Darras tome 6 p.310
50. Les massacres commis en ce jour par la soldatesque en délire sembleraient incroyables s'ils n'étaient décrits par un témoin oculaire. Josèphe affirme qu'il y eut un moment où les flots de sang humain allaient éteindre l'incendie. « Les victimes, dit-il, étaient plus nombreuses que les bourreaux. Les cadavres entassés dans la grande cour du Temple dépassaient le niveau de l'autel. Les pavés
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1 Joseph., de Bell, jud., Mb. VII, cap. x. L'anniversaire de la chute du Temple est toujours pour les Juifs un jour de deuil national. C'est de ce montent qu'ils comptent leur ère de désolation. Le neuvième jour du mois d'Ab, mois néfaste, «où rien de bon n'arriva jamais, » ils marchent pieds nus dans leurs synagogues, ils mangent assis par terre. Dès le premier du mois ils s'abstiennent du vin, de la viande et de l'usage du bain. (F. de Champagny, Rome en Judée, pag. 399.)
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des portiques avaient disparu sous un fleuve de sang. Les cris des mourants mêlés aux vociférations des vainqueurs furent tels, que l'écho des montagnes les répercuta jusque sur la rive orientale du Jourdain, à plus de trente kilomètres de distance. Prêtres, vieillards, femmes, enfants, rien ne fut épargné. Six mille personnes, entassées sous le portique de Salomon, respiraient encore. Les vainqueurs étaient las de tuer; ils mirent le feu à la galerie et les brûlèrent vivantes. Deux prêtres, Méir, fils de Belga, et Joseph, fils de Dalaï, se trouvèrent enfermés dans un îlot que la flamme n'avait pas atteint. Les Romains leur crièrent de se rendre en leur promettant la vie et la liberté ; on forma un passage pour arriver jusqu'à eux, mais se retournant avec désespoir vers le Temple en feu, ils s'y précipitèrent et disparurent dans la fournaise ardente. Tous les portiques, tous les bâtiments accessoires, nommés Gazophylacia, immenses garde-meubles où étaient entassées des richesses incalculables, furent incendiés. Les soldats espéraient retrouver dans les décombres l'or et l'argent fondus en lingots. C'est ce qui arriva en effet; au retour de l'expédition, chaque légionnaire était tellement chargé de butin que la valeur de l'or baissa de moitié en Syrie. Titus se réserva pour décorer son triomphe le voile du Saint des saints, la table des Pains de proposition, le livre de la Loi, le chandelier à sept branches et la lame d'or qui brillait sur le fron du grand prêtre. Quand le feu eut tout détruit, jusqu'aux cadavres qui encombraient naguère l'enceinte de Moriah et que ce qui avait été le Temple de Jérusalem ne fut plus qu'un monceau de cendres ou de pierres calcinées, les vainqueurs réunirent en faisceaux leurs aigles couronnées de lauriers, vis-à-vis la porte Orientale, dont l'arcade béante était restée debout. Là ils offrirent aux divinités tutélaires de Rome un sacrifice solennel sur l'emplacement du sanctuaire de Jéhovah. «Mais, dit Josèphe, Jéhovah n'était plus avec les Juifs. Deux mois auparavant, le soir de la Pentecôte, les prêtres étant entrés, selon l'usage, pour brûler l'encens sur l'autel des Parfums, avaient senti le sol trembler sous leurs pas. Une voix s'élança du sanctuaire et ils entendirent distinctement ces paroles :
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Sortons d'ici ! Sortons d'ici ! La majesté du Dieu d'Abraham, d'Isaac et de Jacob abandonnait le Temple profané 1. »
