Persécution en Amérique 3

Darras tome 42 p. 667

 

56. A l'expiration de son mandat, en 1865, il descendit du pouvoir. Par toutes ses réformes, Garcia Moreno avait excité contre lui les inimitiés; dès quil fut rentré dans la vie privée, elles éclatèrent. Le cas de légitime défense lui fit un devoir plus pressant de soutenir son œuvre et de se montrer soldat dans la vie civile. Tour à tour à la tribune ou sur le champ de ba­taille, en crédit ou en disgrâce, il se montra toujours l'énergique représentant de ces réformes. De 1865 à 1869, deux présidences de Carrion et d'Espinoza, agrémentées de coups de fusils, mon­trèrent l'insuffisance du parlementarisme pour sauver l'État. Garcia Moreno fut, malgré lui, renommé président de la répu­blique; il fit céder ses répugnances au patriotisme. Tout d'abord le président, pour donner un ressort à la vie morale et matérielle

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de la république, résolut de la doter d'une constitution chré­tienne. Dans sa pensée, l'Eglise était la constitution chrétienne de l'humanité; l'Etat, seulement un organisme inférieur, pre­mièrement pour assurer à l'Eglise sa liberté d'action; secondai­rement pour s'occuper du bien matériel. Au nom de Dieu, la constitution déclara donc que la religion catholique, apostolique, romaine était la religion de l'Etat; que l'Eglise était maintenue en possession inaliénable des droits et prérogatives dont les lois de Dieu et les prescriptions canoniques l'ont investie, avec obli­gation pour les pouvoirs publics de la protéger et de la respec­ter. C'était la reconnaissance solennelle et effective de la royau­té temporelle du Christ; l'homologation politique du Concordat. Pour maintenir cette union chrétienne de l'Eglise et de l'Etat, Garcia Moreno déclare que, pour être électeur, éligible ou fonc­tionnaire, il faut faire profession de la religion catholique. Est déclaré déchu de ses droits de citoyen, tout individu apparte­nant à une société secrète prohibée par l'Eglise. Les coupables de délits et de crimes, les ivrognes sont déchus de leurs droits politiques pendant un certain laps de temps. Le pouvoir n'est pas à la discrétion des fluctuations des chambres. Les magis­trats, les administrateurs, les officiers de l'armée, sont soumis à la nomination, parfois de concert avec le congrès, et toujours sous le contrôle du président. Les chambres ne s'occupent que des affaires temporelles du pays. En cas de perturbation, l'état de siège est déclaré et la justice militaire garantit le maintien de l'ordre. Le président est élu pour quatre ans; les députés et sénateurs également, mais renouvelables par moitié tous les deux ans. Telle nous apparait, dans ses grandes lignes, la cons­titution de Garcia Moreno, constitution catholique où l'autorité divine et humaine, travaillent de concert au bonheur temporel et éternel du peuple. C'est le plus magnifique effort qu'on ait fait depuis cent ans et même depuis le XVIe siècle, pour réagir contre la révolution dont Luther est le premier promoteur.

 

« Pour travailler efficacement à la régénération d'un peuple, l'homme d'Etat, dit le P. Berthe, doit se recruter une triple ar-

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p669   §   V. LA   l'ERSÉCUTION   EN   AMÉRIQUE  

 

mée de collaborateurs : prêtres zélés, magistrats intègres, fidè­les soldais. Le prêtre enseigne la vérité, la justice, la moralité ; le soldat les garde; le magistrat les venge au besoin. Ainsi la société se trouve en possession de ces biens fondamentaux qui produisent et sauvegardent les biens de second ordre. La Révo­lution, véritable incarnation du mal, hait d'instinct ces trois agents de la civilisation : le prêtre, elle l'affame, l'exile ou l'as­sassine; le soldat, elle en fait un bandit à sa solde; le magis­trat, un exécuteur de ses basses œuvres. » Garcia Moreno s'était, dès 1862, préoccupé de la réforme des églises de l'Equateur; sous sa seconde présidence, il poursuivit cette œuvre de réforme par les conciles, par des règlements pour l'étude et la prédica­tion, par la mise en vigueur des tribunaux ecclésiastiques. Pour l'armée, il créa une garde nationale et éleva l'armée active à quelques milliers de soldats. Le recrutement fut établi d'une façon régulière, non plus par des embauchements immo­raux ou des violences. La discipline fut de rigueur. Une école militaire fut créée de toutes pièces; l'avancement se vit soumis à des règles fixes. Les armements furent élevés au niveau de la meilleure fabrication. Des aumôniers furent attachés à l'armée; la caserne ne fut plus le repaire de l'intempérance et de la dé­bauche. Quant à la magistrature, les codes furent revisés et complétés. Le code pénal atteignit les blasphémateurs, les conçubinaires, les débauchés, les ivrognes, les perturbateurs du re­pos public et, en général, tous ceux dont la conduile portait atteinte à l'ordre et à la moralité. Les juges furent soumis à l'é­puration; les tarés, mis à la réforme. Non seulement il exigeait des magistrats l'intégrité professionnelle, mais, surveillant leur conduite morale, il ne tolérait aucun désordre capable de faire ombre sur leur honorabilité. Grâce à cette triple régénération de la magistrature, de l'armée et du sacerdoce, l'Equateur vit remonter le niveau des mœurs et de la conscience publique.

