Darras tome 22 p. 32
15. Bossuet dans sa fameuse Défensio ne fait pas la moindre allusion à cette lettre pontificale ; Fleury n'a pu se dispenser de la reproduire, mais il en adoucit par une traduction complaisante le passage le plus important, celui où Grégoire VII déclare
Quod si nec hujusmodi districlione voluerit resipiscere, nulli clam aut du-iium esse volumus quin modis omnibus, regnum Francis de ejut occupatione, adjuvante Deo, tentemus eripere.
1. Gregor. VII. Epist. v, lib. II, col. 3C3.
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qu'il prendra, en cas de désobéissance, toutes les mesures nécessaires pour arracher le royaume de France à la domination de Philippe I : Modis omnibus regnum Franciae de ejus occupatione, adjuvante Deo, tentemus eripere. Interprétée par l'historien gallican, cette phrase, si nette et si claire, se réduit à une formule insignifiante : « Nous ferons tous nos efforts, aurait dit le pape, pour délivrer le royaume de France de son oppression1. » Cette traduction anodine était calculée de façon à n'éveiller l'attention de personne sur un texte qu'on avait intérêt à passer sous silence. Grégoire VII, dans son encyclique du 2 septembre 1074, annonçait à toute la France sa volonté ferme « d'arracher le royaume au pouvoir, occupationi, de Philippe I, » si ce prince continuait à se montrer indigne du trône. Grégoire VII se croyait dans le droit de déposer le roi de France. Il affirmait hautement ce droit : Nulli clam aut dubium esse volumus ; il le plaçait sous la garantie de Dieu lui-même, adjuvante Deo, et déclarait vouloir l'exercer par tous les moyens, modis omnibus. Or, de tous les archevêques et évêques de France auxquels il tenait ce langage, pas un seul n'éleva la voix pour protester contre une doctrine qui, d'après Bossuet et les écrivains gallicans, aurait constitué alors une nouveauté inconnue, inouïe, sans exemple. Le plus intéressé dans la question, le jeune roi Philippe, dont le pouvoir était si publiquement menacé, ne fit entendre aucune récrimination. Comme Henri IV d'Allemagne dans une circonstance analogue 1, il prit le parti de se soumettre, et reconnut ainsi le droit pontifical qui révolte à un si haut point les susceptibilités de nos écrivains rationalistes. « Philippe, redoutant les embarras que pouvait lui susciter le pape, dit M. Villemain, envoya l'évêque de Laon et plusieurs grands du royaume en ambassade à Rome et donna sans doute satisfaction au pontife 3. » La réserve dubitative formulée ici par l'éminent
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1 Fleury. Hist. Ecclés., liv. LXXII, chap. xvi.
2. Cf. tom. XXI de cette Hist., chap. v, n« 38.
3. Hist. de Greg. VII, tom. I, p. 435, Voici le texte du chroniqueur contempo rain qui atteste la soumission du roi : Philippus rex Francorum comitem Hildue- mim cum domino Helinando Laudunensi episcopo aliisque nonnullis principibus, xxn
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autour n'est qu'un expédient de parti. Philippe I et les évêques des Gaules se soumirent positivement aux injonctions de Grégoire VII; les lettres ultérieures de ce pontife en offrent une preuve péremptoire. Le denier de saint Pierre, établi par Charle-magne, fut remis en honneur dans toute la France. Cette taxe, qui consistait en un denier par chaque manse ou maison, révoltait la conscience indignée des gallicans 1, mais Philippe I ne la trouva point exorbitante ; les juristes de sa cour, aussi versés dans la science des capitulaires que pouvaient l'être les parlementaires du siècle de Louis XIV, ne révoquèrent nullement en doute l'institution carlovingienne du tribut de saint Pierre.
