Darras tome 14 p. 503
§ IV. L’Origénisme et les trois Chapitres.
20. L'Occident allait en effet devenir l'unique foyer de la lumière et de la foi évangéliques. Le flambeau de l'Orient perdait chaque jour ses rayons, et c'est chose remarquable que l'absence des saints dans l'Église grecque qui en avait tant produit jusque-là, pendant qu'une véritable efflorescence de sainteté éclatait dans l'Église
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1 S. Greg. Magn., Dialog., Mb. II, cap. xxxili, xxxiV; Patr. lai., tom. LXV1, col. 19i. — 2. Dialog., cap. xxxvn. — s Moines d'Occident, tom. Il, pag. 40, 41.
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latine. Le pape Vigilius était arrivé à Constantinople la veille de Noël de l'année 547. Les hypocrites démonstrations qui signalèrent son accueil ne devaient pas durer longtemps. L'impératrice Théodora, eutychéenne dévouée, comptait exploiter la présence du pape au profit de sa secte favorite. Justinien, avec sa manie de rédiger des constitutions dogmatiques, espérait trouver dans le souverain pontife un secrétaire docile pour contresigner ses ordonnances en matière de foi. Son premier essai en ce genre remontait à l'an 543. A cette époque, l'origénisme, si vivement combattu autrefois par saint Jérôme et saint Épiphane, agitait de nouveau les esprits. Le Péri arkone, œuvre équivoque, dont la rédaction primitive remontant à l'illustre docteur d'Alexandrie avait subi les interpolations frauduleuses des gnostiques et des manichéens, était redevenu un thème fécond en controverses. Les monastères de la Thébaïde et de Nitrie, ceux de la Syrie et de la Palestine en avaient fait leur manuel théologique. On vit alors, sous le nom de Protoctistes (ptotè xtisis, création antécédente) et d'Isochristes (isos xristos, pareil au Christ), surgir des sectes qui recrutaient leurs adhérents parmi les moines. Les Protoctistes, ainsi que leur nom l'indique, tenaient pour la préexistence des âmes. Les Isochristes, fondés sur quelques passages du Péeri arkone qui nous sont aujourd'hui inconnus, prétendaient que les apôtres, les saints dont la vertu avait obtenu soit de leur vivant soit après leur mort les honneurs d'un culte public, ne pouvant au jour de la résurrection recevoir un surcroît de récompense ni de gloire, seraient alors rendus égaux à Jésus-Christ. Cette thèse chimérique était combattue à outrance par les Protoctistes. Selon ces derniers le plus grand privilège qu'une âme puisse atteindre est de revenir, par l'expiation et la pénitence, au rang de sa préexistence originelle et de son éclat primordial. En Orient, où une erreur sur la date précise du premier jour de carême soulevait des émeutes1, la discussion bien autrement grave des doctrines du Péri
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1 « En 546, le quatorzième jour de la lune de mars tombait le dimanche, 1er avril. Selon l'usage de l'Église universelle, la fête de Pâque devait être différée au dimanche suivant, 8 avril, et Justinien l'annonça ainsi par un
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arkone ne pouvait manquer d'échauffer les têtes et d'armer les bras. Il ne s'agissait en effet de rien moins que de la négation radicale du dogme chrétien, et du triomphe définitif des rêveries de la Gnose. Dans la donnée des origénistes, la préexistence des âmes se rattachait à un système de rédemption fantastique. Créées avant l'univers visible à l'état d'intelligences pures, les âmes ont été tour à tour anges ou démons, suivant qu'elles sont restées fidèles à leur vocation première. Mais, prévaricatrices ou non, chacune d'elles vient animer le corps grossier des humains, celles-ci pour y trouver une réhabilitation, celles-là une épreuve. L'âme du Christ, préexistante aussi, avait été unie au Verbe longtemps avant l'incarnation : en sorte que le Verbe rédempteur doit revêtir successivement la nature des esprits dégradés, chérubin avec les chérubins, séraphin avec les séraphins, identique en un mot à