 

Avant Garcia Moreno, l'instruction n'existait qu'à l'état rudimentaire. Dès sa première présidence, il avait posé les bases d'une rénovation complète en appelant diverses congrégations

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enseignantes, frères, sœurs, qu'il plaça dans les grandes villes pour y établir des écoles gratuites et libres. Par là, il détruisait le monopole; pour compléter son œuvre, il supprima l'univer­sité libérale de Quito, devenu le repaire de toutes les erreurs et de tous les vices, et la remplaça par une université catholi­que. Le terrain déblayé, il bâtit. L'enseignement primaire, le premier en importance, parce qu'il s'adresse à tous et sert de préparation aux éludes plus élevées reçut de préférence les soins du gouvernement. Chaque commune pouvant réunir quarante ou cinquante enfants, eut droit d'exiger une école primaire. Les parents qui n'y envoyaient pas leurs enfants, étaient passibles d'amendes, de prestations supplémentaires et de perte des droits civiques. Pour diriger ces écoles, de nouveaux frères, de nou­velles sœurs vinrent de France, du pays, à jamais fécond par le catholicisme, dont le gouvernement républicain proscrit aujour­d'hui cette noble race. Une école normale fut créée pour for­mer des maîtres laïques. Le nombre d'enfants fréquentant les écoles, s'éleva de 8,000 à 32,000 ; les jeunes filles eurent aussi leur part proportionnelle; les indiens eux-mêmes furent appelés à l'instruction, de quoi les détournèrent les libéraux, alléguant que l'école serait, pour les indiens, le vestibule de la caserne. Les soldats et les prisonniers eurent enfin leurs cours spéciaux. — Pour l'instruction secondaire, elle fut confiée aux Jésuites; leurs collèges s'élevèrent dans les principales villes; le Ratio studiorum fut la règle des études; la religion catholique et l'édu­cation chrétienne en furent la base. Les jeunes filles des classes supérieures furent confiées aux dames du Sacré-Cœur. Une école d'enseignement professionnel, à forme technique et pratique, vint compléter toutes ces créations. Quant à renseignement su­périeur, complément nécessaire de toutes les sphères d'études, parce que c'est lui qui les éclaire, les anime et les vivifie, il fut l'objet de soins magnifiques. D'abord, en vertu du Docete omnes gantes, les évêques eurent la haute main sur cet enseignement. Au sommet fut inaugurée la Faculté de Théologie et cette Facul­té dut remettre en honneur la Somme de saint Thomas d'Aquin.

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p671  §   V.   —  LA PERSÉCUTION   EN   AMÉRIQUE   

 

   La Facuité de droit, qui confine à la théologie, ne s'inspira pas du vieux droit romain, commenté par les auteurs protestants, libéraux ou révolutionnaires, Filangieri, Vatel, Strada, mais de Tarquini et de Tapparelli d'Azeglio. Pour la Faculté des scien­ces, Garcia prit des professeurs en Allemagne et adjoignit aux sciences pures, une école polytechnique, plus une école des ponts-et-chaussées, très précieuse dans ces parages. Rien ne fut épargné pour l'acquisition du matériel d'enseignement; un Observatoire fut créé près de Quito. Pour organiser la Faculté de Médecine, le président fit appel à Montpellier. Enfin il com­pléta toutes ces créations par une Académie des Beaux-arts. Telles furent, en matière d'enseignement, les œuvres de ce grand chré­tien; il honorait par là cette communion catholique, que les im­pies de toute sorte se plaisent à coiffer de l’éteignoir, eux qui, au lieu de favoriser un tel enseignement, aiment mieux laisser les peuples dans la barbarie ou les y ramener.