16. Le clergé italien n'avait pas fait aux décrets de réforme un meilleur accueil que celui de France et d'Allemagne. Partout où le regard du généreux pontife s'arrêtait, il trouvait un scandale ou une révolte. Ce fut alors qu'il fit cette maladie terrible, dont nous avons précédemment raconté l'issue miraculeuse 2. « Le traître Cencius, qui se tenait aux aguets, dit Bonizo de Sutri, crut que le pontife ne survivrait pas, et manifesta prématurément la haine qui couvait dans son cœur. Un fidéi-commis fait en son nom par le fils du comte Gérard le chargeait de remettre à la basilique de Saint-Pierre un domaine légué par le défunt. Cette disposition testamentaire était connue de Grégoire. Mais Cencius considérant déjà le pape comme mort, falsifia le testament et s'attribua le legs. La guérison inattendue du pontife fut suivie de la mise en accusation du faussaire. Convaincu par un jugement solennel, Cencius dut rendre le domaine usurpé et fournit des otages pour garantir désormais sa fidélité à l'église romaine Cet incident ne fit que redoubler sa fureur; il continua donc à conspirer contre le saint pape 3. » — « Ainsi, dit Paul de Bernried, au dedans comme au dehors, l'intrépide athlète de la vérité ne trou-
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pro communi negotio regni Romam transmittit ad dominum papam (Dombourg, tom. XIII, p. 26S).
1. Cf. Bossuet. Defens. éd. Lâchât, tom. XXI, p. 169 et 170.
2. Cf. tom. XXI de cette Ilist., chap. v, n° 19.
3. Boniz. Sutr. Ad amie, lib. VII ; Patr. lai., tom. CL, col, 839.
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vait que des ennemis, rois, tyrans, ducs, princes, loups dévorants acharnés à la perte des âmes; archevêques, évêques, abbés et clercs, véritables ministres de l'Antéchrist 1. » Grégoire lui-même décrivait ainsi ses angoisses dans une lettre à saint Hugues de Cluny, datée du 16 janvier 1075 : « Combien de fois n'ai-je pas supplié le Seigneur ou de me retirer de ce monde ou de me fournir le moyen d'être utile à l'Église notre commune mère ! Il ne m'a point exaucé. Une douleur immense, une tristesse universelle envahit mon âme ; l'église d'Orient s'est éloignée de la foi catholique et le démon, après l'avoir tuée spirituellement, fait périr les membres qui la composent par le glaive des infidèles, avant qu'ils n'aient pu venir à résipiscence. A l'occident, au midi, au septentrion, je ne vois presque nulle part d'évêque dont la promotion et la conduite soient légitimes, et qui gouverne le peuple chrétien par l'amour du Christ et non par une ambition temporelle. Quant aux princes séculiers, je n'en connais pas qui préfèrent la gloire de Dieu à la leur, la justice à l'intérêt. Ceux au milieu desquels j'habite, les Romains, les Lombards, les Normands sont, comme je le dis souvent à eux-mêmes, pires que les juifs et les païens. Quand je rentre en moi-même, je me sens si fort accablé sous le poids de ma propre responsabilité qu'il ne me reste d'espoir que dans la miséricorde du Christ. Sans l'espérance d'arriver à une vie meilleure et de servir l'Eglise, je quitterais à l'instant cette ville de Rome où, depuis vingt ans, Dieu m'en est témoin, je ne suis resté que malgré moi. Ainsi partagé entre une douleur qui se renouvelle chaque jour et une espérance trop longtemps, hélas! prolongée, battu de mille tempêtes, je vis comme en mourant. J'attends le secours du Dieu qui m'a imposé ces lourdes chaînes, qui m'a contraint de revenir à Rome où il me laisse en proie à des angoises sans nombre. Je lui répète sans cesse : Hâtez-vous, ne tardez point; délivrez-moi pour l'amour de la bienheureuse Marie et de l'apôtre saint Pierre2 » Pendant que le grand pon-
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1 Paul Bernried. Vit. S. Greg., cap. v; Patr. Lat., tom. CXLVIII, col, 56.
