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§ IV. Empire d'Orient
19. Nous avons vu que dès la première année de son avènement (914), le pape Jean X s'était adressé à la cour de Byzance pour en obtenir une flotte auxiliaire destinée à prendre une part si glorieuse au combat du Garigliano contre les Sarrasins. A cette époque le jeune empereur Constantin VII Porphyrogénète, fils et successeur de Léon le Philosophe, atteignait à peine sa neuvième année. Il ne fut donc pour rien dans cette négociation et ne mérita pas l'éloge que le chroniqueur du Mont-Cassin, Jean d'Ostie, lui décerne en cette circonstance, quand il dit que « le très-religieux empereur, touché des malheurs de l'Italie, se hâta d'expédier une armée navale sur le littoral napolitain.» Ce fut le patriarche Nicolas le Mystique, en qualité de régent du prince, qui prit cette détermination et c'est à lui que l'histoire doit en attribuer l'honneur. En retour, il espérait que Jean X confirmerait par un acte de son autorité apostolique la discipline de l'église grecque touchant les quatrièmes noces et les déclarerait illicites et nulles, tout en validant par une dispenson rétrospective le mariage de Léon le Philosophe avec Zoé Carbopsina, d'où était issu
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Constantin Porphyrogénète. Le pape s'y refusa nettement; il répondit que les quatrièmes noces étaient licites, qu'il n'était pas besoin de réhabiliter celles de Léon le Philosophe et que si l'église grecque jugeait à propos de conserver sur ce point sa discipline particulière, elle ne pouvait du moins en exagérer la rigueur au point de considérer comme nul un mariage intrinsèquement valide. Ces raisons étaient fort peu goûtées du patriarche saint Nicolas ; elles plaisaient au contraire singulièrement à l'impératrice mère Zoé Carbopsina, qui ne tarda point à reprendre son rang dans le palais de son fils. Le patriarche fut expulsé du conseil de régence et reçut l'ordre « de ne s'occuper désormais que des affaires de son église. » L'affaire des quatrièmes noces demeura donc suspendue. Mais une autre révolution de cour eut lieu en 920. Zoé fut encore une fois chassée du palais. Un commandant de la flotte byzantine, Romain Lécapène s'empara du pouvoir, d'abord sous le titre de régent du jeune Porphyrogénète, et bientôt sous celui d’empereur.
40. Ce revirement politique rendit toute son actualité à la question des quatrièmes noces. Lécapène, qui se promettait de supplanter son malheureux pupille, avait tout intérêt à le déshonorer en le représentant comme le fruit d'une union illégitime. De concert avec le patriarche Nicolas, il institua une fête dite de «l'Union de l'Église » qui devait se célébrer chaque année le 21 juillet, date de son avènement à la couronne impériale. Elle eut lieu pour la première fois en 921, en présence du jeune Porphyrogénète qui eut la douleur d'entendre lire du haut de l'ambon un prétendu Tomus unionis, dans lequel il était dit que le mariage de Léon le Philosophe avec Zoé, sacrilège dans son principe et nul de droit, avait cependant été, par une exception spéciale et pour des raisons d'État, rétrospectivement validé. Mais cet exemple ne devait en rien prévaloir contre la règle générale. A l'avenir quiconque contracterait un quatrième mariage serait retranché de la communion ecclésiastique et privé des sacrements. Les troisièmes noces étaient elles-mêmes flétries comme une faute qui encourait la pénitence publique. « Sans doute, disait l'édit, elles
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ont été tolérées par les Pères, mais comme une souillure, ôs rumasma.. De leur temps on n'avait pas encore rompu tous les freins de la pudeur; le mal n'était pas universel : il en était de ces mariages comme des rebuts domestiques qu'on dépose dans un coin de la maison et qu'on soustrait aux regards. Mais maintenant que l'impudeur s'étale à tous les yeux, maintenant qu'on s'imagine qu'il n'y a dans ces mariages ni indécence, ni infamie, il faut faire disparaître cette turpitude comme on balaie des ordures 1.» Malgré ces invectives officielles, il restait à Constantinople un grand nombre de pieux fidèles qui ne partageaient point, au sujet des troisièmes et quatrièmes noces, le rigorisme intéressé de Lécapène, ni les préventions antithéologiques du patriarche Nicolas. Cette divergence d'opinions avait naguères produit le schisme d'Euthymius. Ce dernier avait eu le tort de se laisser porter par une intrusion sur le siége patriarcal, mais sa doctrine était pure et la fin de sa vie répara noblement la seule faute que l'ambition ou peut-être un instant de faiblesse lui firent commettre. Ses biographes nous disent qu'il n'avait accepté le patriarcat qu'a regret et pour éviter de plus grands maux. Lorsque le titulaire légitime, Nicolas le Mystique, eût été rappelé par Alexandre, Euthymius s'était spontanément retiré au monastère d'Agathos, déclarant qu'il voulait y achever ses jours dans la solitude et la prière. Alexandre qui venait d'usurper lui-même un trône sous prétexte de mieux exercer la tutelle du jeune Porphyrogénète son neveu, ne crut pas suffisante la pénitence volontaire d'Euthymius. Il le fit amener par ses soldats dans une sorte de diète synodale au palais de Magnaura. Après une sentence de déposition solennelle qui le qualifiait « d'usurpateur adultère, » Euthymius eut les cheveux et la barbe cruellement arrachés, on le chassa par les épaules et le vénérable vieillard, sans proférer une plainte, revint mourir à son monastère d'Agathos ou sa tombe ne tarda point à être glorifiée par de nombreux miracles.
