Darras tome 22 p. 43
20. Pour conjurer tant de désordres et ramener le clergé à l'observation de la discipline cléricale, il fallait abolir les investitures. Le décret suivant fut donc promulgué par Grégoire VII, avec l'assentiment de tous les pères : « Quiconque désormais recevra des mains d'une personne laïque quelle qu'elle soit un évêché ou une abbaye, ne sera nullement compté au rang des évêques ou abbés, et nul ne devra reconnaître son obédience. Nous lui interdisons la communion du bienheureux Pierre et l'entrée de l'église jusqu'à ce qu'il ait renoncé à un titre obtenu par le double crime d'ambition et de désobéissance. Le même décret s'applique aux autres dignités ecclésiastiques de rang inférieur. De plus, si quelqu'un des empereurs, ducs, marquis, comtes, ou tout autre dépositaire du pouvoir séculier, osait à l'avenir donner l'investiture d'un évêché ou de toute autre dignité ecclésiastique, il encourrait la même sentence d'anathème1.» Telle fut cette décision fameuse par laquelle le pontife, avec non moins « de courage que d'ambition, dit M. Villemain, attaquait le droit des princes. » N'en déplaise à l'école rationaliste, qui affecte de présenter ici le «droit des princes » comme essentiel et d'origine supérieure, les princes n'avaient d'autre droit, dans l'élection et l'investiture, que celui que l'Église avait bien voulu leur concéder. Le plus vulgaire bon sens suffit pour concevoir que tous les laïques réunis ne pourront jamais faire un simple tonsuré. La pensée que Néron aurait pu, en vertu « du droit des princes, » créer à côté de saint Pierre un apôtre de son choix, révolte l'imagination. Nous avons dit qu'en faveur de Charlemagne et de ses successeurs, pour le bien de l'Église et de l'État, les papes avaient concédé aux empereurs et aux rois un pouvoir sur les élections ecclésiastiques. Le prétendu « droit des princes » n'avait pas d'autre caractère qu'une concession bénévole du saint-siége. Le jour où par une série d'abus séculaires, cette concession, loin de servir l'Église et l'État, les conduisait l'un et l'autre à une décadence irrémédiable, ne pas la révoquer eût été le dernier des crimes. Le concile romain de 1075 comprit cette nécessité urgente.
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1.Patr. Lat., tom. CXLVIII, col. 785.
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Nous disons le concile, car il importe de dégager ici la responsabilité de l'immortel Grégoire VII. Sans doute son puissant génie avait pris l'initiative d'une mesure qui sauva l'Europe chrétienne; mais il ne voulut point, quoiqu'il en eût le pouvoir et le droit, promulguer seul, en vertu de son autorité apostolique, le décret contre les investitures. Il le soumit aux délibérations du concile. Le décret fut approuvé, non pas seulement par les évêques, mais par les ambassadeurs mêmes de Henri IV. « Ce fut en leur présence et avec leur assentiment, dit Grégoire VII dans une lettre au roi de Germanie, que le concile réuni cette année à Rome, sous notre présidence, a promulgué ce décret, pour rétablir dans son intégrité l'ordre de notre religion sainte aujourd'hui si chancelant, pour arrêter sur le chemin de l'abîme les âmes que le démon conduit à leur perte. En face d'un tel péril, quand le troupeau du Seigneur allait manifestement périr, nous sommes revenus aux ordonnances et à la discipline des saints pères, sans rien innover, sans rien ajouter, nous bornant à remettre en vigueur la règle primitive, telle qu'elle existait de toute antiquité dans l'Église. Si quelques contradicteurs, préférant les honneurs humains à la gloire de Dieu, soutiennent que c'est là un procédé insupportable, nous disons, nous, en appelant ce décret de son véritable nom, qu'il est une mesure de salut non-seulement pour vous et vos sujets, mais pour tous les rois et les peuples chrétiens1. » L'histoire a donné raison à Grégoire VII. Quand le conflit sanglant dont la querelle des investitures fut l'origine eut fait place à la réflexion et au calme, on demeura stupéfait de tant d'orages à propos d'une question si parfaitement simple et claire. Dès l'an 754, le septième concile général, deuxième de Nicée, résumant la tradition constante et universelle, avait dit : « Toute élection d'évêque, de prêtre ou de diacre, faite par les princes, demeurera nulle en vertu de la règle canonique ainsi conçue : « Si quelqu'un emploie le crédit des puissances séculières pour obtenir un évêché ou une église, il sera déposé et
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1. S. Greg. VII. Epist. x, lib. II, col. 441.
