Assomption de Marie 2

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   12.  On nous saura gré d'insister sur les preuves archéologiques et sur les monuments  de la tradition locale, d'autant que le sentiment catholique, au sujet de l'assomption de la sainte Vierge, a été plus vivement combattu par le protestantisme. Ajoutons qu'une douloureuse surprise attend les écrivains qui voudraient s'éclaircir sur cette question capitale, en consultant les Bollandistes. Leur collection est muette sur la fête de l'Assomption de la sainte Vierge. Chose incroyable ! En ouvrant, à la date du 15 août, ces fastes de l'Église triomphante, le chrétien n'y trouve qu'une insignifiante mention de la solennité de sa mère2, tant la critique de Baillet

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1  Comte Melchior de Vogué, Les églises de la Terre sainte, in-40, Paris, 1SC0, pag. 306.

2  On comprendra, mieux que nous ne pouvons le dire, l'amère impression que fait éprouver à un cœur catholique la lecture de ces lignes dans la collection des anciens Bollandistes : Dies décima quinta Augusii. Prœlermissi' et in alios dies refecti.S. Sulpitiiepiscopi Irajectensis translatio. Natale S. virginis Brigidœ. Juliana in monasterio S. Mariœ de Monte. In monasleno Fledit<>r~ adventus S. Landolini. S. Naviti episcopi lrevirensis translatio. S. Euscbii martyris in Pulœstina. In Scotiâ S. Sylvestri presbyteri. Pelergnis Leyc/nen-is *>•'- scopus. Balthrannus aboas Alberti de Sarthiano. Cormackus epixeupus .\hnika- tensis, vel Aberdonensis. Assumptio sanctœ Mariœ in codicilntt hicrnnymiiiiiis et in vetustis omnibus Martyrologiis constanter signatur hoc die : Dorinilioin'in seu Migrationem non patitui Florentinius. Cceierùm de hàc quœsiiarie et celeherrirhtï solemnitate agitur in opère non semel dicto de B.-Deiparœ festivitaliôui. Telle est l'injurieuse mention que Sollier se permettait à propos d'une des fêtes catholiques par excellence. (Boll., Act. sanct. Aug., tom. 111.) il est vrai que dans les volumes précédents , il avait inséré un catalogue des Pontifes romains, condamné par la S. C. de l'Index. Quant au traité spécial sur les fêtes Beatissimae Deiparae , ses successeurs qui poursuivirent l'œuvre jusqu'au milieu d'octobre, ne songèrent jamais à l'insérer. Grâces à Dieu, les nouveaux Bollandistes répareront ces lamentables erreurs de leurs devanciers.

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et de Launoy avait prévalu, même sur les plus fermes esprits, dans le cours du XVIIIe siècle ! Il importe donc aujourd'hui de rétablir dans son ensemble la vérité tout entière. Or la vérité, la voici. Une peinture des catacombes, remontant au siècle apostolique, inspirée vraisemblablement par saint Pierre, tracée peut-être par la main de saint Luc, dont elle reproduit d'ailleurs le type consacré pour les images de la sainte Vierge connues sous son nom1, établit l'incontestable authenticité du culte de Marie dans l'Église primitive. Le texte de saint Denys l'Aréopagite suppose que la mort de la sainte Vierge eut lieu à une époque qui ne saurait être antérieure à la mission de saint Paul à Athènes, puisque Denys l'Aréopagite assistait en personne aux funérailles de la Mère de Dieu. De plus, il mentionne à ces obsèques solennelles la présence de saint Pierre, « coryphée et chef suprême des théologiens, » celle de « Jacques, frère du Seigneur, » d'autres apôtres qu'il ne nomme pas, et d'un grand nombre de frères. Il est donc incontestable que le trépas de la sainte Vierge eut lieu durant un séjour que saint Pierre fit à Jérusalem, postérieurement à la fondation du siège de Rome par le prince des apôtres. Or le voyage de saint Pierre à Jérusalem se rapporte évidemment aux années du règne de Claude. Ces données chronologiques permettent de fixer la date probable de la mort de la sainte Vierge vers l'an 54 de notre ère : Marie aurait alors été âgée de soixante-trois ans.

