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§ III. GRÉGOIRE VII EN APULIE.
25. La vigilance dont il avait donné la preuve durant son administration provisoire en qualité de pontife élu, Grégoire VII la signala plus manifestement encore après son sacre. «On le vit sur le champ, dit Wido de Ferrare, comme un ministre fidèle et un dispensateur prudent des domaines de l'église, pourvoir à la sécurité de toutes les villes, bourgs, municipes et châteaux de la juridiction romaine, prenant toutes les mesures de conservation nécessaires et se préoccupant des moyens de recouvrer les territoires enlevés par la violence à la domination de saint Pierre. Il organisa une force armée, non point dans un but de tyrannie ou dans un sentiment de vaine gloire, mais pour défendre l'église romaine tellement spoliée par les Normands et par les seigneurs du voisinage qu'elle se trouvait presque réduite à rien. La terreur fut grande parmi tous ceux qui avaient des attentats de ce genre à se reprocher, lorsque les soldats du seigneur Hildebrand, milites domni Hildebrandi, commencèrent autour de Rome une expédition qui fit en quelques mois
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11 Cf. Voigt. Hist. de Greg. VU, p. 186, note de M. Jager.
2. Sedi apostolics! imprimis et maxime deditus fuit, promis ut regnum senue et libéras romanis pontificilms obnoxios vectigtiles que fore tege in teternum lata voluerii et sanxerit. (llariana. De reb. hispankis, cap. vu.)
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rentrer sous l'autorité du siège apostolique les cités et les forteresses de son domaine. Tous les rebelles se turent; aucun d'eux ne fut assez téméraire pour renouveler ses invasions sacrilèges. Cependant le nouveau pape n'usait des biens ainsi recouvrés que pour en distribuer les revenus aux indigents. Rome lui donnait les doux noms de père des pauvres, de défenseur des veuves et des orphelins. Sa réputation de sainteté fut en peu de temps portée d'un bout du monde à l'autre. Elle contrastait avec la perversion du jeune roi Henri IV indigne fils de l'empereur Henri le Noir. Sous l'influence de ce prince impie, la peste de l'hérésie simoniaque et une sorte d'éruption de tous les vices couvrit le monde. Quiconque voulait devenir évêque réalisait son patrimoine, le convertissait en or ou en argent et courait en Allemagne acheter du roi un évêché. Toutes les dignités ecclésiastiques étaient mises à l'encan, l'honneur du sacerdoce de Jésus-Christ se vendait et s'achetait à la cour comme on vend dans les foires le plomb, le fer, un cheval ou tout autre objet de commerce. De là une horrible contagion de crimes. En effet les misérables qui obtenaient de la sorte les titres ecclésiastiques, sans nul souci des principes de la foi ni de la morale chrétienne, s'abandonnaient à l'adultère, au sacrilège, au parjure. Un serment ne leur coûtait pas plus à prêter qu'à violer ; ils se mariaient publiquement et se montraient escortés de leurs enfants. Dans toute l'Emilie et la Ligurie les prêtres et les diacres célébraient leurs noces avec appaiat, dotaient leurs fils et leurs filles et leur trouvaient des alliances dans les familles même les plus nobles et les plus opulentes. Ce fut comme un chaos de débordements et de crime. « Le prêtre était devenu aussi pervers que le peuple, les pierres du sanctuaire gisaient souillées dans la boue des rues. » A la vue de ces désastres qui grandissaient chaque jour, Grégoire ému jusqu'au fond de l'âme et enflammé du zèle de l'amour divin fit vœu de sacrifier sa vie, s'il le fallait, pour arrêter le torrent du mal, extirper l'hérésie simoniaque ramener à la discipline ecclésiastique du célibat tous ces évêques et prêtres sacrilèges et impurs. Dans cette lutte où devait voir se lever contre lui les pontifes et les princes, s'ébranler tout l'univers, le peuple chrétien se diviser en deux camps, les