 

En Garcia Moreno, le cœur était à la hauteur de la tête. L'E­quateur, avec ses races paresseuses, avait beaucoup de pauvres; le président, fonda, pour les orphelins, les enfants abandonnés, des maisons spéciales; pour les filles repenties, des refuges; pour les prisonniers, il effectua une réforme pénitentiaire et promit la délivrance comme récompense de la correction. Une guerre terrible fut déclarée aux brigands; de nouvelles prisons furent bâties, mais, grâce à la politique chrétienne, quand elles furent achevées, elles restèrent vides, bien qu'elles fussent des prisons centrales. L'Equateur ne fournissait plus de délinquants ni de criminels. A la mort de Garcia, une troupe de jeunes civi­lisés vint, musique en tête, faire le siège du refuge des filles repenties, donner un charivari aux sœurs, et rejeter ces pau­vres créatures en proie à la luxure publique. A ce trait, vous voyez l'aboutissement du libéralisme et la caractéristique de sa civili­sation. Un gouvernement libéral favorise les prostituées et pros­crit non moins volontiers les Vierges de Jésus-Christ.

L'œuvre civilisatrice gagnait du terrain: les populations avaient des pasteurs et l'enseignement à tous les degrés; les

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orphelins, les pauvres, les malades, les criminels, les filles per­dues étaient assistées avec autant de charité que d'intelligence. Garcia songea à ce territoire qui confine au Brésil, au milieu des forêts vierges, sur les bords du Napo, du Pulumajo, du Maranon. Autrefois les Jésuites y avaient établi ces célèbres réduc­tions, tombées hélas! sous les coups d'un philosophisme men­teur et retournées à la barbarie. Garcia y lança des missionnai­res et, pour nous servir de l'expression de saint Jérôme, le dé­sert se prit à se couronner de nouveau des fleurs du Christ : printemps moral, promesse du retour des races barbares à l'humanité.

 

Cependant Garcia n'oubliait pas les travaux publics et les fi­nances. Les modernes docteurs croient que l'homme doit se borner à l'exploitation du monde matériel et se confier aux gou­vernements matérialistes : c'est une illusion et une grossièreté. Mais il ne s'ensuit pas que les chrétiens canonisent la fainéan­tise et la pauvreté; au contraire, ils se plaisent à demander au travail toutes les ressources de la charité, toutes les forces de la justice. L'Equateur était en état de prostration; Garcia Moreno sut l'en tirer par des travaux dignes d'Hercule. Une grande rou­te fut tracée pour desservir toute la république; dix ans après, elle était terminée. Les villes, surtout Quito, furent aménagées par des travaux d'intérieur et embellies par des monuments. Le service régulier des finances doublait, triplait les ressources de la république et faisait face à toutes les entreprises.

 

Tel fut Garcia Moreno, un grand chrétien, un grand citoyen, qui restaura d'un trait la civilisation chrétienne, se montra avec tmous les caractères d'évêque du dehors et offrit à tous ces peu­ples, dévoyés ou déchus, le type idéal des réformes à effectuer. Une si grande œuvre le désignait aux coups des infâmes sec­taires qui ont conjuré la ruine de la religion, des mœurs et de la fortune publique. En 1875 s'inaugurait légalement sa troisiè­me présidence; elle eut consolidé toutes ses œuvres et rejeté pour toujours dans les limbes de leur impuissance, les démons masqués du radicalisme et du libéralisme. A différentes reprises,

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avec le concours des francs-maçons du Pérou, ils avaient tenté de l'assassiner; le 6 août 1875, il tombait sous les coups des frères et amis de cette franc-maçonnerie abominable dont les membres ne fournissent que trop souvent, aux peuples, pour législateurs, des impies, et pour chefs, des brigands. A l'assas­sin qui lui disait : « Meurs, bourreau de la liberté! » il répon­dit : «Dieu ne meurt pas. » Ce fut la dernière parole de Garcia Moreno. —Le Pape Pie IX pleura Garcia Moreno; dans plusieurs de ses allocutions et discours, il fit son éloge public, ordonna un service solennel pour le repos de son âme, et envoya deux mille francs à la souscription ouverte pour élever le buste « de ce respectable président tombé sous le fer des assassins, vic­time de sa foi et de sa charité chrétienne pour sa patrie. » Ce buste fut placé dans la bibliothèque du Vatican.

 

La succession de Garcia Moreno fut donné à un catholique li­béral; c'était tout ce qu'il fallait pour ruiner son œuvre, perdre l'Etat et désoler l'Eglise. Avec leur principe de promiscuité doc­trinale, on tombe vite dans tous les désordres, pour dormir dans la fange.

 

© Robert Hivon 2014     twitter: @hivonphilo     skype: robert.hivon  Facebook et Google+: Robert Hivon