2. S. Greg. VII. Epist. xnx, Iib. II, col. 400.
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tife luttait ainsi contre son propre découragement, il fortifiait la duchesse Béatrix et sa fille Mathilde contre des pensées du même genre. Toutes deux lui avaient témoigné le désir de quitter le monde et d'embrasser la vie religieuse. « La retraite, la prière, le jeûne et les veilles, répondait-il, sont des œuvres saintes, mais je leur préfère le sacrifice d'une vie active consacrée à la gloire de Dieu, au service des âmes, à la défense de la vérité et de l'Église opprimée. Si d'autres princes voulaient prendre ce rôle glorieux dont seules vous soutenez le poids, je vous engagerais moi-même, pour votre bonheur personnel, à renoncer au siècle et à ses cruelles sollicitudes. Mais vous n'avez pas, comme tant d'autres, chassé Dieu de votre palais, vous l'y appelez, au contraire, et l'y retenez par les parfums de la vertu et de la justice; je vous supplie donc, comme des filles très-chères, de persévérer dans votre mission providentielle et de la conduire à bonne fin1. » Dans une autre lettre isolément adressée à la comtesse Mathilde, le grand pape, revenant sur cette pensée, traçait à sa fille spirituelle un véritable programme de perfection religieuse. « En vous imposant, au nom de la charité, le sacrifice de vos goûts pour la solitude, lui dit-il, j'ai contracté une obligation plus étroite de veiller au salut de votre âme. Les armes que je vous ai recommandées comme les plus efficaces contre le prince de ce monde sont la fréquente communion au corps du Seigneur et la dévotion pleine de confiance et de tendresse à la Vierge Mère de Dieu. «Puisque chaque «jour, dit saint Ambroise, le sang de Jésus-Christ coule dans le « sacrement de l'eucharistie pour la rémission des péchés, je dois le « recevoir tous les jours, afin que mes péchés quotidiens me soient « remis. Mes péchés sont la blessure, le céleste et divin sacrement en est le remède. »—« Au moment de l'immolation, à la voix du prêtre, dit saint Grégoire le Grand, les cieux s'ouvrent; le chœur des anges vient adorer le mystère de Jésus-Christ présent sur l'autel; l'infinie Majesté descend jusqu'aux abîmes de notre misère, la
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1 Id. Epist. L, lib. I, col. 330.
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terre se joint au ciel, l'unité entre l'invisible et le visible est consommée. » — « Pareil à une mère qui prodigue son lait à l'enfant qu'elle vient de mettre au monde, dit saint Jean Chrysostome, Notre-Seigneur Jésus-Christ ne cesse de nourrir de son sang les âmes qu'il a régénérées. » Tel est, fille bien-aimée de saint Pierre, tel est le trésor, tels sont les présents, plus précieux mille fois que l'or et les pierreries, dont je veux enrichir votre âme. Quant à la divine Marie, la mère du Sauveur, à la protection de laquelle je vous ai vouée depuis longtemps et ne cesserai jamais de vous recommander dans mes prières, que pourrais-je vous en dire encore? Autant elle est plus élevée en puissance et en gloire, autant elle est pour nous une mère plus miséricordieuse et plus clémente 1.»
§ IV. Concile romain de l'an 1075.
17. Au moment où le génie si profondément chrétien de Grégoire VII se consolait par ces effusions d'une foi tendre et fervente du spectacle des perversités humaines, tout se préparait pour le concile romain, solennelles assises où le pape citait les grands coupables : rois, princes et évêques de la république chrétienne, tous justiciables du vicaire de Jésus-Christ. Outre les noms des évêques de Germanie spécialement désignés dans les
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1 Greg. VII. Epist. xlvii, lib. I, col. 327. M. Villemain, en reproduisant quelques passages de cette admirable lettre, ne peut s'empêcher de reconnaître qu'elle justifie pleinement la mémoire du grand pape, des calomnies auxquelles ses relations avec la comtesse Mathilde servirent de prétexte. « L'amitié du pontife et de cette princesse alors âgée de vingt-huit ans, dit-il, parut suspecte. L'animosité politique des partisans de Henri IV, en accusant le pontife de tous les crimes, ne l'épargna pas dans ses mœurs, et ne pardonna point à Mathilde un dévouement si funeste pour Henri. Mille bruits à cet égard circulaient en Allemagne et en Lombardie. Mathilde fut la pénitente, l'admiratrice, l'amie du pontife. Mais, après l'ambition, la piété seule paraît avoir été le lien de cette union. » (Hist. de Grèg. VII, tom. I, pag. 439.) Un tel aveu nous dispense d'insister.