51. L'histoire d'Israël se termine pour nous à la ruine du Temple et du culte hébraïque. Pendant que Jérusalem s'écroulait dans les flammes, Vespasien donnait à Lupus, préfet d'Egypte, l'ordre de détruire le temple israélite, élevé deux cents ans auparavant par le pontife Onias IV, dans le nome d'Héliopolis. Les rites mosaïques cessèrent donc à la fois, sur les deux seuls points du monde où il avait été permis jusque-là de les accomplir dans leur ensemble. La guerre de Judée n'était cependant pas finie. Jean de Giscala et Simon Gioras s'étaient retranchés dans l'enceinte de Sion, d'où ils prétendaient résister encore. Ils demandèrent une entrevue à Titus, sur le pont Salomonien, dont un fragment d'arcade subsiste encore aujourd'hui, et qui joignait le mont Moriah à la cité de David, pardessus la vallée du Tyropœon. Le jeune César entouré de ses officiers et des rangs pressés de ses soldats parut d'un côté. De l'autre, se tenaient les deux chefs de la révolte, plus farouches que jamais. Ils avaient fait jurer à chacun de leurs soldats de mourir jusqu'au dernier, plutôt que de se rendre. Ils écoutèrent froidement les reproches et les menaces de Titus. Changeant alors de langage, le prince leur dit : Quelle est donc votre espérance? La population qui vous entoure meurt de faim ; le Temple n'existe plus ; la ville est en mon pouvoir; votre vie est dans mes mains. Estimez-vous que la mort soit pour vous la dernière gloire que vous puissiez obtenir? C'est une obstination fanatique. Déposez les armes, rendez-vous. Je promets la vie à tous vos guerriers. Mettez votre main dans la mienne. Je serai fidèle à ma promesse. — Non, dirent-ils, nous ne pouvons accepter votre main. Nous avons juré de ne jamais nous rendre. Laissez-nous sortir avec nos femmes et nos enfants. Nous irons nous cacher au désert et nous vous abandonnerons
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1 Joseph., de Bell, jud., lib. VII, cap. xir. Tacite a enregistré le souvenir de ce prodige. Evenerant prodigia, quœ neque hostiis, neque votis piare fas habet gens superstitioni obnoxia, religionibus adversa... et audita major humana vox, xcedere Deos. (Tacit., Histor., lib. V, § 13.)
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Jérusalem. — Les captifs voulaient dicter des conditions à leur vainqueur. Un cri d'indignation éclata dans tous les rangs de l'armée romaine. Le prince rompit la conférence et fit proclamer par un héraut d'armes, que désormais il ne ferait plus grâce à aucun des rebelles; qu'ils eussent à se défendre ou à mourir. Pour joindre l'exécution à la parole, il ordonna de mettre le feu aux quartiers de Bézétha et d'Acra jusque-là épargnés, et les abandonna au pillage des légions. Il fallut encore un mois de travaux pour conduire les terrassements aux remparts de Sion. Le 31 août, le bélier fit enfin tomber quelques pierres de ces murailles, dont Titus lui-même disait : « Jamais force humaine n'aurait triomphé de tels obstacles. C'est Dieu qui a combattu pour nous et chassé les Juifs de leurs remparts 1. » En effet, au moment où la brèche fut ouverte, les assiégés, pris d'une panique soudaine, se sauvèrent en criant : Le mur d'occident est renversé! Les Romains entrent dans la ville ! Sans songer à se défendre, sans même se renfermer dans les tours Hippicos, Phasaël et Mariamne qui leur auraient offert un refuge assuré, les malheureux coururent aux souterrains où ils s'entassèrent sans ordre, sans provisions, sans lumière. Jean de Giscala et Simon Gioras les y suivirent. Les Romains entrèrent donc sans rencontrer d'obstacles. La vengeance divine dont ils étaient les instruments, leur frayait elle-même le passage. « Ils entrèrent l'épée à la main et la rage dans le cœur. Mais la faim et la maladie avaient cruellement avancé leur tâche. En pénétrant dans certaines maisons, les pillards reculèrent d'horreur; elles étaient pleines de morts et ne servaient plus que de cimetières. Celles qui n'étaient point encombrées de cadavres, l'étaient par des fugitifs à demi morts de faim. On descendait dans les souterrains, ils rendaient par milliers des captifs et des morts. Une seule grotte en renfermait deux mille 2. » Tout ce qui fut rencontré encore vivant dans les rues de Sion fut passé au fil de l'épée. Au commencement de la
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1 S'jv 0eôS y' ÈT:o),e(i^!7a(/.£V) Iq?Y), xal 0so; îjv ô toïaSe twv èpU(iaTwv 'IouSafotÇ xoOeî.ûv. 'Etcî x£ïp£Ç te àvQpwTCwv ■?) (iri^aval, tî rpo; tovtosî toîç mipYOtç SuvàvTaij Joseph., de Bell, jud., lib. VU, cap. xvi.)