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excommunié avec tous ses fauteurs1. » Est-ce là « le droit des princes » si chaudement revendiqué par Henri IV au XIe siècle, et resté depuis si cher à tous les persécuteurs de l'Église?
21. La cupidité des rois et de leurs conseillers, la complicité ambitieuse de prêtres et d'évêques indignes de ce nom, prétendirent ériger la simonie à la hauteur d'un axiome sous le nom de « droit des princes. » On recourut à la législation du césarisme païen pour lui trouver des antécédents ; l'empire de Charlemagne institué par l'Église tourna contre elle l'épée que les papes lui avaient confiée pour la défense de l'Église; le mandant se déclara supérieur à son mandataire, les césars redevenus païens prétendirent absorber les pontifes. D'un bond on voulut faire rétrograder la civilisation chrétienne et ressusciter l'époque de Tibère ou de Caligula. Le rationalisme moderne a voué à l'Église une haine si profonde, qu'il se fait ici le champion de la plus odieuse tyrannie; au nom de la liberté, il prend parti pour Néron contre saint Pierre, pour Henri IV contre Grégoire VII. Il reconnaît aux princes le droit de donner à qui il leur plaît la vocation ecclésiastique, les charges d'âme, les évêchés, les églises, les paroisses. La lutte reprend aujourd'hui sur ce terrain avec une passion aussi acharnée qu'au XIe siècle. Le but est toujours le même, les motifs n'ont pas changé. La cupidité et l'ambition des princes veulent de nos jours comme à l'époque de Grégoire VII, asservir l'Église, la spolier, anéantir toute notion chrétienne d'équité et de justice, renverser partout le règne du droit pour y substituer celui de la force. Grégoire VII sauva l'Europe au moyen âge; qui sauvera notre société moderne et arrachera les rois et les peuples au gouffre révolutionnaire dans lequel ils se précipitent comme à l'envi? Le concile romain de 1075, après avoir posé le grand principe de salut réclamé par les nécessités de l'époque, en retirant aux princes le privilège des élections ecclésiastiques et en abolissant l'abus trop longtemps toléré des investitures 2, renouvela les lois portées l'année précé-
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' Pe.tr. Lat. loin, GXLVJH, eol, 7§9.
2. « II est évident, dit le docteur Héfélé, que la défense portés par Grégoire VII contre les investitures était fondée et légitime. L'investiture est une
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dente contre les simoniaques et les clérogames. Le prince-évêque de Prague, Jaromir, dont les entreprises belliqueuses contre l’évêché d'Olmutz avaient fait le scandale de l'Europe entière, comparut en personne et se soumit humblement à la décision du concile. Grégoire VII accueillit favorablement son repentir, lui fit promettre de renoncer à ses façons conquérantes et le renvoya absous1. Le grand pape n'était point inexorable. Le moindre signe de résipiscence lui suffisait pour faire grâce. Il l'avait prouvé naguère à propos de Cencius. Sa conduite, comme archidiacre, vis-à-vis du traître Wibert, l'avait surabondamment démontré. Sa devise était: Justitia et pax. Dans un merveilleux tempérament il savait tenir la balance égale entre les justes rigueurs de la loi et les tendresses de la miséricorde. D'une main il relevait les pécheurs repentants, de l'autre il frappait, jusque sur le trône, l'orgueil obstiné des rebelles. Les ambassadeurs de Philippe I reçurent ordre de dire à leur maître que s'il ne changeait de conduite, il serait frappé d'anathème. L'excommunication prononcée l'année précédente contre les chefs normands Robert Guiscard et Robert de Loritello fut maintenue jusqu'à ce qu'ils eussent restitué à l'église romaine les biens injustement usurpés.
