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DEUXIÈME PARTIE
Jésus‑Christ
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« JE CROIS EN JESUS‑CHRIST,
SON FILS UNIQUE, NOTRE SEIGNEUR »
1) Le problème de la foi en Jésus aujourd'hui
C'est ici, dans cette deuxième partie du Credo, que nous arrivons au véritable scandale du christianisme, brièvement évoqué dans l'Introduction: il s'agit de confesser l'homme Jésus, un homme particulier, exécuté vers l'an Trente en Palestine, comme le « Christ » (l'Oint, l'Élu) de Dieu, voire comme le propre Fils de Dieu, le centre et la mesure de toute l'histoire humaine.
N'est‑ce pas tout ensemble prétention et folie que de vouloir faire d'une figure isolée ‑ condamnée, à mesure que l'on s'en éloigne, à disparaître de plus en plus dans les brumes du passé ‑ le centre décisif de toute l'histoire?
Si la foi au logos, à l'intelligibilité de l'être, correspond tout à fait à une tendance de la raison humaine, il n'en va pas de même dans le deuxième article du Credo, où l'on établit une association vraiment monstrueuse du logos et de la sarx, du sens et d'une figure particulière de l'histoire.
Le Sens, fondement de tout être, est devenu chair, c'est‑à‑dire il est entré dans l'histoire, il fait partie d'elle; il n'est plus seulement ce qui la porte et l'embrasse, il est devenu un point à l'intérieur d'elle.
Dès lors, le sens de tout l'être ne serait plus à trouver dans la contemplation par l'esprit s'élevant, au‑dessus de ce qui est singulier et limité, vers l'universel; il ne serait plus simplement donné dans le monde des idées, qui dépasse le particulier et ne s'y reflète que de manière fragmentaire; il serait à trouver au milieu du temps, dans le visage d'un homme.
Cela fait penser à la fin émouvante de la Divine Comédie de Dante, où, dans la contemplation du mystère de Dieu, le poète,
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au milieu de cette «toute‑puissance de l'Amour qui meut dans une harmonie silencieuse le soleil et les astres », aperçoit, avec un étonnement bienheureux, une image à sa ressemblance, un visage d'homme1.
Nous aurons à considérer plus loin la transformation que cette donnée fait subir à la voie qui mène de l'être au sens.
Pour l'instant, nous constatons qu'en plus de l'union du Dieu de la foi et du Dieu des philosophes, reconnue dans le premier article du Credo comme présupposé fondamental et forme de la structure de la foi chrétienne, une deuxième connexion est établie ici, non moins décisive, celle du logos et de la sarx, de la parole et de la chair, de la foi et de l'histoire.
L'homme historique Jésus est le Fils de Dieu, et le Fils de Dieu est l'homme‑Jésus. Dieu devient un événement pour l'homme à travers les hommes, et plus concrètement encore à travers l'homme dans lequel se manifeste la réalité définitive de l'être de l'homme, et qui, en cela même, est simultanément Dieu.
Peut‑être peut‑on déjà entrevoir ici que, dans cette union paradoxale de la parole et de la chair, se manifeste aussi un sens et une conformité au logos.
Pourtant, cette affirmation de la foi représente d'abord un scandale pour la pensée humaine: ne sommes-nous pas tombés dans un positivisme proprement monstrueux? Avons‑nous le droit de nous accrocher au fétu d'un événement singulier de l'histoire ? Pouvons‑nous risquer de fonder sur le fétu d'un quelconque événement sur l'océan de l'histoire toute notre existence, voire toute l'histoire ?
Une telle idée, qui en elle‑même semble déjà bien aventureuse, et qui parut inacceptable à la pensée antique et asiatique, suscite dans la mentalité moderne des difficultés encore plus grandes, ou du moins différentes de celles d'autrefois, dues à la forme sous laquelle se présente désormais l'accès scientifique à la réalité historique: la méthode historico‑critique.
Avec elle, nous retrouvons, au plan de la rencontre avec l'histoire, un problème semblable à celui posé pour la recherche de l'être et du fondement de l'être par suite de la méthode des sciences physiques et de la forme sous laquelle les sciences expérimentales interrogent la nature.
La physique, nous l'avons vu, renonce à découvrir l'être lui‑même, pour se limiter au « positif », au véri‑
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fiable; le gain impressionnant en exactitude, obtenu de cette manière, elle doit le payer en se résignant à une perte de vérité, au risque finalement de voir, derrière l'écran du «positif », l'être, la vérité elle‑même lui échapper; de ce fait, l'ontologie devient de plus en plus impossible et la philosophie se réduit dans une large mesure à la phénoménologie, à la simple question sur ce qui apparaît.