Croisades 29

Darras tome 23 p. 566

 

62. Au moment où cette touchante recommandation arrivait en Europe, la peste décimait l'armée de la croisade : elle faisait tomber plus de chevaliers sous son atteinte meurtrière que n'en avaient pu abattre les Turcs. « Par des causes qui nous sont inconnues, dit Guillaume de Tyr, en pleine abondance et dans la paix la plus pro­fonde, après la grande bataille d'Antioche et l'assainissement de cette ville, où les croisés victorieux s'étaient établis en sécurité, une effroyable contagion éclata au milieu du peuple fidèle. Il paraît que

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1 Anselm. de Ribodimonte, Epist. Patr. lat., t. CLV, col. 471. Anselme de Ribemont ne fait point allusion à la mort d'Adhémar de Monteil. Il y a donc tout lieu de croire, suivant la remarque des auteurs de l’Histoire littéraire de France (Hisl. littér., que sa lettre fut écrite avant cet événement, c'est-à-dire dans les premiers jours de juillet 1098. t. VIII, p. 496.)

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le saint évéque Adhémar de Monteil, dont la mort avait été si foudroyante, fut la première victime de ce fléau, dont on ne soup­çonnait pas encore la présence. Les jours suivants, l'épidémie prit une telle intensité, que les morts se comptaient par centaines. Henri d'Asche, l'un des plus graves guerriers, succomba dans la forteresse de Turbessel (Tel-Béchir) qu'il commandait, et où il fut inhumé. Raynard d'Amersbach, chevalier allemand de la plus haute naissance, eut le même sort à Antioche, et fut enseveli dans le vestibule de la basilique du prince des apôtres1. » — « La mort sévissait sans distinction de rang ni de condition, dit Albéric d'Aix, empor­tant chevaliers et fantassins, nobles et gens du peuple, moines et clercs, grands et petits2. » L'évêque Odo de Bayeux, frère de Guillaume le Conquérant et oncle de Robert Courte-Heuse, atteint de la contagion, termina à Antioche sa carrière d'ambition et d'aventures. « On remarqua, dit Guillaume de Tyr, que le fléau sévit surtout sur les femmes : en quelques jours près de cinquante mille succombèrent. Il ne manqua pas de théoriciens qui cherchèrent les causes physiques d'un tel désastre : les uns disaient que des éma­nations putrides avaient infecté l'atmosphère ; d'autres soutenaient que la transition subite d'une famine extrême à une abondance inespérée avait produit des excès funestes. Ils conseillaient dès lors une grande sobriété dans le régime de vie. De fait il se trouva que ceux qui avaient pu résister à la tentation d'assouvir trop vite leur faim aux premiers jours, résistaient mieux aux atteintes de la ma­ladie3. » Mais toutes les spéculations, tous les conseils après coup ne remédiaient à rien. La mortalité continuait toujours en de telles proportions, que le chiffre des victimes, s'il faut en croire Albéric d'Aix, atteignit le nombre de cent mille personnes4.

 

     63. La même solution se présenta à toutes les intelligences, quelle que fût la différence des théories. A tout prix, il fallait quitter Antioche, où l'air était mortel. Les pèlerins enssent voulu qu'on prît

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' Guillclm. Tyr., 1. VIT, cap. i, col. 378.

2      Albéric. Aquens., 1. VII, cap. iv. col. 515.

3      Guillemin. Tyr., toc. cit.

Supra centum milita sine ferro morte vastnti sunt. (Alber. Aq., loc.cit.)