2. F. de Champagny, Rome et la Judée, pag. 408.
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nuit, le feu fut mis aux quatre coins de la cité de David et la flamme éclaira au loin dans la plaine tout le camp des vainqueurs. Le len- demain on rassembla tous les captifs sur la plate-forme où avait été le Temple et l'on en fit le triage. Cette opération fut confiée à Fronto, l'un des affranchis de Titus. Ceux qui avaient porté les armes contre les Romains durant l'insurrection furent mis à mort. On réserva toutefois les hommes les plus jeunes et les plus robustes pour le défilé des captifs dans la pompe triomphale qui attendait à Rome le fils de Vespasien. Au-dessus de dix-sept ans, les autres prisonniers furent envoyés chargés de chaînes à Alexandrie ; on les répartit ensuite entre les différents amphithéâtres de Rome et des provinces, pour y servir de gladiateurs, ou pour mourir sous la dent des bêtes féroces. Au-dessous de dix-sept ans, le reste fut vendu comme esclaves aux marchands accourus de tous les points de l'empire à cet immense marché de bétail humain. Dix mille de ces malheureux moururent de faim sur la plate-forme du Temple, sans que les vainqueurs songeassent à leur donner quelque nourriture. Les chiffres donnés par Josèphe sont effrayants. Les pri- sonniers, dit-il, étaient au nombre de quatre-vingt-dix mille; celui des morts pendant toute la durée du siège montait à onze cent mille1. Jean de Giscala, chassé par la faim du souterrain où il s'é-
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1. L'historien juif est allé lui-même au-devant de l'objection que provoque naturellement l'invraisemblance d'une pareille agglomération dans une ville qui d'ordinaire ne comptait pas plus de deux cent mille habitants. Voici ses paroles : « On aura peine à croire à la possibilité d'un tel rassemblement. Qu'il me suffise de rappeler un fait de notoriété publique. Ceslius, gouverneur de Judée sous Néron, voulant mander à ce prince quelle était l'importance du concours ameuté à Jérusalem par les solennités pascales, demanda aux pontifes de prendre des mesures pour arriver à un dénombrement approximatif. Ceux-ci prirent pour base de leurs calculs le nombre des agneaux immolés selon le rit mosaïque, la veille de Pâques, depuis la neuvième jusqu'à la onzième heure. On sait que chacun des agneaux de la Pâque ne pouvait être mangé par un groupe, de parents ou d'amis, moindre de dix personnes. Dans la réalité on se réunissait parfois jusqu'au nombre de vingt convives pour un seul agneau. Or, cette année-là, on compta deux cent cinquante-six mille six cents victimes pascales, ce qui, à dix convives seulement par agneau, fournissait un total de deux millions cinq cent cinquante-six mille personnes, toutes purifiées et sanctifiées légalement. Car on
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tait réfugié, se présenta, en suppliant, aux vainqueurs. Il tendait alors cette main orgueilleuse qu'il avait refusée naguère à Titus. On le chargea de chaînes et il fut condamné à une captivité perpétuelle. Simon Gioras avait mieux combiné ses projets d'évasion. Il s'était, lui aussi, jeté dans un souterrain, mais avec une escouade de pionniers munis de leurs instruments de travail et des provisions en vivres, vêtements et richesses de toute sorte. Parvenu à l'extré- mité du souterrain, sans y trouver d'issue, les mineurs commencèrent leur œuvre et prolongèrent l'excavation. Le plan de Gioras consistait à s'ouvrir un débouché sur la campagne. Mais le rocher qu'il fallait entamer offrait une résistance imprévue. Les jours et les nuits s'écoulaient en un labeur incessant dont les progrès ne compensaient point la fatigue. Cependant les vivres s'épuisaient, malgré la parcimonieuse sévérité qui présidait à leur distribution. Quand ils eurent complètement disparu, Gioras eut recours à un nouveau stratagème. Explorant avec soin tous les détours de la galerie souterraine, il parvint à reconnaître avec certitude le point précis qui correspondait à l'emplacement où avait été le Temple. Il y fit ménager une ouverture à travers les rochers calcinés par l'incendie. Se revêtant alors d'une tunique blanche, sur laquelle il jeta un manteau de pourpre dont la draperie flottante lui couvrait entièrement le visage, il apparut soudain comme un spectre et se dressa de toute sa hauteur sur les ruines de l'édifice sacré. A cette vue, une terreur superstitieuse s'empara des soldats romains. Simon Gioras y avait compté. Mais ce premier mouvement ne dura guère. On se jeta sur le prétendu fantôme qui fut reconnu, et jeté dans les fers.