chacun des chœurs des anges, afin de les racheter tous, comme il a fait pour l'humanité. Dans ces incarnations successives, qui ressemblent assez à celles du Bouddhisme, le Verbe souffre sans cesse ; il est constamment crucifié, et c'est au prix de ces expiations toujours renouvelées, qu'il doit enfin opérer la réhabilitation universelle, ou plutôt la «grande restitution des êtres créés, » selon l'expression même des origénistes. «Malheur, trois fois malheur à notre race orientale ! s'écriait le moine de Gaza saint Barsanuph, en entendant de la bouche d'un de ses disciples l'exposé de ces monstrueuses doctrines. Est-ce donc là, ajoutait-il, ce qui nous fait négliger l'étude sérieuse de l'Évangile? Faut-il voir le génie grec
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décret. Mais le peuple de Constantinople prétendit mal à propos que, le quatorzième de la lune étant un dimanche, cette fête devait être célébrée ce jour-là même. Il s'obstina en conséquence à placer le dimanche de la Sexagésime au 4 février, et à commencer le carême le lendemain, selon l'usage des Grecs. C'était prévenir de huit jours le temps prescrit pour l'abstinence. Aussi l'empereur ordonna-t-il de vendre de la viande pendant toute cette semaine, mais personne n'en voulut acheter; et comme le jour de Pâque ne fut cependant célébré que le 8 avril, selon la teneur de l'édit impérial, le peuple se plaignit de ce qu'on le faisait jeûner une semaine de trop. Peu s'en fallut qu'à ce sujet il ne prît les armes. » (Lebeau, Hist. du Bas-Empire, tom. X, pag. 306. Cf. Theophan., Chronogrupkia ; Patrol. grœc, tom. CVII1, col. 494.)
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s'hébéter à ce point, et tomber sous l'anathème de l'Écriture : Vœ ilis, qui reliquerunt vias rectas, ut ambularent in viis obliquis1 ! Le ciel prend en horreur cette vaine curiosité des humains, et leurs discussions ébranlent la terre2. » En effet, le sang coula plus d'une fois pour ces controverses insensées. Deux patriarches d'Alexandrie, Théodose et Paulus, soupçonnés, le premier d'être hostile, le second d'être favorable à l'origénisme, furent successivement chassés de leur siège par le caprice populaire.
30. L'agitation gagna bientôt la Palestine et la Syrie. En vertu de l'alliance secrète et en quelque sorte instinctive que toutes les erreurs ont entre elles, les eutychéens, ou acéphales, étaient presque tous favorables à l'origénisme. L'évêque de Césarée en Cappadoce, Théodore, surnommé Àscidas (askidion, petite outre), favori de l'impératrice et eutychéen obstiné, passait sa vie à la cour. Le pape lui reprochait plus tard de n'avoir jamais résidé une année entière dans son diocèse. Ce prélat intrigant veillait aux intérêts de la double secte qui lui était chère. Il gardait les avenues du trône, arrêtant au passage les plaintes adressées à Justinien par les victimes des origénistes. Cependant Pierre de Jérusalem réussit à déjouer sa vigilance. Dans une entrevue particulière avec l'empereur, il lui apprit la vérité. Justinien saisit avidement l'occasion d'étaler son érudition théologique. Il composa un volumineux traité contre la doctrine du Péri arhone, le publia sous forme de constitution impériale et en prescrivit l'exécution immédiate. Ce factum se terminait ainsi : « Les blasphèmes d'Origène sont monstrueux. II convient donc de les flétrir par les anathématismes suivants. Si quelqu'un dit que les âmes humaines préexistent au corps, qu'elles étaient à l'origine des intelligences pures, lesquelles dégoûtées plus tard de la contemplation divine sont déchues de leur premier état, et qu'en punition de leur faute elles sont envoyées dans le corps d'un homme, qu'il soit anathème. Si quelqu'un dit que l'âme de Notre-Seigneur préexista à son corps, et qu'elle était unie au Verbe de Dieu longtemps avant son incar-
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1 Jerem., xvm, 15. —2. Barsanuph., Doctrina ci'rca opiniones Origen.; Patr. grœc, toru. LXXXVI, col. 894.
