Angleterre 38

Darras tome 27 p. 250


§ II. THOMAS LÉGAT D’ALEXANDRE.

 

   7. C’est un retour que le primat exilé fait sur lui-même et son persécuteur, en fulminant de la sorte contre les tyrans étrangers. On peut dire de lui qu’il ne se peint pas moins dans ses paroles que dans ses actes. Les prélats courtisans aggravaient sa tristesse, sans ébranler son énergie. De vaillants auxiliaires le soutenaient dans cette lutte contre tant d’ennemis conjurés. Après avoir comme prophétisé la chute de Barberousse, Jean de Salisbury ne craint pas maintenant de montrer celle d’Henri II s’accomplissant pour les mêmes causes : « Chez vous aussi, le jugement n’est-il pas en voie d’exécution contre ceux qui tourmentent l’Eglise? Comparez, voyez combien était grand le roi d’Angleterre, quand il était petit à ses propres yeux ; quand il savait respecter du moins en apparence les ministres de la religion. Le succès couronnait toutes ses entreprises; son bouclier ne reculait jamais dans les combats, sa flèche et sa lance ne retournaient pas en arrière. Il se couchait sur sa proie comme un lion, et uul n’aurait eu l’audace de l’éveiller. Son regard seul frappait ses ennemis d’épouvante. Les princes voisins reconnaissaient sa domination, les plus éloignés imploraient son alliance. Aimé des siens, redouté des étrangers, il était pour l’ordre ecclésiastique l’objet constant d’une vénération et d’un dévouement sans bornes. Tout lui succédait au gré de ses désirs. Mais à quoi lui servent maintenant ces biens qu’il tenait de Dieu? Quel en sera pour lui l’avantage, s’il ne revient à de meilleurs sentiments, s’il s’obstine dans sa conduite ? Laissons de côté les faits anciens, ces injustices qu’il commettait à l’égard des Églises,

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1 Codex Vatic. S. Thomœ. Cant. Epist. 11, 21.

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dont il méconnaissait les droits, par ignorance, voulait-on penser, sous prétexte de maintenir ses prérogatives royales. Mais que dirons-nous des sacrilèges exactions auxquelles il s’est récemment livré quand il se proposait d’attaquer Toulouse? Cet argent entassé dans ses trésors ou gaspillé par ses satrapes, qu’est-il devenu ? N’a-t-il pas été, selon le mot des Ecritures, jeté dans un sac percé, pour tomber ensuite aux mains de l’ennemi, tournant de la sorte à la perte du ravisseur, loin d’étayer sa puissance? Dès ce moment sa fortune n’a-t-elle pas décliné ? ne penche-t-il pas vers sa ruine?...Portez un regard attentif sur la position actuelle de ce monarque ; voyez quels ennemis le Seigneur lui suscite désormais, à quels ministres il confie le soin de venger sa querelle : vous ne pourrez vous empêcher d’admirer les jugements de Dieu. Pour dompter le rebelle, il n’a pas choisi des empereurs, des rois, les chefs des peuples ; il a fait appel aux sauvages Gallois. Eux que son nom seul glaçait d’épouvante, qui baisaient la trace de ses pieds, sont venus lui présenter hardiment la bataille ; et cela, pour que nulle chair ne se glorifie en elle-même, pour que le nom du Seigneur soit à jamais béni. C'est ainsi que, voulant punir l’ingratitude et l’infidélité de Salomon, il employa des vagabonds et des esclaves1

 

   8. Quand le Pape sut à n’en pas douter, par les lettres même du roi d Angleterre et par celles de quelques évêques aussi mal intentionnnés, que le saint primat de Cantorbéry ne cessait d’être en butte aux persécutions de l’un, aux calomnies des autres, il écrivit à ce dernier; « Alexandre serviteur des serviteurs de Dieu, à son très-cher frère Thomas archevêque de Cantorbéry, salut et bénédiction apostolique. — Il est dans les traditions de la sacro-sainte Eglise Romaine de proportionner son amour aux mérites reconnus des hommes qui luttent pour elle en combattant pour la religion, de leur accorder d’autant plus d’honneur qu’ils se distinguent davantage par la sainteté de leur vie, la noblesse de leur caractère, leur prudence et leur instruction. Considérant donc le dévouement et la foi qui vous ont toujours animé pour l’Eglise, et vous font

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1. Joan. Saresber. Epist. cxly ; l’air, lat. toin. cxcix, col. 131.