 

   13. Cependant, nous ne prétendons pas donner à ces calculs une rigueur absolue. On sait que les témoignages de l'antiquité chré-   tienne varient au sujet du nombre des années que la sainte Vierge passa sur la terre. Entre Nicéphore qui les limite à cinquante et saint      Épiphane qui les recule jusqu'à soixante-douze, un historien consciencieux a le droit de chercher un moyen terme, basé sur l'ensemble des probabilités  et sur les monuments authentiques. Quoi qu'il en soit, le texte de saint Denys l'Aréopagite nous fait comprendre quelle solennité entoura le trépas de Marie. «Vous et moi, dit-il à Timothée, avec un grand nombre de frères, nous vînmes

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1 Cf. Milochau, La Vierge de saint Luc à Sainte-Marie-Majeure, Paris, 1862.

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contempler le corps vénérable qui avait produit la vie et porté Dieu. Là se trouvaient Jacques, frère du Seigneur, et Pierre, coryphée et chef suprême des théologiens, alors que tous les pontifes voulurent, chacun à sa manière, célébrer la toute-puissante bonté du Dieu qui s'était revêtu de notre infirmité. Or, après les apôtres, notre illustre maître surpassa les autres pieux docteurs, tout ravi et transporté hors de lui-même, profondément ému des merveilles qu'il publiait. » Quel cortège autour du lit funèbre de l'humble Vierge ! Le silence que, pendant sa vie mortelle, elle avait imposé sur sa personne aux disciples du Sauveur, est enfin rompu. Le concert des louanges apostoliques retentit sur la tombe virginale. Pierre, le coryphée et chef suprême des théologiens, Paul, le docteur des nations, font entendre comme un second Magnificat, dont l'écho reste gravé dans le souvenir de tous les assistants. C'est encore saint Denys l'Aréopagite qui nous l'apprend. «À quoi bon, ajoute-t-il, vous redire ce qui fut prononcé en cette glorieuse assemblée ? Ne vous ai-je pas entendu souvent citer des fragments de ces diverses louanges? D'ailleurs il ne convient pas de divulguer ces mystiques entretiens aux profanes. » Nous avons donc la preuve irréfragable que le culte de Marie fut inauguré par les apôtres, avec une magnificence et une splendeur dont le souvenir remplissait d'émotion le cœur de leurs premiers disciples. Qu'on ne nous parle donc plus de légendes apocryphes, de récits merveilleux et inacceptables, sur lesquels la crédulité des siècles suivants aurait édifié, en l'honneur de Marie, un système d'idolâtrie posthume et sacrilège. L'Église catholique n'adore pas Marie, mais elle lui rend aujourd'hui l'hommage que Pierre et Paul déposèrent les premiers sur la tombe « de celle qui avait produit la vie et porté Dieu. »


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   16. En quittant la terre pour aller s'asseoir sur le trône que Jésus lui réservait dans les cieux, la Reine des anges laissait son image au pieux souvenir des apôtres. Les catacombes nous en ont récemment fourni une preuve éclatante. La tradition nous l'avait appris longtemps auparavant. Mais on nous avait habitués à un tel dédain des traditions, que c'est à peine si on osait faire allusion à ce fait capital. Vainement Raphaël, dans un de ses chefs-d'œuvre, nous représente saint Luc en extase, peignant la sainte Vierge qui pose devant lui tenant son Fils entre ses bras. On acceptait le chef-d'œuvre, mais on en répudiait le sujet comme une légende puérile. Vainement la basilique de Sainte-Marie-Majeure, à Rome, montrait aux pèlerins une image de la Vierge, dite de saint Luc. Les

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1 Bemum ut de his dicendi finem faciamus, sicut tant ex Grœcorum quam Latinorum omnium (perpaucis exceptis qui eâ epistolâ pseudo-hteronymianâ decepti sunt) assertione, ita etiam ex Romance Ecclesiœ usu recepto firmiier constantcrque assenmics ac profiiemur, ipsam sanctissimam Dei genitricem Mariam unâ cum sacratissimo Mo corpore, quo impartita est Deo carnem, in cœlum esse receptam. (Baron, Annal. eccL, ann. XLVIII, n. 18.)