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nation dans le sein de la Vierge, qu'il soit anathème. Si quelqu'un dit que Dieu le Verbe s'est assimilé successivement aux divers ordres angéliques pour les racheter, qu'il soit anathème. Si quelqu'un dit que nous ne ressusciterons pas dans la forme actuelle de nos corps, mais que nous serons transformés en des sphères lumineuses semblables à celles du firmament, qu'il soit anathème. Si quelqu'un dit que le ciel, le soleil, la lune, les étoiles et les eaux supérieures du firmament sont des êtres animés et pourvus de raison 1, qu'il soit anathème. Si quelqu'un dit que dans les siècles à venir le Christ sera crucifié pour les démons, comme il le fut pour les hommes, qu'il soit anathème. Si quelqu'un dit que le supplice des démons et des réprouvés n'est que temporaire, et qu'il prendra fin à l'époque de la restitution ou réintégration universelle, qu'il soit anathème. Enfin anathème à Origène, surnommé Adamantinus (cœur de diamant), lequel a imaginé cette exécrable et perverse doctrine ; anathème à quiconque aurait l'audace de la soutenir ou de la défendre 2. Synodite. » Le décret impérial ne fit qu'accroître la division, les origénistes ne trouvant pas que Justinien fût une autorité compétente en matière de foi; ils raillaient ses prétentions théologiques et donnaient au César le surnom de Ces plaisanteries irritèrent la vanité de l'auguste auteur. Un concile provincial, réuni par son ordre sous la présidence de Mennas de Constantinople, souscrivit ces ana-thématismes. Tous les patriarches d'Orient furent contraints de faire de même. La victoire resta à la force (343). Malheureusement pour Justinien, tout n'était pas irréprochable dans son édit. La doctrine du Péri arkone, condamnable et déjà vingt fois condamnée, méritait bien les anathèmes du théologien couronné; mais de quel droit faire retomber sur Origène lui-même la responsabilité d'erreurs qu'il n'avait peut-être jamais partagées, et que des interpola-
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1. Généralement on suppose à Origène, ou du moins à l'auteur du Péri arkone, l'idée que les astres sont habités. Telle n'était pas la donnée origénienne, et l'anathématisme de Justinien en fait foi. Pour l'auteur du Péri arkone, le soleil, la lune, les astres, étaient eux-mêmes des puissances célestes animées et raisonnables. "Eî -ci; lift*, oùpavôv, xaï î;).iov, xcù ae).^vr,v, xal à<nspa;, ■/.ai -joit! ïi Orapâvto tôW oùfaviHv È|rJ>'jy_oMj -/.a! ).OYi/.à; êïvai Tivct; S'JvâjiE'.ç, ixafir^i ïi-u>. — 2. Justinian., Lib. contra Origenem; Patr. grac, tom. LXXXVl, c. 990.
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teurs hérétiques et posthumes accréditaient sous son nom? La question de foi était ici complètement distincte de celle de la personne. Justinien les confondait l'une et l'autre, ce ne fut pas la seule méprise qu'il commit en ce genre.