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résister à ses ennemis tel qu’une colonne inébranlable ; tenant compte aussi des vertus et des talents qui vous recommandent aux yeux du monde entier, nous avons jugé devoir honorer votre personne par un privilège à part, qui vous soit un éminent témoignage de notre confiance et de notre affection. En conséquence, nous vous nommons notre légat pour toute l’Angleterre, moins le diocèse d’Yorck, avec mission de corriger à notre place tout ce que vous trouverez à corriger; d’édifier et de planter, selon votre conscience, pour la gloire de Dieu, la dignité de l’Eglise Romaine et le salut des âmes. Nous ordonnons à votre fraternité d’agir en tout d’après l’inspiration divine, avec autant de modération que de discernement, d’extirper les vices et d’implanter les vertus dans la vigne du seigneur. Donné à Anagni le VII des ides d’octobre1. » Ce n’est pas là seulement prendre la défense des opprimés, c’est soutenir la justice même et lutter de front contre la tyrannie. A cette glorieuse bulle, Alexandre ajoutait des lettres ayant le même objet, écrites au clergé de la province ecclésiastique de Kent, et d’autres encore pour réclamer contrairement aux prohibitions du roi le denier de saint Pierre. Toutes parvinrent à destination et furent remises à l’évêque de Londres, qui se hâta d’en informer Henri, par une lâche dénonciation dont voici quelques traits :

   9. « Tant d’ordres nous arrivent, une si grande autorité pèse sur nous et nous suscite de telles entraves, que nous sommes dans l’absolue nécessité de vous demander avec instance conseil et secours. Ce que le pouvoir apostolique ordonne ne saurait plus être suspendu par l’appellation ; il faut obéir sans retard, ou bien encourir la peine et l’odieux de la désobéissance. Comme nous étions à l’autel dans notre ville épiscopale le jour de saint Paul, un inconnu nous a remis une lettre émanant du Souverain Pontife, et qui constitue l’archevêque de Cantorbéry légat de toute l’Angleterre, à l’exception d’Yorck. Voilà tous les évêques de ce royaume soumis à la volonté d’un seul, obligés de nous rendre à ses ordres et de les accomplir sans discussion, en ce qui regarde même les devoirs de

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1 Codex Yatic, Sum. Pont. Alexand. III Epist. 1, 160.

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notre charge épiscopale. Il est enjoint à ceux que vous avez désignés pour la gestion des bénéfices ecclésiastiques et pour en recueillir les fruits, en l’absence des titulaires, de restituer immédiatement les sommes perçues sous peine d’excommunication après deux mois écoulés. Quant au denier de saint Pierre, il nous est ordonné de le remettre aux envoyés du primat, si nous voulons ne point compromettre notre position et notre dignité. Prosternés donc aux pieds de votre Excellence, nous vous conjurons de porter sur nous un regard bienveillant, malgré les sollicitudes et les préoccupations que la royauté vous impose; ne tolérez pas que nous soyons ainsi couverts de honte et comme annihilés. Tout en respectant les messagers apostoliques, dans la mesure qui convient à vos droits, vous sauvegarderez les nôtres, si vous réservez pour nous l’appel au Souverain Pontife, ou bien à ses futurs légats, quand les lettres de l’Archevêque nous paraîtraient renfermer une disposition dérogeant aux coutumes du royaume. Daigne le Seigneur vous faire connaître sa volonté dans ces graves circonstances, vous inspirer les meilleurs moyens de dissiper les angoisses que nous éprouvons1. » Les cauteleuses atténuations de ce langage n’en diminuent pas la perfidie, elles l’augmentent peut-être. Thomas ne se faisait pas illusion sur les artifices de ses ennemis ; il n’ignorait ni leurs intentions ni leurs manœuvres; mais les dangers qu’elles lui suscitaient n’étaient nullement capables de l’arrêter dans l’accomplissement de sa haute mission. Légat du Siège Apostolique, il se mit aussitôt à réformer les abus qui s’étaient introduits, à déraciner les plantes adultères, à séparer la paille du bon grain, à remplir l’office de juge, de pasteur et de père, excitant les somnolents, ranimant les pusillanimes, n’hésitant pas à frapper d’excommunication ceux qui s’obstinaient dans la résistance.