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1. Constantin. Porphyrogenel. Delectus Legum, titol. un. Pair, grœc, ton», CXIII col. 502.
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41. cet événement
ne fit que redoubler l'opposition de ses partisans contre les nouveaux édits de Lécapène et du patriarche. Il fallut de nouveau recourir à l’intervention du
pape Jean X. Nous avons encore les lettres
écrites en cette circonstance par Nicolas le
Mystique au nom de l'empereur. Il n'insiste plus comme auparavant sur le point
doctrinal, mais il se borne à constater que la paix étant rétablie à Constantinople, la
divergence disciplinaire entre les deux églises latine et grecque au sujet des
troisièmes
et quatrièmes noces ne saurait être pour le souverain pontife une raison de refuser
sa communion aux évêques orientaux. « La sagesse éminente et la paternelle bonté
qui assurent à votre nom une immortalité de gloire, dit-il, vous
inclineront à
partager notre joie, en voyant l'église grecque enfin pacifiée. S'il reste
encore des germes de division vous les pardonnerez à la faiblesse humaine, et les
diptyques des deux églises porteront à l'autel du Seigneur la mémoire de votre
nom révéré1. » Sur cette base, la
négociation ne pouvait que réussir. Lécapène attachait d'ailleurs une importance extrême
à son succès. Les Bulgares venaient de s'emparer d'AndrinopIe, et déjà leurs
avant-postes paraissaient sous les murs de Byzance dont le siège eut
lieu quelque
temps après (924). Or le roi bulgare Siméon, fils du fameux Michaêl dont nous avons
précédemment raconté l'histoire, était un catholique fervent. Il avait renoué
avec le saint-siége les relations rompues par son père, il avait voulu être
couronné par un légat du pape qui lui apporta de Rome, avec la bénédiction
apostolique, un diadème d'or offert par le vicaire de Jésus-Christ. Lécapène espérait que
l'intervention de Jean X déterminerait Siméon à accepter des
propositions de paix. Le souverain pontife accorda la
médiation qui lui était demandée, et fit partir pour Constantinople en qualité de légats
apostoliques les évêques Théophylacte et Carus. Dans l'intervalle, le patriarche
Nicolas,
usant du prétendu droit de
juridiction que l'église byzantine s'était
arrogée sur celle des Bulgares avait à diverses reprises
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1.Nicol. Mystic. Epitt. un. Patr. grœe., tom. III, col. tSO.
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excommunié le roi Siméon, qui n'avait répondu à ces anathèmes impuissants que par de nouvelles victoires. A l'arrivée des légats (925), il reprit les négociations et écrivit au roi bulgare une nouvelle lettre qui eut un meilleur effet que les précédentes.
42. Elle était conçue en ces termes : « A l'excellent
et clarissime Siméon, roi de Bulgarie, notre fils spirituel. Nous
vous écrivons
de nouveau, fils toujours aimé bien que trop peu docile, car notre tendresse pour vous est celle d'un père qui
pardonne à ses enfants même le mépris que ceux-ci lui témoignent.
