Janssen

Darras tome 42 p. 402

 

70. Jean Janssen naquit à Francfort, en 1829, de parents pau­vres. D'abord il fut ouvrier et ne put faire que par charité, des études pour parvenir au sacerdoce. Tardivement appelé à l'état ecclésiastique, il se consacra au service des ouvriers, ses frères, et se préoccupa de rechercher, dans l'histoire de son pays, les traits relatifs à ces petits et à ces pauvres, dont précédemment se préoccupaient si peu les historiens. On écrivait de gros livres sur les rois, leurs négociations diplomatiques, leurs guerres; on laissait dans l'ombre ces masses populaires qui consti­tuent les nations. L'évolution démocratique de l'Europe mo­derne n'aura pas eu seulement pour objectif d'appeler les basses classes à des accroissements de liberté et de bien-être, dont elles n'ont trop souvent que le mirage ; elle aura encore

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p403§   II.   — LES  ÉCRIVAINS ECCLÉSIASTIQUES SOCS LE PONTIFICAT DE PIE IX

 

agrandi la conception de l'histoire et multiplié les livres qui en éclairent les profondeurs ignorées. Janssen, inspiré par sa cha­rité et par son génie, descendit dans les hypogées de l'histoire allemande, avec le louable dessein d'en décrire les mystères. Pendant des années et des années, il amassa silencieusement les matériaux d'une œuvre dont il n'avait pas encore dressé le plan. D'abord il songeait à raconter toute l'histoire de la civilisation allemande; puis il se décida à se renfermer dans une période unique, celle de la réforme, et à éludier, dans cette période, une seule question capitale, l'histoire du peuple allemand. De là, un ouvrage monumental et original, parvenu à son sixième volume, ouvrage dont il se publie une traduction française. Nous l'avons examiné sur le texte allemand; nous avons reconnu une de ces analyses puissantes, comme les allemands savent en faire, un travail de dissection où tous les éléments constitutionnels de la vie sociale sont comptés, mesurés, décrits avec une patience admirable, une érudition prodigieuse et une irréfragable auto­rité. Le nom de Janssen évoque très justement dans l'esprit le nom de Taine. Le livre du premier est la hache de la Réforme, comme le livre du second est la hache de la révolution française; l'un excite la colère des protestants, l'autre celle des révolution­naires : les deux légendes sont attaquées de front et frappées d'un gantelet victorieux. Non pas qu'il n'y ait rien à dire, ni contre l'un, ni contre l'autre : la critique a toujours prise sur ces ouvrages hardiment originaux et courageusement décisifs qui font brèche dans les préjugés et les passions d'un siècle ou d'un pays. Muis cette conception de l'histoire attire d'invincibles sym­pathies; cette manière synthétique et compréhensive de l'écrire étonne d'abord, puis accable par l'abondance des informations. Les conclusions subsistent; il faut jeter aux gémonies de l'his­toire, Luther et Mirabeau, génies malfaisants, astres dévoyés que la Providence laisse sortir de leur orbite et précipite sur le monde, lorsqu'elle veut exercer les représailles de sa justice.

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