 

   10. On voit tout cela dans les nombreuses lettres que du fond de son exil il adressait aux évêques d’Angleterre. Ne pouvant multiplier les citations, nous en reproduirons une, qui suffira pour nous révéler la tendre sollicitude et l’indomptable énergie dont toutes

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1.        Ibid. Epist.\, 181

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étaient empreintes. Nous y verrons aussi l’objet de ses démêlés avec la puissance royale, le point précis de cette grave question. « Thomas, par la grâce de Dieu humble ministre de l’Eglise de Cantorbéry à ses vénérables frères les évêques de la province de Kent : passer à travers les choses temporelles de façon à ne point perdre les biens éternels. — Frères bien-aimés, quelle est la cause qui vous empêche de vous élever avec moi contre ceux dont l’âme pervertie médite de funestes desseins? Comment se fait-il que nous ne soyons pas tous aux prises avec ces artisans d’iniquité? Ignorez- vous que « le Seigneur dissipera les os de ceux qui cherchent à plaire aux hommes1? » Ils tomberont sous la réprobation du Très-Haut. Vous ne sauriez non plus l’ignorer, l’erreur à laquelle on ne résiste pas est une erreur qu’on approuve; on opprime la vérité quand on cesse de la défendre2. Nous avons donc assez, et trop peut-être, supporté les agissements du monarque anglais ; il n’est résulté de notre longue patience aucun bien pour l’Eglise de Dieu. La prolonger encore devant les excès commis par lui-même ou par ses officiers, laisser impunies de telles injustices, serait désormais une impardonnable condescendance ; un péril pour la religion, alors surtout que nous l’avons si souvent conjuré par nos messages et nos lettres, par tous les moyens en notre pouvoir, de renoncer à ses funestes entreprises. Il ne nous a nullement exaucé, à peine s’il a daigné nous entendre; après avoir invoqué le Saint-Esprit, nous avons en conséquence réprouvé comme attentatoire aux droits de l’Eglise et déclaré nul ce fatal écrit où sont exposées les coutumes du royaume, ce que j’en appellerais plutôt les principes dé- sorganisateurs. Nous avons frappé d’anathème ceux qui les ont rédigées et conseillées, ceux qui les observent ou les imposent. Par l’autorité de Dieu, par notre délégation apostolique, nous avons absous tous les évêques nos frères des engagements contractés à cet égard. Peut-on révoquer en doute que les prêtres de Jésus-Christ ne soient à juste titre estimés les pères et les docteurs des rois et

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1    Psalrn. lu, 6.

2    « Error cui non resistitur approbatur ; et veritas, cum minime defenditur,
oppriniitur. »

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des princes, ainsi que de tout le peuple chrétien? Ne regarde-t-on pas comme une pitoyable démence qu’un fils tente de mettre son père sous le joug, un disciple, d'enseigner et de gouverner son maître; qu’un chrétien, renversant toute subordination, prétende dominer celui qui, dans sa conviction même, a le pouvoir de lier et de délier, non-seulement sur la terre, mais encore dans les cieux 1 ?