Ce n’est plus
seulement en notre nom que nous vous adressons cette lettre, mais de la part du très-saint
pape de Rome, notre frère et collègue. Aussitôt qu'il eut appris par les
clameurs désespérées de tant de victimes les malheurs causés par la guerre qui
a éclaté entre les Bulgares et l'empire grec, les massacres, l'incendie des cités et des campagnes, les
populations traînées en esclavage,
les églises
et les monastères dévastés, les vierges du Seigneur outragées, les veuves et les
orphelins errants dans la détresse et la nudité, son cœur s'est ému. Il a choisi deux légats parmi les premiers évêques suburbicaires
de Rome, les vénérables Théophylacte
et Carus, et les a chargés par un rescrit apostolique dont ils sont porteurs de venir
ici, en qualité d'arbitres, rétablir
la paix,
cette paix divine, le legs le plus précieux que Jésus-Christ notre Seigneur ait fait à ses
disciples. Le très-saint pontife de Rome, en nous envoyant ses légats, nous prescrit de leur fournir une escorte et
des guides pour les faire parvenir sûrement en Bulgarie,
afin qu'ils puissent, au nom de la dévotion que vous professez pour le
saint-siége et du dévouement filial que vous portez au pontife, obtenir de vous
la paix. C'est là ce que le très-saint pape recommande à ses légats, et si, ce
qu'à Dieu ne plaise, vous restiez sourd à leurs exhortations, ils seraient
dans la nécessité d'user de l'autorité apostolique et au nom du
Saint-Esprit de prononcer l'anathème indissoluble. Mais nous n'osons leur
faire entreprendre
un tel voyage, à travers un pays où les fureurs de la guerre ne respectent pas
même le caractère sacré des ambassadeurs. On dit même que vous en retenez
quelques-uns dans les
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fers, chose inouïe même chez les nations infidèles. Afin d'éviter aux légats apostoliques un pareil malheur, nous vous transmettons seulement les lettres dont le très-saint pape les avait chargés pour vous. Et maintenant, très-cher fils, écoutez la voix du successeur de saint Pierre ; ne rejetez pas ses conseils, comme vous avez méprisé les nôtres. Vous nous avez compté pour rien, en ferez-vous de même vis-à-vis du pape? Le nom et l'autorité du pape représentent le nom et l'autorité du prince des apôtres ; les rejeter, c'est rejeter saint Pierre lui-même et s'exposer aux châtiments de la justice divine. Rappelez-vous comment d'un seul mot l'apôtre Pierre frappa de mort Ananie et Sapphira, comment saint Paul frappa de cécité le mage Elymas. Gardez-vous donc, ô mon fils, d'un crime horrible, ne jetez point aux vents les paroles du pape ; nous savons quelle est votre dévotion pour les deux princes des apôtres; puisque vous les vénérez de tout votre cœur, respectez donc le pontife qui occupe leur siège1.» La médiation du pape obtint de Siméon ce que les armes de l'empire grec et toutes les sollicitations antérieures du patriarche n'avaient pu lui arracher jusque-là. Le roi bulgare signa la paix (926).
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28. L'univers entier savait tellement la situation exorbitante faite à ce prince consul et patrice au sein de l'Eglise romaine qu'on s'adressait officiellement à lui pour les affaires purement ecclésiastiques, sans prendre même la peine de nommer le pape Jean XI dans les dépêches. Ce fut ainsi qu'en 933, le consul et patrice Albéric reçut une ambassade solennelle que lui envoyait l'empereur grec romain Lécapène, l’ambitieux tuteur de Constantin VII Porphyrogénète. En ce siècle d'usurpation de trônes et de séquestration de souverains, l'Orient n'avait rien à envier à l'Occident, Constantinople à Rome. Le jeune empereur Constantin était relégué par son tuteur Lécapène au cinquième rang;
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1 Joann. VIII. Epist. i, Patr. lat., tom. CXXXn, col. 1057. * EpUt. Ibid., v. col. 1061.