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immédiatement la route de Jérusalem. Dans la terreur que la ré­cente victoire des croisés avait inspirée en Orient, la marche n'au­rait pas été troublée. «Mais, dit Robert le Moine, la chaleur était telle, qu'on eût pu se croire dans un brasier ardent. Les contrées à parcourir étaient à cette époque de l'année absolument désertes; toutes les sources étaient à sec. Les Sarrasins nomades se hasar­daient seuls, à dos de chameau, dans ces parages". » On ne pouvait d'ailleurs révéler à la multitude, si pressée de quitter Antioche, le défi officiellement envoyé par le calife de Bagdad, qui fixait au ven­dredi, troisième jour avant la Toussaint (29 octobre 1098), la ba­taille décisive. Le secret de ce cartel fut tellement bien gardé, qu'au­cun des chroniqueurs de la croisade n'en eut connaissance, et que, sans la lettre des princes aux chrétientés d'Occident, le fait fût de­meuré inconnu à tous les historiens1. Comment d'ailleurs sans la plus haute imprudence abandonner Antioche, cette clef de la Pa­lestine, cette capitale de la Syrie, aux ardentes convoitises des Turcs, qui épiaient l'occasion de la reprendre? comment laisser à Edesse un comte latin qui se fût trouvé sans communication avec la grande armée ? comment abandonner de même toute la Cilicie, l'Arménie chrétienne, la Syrie entière, et fermer le chemin aux nou­veaux pèlerins qu'on appelait d'Occident? Telles furent les graves préoccupations dont chacun des membres composant le conseil de guerre de la croisade eut à tenir compte2. « Les princes se rassem­blèrent pour en délibérer, dit Guillaume de Tyr. On trouvait le vœu émis par la multitude des pèlerins fort digne d'être pris en consi­dération ; quelques-uns furent

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1.  Robert. Mooach., 1. VU, cap. vi, col. 733.

2.  Inutile de dire qu'aucun historien moderne n'a pris la peine de relever le fait. Est-ce parce que la lettre des princes croisés était un monument officiel, qu'on a cru pouvoir ainsi l'ensevelir dans un silence de parti pris?

3. Pas un des modernes historiens de la première croisade n'a signalé cette situation. Tous à l'envi se déchaînent contre la prétendue oisiveté à laquelle les princes condamnèrent, d'après eux, une armée victorieuse. En thèse gé­nérale, si l'on prend le contre-pied exact des affirmations de l'école rationa­liste, on est historiquement dans le vrai. Ici encore la règle se vérifie d'une manière absolue.

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d'avis d'y donner suite et de partir immédiatement pour Jérusalem. Mais quand des esprits moins im­patients eurent représenté les dangers d'une telle entreprise par une chaleur lorride, à travers des contrées dépourvues d'eau, quand ils eurent rappelé qu'on allait imposer ces fatigues surhumaines à une multitude depuis longtemps épuisée par la famine et en ce mo­ment décimée par la peste, il n'y eut qu'une voix dans tout le con­seil pour repousser cette motion, abandonnée sur l'heure même par ceux qui l'avaient soutenue les premiers. Il fallait avant tout rétablir la santé générale, recomposer les corps d'infanterie,  remonter la cavalerie, dont les chevaux, soumis à l'influence épidémique, périssaient par milliers. Le séjour d'Antioche n'offrait plus aucune garantie de salubrité ; mais dans les montagnes voisines on trouve­rait un air pur : chacun des princes pouvait dès lors se mettre à la tête de son corps d'armée pour ces excursions particulières. Les pè­lerins seraient invités à s'adjoindre à leur gré à chacune de ces stations sanitaires, où l'on attendrait le retour de l'automne pour se réunir de nouveau à Antioche dans le courant du mois d'octobre. Cette résolution fut adoptée, dit Guillaume de Tyr, à l'unanimité des vœux1. » Restait à la faire agréer par l'immense multitude. Il paraît que la chose n'était pas facile. « On chercha, dit Robert le Moine, sans pouvoir le trouver d'abord, un homme qui voulût se charger d'annoncer cette nouvelle au peuple2. » Enfin il s'en pré­senta un (peut-être fut-ce Pierre l'Ermite). Du haut d'une estrade, il s'adressa à la multitude frémissante et voici, d'après Baldéric de Dol, les termes dans lesquels il s'exprima : « Le peuple de Dieu a acheté par trop de souffrances le droit d'être sur-le-champ conduit au saint Sépulcre, terme de son pèlerinage, pour que nul ait la pré­somption de différer arbitrairement cette pieuse joie. La nécessité seule, nécessité urgente, peut imposer un délai. Par le fait même de la responsabilité qui leur incombe, les princes ont le devoir de résister à toute précipitation exagérée, de ne rien livrer au hasard, de ne prendre que des me-

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1. Guillelm. Tyr., 1. VII, cap. n, col. 379. 2 2.Robert. Monach., 1. VII, cap. îv, col. 733.