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uns disant : « Grégoire est bon et juste, les autres l'appelant imposteur, ennemi des rois [antimonarchum) et antechrist. Au milieu de cette effroyable tempête, il ne perdit rien de son calme, de sa persévérance, de son courage imperturbable. Plus le combat était acharné, plus il déployait de ressources : comme sur un champ de bataille le général habile varie ses manœuvres, tantôt simulant la fuite pour frapper plus sûrement l'ennemi, tantôt faisant front de toutes parts afin d'abattre toute résistance. Ainsi lutta le grand pape sans céder ni défaillir jamais, combattant au premier rang et soutenant héroïquement ses auxiliaires, redoublant les exhortations, reprenant, suppliant, menaçant tour à tour, sans s'écarter une minute de la règle de vérité1. »
26. Voici la lettre que deux jours après son sacre (1er juillet 1073) il adressait aux églises de la haute Italie : « Grégoire évêque serviteur des serviteurs de Dieu, à tous les fidèles du bienheureux Pierre prince des apôtres habitant en Lombardie, salut et bénédiction apostolique. Je ne veux pas vous laisser ignorer, frères très-chéris, ce que plusieurs d'entre vous savent sans aucun doute. Nous sommes maintenant placé à un poste où il nous faut, bon gré mal gré, annoncer à toutes les nations et surtout à celles qui ont l'honneur d'être chrétiennes, la vérité et la justice. « Crie, ne cesse pas, nous dit le Seigneur: élève la voix comme une trompette d'airain et dénonce à mon peuple ses forfaits2.» — «Si tu ne dénonces à l'impie ses iniquités, je viendrai redemander son âme à ta main 3. » — « Maudit soit celui qui retient son glaive de peur de le teindre de sang 4, » c'est-à-dire qui n'ose pas faire retentir la foudre de la parole évangélique aux oreilles des hommes charnels. Je vous tiens ce langage parce qu'au milieu des crimes qui pullulent sur la terre, il se trouve en Lombardie des ministres de Satan, des précurseurs de l'Antéchrist, ligués pour l'anéantissement de la foi chrétienne et dont l'impiété provoque la colère de Dieu. Nul de vous n'ignore l'intrusion de Gothfred à Milan. L'église
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1.Wido Ferrar. apud Watterich, Tom. I, p. 335-357.
2.Isaï., Lvm, 1. —
3. Ezech. imii, 8. —
4. Jerem. iLViir, ift.
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illustre entre toutes par la protection de la très-glorieuse Vierge Marie et l'autorité du grand docteur saint Ambroise a été achetée comme une esclave par le mercenaire Gothfred; elle a été par lui, cette noble épouse du Christ, prostituée au démon, séparée de la foi catholique et souillée du crime simoniaque. Déjà, vous le savez, à la première nouvelle de cet attentat, la sainte église romaine votre mère et la maitresse de toute la chrétienté, dans un concile solennel a excommunié Gothfred comme un ennemi de la foi catholique et de la loi chrétienne; elle a lancé l'anathème contre lui et tous ses adhérents. De toute antiquité l'excommunication a été respectée au sein de l'Église : les saints pères nous l'enseignent, il n'est pas un seul catholique qui l'ignore, nos ennemis en conviennent eux-mêmes. En conséquence par l'autorité du Dieu tout puissant, Père, Fils et Saint Esprit, au nom des bienheureux princes des apôtres Pierre et Paul, nous vous avertissons, frères bien aimés, et vous enjoignons de cesser tout rapport avec l'hérétique Gothfred. S'associer à son crime serait abjurer la foi du Christ. Opposez lui donc une courageuse résistance, comme il appartient à de vrais enfants de Dieu, et défendez à tout prix le trésor de votre foi, unique gage de salut. Ne vous laissez point effrayer par la puissance humaine : le Seigneur est avec nous ; plus puissant que tous les mortels ensemble, il reste toujours invincible ; c'est lui qui nous appelle à combattre pour sa cause, se réservant, comme dit l'apôtre, de couronner nos légitimes efforts. Il n'emploie d'ordinaire que les petits et les humbles pour écraser les superbes: la faiblesse selon le monde lui suffit pour confondre les forts. Que ce Dieu tout-puissant qui a confié ses brebis au bienheureux Pierre et lui a donné le gouvernement de toute l'Église vous fortifie dans son amour, afin que par sa grâce absous de vos péchés, vous méritiez de réprimer les ennemis de son nom et de provoquer leur cœur à la péni tence1.»
27. Dans ce bref pontifical M.
Villemain trouve uue déclaration de
guerre au roi de Germanie. « Grégoire VII, dit-il, n'accusait pas
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1. Grcg. VII, Epist. xv, Lib. I, col. 297.