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lettres précédentes, la correspondance de Grégoire VII nous fournit ceux de Pibo de Toul 1, Isembert de Poitiers 2, Benno d'Osnabruck et l'abbé de Corvey 3, Cunibert de Turin 4, Guillaume de Pavie 5, tous individuellement cités. L'abbé de Beaulieu et le chevalier Hugues de Sainte-Maure, l'un et l'autre du diocèse de Tours 6, le marquis Azzo d'Esté et la sœur de Guillaume de Pavie7, dont l'union illégitime avait déjà, on se le rappelle8, été signalée au précédent concile, furent également l'objet de citations spéciales. Le cardinal apostat Hugues le Blanc, dont la défection était dès lors un fait aussi notoire que scandaleux, avait déjà reçu deux monitoires canoniques ; un troisième lui fut adressé avec injonction, pour dernier délai, de se présenter à l'assemblée synodale 9. Wibert de Ravenne, dont la trahison n'était pas encore divulguée, reçut une lettre de convocation, en date du 2 janvier 1075, conçue en termes tellement affectueux, qu'il est impossible de supposer qu'alors Grégoire VII eût le moindre soupçon de son infidélité. «Vous avez sous les yeux, bien-aimé frère, lui disait le pape, vous touchez en quelque sorte de vos mains la déplorable perturbation de la sainte Église, l'audace insensée, l'orgueil effréné de ses agresseurs. C'est à nous, élus pour le ministère sacerdotal et la défense du Toyaume de Dieu, qu'il appartient de nous lever pour les combattre avec tout le zèle et la vigueur dont nous sommes capables. Nous prions donc votre fraternité, dans un sentiment particulier d'affection, d'assister au concile que, suivant la coutume du siège apostolique, nous tien-
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1.E/jist. xxxv, col. SS9.
2. Epist. xxi «t xxii, -ool. '378. ' Epist. xxxvi, col. 389.
'* 'Cf. tom. -V.XI de cette Ilist., Cliap. v, n« 59.
· Bonizo de Sutri et le Catalogue pontifical nous apprennent l'un et l'autre ce fait jusqu'ici ignoré (Cf. Watterich, tom. I, p. 3)8 ; Bmiiz. Lib. ad A»dc, vuj Patr Lat.. tom. CL, col. 840).
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drons à Rome dans la première semaine de carême. Nous vous y invitons spécialement afin qu'à l'aide de votre prudence et de celle de nos autres frères, avec le courage et la sagesse que nous inspirera l'Esprit-Saint, nous puissions repousser les efforts des impies et affermir la religion chrétienne dans la liberté et la paix des jours de sa fondation divine1. »
18. Wibert ne répondit point à ce noble appel. Son absence et celle de Hugues le Blanc furent tout d'abord remarquées, lorsque le 24 février 1075, dans la basilique du Sauveur 2, en présence des ambassadeurs de France et de Germanie3, de la comtesse Mathilde, du marquis d'Esté Azzo, et d'une multitude d'archevêques, évêques, clercs, moines et laïques de tout rang4, Grégoire VII ouvrit le concile. Un incident qui venait de se produire à Rome même était de nature à jeter un jour sinistre sur les agissements de Wibert, jusque-là si soigneusement dissimulés. Voici en quels termes Bonizo de Sutri et Paul de Bernried racontent cet épisode : « L'impie Cencius, poursuivi pour ses brigandages, était enfin tombé dans une rencontre à main armée au pouvoir du préfet de Rome qui le fit incarcérer. Son procès s'instruisit en la forme prescrite par les lois romaines et il fut condamné à la peine capitale. Mais sur les instances de la glorieuse comtesse Mathilde, alors
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1. Epist. xlii, lib. II, col. 391.
