice-légat, selon l'ancien usage qui s'observe en ce pays-là, avait pris par droit de spolium les biens meubles que l'évêque de Saint-Paul Trois-Châteaux avait laissés dans toute l'étendue du Comtat.
12. On n'a point fait rendre les barques enlevées par des corsaires au commandant de vaisseaux français sur les côtes d'Italie et à
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la rue des forteresses de l'Etat ecclésiastique, non pas celles qui appartenaient à des sujets de Sa Sainteté, quelque instance qu'elle en ait fait faire en même temps qu'on a fait rendre celles qui appartenaient aux États de Venise et de Gênes.
13. On a refusé des passeports pour des vaisseaux de Hollande chargés de grains qui venaient en un temps de cherté pour le secours de la ville de Rome, en prétendant que c'était aux Hollandais à les demander.
14. Dans le premier accomodement avec la république de Gênes, on affecta de déclarer que ce n'était point en considération du Pape qu'on le faisait quoique Sa Sainteté s'en fût entremise.
15. En 1682, on convoqua l'assemblée du clergé à Paris, après avoir pris pour cela les voies et les mesures que tout le monde sait, dans laquelle on fit deux choses : l'une de faire céder au roi la Régale sur les provinces qui n'y avaient jamais été sujettes, quoique cette cause, étant une de celles qu'on appelle majeures, fût réservée au Saint-Siège et qu'elle lui fût encore dévolue par les appels de MM. les évêques d'Alet et de Pamiers ; l'autre fut de publier les Quatre Propositions sur la puissance ecclésiastique qui sont si injurieuses au Saint-Siège, et de les faire ensuite autoriser par un édit du roi, qui ordonne à tous ses sujets de les recevoir et de les embrasser, ce qui est une entreprise nouvelle et sans exemple, et qui a eu jusqu'ici des suites très fâcheuses.
16. On a vu paraître divers livres pleins de propositions contraires à l'autorité du Saint-Siège et de discours injurieux à Sa Sainteté, dont quelques-uns, comme ceux de Maimbourg, du P. Alexandre et autres, sont dédiés au roi, et imprimés à Paris avec privilège. On a de plus soutenu solennellement en Sorbonne une thèse dédiée au roi par le recteur de l'Université et au nom même de l'Université, quoiqu'elle n'y eût pas consenti, dans laquelle on combattait les droits et l'autorité du Pape, et l'on eût même la hardiesse d'attacher une de ces thèses à la porte du nonce.
17. On a supprimé par un simple arrêt du conseil la congrégation des filles de l'Enfance de Notre-Seigneur Jésus-Christ fondée par madame de Mondonville, quoique leur institut eût été approuvé
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depuis plus de vingt ans par les ordinaires des lieux et autorisé par un décret du Saint-Siège. Et dans l'exécution de cet arrêt on a commis des violences et des injustices inouïes contre ces filles.
18. Sa Majesté s'est attribuée la nomination de l'abbaye de Murbach et de plusieurs autres abbayes et monastères de l'Alsace, en ôtant aux religieux la liberté des élections, contre la disposition expresse de la paix de Munster, et forçant ceux de Murbach à postuler un ecclésiastique non régulier qui s'en est mis en possession sans aucune bulle ni confirmation du Saint-Siège.
19. M. Ranucci étant allé en France, nonce extraordinaire pour porter les langes bénits au premier fils de Mgr le Dauphin, selon la réquisition qu'en avait faite M. le cardinal d'Estrées de la part de Sa Majesté, on ne lui fit point rendre les honneurs accoutumés à Marseille ni dans les autres villes de son passage, et, lorsqu'il fut arrivé à Orléans, on l'y retint assez longtemps comme dans une espèce de prison sans lui permettre de passer à Paris ni d'aller trouver la cour, y ayant toujours cependant auprès de lui des personnes pour observer toutes ses démarches.
20. On a fait sortir de Rome et ensuite relégué en Bretagne, M. l'abbé Servien, quoi qu'il fut actuellement au service du Pape, qui le prit au commencement de son pontificat, pour être l'un de ses camériers secrets du nombre de ceux que l'on appelle participants : en quoi Sa Sainteté crut faire une chose qui agréerait au roi très chrétien.
21. On a souvent arrêté et maltraité les courriers dépêchés de la secrétairie d'État de Sa Sainteté pour l'Espagne et dans le Comtat d'Avignon ; on a empêché qu'on ne continuât d'envoyer un homme de pied pour porter les lettres jusqu'à Nice comme on avait fait par le passé, ce qui était une grande commodité pour tout le pays.
22. Enfin M. de Lavardin étant parti de Paris nonobstant toutes les remontrances et les protestations du nonce, est entré à Rome à main armée comme dans une ville de conquête, s'est emparé du prétendu quartier et s'y maintient jusqu'à présent par voie de fait, en foulant aux pieds l'excommunication qu'il a encourue. A quoi il faut ajouter le plaidoyer de l'avocat général Talon, l'appel du
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procureur général au futur concile, l'arrêt du Parlement et tant d'écrits impies et insolents, imprimés et affichés jusque dans Rome, par un mépris public du respect dû à Sa Sainteté et au Saint-Siège apostolique.