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encore publiquement ce prince, mais il l'attaquait dans la personne d'un évêque nommé par lui, et commençait ainsi cette lutte qui devait être si longue1. » Quelle tendre sollicitude pour Gothfred ! On aime à voir nos écrivains rationalistes prendre rétrospectivement le parti d'un incendiaire, d'un pillard de grand chemin, couvert de sang et de rapines, investi par un diplôme payé à la chancellerie d'Allemagne et par une consécration sacrilège du titre d'archevêque de Milan. Mais si par impossible, Grégoire VII levant les deux excommunications lancées par Alexandre II contre Gothfred, eût livré le Milanais aux dévastations d'un tel scélérat, les rationalistes ne trouveraient point assez d'injures pour flétrir la mémoire d'un pape qui aurait abandonné ainsi aux fureurs d'un bourreau les populations opprimées. Tant le parti pris de calomnier l'un des plus grands pontifes qui aient jamais travaillé à la civilisation chrétienne de l'Europe comporte d'aveuglement et de contradictions ! Quelques jours après la signature de son encyclique aux fidèles de Lombardie, Grégoire VII quitta Rome avec une escorte de cardinaux et d'évêques pour faire rentrer sous l'autorité du saint-siége les divers territoires de l'Italie méridionale usurpés par les seigneurs féodaux et par les chefs Normands. Son voyage devait durer jusqu'à la fin de l'année l073. Mais les affaires de la chrétienté ne souffrirent pas de cette longue absence : les dépêches venaient le trouver de toutes les parties du monde dans les villes où il séjournait, et il expédiait de là ses réponses, ses avis, ses décisions avec une régularité ponctuelle et une infatigable activité. Le 7 juillet à Laurentum (aujourd'hui Torre di Paterno) il écrivait à Wratislas duc de Bohème à propos d'un scandale qui venait d'éclater dans ses états. Son frère le prince Jaromir, mécontent de n'avoir pas été compris dans le partage des fiefs paternels, s'était révolté. Pour lui faire déposer les armes Wratislas s'entendit avec le jeune roi Henri IV, qui offrit comme dédommagement au déshérité l'opulent évêché de Prague. Jaromir accepta et Sigefrid métropolitain de Mayence s'empressa de le sacrer. On imagine facilement ce que dut être le nouvel
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1. Hist. de Greg. VU, Tom. I, p. 39.
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évêque. Pour étendre ses domaines épiscopaux il s'y prit à la manière des conquérants et voulut s'annexer le siège d'Olmutz. Un vénérable vieillard, l'évêque Jean titulaire de cette église, fut saisi par les soldats de Jaromir, traîné par les cheveux, battu de verges et jeté dans un cachot. Deux légats du saint-siége, Bernard et Grégoire, qui prirent la défense du vénérable confesseur, furent menacés du même sort et durent quitter la Bohème. « Voilà donc, écrivait le pape à Wratislas, à quels horribles excès se portent chez vous des chrétiens, des princes, votre propre frère ! Hélas ! mieux vaudrait pour ces hommes qui courent à la damnation qu'au jour de leur naissance on eût suspendu à leur cou une meule de moulin et qu'on les eût jetés à la mer 1. » Grégoire terminait en citant Jaromir à son tribunal, menaçant s'il n'obéissait de le frapper d'excommunication. Nous verrons plus loin avec quelle fermeté le pontife poursuivit cette affaire.
28. Le 9 juillet Grégoire VII était à Albano lorsque deux moines grecs, envoyés par l’empereur byzantin Michel Parapinace, se présentèrent à son audience. Depuis le schisme de Cérulaire la décadence de l’empire d’Orient était rapide et la vengeance du ciel manifeste. Les Turcs Seldjucides venaient de s'établir victorieusement à Nicée ; encore un pas et leur émir Soliman plantait l'étendard du croissant sur le dôme de sainte Sophie à Constantinople. Michel comprit alors la faute énorme commise par ses prédécesseurs qui en se détachant de l'unité catholique s'étaient privés eux-mêmes des secours que l'Occident pouvait leur prêter. Son ambassade à Grégoire VII témoignait à la fois et de son humiliation et de sa détresse. Pour ne point effaroucher les instincts schismatiques du clergé de Byzance, il avait comme à la dérobée confié la négociation à deux personnages obscurs, dont l'insignifiance personnelle ne pouvait le compromettre. Voici la réponse que Grégoire VII lui transmit d'Albano même : «Les deux moines grecs Thomas et Nicolas nous ont remis de la part de votre excellence des lettres pleines des sentiments les plus affectueux pour nous et les plus
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1. S. Greg. VII, Epist. xyn, Lib. I, col. 809.