2. Epist. lui, lib. II, col. 405.
3. La présence des ambassadeurs de Philippe Ier a été signalée plus haut; celle des ambassadeurs de Henri IV est attestée par une lettre de Grégoire VII, adressée à ce prince le 8 janvier 1076 (Epist. x, lib. III, col. 441). On y lit ces paroles : Congregata hoc in anno synodo, tui etiam nonrmili tuorum inier-fuere fidelium.
4. Le seul procès-verbal officiel de cet important synode qui nous soit parvenu est un résumé de quelques lignes, intercalé dans le Registrum de Grégoire VII (Cf. Patr. Lat., tom. CXLVIII, col. 787). On y lit ces paroles : Interfuit archiepiscoporum, episcoporum et abbatum multitudo atque diverti Ordinis clericorum et laïcorum copia. Hugues de Flavigny (Chronic. Patr. Lat., tom. CL1V, col. 292) tient le même langage. On ne comprend donc pas comment un récent historien, en parlant de ce concile, a pu dire : « Le nombre des assistants fut petit... Jamais on n'avait vu une telle désertion. » (Cours compl. d'Hist. ecclés., tom. SIX, col. 1043.)
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présente, et à la prière de quelques nobles romains, le seigneur-pape, dans sa clémence, consentit à faire grâce. Sur le tombeau de saint Pierre, Cencius jura de changer de vie, il constitua des otages entre les mains du pontife et remit les clefs de la tour, du haut de laquelle il avait si longtemps fait trembler les citoyens. A ces conditions, il fut lui-même mis en liberté. Le peuple, délivré de sa tyrannie, se porta avec des balistes, des béliers, des maillets de fer, contre la forteresse redoutée et la rasa jusqu'aux fondements. Cencius trop heureux d'en être quitte à si bon marché, et ne se souvenant guère de la foi du serment, se mit en rapport, soit en personne, soit par messages, avec tous les ennemis du pape. Il parcourut lui-même l'Apulie, la Lucanie, visita tous les excommuniés et s'entendit avec eux sur les moyens à prendre pour s'emparer du pontife et le mettre à mort. Il envoya dans le même but son fils se concerter avec l'hérétique archevêque de Raverme Wibert, enfin il écrivit au roi de Germanie une lettre pleine d'impostures et de mensonges, promettant à ce prince de le débarrasser bientôt de Grégoire VII et de le lui amener pieds et poings liés1. » L'instruction du procès de Cencius avait certainement dû mettre sur la trace de la ligue organisée par lui dès l'année précédente, sous l'influence de l'archevêque de Ravenne. On conçoit dès lors que ce dernier n'eut garde de se présenter au concile, en un moment où ses horribles trames venaient d'être découvertes. « Sur son refus de comparaître, dit Bonizo, une sentence synodale le condamna comme parjure et le suspendit de toute fonction épiscopale. L'apostat Hugues le Blanc qui, selon la parole de l'apôtre, «avait été repris une première et une seconde fois2, » fut définitivement traité comme un hérétique notoire et séparé pour jamais de la communion de l'Eglise3. »
19. En l'absence des actes du concile, perdus comme ceux de tous les synodes présidés par Grégoire VII et vraisemblablement dé-
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1 Boniz. âut, Ad amie,, loe. eît., en!, S4Û ; Paul Bemried, Vit. S Grrg, cap. y;Patr, lai,, tom. CXLVIII, col. 58, 2. TH., m, 40. 3. Boniz. Ad amie, loc. cit.