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Lécapène gardait naturellement pour lui-même le premier avec le titre d'empereur, pour ses trois fils les Césars Augustes, Christophe, Étienne et Constantin, les honneurs du second, troisième et quatrième. Le malheureux Porphyrogenète, le seul légitime souverain n'arrivait qu'à la suite. On le laissait cependant occuper un appartement au palais dont il était le seul maître, et on lui permettait de se livrer dans la solitude à son goût pour les lettres, les sciences et les arts. Romain Lécapène, soldat parvenu, ne se doutait pas qu'une telle liberté laissée à son pupille développerait chez celui-ci une intelligence supérieure qui lui servirait un jour, à balayer toute cette famille d'intrus. Pour le moment Romain Lécapène, tout entier à l'ivresse de son élévation inespérée, se préoccupait de l'avenir d'un quatrième fils, Théophylacte, jeune homme de seize ans. Il ne voulait point en faire comme de ses aînés un César, non pas qu'il y eût à cela, de la part du peuple byzantin, la moindre opposition à craindre. Le peuple de Bysance ne manifestait jamais de volonté, tant que la fortune souriait à ses maîtres : il réservait toute son énergie pour les pendre ou les écarteler quand le vent tournait aux désastres et à la révolution. Sous ce rapport le peuple de Byzance a trouvé dans l'histoire bon nombre d'imitateurs. Lécapène avait d'autres préoccupations. Il se posait en chef de dynastie, rôle superbe, plein de prévisions toujours déçues, de rêves politiques perpétuellement recommencés sans qu'ils aboutissent jamais. Il trouvait donc que sa race représentée par les Augustes, Christophe Etienne et Constantin ses fils, avait assez de chances de durée, et que la proclamation d'un quatrième César en la personne du prince Théophylacte mettrait inutilement la division dans une famille appelée à tant de gloire. En conséquence, dès le berceau, Théophylacte fut réservé pour le siège patriarcal de Constantinople. Sa part serait encore assez belle. Cette résolution une fois prise, il fallut attendre que les événements permissent de l'exécuter. Les événements s'y prêtèrent un peu, on les aida beaucoup et le dénouement finit par arriver tel qu'on le souhaitait. A la mort du patriarche Nicolas le Mystique (15 mai 925), Théophy-
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lacte son successeur in petto, n'avait que huit ans. Lécapène jugea prudent de ne pas manifester ses intentions. Il était ainsi moins audacieux que le comte de Vermandois, Héribert, qui à la même époque faisait élire son fils Hugues, âgé de cinq ans, sur le siège métropolitain de Reims. L'empereur n'alla pas jusque-là : une élection canonique eut lieu et porta sur le siège patriarcal de Byzance le Métropolitain d'Amasée, Etienne. On remarquera ici cette translation d'un siège à un autre, accomplie sans difficulté aucune par les Grecs, alors que quelques années auparavant ils déclamaient avec tant d'ardeur contre la translation de Marinus et de Formose d'un siège épiscopal au trône apostolique.
29. Suivant les espérances de Lécapène, le nouveau patriarche aurait dû vivre assez longtemps pour que le jeune Théophylacte pût atteindre l'âge viril. Mais il n'en fut rien. Trois ans après sa promotion, le 15 juillet 928, Etienne mourut, et l'on peut être sûr qu'il ne fut pas empoisonné, l'empereur avait trop d'intérêt à le voir prolonger ses jours. Ici il fallut un peu corriger les événements et nous rencontrons pour la première lois dans l'histoire de l'Église un scandale qui devait plus tard se renouveler et prendre même un nom dans la liste des excès anticanoniques. Cet abus nouveau se nomma dans le langage juridique «confidence; » en somme c'était une scandaleuse substitution. Théophylacte en 928 n'avait alors que onze ans. Lécapène n'osa pas le proposer aux Byzantins pour le faire asseoir sur le siège de saint Jean Chrysostôme. Cependant laisser procéder à une autre élection présentait de graves inconvénients. Le titulaire qu'on allait nommer pourrait vivre trop longtemps, en compensation de son prédécesseur qui était mort trop tôt. Dans l'intervalle, les affaires pouvaient changer de face ; Lécapène ne se croyait pas immortel, il fallait donc dès lors assurer l'avenir de Théophylacte. L'unique moyen consistait à faire un pacte avec le nouveau patriarche qu'on allait élire, en obtenant qu'il jurât de se désister au moment venu pour céder la place au fils de l'empereur. La première idé de cette nouvelle forme de simonie qu'on a appelée depuis « confidence » naquit de la sorte dans le cerveau d'un
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César byzantin en quête d'une position sociale pour son fils. Lécapène trouva un moine, nommé Tryphon, qui accepta le Marché, et ce moine fut sacré en qualité de patriarche le 14 décembre 928. La teneur du contrat passé eutre Lécapène et l'ambitieux moine ne nous est pas connue. Y eût-il une époque fixée d'avance où Tryphon devait se retirer spontanément, ou bien la faculté fut-elle laissée à l'empereur de choisir le moment où la démission aurait lieu? Nous croirions volontiers que cette dernière clause fut en réalité stipulée. En effet, dès que Lécapène eut appris la promotion de Jean XI à Rome et la toute-puissance ecclésiastique et civile exercée en son nom par le patrice Albéric, il songea à réclamer du patriarche Tryphon l'exécution de sa promesse (931). L'âge de Théophylacte ne l'inquiétait plus. Albéric ne ferait sur ce point aucune difficulté. Il n'en fut pas de même de Tryphon qui refusa nettement de quitter le poste. On imagina alors d'intenter à ce patriarche récalcitrant un procès canonique basé, disait-on, sur l'ignorance crasse de ce dignitaire. On prétendit qu'il ne savait même pas écrire. Un concile se réunit à Constantinople au mois d'août 931, pour juger la cause. L'accusé vint s'asseoir au siège patriarcal et devant tous les évêques assemblés, prenant un parchemin, il y traça les lignes suivantes : « Tryphon par la miséricorde de Dieu, patriarche de Constantinople, la nouvelle Rome. » C'était réfuter péremptoirement le reproche de ne pas savoir écrire. Ceux des évêques qui n'étaient pas dans le secret de la comédie éclatèrent en applaudissements et croyaient l'affaire terminée.