   11. Pour vous éloigner d’une telle aberration, nous vous signalons les points principaux sur lesquels tombe l’anathème : 1° Défense d’en appeler au siège apostolique, sans la permission du roi,  n’importe la cause dont il s’agit ; 2° Défense encore, sans cette même permission, à tout archevêque comme à tout évêque de sortir du royaume pour se rendre à l’appel du Souverain Pontife ; 3° Nul évêque ne peut excommunier quelqu’un qui dépend immédiatement de la puissance royale, ni jeter l’interdit sur ses terres ou celles de ses vassaux ; 4° L’évêque ne peut non plus élever une accusation de parjure ou de foi lésée et contraindre le coupable à la réparation. 5° Les clercs sont soumis aux tribunaux séculiers; 6e Les laïques, le monarque à plus forte raison, ont le droit d’examiner et de juger les causes des Eglises, de quelque nature qu’elles soient. — Voilà les dispositions que nous déclarons nulles et sacrilèges. Sachez de plus que nous avons nommément excommunié Jean d’Oxford, pour être tombé dans l’hérésie en se liant par serment avec les schismatiques d’Allemagne, en communiquant avec ce fameux Rainald, archevêque intrus de Cologne.» Le courageux primat énumère ensuite plusieurs autres excommunications prononcées par lui, soit contre des dignitaires ecclésiastiques infidèles à leurs devoirs ou pactisant avec le schisme, soit contre des seigneurs séculiers qui portaient une main téméraire sur les biens et les serviteurs des diverses Eglises, notamment celle de Cantorbéry. A ces sentences il ajoute les décrets du Pontife Romain qui les approuvent et les confirment ; puis il continue : « Pour vous, frère, évêque de Londres, nous vous enjoignons, en vertu de la sainte

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' Codex Vatic. S. Thonve Cnnt. Episl- i, 9G.

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p256   S. THOMAS BUCKET DANS L’EXIL.

 

obéissance, de placer sans retard nos présentes lettres sous les yeux de nos vénérables frères les évêques de notre province, sans en excepter aucun. » Thomas instruit encore des mesures qu’il a prises contre ??? l’archevêque de Rouen, l’archevêque même de Mayence, ce généreux Conrad persécuté comme lui, maintenant évêque de la Sabine, les cardinaux Hyacinthe et Henri1 ; il en écrit enfin au pape Alexandre, pour lui demander l’excommunication du roi.

 

   12. Voici cette dernière lettre: « A son bien-aimé père et seigneur Alexandre, par la grâce de Dieu Pontife suprême, Thomas humble ministre de l’Eglise de Cantorbéry, obéissance complète et dévouée. — Assez et trop longtemps, bien-aimé père, j’ai attendu l’amendement du monarque anglais; ma patience est restée pleinement infructueuse ; bien plus, elle n’a servi qu’à précipiter la ruine de l’autorité et de la liberté qui sont l’inaliénable apanage de l’Eglise de Dieu. Il n’est pas d’instances que je n’aie faites auprès de lui par les intermédiaires les plus dignes de respect et les plus habiles pour l’amener à de meilleurs sentiments ; par mes lettres même, dont je vous ai transmis la copie, je l’ai souvent menacé de la justice et de la vengeance divine. Il va s’enfonçant chaque jour dans ses coupables errements, redoublant d’audace envers l’Eglise et de haine envers moi ; sa cruauté s’étend sur les hommes fidèles qui partagent mon exil ; ceux qui pourvoient à notre subsistance, par amour pour vous et pour Dieu, il cherche à les frapper d’épouvante. Dernièrement il écrivait à l’Abbé de Cîteaux, lui parlant de son affection pour les monastères répandus dans ses Etats, afin de nous enlever les secours et l’amitié de l’Ordre. Que vous dirais-je de plus? Abusant de notre patience, la cruauté du tyran et celle de ses ministres sont allées si loin que les personnages les plus respectables viendraient-ils vous l’attester sous la foi même du serment, Votre Sainteté, je me le persuade, n’en pourrait croire à leurs assertions. Considérant donc avec angoisse les dangers que nous font courir toutes ces pernicieuses et déplorâmes coutumes, je les ai publiquement condamnées, en frappant d’excommunication ceux qui

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1. Robert, de mont. Ann. Angl. ad annum 1167; — Epist. i,142.