31. L'évêque eutychéen de Césarée, l'intrigant Théodore, profita habilement de cette faute. Le concile de Chalcédoine, IVe œcuménique, avait laissé lui-même en suspens une question de personnes, en ne prononçant aucune condamnation, ni contre les écrits de Théodore de Mopsueste, ni contre la fameuse lettre de l'évêque d'Edesse, Ibas, au moine persan Maris, ni contre les opuscules d'une polémique si violente et si passionnée que Théodoret avait jadis opposés aux traités dogmatiques de saint Cyrille d'Alexandrie. Nous avons déjà fait connaître aux lecteurs la doctrine de Théodore de Mopsueste, ce père des deux hérésies pélagienne et nestorienne 1. Nous avons reproduit in extenso la lettre d'Ibas 2 ; enfin nous avons dit que, durant une période de près de dix années, Théodoret n'avait cessé d'attaquer la doctrine de saint Cyrille3 et notamment les douze anathématismes 4 de ce patriarche contre Nestorius. Nous avons ajouté que cette partie des œuvres de l'évêque de Cyr est aujourd'hui perdue. En sorte que des trois fameux capita, ou Chapitres, laissés dans l'ombre par le concile de Chalcédoine, nous n'avons plus maintenant en entier que la lettre d'Ibas; puisque les écrits de Théodore de Mopsueste ne sont pas arrivés jusqu'à nous.
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1 Cf. tom. XII de cette Histoire, pag. 281-283, et tom. XIII,p. 12-14. Théodore de Mopsueste, condisciple de saint Jean Chrysostome et converti par lui (Cf. tom. XI de cette Histoire, pag. 100), était né vers 350 à Antioche, et mort en 428, vingt-trois ans avant le concile œcuménique de Chalcédoine tenu en 451. Il avait, comme nous l'avons dit précédemment, laissé une quantité prodigieuse d'ouvrages, puisque les contemporains en portent le nombre à dix mille, sans doute en comprenant dans ce chiffre tous les sermons et discours de circonstance. Il ne nous en reste aujourd'hui que des fragments détachés,
reproduits au tom. LXVI de la Patrologie grecque. Comme doctrine, la perte de ces écrits n'est guère regrettable; comme style, elle le serait encore moins, s'il faut en croire Photius, qui les appelle « un fatras aussi ennuyeux que prolixe. » (Phot., Mijriobibl., cod. xxviu; Pair, grœc, tom. CII1, col. 71.)
2 Cf. tom. XIII de cette Histoire, pag. 221, 22S. —
3 Tom. XIII de cette
Histoire, pag. 139. —
4 Le lecteur trouvera reproduits intégralement les douze
anathématismes de saiut Cyrille, tom. X1I1 de cette Histoire, pag. 48.
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Pour bien comprendre l'intérêt que les eutychéens avaient à soulever une nouvelle controverse à propos de trois auteurs morts depuis si longtemps, il faut se rappeler que le concile de Chalcédoine avait réhabilité et admis à sa communion Théodoret de Cyr et Ibas d'Edesse, tous deux sincèrement revenus à la foi catholique 1. Le concile n'avait pas jugé à propos de leur infliger une note infamante, à propos d'ouvrages publiés par eux à l'époque où ils étaient encore engagés dans l'erreur nestorienne. La rétractation et le désaveu des auteurs eux-mêmes suffisaient certes à tenir le public en garde contre le danger de pareils écrits. A plus forte raison, le concile de Chalcédoine ne s'occupa-t-il point des ouvrages de Théodore de Mopsueste, lequel était mort depuis vingt-cinq ans et dont l'influence sur la double erreur de Nestorius et de Pélage, bien que réelle, était cependant restée occulte, et n'avait jamais dépassé le cercle étroit de l'intimité, les relations familières de maître à disciple. Etait-ce à dire que le concile de Chalcédoine eût approuvé les œuvres de Théodore de Mopsueste, d'Ibas et de Théodoret de Cyr, dans ce qu'elles renfermaient de favorable aux erreurs de Pélage et de Nestorius? Non sans doute, puisque ce concile avait formellement condamné le pélagianisme et le nestorianisme. Mais les eutychéens trouvaient un intérêt personnel à réveiller cette question. «Théodore de Mopsueste, disaient-ils, fut de son temps un antagoniste d'Origène. Théodore de Mopsueste est l'auteur d'ouvrages évidemment hérétiques. Cependant le concile de Chalcédoine ne l'a pas condamné. Appelons un anathème posthume sur la mémoire de Théodore de Mopsueste ; ce sera du même coup nous venger de la condamnation récemment portée contre l'origénisme et affaiblir l'autorité du concile de Chalcédoine. » Ils raisonnaient de même par rapport à la lettre d'Ibas et aux traités nestoriens de Théodoret. « Quand on verra, disaient-ils, que le concile de Chalcédoine a réhabilité ces deux auteurs, malgré l'hétérodoxie de leurs ouvrages, on cessera de respecter les décisions de cette assemblée. » Ce plan stratégique une fois adopté, l'évêque de Césarée écrivit officiellement à l'empereur pour lui signaler le danger que faisaient courir
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1 Cf. tom. XIII de cette Histoire, pag. 304.