52. Titus avait déjà quitté Jérusalem. Il y laissait la dixième
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n'admettait à ce sacrifice et à la manducation de l'agneau pascal ni les lépreux, ni les personnes toujours en très-grand nombre atteintes de quelque impureté rituelle, ni les étrangers qui, sans être Juifs de race, ne laissaient pas cependant d'accourir en foule à cette solennité. On comprend de la sorte que le siège de Jérusalem, ouvert par Titus, au commencement des solennités pascales, ait pu réellement atteindre le nombre prodigieux de personnes dont j'ai donné le chiffre exact. » (Joseph., Bell, jud., îib. VI, cap. xlvi.)
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légion avec ordre de raser tout ce qui restait du Temple et de la ville. L'oracle de Notre-Seigneur devait s'accomplir : « Ils ne te laisseront pas pierre sur pierre. » Les trois tours Hippicos, Phasaël et Mariamne, ainsi qu'une portion de muraille à l'Occident, furent pourtant réservée alors pour servir d'abri aux soldats romains. Mais de nouveaux désastres devaient, dans l'avenir, effacer même ces ruines, derniers témoins de ce qu'avait été Jérusalem. Simon Gioras fut envoyé à Césarée de Palestine, où Titus était allé, avec Agrippa II et Bérénice, se reposer des fatigues du siège. Un an plus tard (1 juillet 71), le vainqueur de Jérusalem faisait son entrée à Rome. Vespasien sortit de Rome à la rencontre de son fils, dont il devait partager le triomphe comme vainqueur de la Judée. C'était la première fois, dit Suétone, que l'on vit un père et un fils recevoir ensemble les honneurs du triomphe. Aux rayons du soleil levant, les deux princes sortirent du temple d'Isis, la tête couronnée de lauriers, et vêtus du grand manteau de pourpre. Le sénat, les consuls, les chevaliers, Rome tout entière les attendaient à l'entrée des allées Octaviennes, où des tables, chargées de viandes et de vin, étaient dressées pour les soldats. Après les harangues adressées à l'empereur et à son fils, un festin immense commença. Dans l'après-midi, le cortège reprit sa marche, se dirigeant vers la porte Triomphale. Jamais, dit Josèphe, l'imagination ne saurait se représenter la magnificence de ce spectacle. L'or, l'argent, l'ivoire y éclataient en telle abondance qu'on semblait voir défiler sous ses yeux toutes les richesses de l'univers. Des étoffes de pourpre, des broderies babyloniennes, une incroyable quantité de pierreries, enchâssées dans des couronnes d'or, des bracelets, des colliers sans nombre; les statues des dieux, chefs-d'œuvre de la sculpture, portées sur les épaules des soldats, les espèces d'animaux les plus rares, menés en laisse par des guides vêtus eux-mêmes de soie et d'or. Les captifs, sous les habits somptueux dont on les avait affublés, se distinguaient à peine à leur visage abattu et à leur regard farouche. La foule admirait surtout les machines gigantesques qui figuraient les principaux épisodes de l'expédition de Judée et dont plusieurs avaient trois et quatre étages. Elles s'avan-
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çaient, éclatantes de décorations, et chargées de soldats qui imitaient, par une pantomime variée, les divers incidents de la guerre. Là c'était une plaine fertile, ravagée par deux troupes ennemies qui s'y livraient un combat acharné. Plus loin des murailles gigantesques étaient sapées à coups de baliste, et ébranlées par les catapultes. Chaque forteresse, chaque cité, avec son nom inscrit sur d'immenses banderolles, semblait être venue de Palestine, pour offrir au peuple romain l'émotion sans danger du spectacle de sa conquête. Les navires mêmes qui, de Rome à Ptolémaïs et Alexandrie, avaient constamment transporté les convois militaires, pendant les quatre années de la guerre judaïque, traînés par des milliers de chevaux, faisaient partie de ce cortège dont la splendeur dépasse réellement tout ce que le génie moderne a inventé en ce genre. A leur suite paraissaient les dépouilles sacrées du Temple de Jérusalem. Des esclaves juifs, d'un type et d'une beauté parfaite, les portaient sur leurs épaules. Vêtus d'une