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respectueux pour la sainte église romaine. Vous accréditez près de nous ces deux envoyés nous priant d'ajouter une foi entière aux communications verbales qu'ils ont à nous faire. Mais l'importance du sujet dont ils ont à nous entretenir ne parait point en rapport avec la qualité de ces personnages. Nous chargeons donc notre frère et coévèque Dominique, patriarche de Venise, aussi attaché à la sainte église romaine qu'il est dévoué aux intérêts de votre empire, de se rendre en Orient pour y conférer avec vous. Entre l'église romaine et celle de Constantinople son antique fille, nous avons le plus vif désir de rétablir la concorde. Vous voyez vous-même les déplorables résultats du schisme ; votre majesté pourra en toute confiance traiter avec le patriarche de Venise des graves intérêts qui sont maintenant en question 1. » Il ne s'agissait de rien moins que d'un appel à tous les chevaliers de l'Occident pour les engager à secourir l'empire byzantin contre l'Islamisme. Les croisades étaient en germe dans la proposition que deux moines obscurs venaient d'apporter à Albano. Le génie de Grégoire VII comprit cette grande idée ; il la mûrit et en prépara la prochaine exécution.
29. D'Albano le pape se rendit au Mont-Cassin et en repartit avec l'abbé et cardinal Desiderius pour Bénévent. La principauté de cette ville avait été, comme nous l'avons dit précédemment, placée par Henri le Noir sous la juridiction du siège apostolique. Landulphe qui en était alors titulaire renouvela entre les mains de Grégoire VII son serment de fidélité à l'église romaine. Nous en avons encore le texte souscrit par Landulphe en présence du pape et des cardinaux au nombre de cinq, savoir Jean de Porto, Jean de Tusculum, Hubert de Préneste, Desiderius abbé du Mont-Cassin et Pierre bibliothécaire de la sainte église romaine. Le prince déclarait que s'il était jamais infidèle au pape où à ses successeurs, s'il cherchait, par quelque investiture, concession ou aliénation de territoire, à diminuer les possessions de l'église, il consentait à perdre à l'instant sa dignité 2. (12 août 1073.)
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1. Greg. VII, Epist. xviu, lib. I, col. SCO.
2. ma. coi. 301.
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30. Durant le séjour du pape à Bénévent eut lieu avec Robert Guiscard une négociation fort épineuse sur laquelle la chronique du moine Amatus écrite en langue romane et récemment découverte par M. Champollion Figeac nous fournit des détails jusqu'ici ignorés. Vers la fin d'avril 1073, époque de la mort du pape Alexandre II, Robert Guiscard était lui-même tombé dangereusement malade. On fit même courir le bruit de sa mort et cette fausse nouvelle fut portée à Rome. Grégoire VII écrivit sur le champ à la duchesse qu'il croyait veuve une lettre de condoléance, en la priant d'amener son jeune fils à Rome pour y recevoir de la sainte église romaine l'investiture des domaines « que tenait Robert des papes ses prédécesseurs. » La fausse nouvelle fut bientôt démentie et le pape se montra «liez et joyeux » d'apprendre la guérison de Robert. Il le fit inviter à une conférence à Bénévent. Le duc qui avait plus d'une fois, au mépris de son serment de fidélité au saint-siége, entrepris des incursions sur le territoire de la principauté et même essayé de prendre d'assaut la capitale, avait tout lieu de craindre les justes reproches de Grégoire VII. Il se rendit toutefois à Bénévent mais à la tête d'une troupe nombreuse de chevaliers et, comme dit le chroniqueur, « garni de grand exercit » (armée). Il fit dresser ses pavillons et ses tentes sous les murs de la ville, et comme « le saint père lui manda messages de venir le trouver» le duc répondit que « pour garder soi de la malice de ceulx qui estoient en la cité» il n'y entrerait point et attendrait dans son camp la visite du pontife. De là, ajoute le chroniqueur, « discorde fut entre eux et male volonté. Le pape corrocié se partit de Bénévent et s'en alla à Capoue pour donner faveur au prince Richard lequel estoit ennemi du duc Robert 1. » Tel est le récit du moine contemporain. Il nous permet d'apprécier l'astucieuse politique du duc normand qui justifia en cette circonstance son surnom de Guiscard (l'Avisé). Fort au courant, par ses relations diplomatiques avec l'Allemagne et la haute Italie, des dispositions hostiles du jeune roi Henri IV contre Gré-
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1. Aimé. L'ystoire de H Normant. Liv. VU, chap. vin. Edit. Champollion Figeac. Paria 1855.