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à la foi catholique les œuvres de Théodore de Mopsueste, d'Ibas et de Théodoret. « Les nestoriens, dit-il, en abusent pour propager leurs erreurs. Ils s'appuient sur l'autorité du concile de Chalcédoine qui a réhabilité Ibas et Théodoret. Aussi, un grand nombre d'orthodoxes se montrent peu disposés à admettre un concile qui a favorisé à ce point le nestorianisme. Auguste empereur, c'est à vous qu'il appartient de calmer leurs justes scrupules. Vous aurez la gloire de pacifier l'Église, en proscrivant les trois Chapitres. »
32. Justinien ne soupçonna pas un instant le piège. Il ne découvrit pas, sous le zèle apparent pour l'orthodoxie dont se masquait l'évêque eutychéen, l'intention secrète de détruire l'autorité du concile de Chalcédoine. Enchanté seulement de l'occasion qui s'offrait de déployer ses connaissances théologiques, il se mit à l'œuvre. « Durant plusieurs mois, dit Procope, on le vit entouré d'évêques, passant les jours et les nuits à discuter avec eux les plus subtiles difficultés des mystères chrétiens. » De ce long travail préliminaire sortit une « Confession de la vraie foi contre les trois Chapitres. » Elle fut publiée sous forme de décret impérial, et adressée à toutes les églises du monde (314). En voici le début : « Au nom de Dieu le Père, de son Fils unique Jésus-Christ Notre-Seigneur et du Saint-Esprit, l'empereur César, ami du Christ, Justinien, alamannique, gothique, francique, germanique, tzanique, alanique, vandalique, africain, pieux, heureux, illustre, vainqueur, triomphateur, toujours vénérable, auguste, à toute l'assemblée de la catholique et apostolique Église. — Persuadé que rien n'est plus propre à attirer sur le monde la grâce et la miséricorde divines que l'union de tous les chrétiens dans une même foi pure et immaculée, nous avons jugé nécessaire de couper court aux divers sujets de dissension et de scandale, en exposant dans cet édit la véritable doctrine enseignée par notre mère la sainte Église de Dieu 1. » Ce fier préambule ressemblait assez à une ridicule bravade. Car enfin Justinien n'avait vaincu ni les germains, ni les francs, ni les alains, ni les tzanes, ni les alamanni. Bélisaire, en
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1 Justinian., Confess. rectœ fidei contra tria capitula; Patr. grœc, t. LXXXVI, col. 000.