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les observent ou les font observer, et les laïques aussi bien que les clercs ; j’ai délié les évêques du serment qu’on leur avait arraché. » Les prétendues coutumes du royaume sont ensuite exposées abso- - lument comme dans la lettre précédente. Le saint primat énumère aussi dans les mêmes termes les excommunications qu’il a cru devoir lancer. Parmi les personnages soumis aux censures ecclésiastiques, outre Jean d’Oxford, remarquons Richard de Lucy, Joscelin de Baliol, les principaux fauteurs de la tyrannie, les infatigables agents des entreprises hérétiques; Ranulphe de Broc, Hugues de Saint-Clair et Thomas fils de Bernard, usurpateurs sacrilèges des biens de l’Eglise de Cantorbéry. Puis il ajoute : « Nous n’avons pas encore personnellement excommunié le roi, dans l’espoir qu’il viendrait à résipiscence ; nous ne tarderons pas cependant à lancer contre lui l’anathème, s’il ne se hâte de réaliser cet espoir. Mais, Bienheureux Père, si nous voulons que l’autorité du Siège Apostolique et la liberté de l’Eglise de Dieu, à peu près complètement ruinées dans nos provinces, soient enfin restaurées, il est nécessaire, il convient sous tous les rapports que votre sainteté ratifie nos actes par un rescrit solennel1 . »

 

   13. Vainement Henri II avait défendu sous les peines les plus sévères de porter dans ses palais, ou même sur un point quelconque de son royaume toute missive de Thomas et de ses amis. Ce cordon sanitaire d’un nouveau genre était chaque jour franchi par de mystérieux et fidèles émissaires ; les lettres arrivaient à leur destination, redoublant les terreurs et les fureurs des despotes. Ecoutons Jean de Salisbury : « Ayant naguère réuni dans un colloque à Chinon les grands de ses états avec ses conseillers intimes, des hommes bien connus par leur habileté pour ourdir des trames odieuses et combiner de funestes desseins, il leur demanda, mêlant les menaces aux prières, quel moyen il pourrait employer contre les imminentes mesures de l’Eglise. Il se plaignit surtout, avec la dernière amertume, du primat de Cantorbéry ; on le vit répandre des larmes et pousser de profonds soupirs, en disant que cet

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1 Codex Vat. S. Thom.v Ca?it. Epist. i, 138.

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p58 S. THOMAS BECKET DANS L EXIL.

 

homme tuait en même temps son corps et son âme. Il finit par s’écrier qu’il n’était entouré que de traîtres qui ne voulaient ou ne savaient rien faire pour le débarrasser de ce seul ennemi. Voilà donc où fut prononcée pour la première fois cette parole sanglante qui devait le marquer au front du signe indélébile des persécuteurs. Il pourra faire pénitence ; mais il ne sera pardonné ni par les hommes ni par l’histoire : le pardon n’appartient qu’à Dieu. « A cette parole, l’archevêque de Rouen sortit un peu de son calme habituel, en représentant au roi ce que son langage avait d’insultant et de blâmable ; encore fut-il trop doux dans l’expression, quand il eut fallu s’armer de toute l’autorité que lui donnait sa haute position, pour réprimer une audace aussi contraire à la raison qu’à la foi. Le courroux du monarque était celui de la peur ; et ce dernier sentiment était provoqué par les lettres que lui- même et sa mère avait reçues du courageux primat. Henri craignait, non sans cause, que l’interdit ne fût immédiatement jeté sur ses domaines, et l’excommunication prononcée contre lui de par le Souverain Pontife. Dans une telle anxiété, l’évêque de Lisieux opina qu’il n’existait qu’un remède, c’était d’en appeler à Rome, avant que la sentence fut portée 1. » On regrette de voir ce moyen dilatoire suggéré par un prélat comme Arnoulf, et de le rencontrer lui-même à côté du roi dans une lutte dont le dénouement sera si tragique. Je ne sais comment le moyen fut accepté par un prince qui voulait précisément anéantir le droit d’appel, en vertu des prétendues coutumes de son royaume. Il est dans la nécessité d’y recourir quand il tremble pour sa tête. Disons que la justice et la vérité se montrent d’autant plus fortes qu’elles sont plus ardemment combattues. A l’issue de ce colloque, s’éloignant de la face de Dieu et de celle de leur roi, les évêques de Lisieux et de Séez se mirent en route pour aller dénoncer l’appel au primat exilé, dans la pensée de retarder la sentence jusqu’après l’octave de Pâques.

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1.        Joax. Saresber. Epist. Cxlv ; Patr. lat. torn, cxcix, col. 135.

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