LES PRINCIPES DE LA THEOLOGIE CATHOLIQUE 25

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   Mais pour comprendre cela il nous faut proposer encore une réflexion. La perception approfondie des fondements spirituels de la foi de Nicée, qui s'était réalisée dans le cercle des néo‑nicéens, ne conduisait pas seulement à une nouvelle compréhension mais aussi à de nouvelles difficultés. Au début du IVe siècle, le problème christologique était devenu tout simplement le problème clé du monothéisme chrétien. Ou bien, par respect du monothéisme philosophique, on avait exclu le Christ du concept de Dieu, ou bien, par respect de la tradition biblique, on l'avait inclus dans le concept de Dieu. Maintenant le choix décisif était pris dans la deuxième direction. Mais en essayant de penser de façon cohérente le concept chrétien de Dieu à partir de cette donnée, on se heurtait inévitablement à la question du Saint-Esprit. Nicée dans sa confession de foi avait traité en détail du Christ, mais par contre, en ce qui concerne le Saint‑Esprit, il avait simplement repris la phrase de l'ancienne confession baptismale “et en l'Esprit‑Saint ». Cela ne pouvait plus suffire. Mais il y avait tout lieu de craindre que le débat au sujet du Saint‑Esprit ne recommence le drame qui s'était déroulé à l'occasion du Fils.

 

   Le Concile de Constantinople, en ajoutant aux paroles de Nicée sa propre confession concernant le Saint‑Esprit, a évité une telle querelle et redonné à l'Église son unité. Comment y est‑il parvenu ? Il n'est pas facile de donner une réponse à cette question. Le Synode

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d'Antioche en 379 avait déjà préparé un nouveau consensus: on pouvait déjà compter sur 150 évêques du Proche‑Orient. L'empereur avait joué habilement en omettant d'inviter au Concile les extrêmes. Il avait renoncé aux représentants de l'Occident dont la ligne nicéenne dure aurait rendu difficile le ralliement des opposants ; d'un autre côté il ne fit pas venir les ennemis irréconciliables de Nicée, si bien qu'étaient désormais évitées les tensions les plus grandes du côté des participants. Mais une telle tactique aurait aussi pu engendrer le contraire et provoquer à bon droit l'opposition de ceux qu'on excluait. C'est pourquoi elle peut bien expliquer jusqu'à un certain point la formation d'un consensus au Concile, mais non pas son succès. Il faut ici rechercher des raisons plus profondes 145. J'en vois principalement quatre:

 

   1. L'apport des néo‑nicéens consistait essentiellement en ce qu'ils avaient abordé le problème du monothéisme chrétien de façon radicalement neuve. Dans les premiers démêlés au début du IVe siècle s'étaient opposées d'un côté l'idée monothéiste, de l'autre la confession de la divinité de Jésus‑Christ. Ces deux éléments n'avaient pas réussi à bien s'unir. Les théologiens de la deuxième génération après Nicée avaient reconnu qu'il était nécessaire de penser le problème du monothéisme de façon radicalement neuve. Ils comprirent que le Christ et le Saint‑Esprit ne s'opposaient pas au monothéisme mais en révélaient enfin toute la grandeur. Ils utilisèrent le schéma platonicien des trois hypostases et reconnurent à partir de là que l'unité de Dieu consiste précisément dans l'unité du Père, du Fils et de l'Esprit. L'unité de l'être, du connaître et de l'amour est une unité plus grande que l'unité consistant simplement en l'absence de parties. Ils reconnurent que l'unité de Dieu doit être pensée à partir du spirituel et non pas à partir de l'atome: à partir d'un élément matériel. Ils reconnurent que la confession de la divinité du Christ et de l'Esprit, qui semble s'opposer au monothéisme, est précisément ce qui révèle enfin la nature de l'unité divine, et ce qui permet enfin à l'image du Dieu vraiment divine de se dessiner grande et lumineuse face au dieu conçu par l'homme. Ainsi le Saint‑Esprit ne constituait pas une charge de plus dans la question du monothéisme, mais la solution du problème christologique et la porte même du monothéisme chrétien, parce qu'il ouvrait la voie à la théologie trinitaire et donc à une nouvelle utilisation des concepts les plus profonds de l'antiquité grecque.

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   Grégoire de Nazianze reliait cette conception nouvelle, personnaliste et spirituelle de l'être, de la réalité en général, à une nouvelle philosophie de l'histoire, qu'il expliquait comme une histoire du progrès, comme l'histoire d'une révélation ascendante, et donc de l'éducation progressive de l'homme par la foi. Le premier degré de l'ascension avait consisté en ce que l'humanité avait été arrachée aux ténèbres de l'idolatrie et conduite à la reconnaissance du vrai Dieu ‑ c'était le passage des conceptions humaines à la révélation. Le deuxième degré, qui s'était réalisé par le passage de l'Ancien Testament au Nouveau, de la loi à la grâce, du particularisme d'Israël à l'universalité du salut de tous les peuples, avait conduit à la confession du Fils de Dieu: il avait été pour ainsi dire le pas du Père vers le Fils. Maintenant dans un troisième pas était révélé l'Esprit‑Saint, et par là‑même le mystère complet de Dieu. La nature trinitaire de Dieu se reflète ainsi dans le caractère historique de la connaissance de l'homme qui, de son côté, correspond à l'histoire de la révélation. Le présent de l'Église apparaissait ainsi aux hommes comme l'aboutissement d'un long cheminement atteignant son but 146.

 

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