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sures sagement et mûrement concertées. Les régions qui nous séparent de Jérusalem sont dépourvues d'eau; l'été que nous subissons est, comme sécheresse et comme chaleur, extraordinaire en ce climat : c'est à peine si à l'ombre de nos mu­railles nous en pouvons supporter les ardeurs. Deux longs sièges ont épuisé nos ressources matérielles et nos forces physiques. Pour le moment, tenons-nous en repos, soignons nos malades et nos bles­sés, ayons pitié de nos pauvres. Attendons le solstice d'hiver, qui ramènera la saison des pluies et fera de nouveau couler les sources d'eau vive. A l'abri dans les montagnes voisines d'Antioche, à l'ombre des grands arbres, dans un air salubre, nous attendrons la fin de ces chaleurs torrides, et nous ne reviendrons à Antioche, pour reprendre tous ensemble notre voyage au saint Sépulcre, que vers le mois de novembre, quand l'atmosphère sera rafraîchie et la mar­che moins pénible. Agir autrement serait condamner tout le peuple à la mort.» Ainsi parla l'orateur, ajoute Baldéric de Dol, et des acclamations unanimes accueillirent son discours. «Quiconque est en état de quitter Antioche, reprit l'orateur, peut choisir à son gré celui des princes sous la bannière duquel il veut se ranger pour l'excursion dans les campagnes voisines. Il sera, s'il est pauvre, pourvu à sa subsistance par le prince qu'il aura pris pour chef. Quant aux malades, ils continueront à être soignés aux frais du trésor public. » Cet arrangement ainsi porté à la connaissance des soldats et des pèlerins obtint l'approbation de tous. Les princes avec leurs corps d'armée respectifs se dispersèrent donc dans les diverses régions de la Syrie pour y passer l'été. Les pauvres nourris par eux les suivirent dans leurs divers campements1. »

 

   64. « Boémond prit la route de Cilicie, visitant successivement, dit Guillaume de Tyr, les villes de Tarse, Adana, Mamistra (Mop-

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1 Balder. Dol., 1. III, col. 1126. Ces faits, mal étudiés par les auteurs mo­dernes, ont été tellement dénaturés, qu'on lit à ce propos, dans une récente Histoire de Godefroi de Bouillon, la phrase suivante : « Les seigneurs se ré­pandirent dans les villas et les châteaux du voisinage et y vécurent en liesse, laissant périr les pauvres gens qui ne pouvaient s'éloigner du foyer de la contagion. » Encore ici, c'est le contraire juste de cette odieuse affirmation qui est la vérité.

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sueste) et Anazarbe, où il établit solidement sa domination. Le duc de Normandie alla s'établir à Laodicée (Lalakié), port de mer dont les habitants, tous chrétiens, reconnaissaient encore la suzeraineté de l'empire grec1. » Robert de Flandre se fixa dans une vallée plus voisine d'Antioche, dont le territoire aussi peuplé que fertile, était couvert de cités alors opulentes, aujourd'hui disparues, telles que Baléné, Barthémolin, Corsehel, Barsolian. Tancrède trouva dans sa forteresse de Hareg et dans les campagnes environnantes, sur la rive droite de l'Oronte, un asile pour ses soldats et ses pauvres3.