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instilutio corporalis, une installatio ; c'est l'installation dans sa charge de celui qui est élu, nommé ou confirmé, par la remise des insignes qui distinguent sa fonction. Or, de même qu'un évêque ne saurait avoir comme tel le droit d'investir de leur charge les officiers royaux, ou de leur remettre les insignes de leurs grades militaires, de même, tant que l'Eglise ne sera pas devenue une pure administration civile (et le jour où elle le deviendrait elle aurait cessé d'être l'Eglise), le roi, comme tel, n'a pas le droit d'investir les évêques par la crosse et l'anneau. Même au dix-neuvième siècle, la droit civil n'a jamais eu à l'égard de l'Eglise de pareilles prétentions, et toute investiture des clercs se fait par les supérieurs ecclésiastiques. » (Hist. des Conciles, tom. VI, p. 509.) Depuis que M. Héfélé a écrit ces lignes, « le droit civil du dix-neuvième siècle» a progressé dans sa marche contre l'Eglise, ou plutôt il a rétrogradé sous le nom de progrès jusqu'aux libérales prétentions du tyran Henri IV. En certains pays, les pouvoirs laïques, protestants, rationalistes ou athées se font gloire de distribuer à leur gré les pouvoirs ecclésiastiques et les charges d'âme.
1. M. Villemain s'indigne de cet acte de clémence de Grégoire VII. Il eût préféré avoir à reprocher au pontife une rigueur inexorable. Cf. Hist, de Grèg. VU, tom. I, p. 411 ; Epist. lui, lib. II, col. 405.
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§ V. Victoire, cruautés et excès de Henri IV.
22. Pendant que, préoccupé de rétablir en Europe sur des bases inébranlables la paix ecclésiastique et civile, Grégoire VII adressait au patriarche d'Aquilée Sigéard et à saint Annon de Cologne 1 les décrets du concile romain, Henri IV se disposait à éteindre dans des flots de sang la voix de la justice et de la vérité. Le jour de Pâques (5 avril 1075), comme il assistait solennellement à la messe célébrée par Sigefrid dans la cathédrale de Mayence, un envoyé saxon, porteur de lettres suppliantes, les présenta tout à coup à l'archevêque qui montait en chaire et le conjura, pour l'amour de Dieu, d'en donner lecture au peuple. Henri défendit de commencer cette lecture, et comme l'envoyé saxon s'efforçait de faire connaître en peu de mots le contenu de ces lettres, en suppliant tous ceux qui avaient quelque sentiment de crainte de Dieu dans le cœur de ne point prendre parti contre la Saxe avant de savoir si elle était coupable, il se vit entouré par les gardes, accablé de coups et traîné à demi mort sur le parvis de la cathédrale. Henri IV avait trouvé un prétexte admirable pour reprendre les hostilités contre la Saxe et se dégager des obligations souscrites par lui à Goslar. On se rappelle que, d'après les conventions réciproques, les forteresses élevées sur le territoire saxon devaient être détruites. Or, la plus importante de toutes était celle de Hartzbourg, qui comprenait dans son enceinte un palais, une église et un monastère. Les officiers royaux avaient reçu l'ordre d'abattre seulement les remparts de la forteresse et de veiller à la conservation des édifices intérieurs. Mais les officiers ayant appelé à cette besogne les paysans du voisinage, ceux-ci accoururent en foule pour faire tomber tout entier le monument de leur servitude ; le château royal, le monastère, l'église furent rasés ; l'incendie acheva de détruire jusqu'aux ruines elles-mêmes, en sorte
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1. Id., Epist. lxii et lxVii, lib. II, col. 412 et 416.
4S PONTIFICAT DE GRÉGOIRE VII (1073-1085).
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que les restes d'un frère et d'un fils premier-né de Henri, inhumés en ce lieu, disparurent dans la conflagration. Ce fait isolé d'une vengeance exclusivement locale fut aussitôt désavoué par les autres provinces. Les seigneurs saxons déclarèrent au roi qu'ils n'étaient pour rien dans ce mouvement populaire, qu'ils allaient faire une enquête et punir les coupables. Mais Henri n'avait garde d'écouter leurs protestations. Il prêcha une sorte de guerre sainte pour venger le sacrilège de Hartzbourg. Dans une lettre à Grégoire VII, il le suppliait « d'implorer pour lui la protection du divin Crucifié » dont il partageait les opprobres. Domnizo, qui seul nous a conservé ce détail, ajoute que « le pape se hâta d'envoyer un légat en Germanie, avec ordre d'exiger des Saxons toutes les réparations légitimes ; il en donnait sur-le-champ avis au roi, en le suppliant de surseoir à son expédition contre la Saxe jusqu'à l'arrivée du nonce apostolique. Mais, dans son ardeur de vengeance, le roi n'en fit rien1. » Le 13 juillet 1075, tombant à l'improviste sur les Saxons qu'il avait jusque-là amusés par des négociations illusoires, il en égorgeait vingt mille dans les plaines de Hohenbourg. Traversant la Saxe comme un ouragan de fer et de feu, il ruina, incendia et pilla tout sur son passage. Les soldats eux-mêmes se lassèrent de cette œuvre d'extermination et refusèrent leur service.