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goire VII, il voulait se ménager pour l'avenir et se faire un mérite aux yeux de son roi de son injurieuse conduite envers le pape. S'il n'avait jamais obéi qu'à des calculs aussi mesquins, Robert Guiscard n'eut jamais pris rang parmi les héros. Mais il comprit mieux plus tard le génie de Grégoire VII et les événements lui fournirent l'occasion de réparer noblement sa faute.
31. Pour le moment, il s'obstina dans sa résistance au grand pape. Son beau-frère Richard prince de Capoue ne le suivit point dans cette voie. On se rappelle qu'il avait reçu de Nicolas II l'investiture de sa principauté et du duché de Gaëte. Fidèle au saint-siége durant le schisme de Cadaloüs, protégé énergiquement par le pontife légitime Alexandre II, il renouvela le 24 septembre entre les mains de Grégoire le serment de secourir l'église romaine de ses conseils et de son bras, au risque de sa vie et de sa liberté; d'aider à reconquérir, à conserver et à défendre les regalia de saint Pierre1, de contribuer de tout son pouvoir à maintenir la sécurité et l'honneur du pape ; de ne rien envahir, ni occuper dans les territoires étrangers sans la licence expresse et la concession du saint-siége ; d'acquitter fidèlement le tribut de saint Pierre ; de remettre à la juridiction pontificale toutes les églises de ses états et de les défendre contre toute agression. « Quant au roi Henri, disait-il je lui jurerai fidélité, sauf toujours celle que je dois à l'église romaine, aussitôt que j'y aurai été invité par vous ou par vos successeurs. En cas de vacance du saint-siége, je m'engage, si j'en suis requis, à protéger les cardinaux, le clergé et le peuple de Rome pour assurer la tranquillité de l'élection et sa canonicité 2. » C'était la même formule que Robert Guiscard avait jadis souscrite en prêtant le serment féodal au pape Nicolas II 3, sauf la clause relative à Henri IV, laquelle réservait pour l'avenir, si jamais le jeune roi devenait empereur, la reconnaissance officille de sa suzeraineté. Loin de chercher dès lors, comme le lui reprochent les critiques moder-
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1 Domaines possédés à titre de suzeraineté.
1. S. Greg. VII, Epist. ni, Liv. I, col. 301.
2. Cf. Gliap. III du présent volume, N° 43.
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nes 1, à soulever contre le roi germain tous les princes de l'Apulie et de Calabre, Grégoire VII au contraire travaillait à lui frayer le chemin de l'empire, à le réconcilier avec ses sujets révoltés, en le ramenant à la vertu et à une conduite digne d'un prince chrétien. Une négociation fort active se poursuivit en ce sens durant le séjour du pape à Capoue par l'intermédiaire de Rodolphe de Souabe en Allemagne, de l'impératrice Agnès à Rome, de la duchesse Béatrix et de la comtesse Mathilde en Lombardie. Ces illustres personnages, à des titres divers, souhaitaient avec ardeur la conversion du jeune roi ; l'impératrice comme une mère chrétienne dont les désordres d'un fils ingrat perçaient le cœur ; Béatrix et Mathilde par le double lien de parenté qui les attachait au roi et de filiale tendresse qui les unissait à l'église romaine ; Rodolphe de Souabe par un sentiment de patriotisme et de loyauté chevaleresque qui lui faisait chercher un remède aux maux de son pays et décliner l'honneur qu'on voulait déjà lui faire à lui-même en lui décernant la couronne dont Henri IV se montrait si indigne.