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son nom, avait réellement triomphé plus d'une fois des bataillons vandales ou goths, et l'on comprend que l'empereur ait pu avoir un certain droit à prendre les deux titres de Vandalique et de Gothique. Mais tous les autres étaient une véritable usurpation, qui devait peu disposer les fidèles de la Gaule, de la Germanie et des diverses contrées étrangères, à reconnaître en matière de foi l'autorité d'un monarque si vaniteux. Ces prétentions à l'omnipotence territoriale étaient dérisoires. Mais que dire d'un empereur échangeant l'épée de César contre la plume d'un théologien, se transformant en docteur infaillible de l'Église, et rédigeant le catéchisme en décrets? La nouvelle thèse impériale formait un véritable volume. Justinien y exposait sa croyance sur la Trinité, l'incarnation, la rédemption. Il analysait les principaux traités de saint Cyrille contre Nestorius, les canons des quatre conciles œcuméniques de Nicée, Constantinople, Éphèse et Chalcédoine, déclarant que foi leur est due ainsi qu'à l'Évangile. Passant ensuite à l'examen des œuvres de Théodore de Mopsueste, d'Ibas et de Théodoret, il en relevait compendieusement les erreurs et les condamnait en ces termes : « Si quelqu'un défend Théodore de Mopsueste et ne l'anathématise pas, lui, ses écrits et ses sectateurs, qu'il soit anathème. — Si quelqu'un défend les écrits composés par Théodoret en faveur de Nestorius contre les douze propositions de saint Cyrille, et ne les anathématise point; qu'il soit anathème. — Si quelqu'un défend la lettre impie adressée par Ibas à l'hérétique Maris, s'il prétend la soutenir en tout ou en partie, qu'il soit anathème 1. » — « Et maintenant après cette profession de la foi véritable et cette condamnation solennelle des hérétiques, ajoutait-il, quiconque oserait épiloguer sur des mots, des syllabes, des noms propres, comme si c'étaient là les bases de notre croyance, quiconque ne se rallierait pas à notre doctrine, sera livré à la sentence de notre grand Dieu et Sauveur au jour du jugement 2. » — A la lecture de ce décret impérial, on se demanda si Justinien ne s'imaginait pas que c'était à Tibère César, non à saint
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1. Justinian., Confess, rect. fidei; Patr. grœc, tom. LXXXVI, col. 1018. — 2. ld., ibicl., col. 1036.
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Pierre, que Jésus-Christ avait remis les clefs qui ouvrent ou ferment le royaume des cieux. Depuis les plus mauvais jours de Constance et de Valons, on n'avait pas eu d'exemple d'un empiétement si monstrueux du pouvoir civil sur l'autorité doctrinale de l'Église. Ce fut donc de toutes parts un cri d'indignation et d'horreur. « Quoi ! disait-on, la chambre des eunuques va-t-elle remplacer les conciles? L'empereur va-t-il se faire pape? » L'apocrisiaire du saint-siége à Constantinople, le diacre Etienne, protesta contre cette innovation. Le patriarche Mennas imita d'abord sa courageuse résistance, mais bientôt il céda aux menaces et souscrivit le décret. Sa faiblesse devait avoir les plus fâcheuses conséquences. Pour se justifier aux yeux du légat apostolique, il affirma n'avoir donné sa signature que sous la réserve de l'approbation ultérieure du pape. Mais une telle réserve en pareille circonstance n'avait pas grande valeur. Justinien n'en tint aucun compte ; il présenta aux évêques d'Orient la signature de Mennas comme la justification absolue de son édit. Ceux qui refusèrent de le souscrire furent en butte à tous les genres de persécution. Un certain nombre fut envoyé en exil. Dacius, archevêque de Milan, et cinq ou six autres évêques italiens chassés de leurs sièges par les Goths et réfugiés alors à Constantinople, se réunirent au diacre Etienne et se séparèrent de la communion de Mennas. Pierre de Jérusalem, dans un synode, déclara qu'il ne recevrait point un décret si injurieux au concile de Chalcédoine. L'arrivée d'un fonctionnaire impérial chargé d'exiler le patriarche s'il maintenait sa résistance, fit tomber cette généreuse ardeur, et Pierre de Jérusalem souscrivit comme les autres. Zoïle d'Alexandrie, Ephrem d'Antioche, cédèrent de même à la violence. La plupart cependant envoyaient au diacre Etienne des protestations secrètes, qu'ils le priaient de faire parvenir au souverain pontife.