23. Sigefrid de Mayence, qui accompagnait le roi dans cette guerre dévastatrice, trouva un moyen aussi révoltant qu'atroce pour apaiser les murmures et retenir les mécontents sous les drapeaux. Du haut d'une tribune dressée au milieu du camp, il prononça une harangue sacrilège, concertée avec Henri et conçue en ces termes : « Soldats, la guerre que vous faites est sainte, les Saxons en violant les églises et la tombe des chrétiens avaient
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1 Domnizo. Vit. Nathid., cap. xix; Patr. Lat., tom. CXLVIII, col. 99%. Malgré ce témoignage formel d'un auteur contemporain, en position par ses fonctions de chapelain de la comtesse Mathilde, d'être exactement renseigné, M. Villemain affirme que non-seulement Grégoire VII vit sans aucune indignation l'attentat de Hartzbourg, mais que vraisemblablement il l'avait provoqué par de secrets émissaires. (Hist. de Grég. VII, tom. I, p. 419.
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encouru l'excommunication; vous aviez donc le devoir de les passer au fil de l'épée. Nous venons également de fulminer l'anathème contre les princes et les habitants de la Thuringe, pour les punir de l'audace impie avec laquelle ils ont, à propos de la question des dîmes, envahi l'année dernière l'église d'Erfurth et dispersé à main armée le concile réuni sous notre présidence. Nous déclarons donc la Thuringe en interdit, et vous enjoignons d'y faire passer la justice que vous venez déjà d'accomplir en Saxe. Si l'on était surpris que, sans enquête canonique ni citation préalable, nous ayons pris une mesure si rigoureuse, que tous sachent que nous agissons au nom du seigneur apostolique et que le pape Grégoire VII nous a donné le pouvoir de retrancher les peuples de la Thuringe de la communion de l'Eglise, sans nous astreindre aux formalités d'usage1. » Jamais mensonge plus infâme n'avait souillé une bouche épiscopale. Cet anathème lancé à propos d'une question de dîmes et présenté sous le couvert de l'autorité du pontife romain fut une sentence de mort pour la Thuringe. Tout fut mis à feu et à sang dans cette malheureuse province. «La rapine et la spoliation furent telles, dit Lambert d'Hersfeld, que les valets du train de l'armée finirent par ne plus pouvoir traîner les dépouilles ; ils préféraient brûler le butin, plutôt que de le recueillir. Les femmes réfugiées dans les églises, comme en un lieu d'asile, après y avoir subi les derniers outrages, étaient livrées aux flammes ou égorgées. Leurs époux, leurs frères, leurs enfants s'étaient tous cachés dans l'épaisseur des bois au risque d'y mourir de faim. À leur retour, ils ne trouvèrent que les cendres de leurs maisons incendiées, les cadavres de leurs femmes, de leurs sœurs ou de leurs mères5. » Cependant, l'armée des bourreaux avait créé le désert autour d'elle ; Henri IV se vit contraint, pour échapper à la famine, de
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1. Lambert. Hersfeld. Annal. 1075; Patr. Lat.,tom. CXLVI.col. 1187. M. Villemain passe complètement sous silence ce nouvel attentat de Henri IV et de Sigefrid de Mayence, osant l'un et l'autre imputer au pape la responsabilité de leurs cruautés sans nom.
2. Lambert d'Hersfeld, loc. cit.
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suspendre momentanément ses boucheries sauvages. Il dut licencier ses troupes (août 1075), en leur donnant rendez-vous pour le 22 octobre suivant à Gerstungen, afin de reprendre les opérations interrompues.