Godefroi de Bouillon, suivi par la plus grande partie de l'armée et des pèlerins, se dirigea vers Edesse, où le comte Baudoin lui ména­geait à lui-même l'accueil le plus fraternel et à toute sa suite la plus magnifique hospitalité. — "Dès la première apparition du fléau, dit Albéric d'Aix, grand nombre de croises, confiants dans la géné­rosité bien connue du nouveau comte d'Edesse, s'étaient portés sur la rive droite de l'Euphrate. Mais dans le trajet ils avaient eu plus d'une fois à subir les agressions des Turcs cantonnés dans la cita­delle de Hazarth (aujourd'hui Aïn-Zarba, située à quelques lieues au nord d'Alep, entre Édesse et Antioche). Un chevalier nommé Foucher, originaire du castrum de Bouillon, fut victime d'une atta­que de ce genre. Escorté de quelques soldats, il se rendait à Édesse avec sa noble et jeune épouse, lorsqu'il fut assailli par les Turcs et égorgé avec tous ses compagnons. Seule sa femme fut épargnée et conduite au gouverneur de Hazarth, où elle se vit bientôt entourée d'hommages plus cruels à son cœur que la mort elle-même. Or, ce gouverneur s'était mis en révolte contre le sultan d'Alep, et celui-ci vint l'assiéger dans sa forteresse. La captive chrétienne persuada à son maître d'implorer l'assistance de Godefroi ds Bouillon, le plus puissant et le plus loyal des princes latins. Le duc saisit cette occa­sion d'intervenir dans la discorde des deux chefs musulmans, pour affaiblir leur puissance. Il promit du secours, et reçut en otage le jeune Mohammed fils de son nouvel allié. Comme dans l'inter-

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1.Guillelm. Tyr., 1. VII, cap. h, col. 379.

2.Radulf. Cadom., cap. lu, col. 533.

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valle la place de Hazarth avait été entièrement bloquée, l'envoyé du gou­verneur transmit à son maître la réponse de Godefroi de Bouillon par un moyen qui fit, dit le chroniqueur, l'admiration de tous les chevaliers francs et du duc lui-même. « Il sortit de son sein deux gentilles colombes apprivoisées, qu'il avait apportées avec lui de la citadelle. Sous les plumes de leur queue, avec un fil délié, il attacha un billet et lâcha les oiseaux, qui prirent aussitôt leur vol dans la direction de Hazarth, où le gouverneur fut ainsi informé du jour où Godefroi de Bouillon viendrait à son secours. Les messagers aériens ne le précédèrent que de fort peu de temps. Le duc parut, avec trente mille hommes, à l'époque indiquée ; et le sultan d'Alep, n'o­sant risquer le combal, leva le siège. L'émir de Hazarth ainsi délivré vint à la rencontre de son sauveur. En apercevant le duc, il mit pied à terre, se prosterna à la manière orientale et lui rendit grâces. Il jura sur la loi de Mahomet (le Koran) d'être désormais l'allié fidèle des chrétiens. La noble captive recouvra la liberté. Godefroi offrit à l'émir, comme gage de confédération, un casque rechaussé de lames d'or et d'argent et un bouclier non moins riche, qu'un des ancêtres du duc, Hérébrand de Bouillon, noble et preux chevalier, avait coutume de porter dans les combats1. » Pendant que le héros assurait ainsi les communications entre Edesse et la principauté d'Antioche, le comte de Toulouse qui, au milieu de la contagion générale, avait recouvré une santé parfaite, « s'était, dit Raimond d'Agiles, mis à la tête de son peuple de pauvres et du petit nombre de ses soldats encore valides. » Avec eux il entreprit une campagne dans la province d'Apamée, au centre d'un pays tout entier occupé par les Sarrasins. Les glorieux exploits accomplis alors par le vieux compagnon du Cid ont défrayé l'enthousiasme des chroniqueurs. Sous les ordres du comte de Saint-Gilles, chaque chevalier était un héros. C'est ainsi que Raymond Pelez, le vicomte de Turenne et Goulfier de Lastours, trois de ses vassaux, prirent à eux seuls la forteresse de Thalamanie5. Les lions eux-mêmes subissaient l'ascen­dant de

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1 Alberic. Aq., J. V, cap. v-xu, col. S15-519.