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truits sans retour à l'époque où Henri IV et son antipape se rendirent maîtres de Rome, le récit trop laconique de Bonizo et du catalogue pontifical est le seul document historique relatif à l'excommunication perpétuelle prononcée contre Hugues le Blanc. Comme Judas dont il renouvelait la trahison, ce cardinal indigne devait consommer un jour son forfait en livrant le vicaire de Jésus-Christ; comme Judas, il devait mourir dans l'impénitence finale. La liste des évêques dont la déposition ou la suspense fut prononcée par le concile, les motifs qui déterminèrent ces mesures de rigueur, la nature des accusations qui pesaient sur une multitude d'autres présentent un spectacle vraiment lamentable. Isembert de Poitiers, à la tête d'une bande de soldats, avait envahi la salle d'un monastère où le légat apostolique Amatus, l'archevêque de Bordeaux Gozlin et les évêques de la province étaient réunis en synode. Les cloîtres avaient été brisés par la soldatesque. Les membres du concile outragés, chargés de coups, durent se soustraire par la fuite à une mort certaine. Isembert s'était fait ainsi l'exécuteur des hautes œuvres du comte Guillaume de Poitiers, dont le synode de Bordeaux venait de frapper l'union illégitime. Le concile de Rome prononça contre lui une suspense qu'il n'avait que trop méritée. Liémar, l'orgueilleux archevêque de Brème qui avait dénié aux légats apostoliques le droit de convoquer un concile en Germanie, fut excommunié. Cinq autres des conseillers de la couronne, lesquels s'étaient joints à lui en cette circonstance, et dont l'influence pernicieuse avait sans cesse encouragé le jeune roi à vendre les bénéfices ecclésiastiques, furent séparés de la communion de l'Église, avec menace d'excommunication définitive s'ils ne se présentaient au tribunal du saint-siége dans un délai de trois mois. Garnier de Strasbourg et Henri de Spire, accusés de simonie, furent déclarés suspens. Le dernier mourut subitement à Spire le jour même où sa condamnation était prononcée à Rome. Heemann de Bamberg ce maquignon transformé en évêque, dont nous avons précédemment raconté les singulières aventures1, s'était déterminé
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1 Cf. tom. XXI de-cette Ilist. chap. iv, n° 83,
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à faire le voyage de Rome. «. Muni d'une grosse somme d'argent, de vases précieux et de riches fourrures, dit le chroniqueur, il espérait à force de présents fléchir la rigueur de l'apostolique pontife. En chemin, s'étant rencontré avec le vénérahle évêque de Metz, légat du saint-siége, qui se rendait également au concile, il le pria de voir le premier le seigneur pape et d'intercéder en sa faveur. Lorsque l'évêque de Metz s'acquitta de cette commission, Grégoire secouant ses mains comme si l'or simoniaque dont on lui parlait les eût souillées à distance : « Dites à cet homme, s'écria-t-il, que jamais, quand même il remplirait le palais de Latran d'argent et d'or, je ne consentirai à lui laisser le ministère épiscopal. S'il veut être rétabli un jour dans la communion laïque, qu'il se retire dans un monastère et y passe le reste de ses jours dans la pénitence1. » Le concile prononça contre lui une sentence de déposition. Denys de Plaisance, qui s'était fait le complice des fureurs de l'intrus de Milan Gothfred, eut le même sort. Cunibert de Turin, moins gravement compromis, fut déclaré suspens. Guillaume de Pavie qui avait obstinément refusé de répondre aux monitoires canoniques et qui persistait malgré l'évidence à soutenir la légitimité du mariage de sa sœur avec le marquis d'Esté, fut également frappé de suspense. Chose étrange ! les évêques simoniaques affichaient contre l'autorité des lois de l'Eglise un mépris que les laïques eux-mêmes ne partageaient pas. Ainsi le marquis Azzo se soumit humblement au jugement synodal et rompit son union incestueuse; le comte Guillaume de Poitiers fit de même, pendant que l'évêque de Pavie et le cruel Isembert prenaient le parti de la rébellion. «Tant était désespérée, dit Paul de Bernried, la plaie qui gangrenait alors le sanctuaire ! La fureur du crime s'était exaltée dans un clergé coupable, au point que, suivant la parole du prophète : « Si le Seigneur Dieu des armées n'eût réservé sur notre terre un dernier germe de sainteté, le monde se fût abîmé sans retour comme Sodome et Gomorrhe sous le poids de la corruption universelle2 »
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1. Paul Bernried, Vit. S. Greg, Vif, ha. cit., col. |g,
2. Id., Ibid. t— Isale, i, 9,
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