24. Sa politique vis-à-vis du pape, dont il venait de compromettre si odieusement le nom en l'associant à des cruautés jusque-là sans exemple, fut aussi astucieuse que son expédition avait été barbare. Il avait soigneusement intercepté toutes les communications avec Rome et fait garder tous les passages entre l'Allemagne et l'Italie, étouffant ainsi le cri des victimes et l'empêchant d'arriver au représentant de Jésus-Christ. Nul ne pouvait franchir ce cercle de fer sans une autorisation expresse. Mais, pour ne point éveiller les soupçons du pontife par une interruption complète de tous rapports officiels, dès la fin du mois de juillet il avait pris soin d'envoyer à Rome deux ambassadeurs, dont une lettre de Grégoire VII, adressée le 11 septembre à la duchesse Béatrix et à la comtesse Mathilde, nous fait connaître les instructions. « Nous n'avons reçu, dit le pontife, aucune nouvelle du roi de Germanie depuis l'arrivée de deux nobles et religieux députés venus à Rome avant le mois d'août et y séjournant encore. Le message dont ils étaient porteurs est conçu en ces termes : « Sache votre sainteté, très-bienheureux père, que la plupart des princes de mon royaume seraient bien plus disposés à renouveler la discorde entre nous qu'à y maintenir l'union et la paix. Je vous adresse donc secrètement ces deux envoyés, dont je connais les sentiments nobles et religieux, et qui n'ont rien plus à cœur, j'en suis certain, que d'affermir la concorde entre nous. Je désire que le secret des négociations reste entre vous, l'impératrice mon auguste dame et mère, ma tante Béatrix et sa fille Mathilde. Lorsque, avec l'aide de Dieu, je serai de retour de mon expédition en Saxe, je vous enverrai d'autres députés choisis parmi mes plus fidèles et mes plus intimes, pour vous faire connaître toute ma volonté et vous exprimer la vénération que je dois au bienheureux Pierre et à vous. » Telle est, ajoute Grégoire VII, la teneur de la lettre royale. En la remettant aux deux envoyés, le roi leur a recommandé d'attendre
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patiemment à Rome la seconde députation et de ne point s'étonner du retard qu'elle pourrait subir, résolu qu'il était à l'envoyer au moment opportun. Pourquoi cette députation n'est-elle pas venue ? demande le pape en terminant. J'aurais tout lieu d'en être surpris, si je ne comprenais qu'en reprochant aux autres de semer la discorde entre nous, c'est lui-même qui prépare une rupture et qu'en affectant d'être seul à désirer la paix, il est le seul à n'en pas vouloir1.»
25. Les tragiques événements dont la Lombardie venait d'être le théâtre ne justifiaient que trop les soupçons du pontife. A travers les Alpes, les simoniaques de Milan, répondant aux excitations de Wibert de Ravenne, de Cencius et du cardinal apostat Hugues le Blanc, avaient tendu la main à Henri IV et dévoilé le secret de sa politique. Aussitôt que le décret du concile romain interdisant les élections et les investitures laïques avait été connu en Lombardie, l'effervescence schismatique avait pris les proportions d'une véritable guerre civile. Les évêques simoniaques se réunirent pour protester, déclarant qu'ils n'accepteraient jamais d'autre métropolitain que l'élu du roi. Cet élu, on le sait, était Gothfred. Mais, dans leur rage de servilisme, les évêques réfractaires faisaient bon marché de cet intrus ; ils n'entendaient point se lier à son égard, ni s'embarrasser dans une question personnelle. Tant qu'il plairait au roi de maintenir Gothfred, ils le soutiendraient eux-mêmes ; si le roi l'abandonnait pour choisir quelque autre, ils feraient de même1. Ce compromis ne satisfaisait qu'à moitié l'ambition de Gothfred. Il se rappelait le serment prêté par tous les Milanais sans distinction de parti, alors que sur les débris fumants de leur ville, après l'incendie connu sous le nom de « Feu de Castiglione3, » ils avaient juré de ne jamais lui ouvrir leurs portes. Soit que la scélératesse humaine, impuissante à varier ses moyens, ne puisse jamais sortir d'un même cercle de crimes, soit que le
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1.S. Greg. VII. Epist. v, lib. III, col. 434.
2. Bolland. Act. S. Uerlembald., 27 jun.; Cf. Patr. Lat.,kom. CXLIII,col. 149k
3.Cf. tom. XXI de cette Hist. chap. iv, n» 12.
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hasard seul sous la direction providentielle ait amené cette coïncidence, toujours est-il que le mardi saint (31 mars 1075), un nouvel incendie éclata, plus violent que le premier et surtout plus désastreux, puisque, selon l'expression du chroniqueur, il dévora un plus grand nombre d'églises. « Mille ans ne suffiront pas, ajoute le naïf historien, pour en effacer la trace. » La consternation fut immense; seul, le chevalier Herlembald, parmi tant de calamités, conservait son courage et le communiquait aux malheureuses victimes. Mais les vavasseurs et les capitanei, tous engagés dans le parti du schisme, et vraisemblablement complices de l'incendie qui venait de terrifier la ville, prétendaient bien en profiter.