33. Le désordre était au comble. Théodore de Césarée, l'auteur de tant de troubles, s'applaudissait du résultat de ses manœuvres. Justinien s'irritait de plus en plus. Il ne comprenait rien à tout ce tumulte; il relisait sans cesse son édit, le trouvant d'une orthodoxie irréprochable ; il accusait le légat et le pape lui-même d'une igno-
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rance sauvage (agroipous umas èxalèsaméne) 1. Aveuglé par son amour-propre d'auteur, il persistait à confondre une question de personnes avec une question de foi. Aucun catholique ne songeait à professer les erreurs posthumes de Théodore de Mopsueste, ni celles qu'avaient soutenues Ibas et Théodoret à l'époque où tous deux suivaient encore le parti de Nestorius. Mais, d'une part, Théodore de Mopsueste était mort longtemps avant les débats du nestorianisme. Si répréhensibles que fussent ses ouvrages, on pouvait les condamner sans anathématiser rétrospectivement sa personne. D'autre part, Ibas et Théodoret avaient été réhabilités par le concile de Chalcédoine. Les anathématiser sans faire la réserve expresse que leurs erreurs rétractées depuis par eux avaient été solennellement effacées, c'était directement attenter à l'autorité du concile de Chalcédoine, et fournir des armes aux eutychéens acharnés contre les décisions de cette assemblée. Enfin, prononcer sur ces choses essentiellement ecclésiastiques sans le concours de l'Église, sans même que le pape eût été consulté, c'était un sacrilège abus de pouvoir non moins qu'une immixtion ridicule. Justinien crut tout concilier en faisant venir le pape Vigilius à Constaniinople. La voix du pontife pouvait seule désormais calmer les esprits et fixer une véritable règle de conscience. Dans son empressement, l'empereur eût voulu abréger les lenteurs du voyage. Il pressentait que Vigilius ne se prêterait pas volontiers à une démarche tyranniquement exigée, dont on se flattait d'abuser avec plus de tyrannie encore. Voilà pourquoi les ordres donnés au scribo Anthemius avaient été si rigoureux. Quoi qu'il en soit, Vigilius, transporté soudain au milieu de cette effervescence des passions soulevées, suivit une ligne de conduite à la fois modérée et sage, dont Bossuet a dit : Mihi persuasum est omnia à Vigilio optimo consilio esse gesta. « A mon avis, la conduite de Vigilius en toute cette affaire fut d'une prudence admirable 2. » Il commença par anathématiser les eutychéens, ou acéphales. En même temps, il re-
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1 Justinian., Epist. adversus impium Theodorum Mopsttesl. propugnanks ; Pair. <jrœc, tom. LXXXVI, col. 1043. — 2 Bossuet, Defens. declaralionis cleri gallic, lib. VII, cap. xx, édit. Vives, tom. XXII, pag. 48.
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fusa d'admettre à sa communion le patriarche Mennas jusqu'à ce qu'il eût rétracté publiquement la signature donnée au décret impérial. Cette double sentence frappait également et Justinien et l'impératrice Théodora, l'une dans ses sympathies pour l'eutychianisme, l'autre dans son chef-d'œuvre théologique. Ce fut alors qu'eut lieu entre le pontife et les augustes époux, la scène de violence rappelée par le Liber Pontificalis. « Ce ne sont pas des princes chrétiens que je trouve à Constantinople ! s'écria Vigilius. C'est un nouveau Dioclétien et une nouvelle Eleutheria 1. » Un courtisan frappa le pontife au visage, comme autrefois les valets de Caïphe souffletèrent Jésus. Théodora se promettait sans doute une vengeance plus cruelle encore. Le temps lui manqua. Soudainement atteinte d'une horrible maladie, un cancer au sein, elle expira dans des souffrances atroces (juin 548).