2. Robert. Monach., 1. XH, cap. v, col. 734.

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ces soldats de Jésus-Christ. Un jour, Goulfier de Lastours entendit des rugissements de douleur poussés par un de ces fauves, qu'un énorme serpent avait enlacé de ses replis noueux. Le cheva­lier découpa en tronçons le corps du reptile. Le lion ainsi délivré s'attacha à son sauveur : il allait pour lui à la chasse ; il le suivait dans les combats, déchirant des dents et des griffes les Sarrasins et les Turcs. Au retour de la croisade, on ne voulut point prendre le lion à bord du navire sur lequel Goulfier de Lastours s'embarqua. Mais, quand on eut mis à la voile, le noble animal se jeta à la mer et suivit le vaisseau à la nage jusqu'à ce que, les forces lui man­quant, il disparut dans les flots, saluant de son dernier regard le maître qu'il avait tant aimé et si vaillamment servi3. Le comte de Toulouse s'empara successivement des cités de Rugia, aujourd'hui Riha, et d'Albara, au sud-est d'Antioche. «Albara lui fut vivement disputée, dit Raimond d'Agiles, par une nombreuse armée de Sar­rasins, venue au secours de la place. Dans un sanglant combat deux mille infidèles perdirent la vie, les autres furent faits prisonniers et envoyés à Antioche. La garnison turque capitula et obtint la fa­culté de sortir avec les honneurs de la guerre. Les chrétiens d'Al­bara demandèrent alors qu'on rétablit le siège épiscopal dont jouis­sait autrefois leur ville. Le chapelain du comte de Toulouse, (c'était le chroniqueur lui-même) du haut d'un mur en ruines qui dominait la place publique, s'adressa à la multitude : « Si vous

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1. Le fait eut une telle notoriété et frappa si  vivement l'imagination des contemporains, que la notice pontificale d'Urbain II, attribuée à Bernard Qui-donis, le relate en ces termes : Golferius de Turribus, natione Lemovicensis, vir mémorise dignus, qui cum crebros "xcursus   exerceret in hostes, et multa de die in diem damna eis inferret, accidit una die, dum ad hujusmodi veheretur, quod rugitum terribilem   cttjusdam leonis a serpente immanissimo circumhgati audivit. Quo audito, contra sociorum dissuasionem, ad eum audacter accedens, trun-cato serpente, teonem   libérât.   Qui,   quod   mirabile   dictu   est,  memor accepti beneficii, eum sequitur sicut teporarius unus,   a quo quamdiu fuit in terra ipsa nunquam recedens, mutta ei commoda retulit, tam in venationibus quam in bel-lis : dabat enitn   carnes venaticas  abundanter   et quemcumque domino suo ad versari videret prosternebat. Quem, ut dicunt, in navi positum cum rediret etiam deretinquere noluit, sed nautis   notentibus  eum in  navi  recipere utpote anima tam crudete, secutus est dominum suum per mare natando usquequo tabore de-fecit. (Muratori, Rer. Itatic. Script., t, III, p. 353.

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connaissez parmi vous, dit-il, un clerc qui soit digne de gouverner le peuple fidèle, qui puisse le défendre contre les attaques des musulmans et servir avec courage la cause de Dieu et de ses frères, donnez-lui vos suffrages, et il sera votre évêque. » Mais personne ne répondit à cette invitation et tout le peuple garda le silence. Interpellant alors un clerc de Narbonne, nommé Pierre, qui se trouvait parmi l'assistance, nous lui demandâmes s'il aurait le courage de se dé­vouer à un tel ministère, et de subir la mort plutôt que d'aban­donner aux Turcs la cité dont il allait devenir l'évêque. Pierre jura qu'avec la grâce de Dieu il ne reculerait pas devant le martyre. A ces mots, le peuple éclata en applaudissements, et Pierre fut élu d'une voix unanime. Il reçut la consécration épiscopale à Antioche, et ainsi se trouva établi le premier évêché latin dans les régions orientales. Le comte de Toulouse fît don au nouvel évêque de la moitié de la ville et du territoire d'Albara, conservant l'autre moi­tié pour lui-même1. » Cependant on approchait du mois de novem­bre, époque fixée par le calife de Bagdad pour le grand combat auquel il avait défié l'armée des chrétiens. Tous les princes se réu­nirent donc sous les murs d'Antioche, selon leurs conventions an­térieures. Mais le calife ne parut point, et la peste continuait à sé­vir avec une effroyable intensité. «Quinze cents Allemands de la ville de Regnesburg (aujourd'hui Ratisbonne) sur le Danube, et des provinces rhénanes, dit Albéric d'Aix, répondant à l'appel que les princes croisés avaient adressé à leurs frères d'Europe, étaient ve­nus par mer se joindre à l'expédition qui allait se diriger sur Jéru­salem. Ils débarquèrent au port Saint-Siméon. Mais, dès les pre­miers jours de leur arrivée en Syrie, ils furent atteints de la peste, et succombèrent tous. Pas un seul n'échappa au terrible fléau1. » Dans une telle situation, il était à la fois impossible de rester à Antioche, devenue inhabitable, et de marcher immédiatement sur Jérusalem, en abandonnant la Syrie, dont la conquête avait coûté tant d'efforts. II fallut donc renvoyer au printemps prochain le départ pour la Palestine. En attendant,