30. Ce parchemin ainsi revêtu de la signature du patriarche fut porté par le prototrône a l'empereur Lécapène. Celui-ci tira bon parti de ce blanc seing. Il y fit superposer un acte de démission où le patriarche, reconnaissant son indignité, déclarait abandonner son titre et ses fonctions pour aller finir ses jours dans un monastère. Ce faux en écriture authentique fut rapporté au concile par le fidèle prototrône, qui jura par les serments les plus solennels que le tout était très-réellement de l'écriture de Tryphon. Les réclamattons de ce patriarche qu'on avait voulu d'abord déposer
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parce qu'il ne savait pas écrire et qu'on déposait maintenant parce qu'il avait trop écrit, furent inutiles. Sa déposition fut prononcée conciliairement; il dut se retirer dans un monastère où il mourut de chagrin quelques mois après. On ne procéda point à une nouvelle élection et le siège patriarcal demeura vacant jusqu'au retour des ambassadeurs que Lécapène s'était hâté d'envoyer à Rome, chargés des lettres les plus flatteuses pour le patrice Albéric. L'empereur s'adressait directement à lui, sans même parler du pontife nominal Jean XI, et le priait de seconder ses paternels projets en faveur de Théophylacte. Albéric et Lécapène étaient dignes de s'entendre. Un empereur de Byzance pouvait bien mettre son fils mineur sur un siège patriarcal, quand le marquis de Tusculum avait placé son jeune frère sur le trône apostolique. La requête de Lécapène fut donc accueillie sans difficulté aucune. Un rescrit de Jean XI conféra la dignité patriarcale au jeune Théophylacte. Des légats furent envoyés à Constantinople pour assister à son sacre qui eut lieu le 2 février 933. Le prince, objet de cette faveur, entrait dans sa seizième année. Albéric avait obtenu pour lui un privilège jusque-là inouï. La lettre pontificale l'autorisait, lui et ses successeurs, à prendre le pallium sans recourir à l'autorité du pape. Cette concession déjà si large fut encore exagérée depuis par les Grecs. Leurs évêques prirent tous le pallium 1. Le patriarche de seize ans ne prit pas encore en main les rênes de l'administration ; il continua ses études et Lécapène son père fut le véritable métropolitain. Mais à vingt ans, Théophylacte revendiqua son indépendance et ne justifia que trop par ses excès la sagesse des lois canoniques, qui ont fixé l'âge auquel il est permis, dit Lebeau, de monter aux divers degrés de la hiérarchie. Il ne connut plus de règles et se livra sans pudeur à toutes ses passions. Les fonctions de son ministère lui étaient en horreur. Maître des dispenses, il cru pouvoir se dispenser lui-même de toute loi divine et humaine. Les chroniques contemporaines nous avertissent qu'elles rougiraient
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1 Bona. lieruni Litunjicar. Lit). I. cap. xxrv. § 16,
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de raconter ce qu'il ne rougissait pas de faire. Il fournissait aux dépenses de son luxe et de ses débauches par le trafic des évêchés et des bénéfices ecclésiastiques qu'il vendait au plus offrant. Pour se distraire de la gravité des saints mystères qu'il trouvait fastidieuse, il y introduisit des danses, des représentations théâtrales accompagnées de chants profanes, alliant ainsi le culte du diable à celui de la majesté divine. Les chevaux étaient sa passion dominante. On lui en comptait plus de deux mille, logés dans de véritables palais. C'était pour lui la portion la plus chérie de son diocèse. Insensible aux misères des pauvres, il nourrissait ses chevaux des fruits les plus rares; il n'épargnait pour eux ni les liqueurs exquises ni les parfums les plus précieux. On rapporte qu'un jour de jeudi saint, comme il célébrait la messe solennelle, on vint lui annoncer un incident d'écurie. La nouvelle lui parut si intéressante qu'il termina court, jeta ses habits pontificaux et courut voir un poulain qui venait de naître d'une de ses juments favorites ».