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Or, depuis Philippe-le-Bel, une tradition de guerre à l'Église s'est introduite en France : les dix premiers siècles de notre histoire sont vierges de tout particularisme religieux ; la France est catholique pure. C'est seulement depuis les attentats sacrilèges contre Boniface VIII, vengeur de nos droits et de nos libertés, qu'on voit les excès de l'absolutisme royal chercher leur amnistie dans des titres frauduleux et leur légitimité dans les doctrines. Ces doctrines adultères portèrent successivement les noms de jansénisme, de gallicanisme, de philosophisme, de libéralisme et de jacobinisme, identiques sous des noms changeants, toujours acharnées contre le Saint-Siège. Aujourd'hui toutes ces vieilles erreurs, bien que frappées des foudres de l'Église, se perpétuent dans un certain
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p17 CHAP. XI. — VUES GÉNÉRALES SUR LES TEMPS MODERNES.
libéralisme qu'on déclare catholique, pour donner à ses passions une étiquette de libre commerce. Ce libéralisme, soi-disant orthodoxe, est une hérésie, qui mène à la séparation de l'Église et de l'État ; c'est une hérésie surtout parce que ses adeptes sont fanatiques, entreprenants, audacieux, très-animés, surtout contre les défenseurs du Saint-Siège, écrivains sincères qu'ils traitent en criminels, d'autant qu'ils les voient plus résolus à dire toute la vérité. Nous connaissons ces sectaires, pour les avoir flétris et pour avoir subi leurs avanies. Nous continuerons de les traiter comme ils le méritent, les découvrant sans pitié, trop heureux si, dénonçant leurs trames, nous pouvions dessiller les yeux fascinés par leurs aveuglements volontaires et leurs malheureuses illusions. En prévisions de leurs attaques, aussi peu désintéressées que le sont leurs autres agissements, nous déclarons nous tenir pour obligé en conscience à une entière sincérité. Devant la vérité l'homme n'est pas libre ; il n'a aucun droit ni de la taire, ni de la défigurer ; et s'il la néglige il la trahit.
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La nouvelle façon de considérer la foi et de l'exprimer, qui s'affirma au concile, était le fruit du drame, à peine pris en considération auparavant, d'une nouvelle réflexion théologique qui avait débuté après la Première Guerre mondiale en liaison avec de nouveaux mouvements spirituels et culturels. L'orientation de fond dominante, à caractère libéral, avec son optimisme ingénu envers le progrès, s'était écroulée avec les horreurs de la guerre et, avec elle, le modernisme théologique qui s'était efforcé d'adapter la foi à la vision libérale du
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* Déclaration à propos de l'instruction sur la vocation ecclésiale du théologien.
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monde.
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Johann Baptist Metz a dit, par exemple, que les décisions antimodernistes de l'Église lui ont rendu le grand service de la préserver de sombrer dans le monde libéral‑bourgeois.
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Heinrich Schlier qui, par ces paroles, exprimait toute autre chose que des
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* Conférence prononcée le 15 août 1986 à a faculté de théologie de l'université Saint‑Michel de Toronto.
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théories académiques ou des règlements bureaucratiques. La tentative de l'État de changer le christianisme luthérien en un christianisme allemand, et ainsi de se servir de lui pour atteindre les buts du parti, ouvrit les yeux de Schlier et de beaucoup de ses coreligionnaires sur le fait que la théologie est dans et de l'Église, et que sinon elle n'existe pas.
Cette phrase renfermait en elle un sombre destin pour Schlier : la renonciation à sa position d'enseignant à l'université, une fonction qui n'était plus pratiquée par sa faculté devenue peureuse et indécise, et qui ne s'était retirée dans son apparente liberté académique que pour devenir une marionnette entre les mains des forces dominantes, ouverte au pouvoir envahissant du parti. Dans cette situation, il devint clair que le lien de la théologie avec l'Église était la garantie de sa liberté et que tout autre type de liberté n'était qu'une trahison de la théologie et de la cause sacrée qui lui était confiée.
Il devint clair que l'enseignement théologique ne peut pas exister s'il n'y a pas d'enseignement de l'Église. Autrement, la théologie n'aurait de titre à revendiquer la vérité que celui de quelque système éthique stérile, c'est‑à‑dire qu'elle n'aurait comme degré de vérité que des prises de position que l'on peut discuter et contester mais qui ne pourront jamais servir de base pour orienter une vie entière. Si la théologie ne pouvait pas revendiquer quelque chose de plus grand que la seule éthique, il serait présomptueux pour la théologie de vouloir être quelque chose de différent de l'histoire, ou de la psychologie, ou de la sociologie, ou peut‑être d'une philosophie du christianisme.
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Les considérations ci‑dessus surgirent avec une terrible actualité à l'époque où le nazisme faisait rage, même si la majorité des théologiens de ce temps‑là ne reconnut pas alors leur vérité. Elles devinrent la ligne de démarcation entre l'esprit libéral d'adaptation (qui devint rapidement l'esprit de service envers le nazisme) et la décision que l'Église militante savait devoir prendre. Cette décision était pareillement une décision pour la théologie, qui devait opter pour un credo et, ainsi, pour une Église enseignante.
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il est important de rappeler ce qu'a dit Romano Guardini alors qu'il enseignait pendant la crise moderniste et au lendemain de celle‑ci, à savoir que son catholicisme, à cette époque, n'était qu'un «libéralisme limité par l'obéissance au dogme». Ainsi, sa pensée oscillait d'un bord à l'autre. Elle ne pouvait être taxée de libéralisme puisqu'elle était limitée par son obéissance au dogme, même si c'était à contrecoeur. Mais ce n'était pas une grande recommandation pour le catholicisme non plus, puisqu'il n'était que chaînes et liens, avec rien en propre, rien de positif, rien de vivant, rien de grand en lui. Sa pensée ne pouvait pas se maintenir longtemps dans un tel état de duplicité.
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A l'époque de l'effondrement du modèle libéral classique, durant la période qui va de la Première à la Seconde Guerre mondiale, et, plus manifestement, au cours de la période du combat de l'Église contre le IIIe Reich, cette relation a été reformulée par les théologiens les plus importants du moment et décrite par chacun à sa manière.
Peut‑être le premier d'entre eux à trouver une solution fut‑il l'ancien professeur d'école privée Romano Guardini. Guardini avait fait l'expérience personnelle de deux grands changements dans sa
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vie : le kantisme avait fait voler en éclats la foi de son enfance. Sa conversion devint un dépassement de Kant. A son tour, passer par‑dessus Kant fut un nouveau commencement pour sa pensée, dans l'obéissance à une parole qui venait de la perspective vivante et contraignante de l'Église.
Après la Première Guerre, Eric Peterson, le grand exégète et historien, dans sa controverse avec Harnack et Barth, découvrit l'insuffisance de la discussion dialectique et le fait que son sérieux n'était qu'apparent et non pas réel. Il découvrit aussi l'insuffisance du libéralisme classique, se retrouvant d'abord dans les convictions de l'Église catholique et finalement dans l'Église elle‑même.