tunique blanche, la tête couronnée de lauriers, comme des victimes, jambes nues, des sandales aux pieds, et le bâton de l'exil dans la main gauche, ils s'avançaient au milieu des regards avides de la foule. Huit d'entre eux portaient un brancard sur lequel reposait la table des Pains de proposition, en or massif, et les deux trompettes sacerdotales. Un second groupe, composé de même, portait le candélabre à sept branches ; un troisième, le livre de la Loi, livre désormais fermé pour les Juifs. Un titre spécial précédait chacune de ces trois exhibitions, pour en faire connaître aux Romains le caractère et l'importance. Les statues d'or de la Victoire suivaient ces dépouilles des vaincus, et enfin apparaissaient sur deux chars de triomphe Vespasien et Titus, escortés par Domitien à cheval. L'empereur s'arrêta au pied du temple de Jupiter Capitolin, relevé naguère de ses ruines. Pendant cette halte, Jean de Giscala fut entraîné dans le cachot de la prison Mamertine où il devait finir ses jours. Simon Gioras, qui avait aussi paru dans cette pompe triomphale, fut saisi par des licteurs et conduit, la corde au cou, au lieu du supplice. Après l'avoir battu de verges on lui trancha la tête ; son corps fut jeté aux gémonies, et un centurion vint dire à la foule :
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Justice est faite. A ces mots, les applaudissements éclatèrent, et, au bruit des chants de victoire, Vespasien et Titus montèrent au Capitole. Il ne restait plus de la Judée qu'un arc de triomphe élevé par des esclaves juifs en face du Capitole, à l'entrée de la Via sacra, et sous lequel le cortège venait de défiler. Le pèlerin voit encore aujourd'hui, sculptés sur les bas-reliefs de marbre, le chandelier à sept branches et la table d'or portés parles vaincus 1. L'empereur et son fils refusèrent de prendre le surnom triomphal de Judaïque, tant ce vocable était détesté. Ils se contentèrent de faire frapper sur le revers de leurs médailles une femme éplorée, en long manteau de deuil, assise à l'ombre d'un palmier dans la solitude, et la tête appuyée sur sa main, avec cet exergue : Judœa capta. Les prophéties, depuis Moïse jusqu'à Jésus-Christ, s'étaient réalisées pour Israël. Une seule attend encore son accomplissement, c'est celle d'Osée : « Les fils de Juda, dit-il, demeureront bien des jours sans roi, sans prince, sans sacrifice, sans autel, sans éphod et sans théraphim. Mais ensuite ils reviendront; ils chercheront le Seigneur leur Dieu et David leur roi ; ils honoreront le Seigneur au dernier jour, et reconnaîtront les dons de sa miséricorde2. » Quand
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1. L'inscription suivante, trouvée au Colysée, paraît avoir été primitivement placée sur le fronton de l'arc de Titus, où elle ne se voit plus aujourd'hui :
IMP. TITO ŒSARI DIVI VESPASIANI F.
VESPASIANO AUG. PONTIFICI MAXIMO
TR1B. POP. X. IMP. XVII. COS. VIII. P. P.
PRINCIPI SUO S. P. Q. R.
QUOD PR.ECEPTIS PATRIS CONSILI1SQUE ET
AUSPIGI1S GENTEM lUD^ORUM DOMUIT ET
VRBEM HIEROSOLYMAM OMNIBUS ANTE SE
DUCIBUS REGIBUS GENT1BUSQUE AUT FRUSTRA
PETITAM AUT OMNINO INTENTATAM DELEVIT.
«A l'empereur Titus César, fils du divin Vespasien; à Vespasien Auguste, souverain pontife, tribun du peuple pour la dixième fois, empereur pour la dix-septième, consul pour la huitième, père de la patrie, leur prince; le sénat et le peuple romain. En mémoire de ce que, par les ordres, les conseils et sous les auspices de son père, il a dompté la nation des Juifs et détruit la ville de Jérusalem, vainement attaquée ou entièrement respectée, avant lui, par tous les guerriers, les rois et les nations. » [Ann. de Philos, chrét., tom. XXXIX, pag. 460.)
2. Oseœ, ni, 4, 5
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viendra ce jour fortuné, prédit aussi par saint Paul, « où la plénitude des gentils étant entrée au bercail, Israël lui-même sera sauvé 1 ? » C'est le secret du Dieu d'Abraham, d'Isaac et de Jacob, de ce Dieu dont la mansuétude triomphe de tous les endurcissements, et dont la miséricorde a des souvenirs que les siècles des siècles ne sauraient effacer.