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1. Raim. de Agil., cap. xx, col. 624.

2. Alheric.Aq., 1. V, cap. xxm, col. 524.

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on résolut de déblayer d'avance le chemin et de s'emparer des places fortes où les Turcs se concentraient pour barrer le passage. C'était continuer la cam­pagne commencée par Raymond de Saint-Gilles. Tous les princes, Godefroi de Bouillon, Eustache de Boulogne, le comte de Toulouse, le duc de Normandie, Tancrède, Robert de Flandre, à la tête de leurs corps d'armée, se portèrent donc à trois journées de marche au sud-est d'Antioche, et vinrent, le v des calendes de décembre (27 novembre 1098), mettre le siège devant l'opulente cité de Marrah3, dans une position tellement forte, qu'on la jugeait inexpugnable. La résistance fut proportionnée à la vigueur de l'attaque. Ni les tours roulantes, ni les catapultes, ni les autres engins de guerre ne parvinrent à entamer les murailles. « Du haut de la prin­cipale tour, les assiégés lançaient, dit Baldéric de Dol, une matière inflammable qu'on appelait dans ce pays le « feu grec », ignem grecum, feu grégeois, dont l'ardeur était inextinguible1. » Enfin, dans la nuit du 11 décembre, un samedi, Goulfier de Lastours, Guillaume de Montpellier et Éverard le Chasseur, ayant cru remar­quer que les sentinelles turques s'étaient endormies sur le rempart, dressèrent une échelle et parvinrent sur la plate-forme, suivis de quelques chevaliers. D'autres s'élancèrent derrière eux ; mais l'échelle se rompit, et les braves assaillants, isolés sur le rempart, se virent cernés par une foule d'ennemis. Goulfier de Lastours, éten­dant son large bouclier sur ses compagnons, et de son épée frap­pant d'estoc et de taille, essaya de faire une trouée au milieu des Turcs qui l'environnaient. Mais bientôt, succombant sous le poids de ses armes et sous les quartiers de rocher qu'on lui lançait du haut d'une tour voisine, il poussa un cri de détresse. En ce moment

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1.      Différente de la cité de Marach, ou Marésia, que les croisés avaient ren­contrée sur le versant méridional de l'Anti-Taurus, en débouchant dans la vallée d'Antioche. Cf. no 19 de ce présent chapitre. La ville de Marrab, dé­pendant de la sultanie de Damas, était située à l'est d'Albara, au midi d'An­tioche

 

2. Baldéric. Dol., 1. III, col. 1130. « On trouva cependant, ajoute le chroni­queur, une sorte de matière huileuse qui paralysait les effets du feu gré­geois. » Oleum quod maxime illum ignem extinguit. Peut-être cette matière grasse était-elle le bitume.

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d'autres échelles avaient remplacé la première, les croisés arrivaient en masse ; le preux chevalier, soutenu par ce renfort, culbuta les Turcs. Marrah était prise. La population musulmane n'attendit pas que les vainqueurs eussent pénétré dans la ville ; elle s'enfuit tout entière dans les cavernes de la montagne voisine. Il fallut enfumer leurs retraites pour les en déloger1.

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