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critiques passaient fièrement devant ce trésor d'archéologie sacrée, sans daigner même lui accorder un instant d'attention. Lanzi, dans son Histoire de la peinture en Italie, ouvrage demeuré classique, et qui le mérite d'ailleurs sous d'autres rapports, avait affirmé que le tableau de la Vierge de saint Luc ne remontait pas au delà du XIIe siècle. « L'antique croyance, dit-il, n'a plus de partisans en dehors du vulgaire; et, par vulgaire, il faut entendre tous ceux qui repoussent les enseignements d'une sage critique, comme ils feraient d'une innovation dans le dogme. Cette croyance vulgaire a contre elle le silence des anciens et cet usage constant et certain des premiers chrétiens de ne jamais représenter la Mère de Dieu avec son Fils entre ses bras, mais les mains étendues dans l'acte de la prière. L'opinion commune de nos jours est donc que les tableaux connus sous le nom de Vierge de saint Luc, sont l'œuvre de peintres du XIIe siècle, portant le nom de l'Évangéliste 1. » Ainsi parlait la science, en 1809, par la bouche de Lanzi. Dès lors nul ne voulut se résigner à être confondu avec cet « ignorant vulgaire, qui repousse les enseignements d'une sage critique. » Il est vrai que les catacombes nous offrent maintenant une série d'images peintes aux trois premiers siècles de l'ère chrétienne, où la Vierge est constamment et uniformément représentée tenant son Fils dans ses bras. Le démenti que subit en ce point la science officielle ne pouvait être plus écrasant. Mais elle devait en recevoir un second. Au mois d'août 1860, la Vierge de Sainte-Marie-Majeure ayant été descendue de son autel, pour être portée processionnellement et exposée dans l'église du Gésù, une commission de peintres et d'archéologues fut chargée d'en faire l'examen. Unanimement il fut constaté que cette peinture n'avait aucun des caractères de l'art du moyen âge, ni même de l'époque byzantine, et qu'il fallait nécessairement lui assigner une origine plus reculée. Elle est évi- demment grecque et très-certainement l'œuvre d'un habile artiste, bien que laissant quelque chose à désirer dans les proportions et les ombres. La commission n'hésite pas à affirmer qu'elle est anté-

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1. Lanzi, Histoire de la peinture en Italie, liv. III, première époque , les ?? anciens.

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rieure à Constantin et à la paix rendue à l'Église. Voilà donc solennellement réhabilitée « l'ignorance du vulgaire » que Lanzi stigmatisait. La science réparatrice de notre époque promène, à travers les préjugés officiels et classiques, le flambeau d'une impartiale vérité. Que l'image de Sainte-Marie-Majeure soit l'original ou seulement une copie de l'œuvre de saint Luc, elle est certainement antérieure à l'an 310 de notre ère. C'est là désormais un fait acquis à l'histoire. Mais, dira-t-on, saint Luc était donc peintre? Les Épîtres de saint Paul nous apprennent bien qu'il était médecin; mais elles se taisent sur ce talent de peinture, dont la légende a gratuitement décoré l'Évangéliste, et que l'antiquité ne lui reconnut jamais. —Telle était l'objection de Baillet, de Launoy et de toute leur école. « Quoi! disaient ces superbes critiques, quand l'hérésie des iconoclastes s'abattit sur toutes les images des saints et que les empereurs de Byzance prétendirent noyer dans des flots de sang ce qu'ils appelaient l'idolâtrie des peintures, aucun des Pères du second concile de Nicée, aucun des écrivains catholiques du temps ne leur fit cette réponse si facilement victorieuse: Saint Luc, apôtre et évangéliste, nous a donné l'exemple de la vénération des saintes images, en peignant lui-même l'auguste Mère de Dieu!» Cet argument négatif eut dans la controverse une portée immense. Le temps s'est chargé d'en faire justice. Nous possédons aujourd'hui une lettre synodale, adressée à l'empereur iconoclaste Théophile, par les trois patriarches de l'Orient : Job d'Alexandrie, Christophe d'Antioche , et Basile de Jérusalem. On y lit ces paroles : « Le saint apôtre et évangéliste Luc a fait sur bois, avec un mélange de couleurs, le divin et vénérable portrait de la très-chaste Mère de Dieu, alors qu'elle vivait encore dans sa chair mortelle, et habitait la montagne de Sion, dans la ville sainte. Il le peignit afin que la postérité pût y contempler les traits de Marie, comme dans un miroir, et lorsqu'il présenta son travail à la sainte Vierge elle-même, elle lui dit : Ma grâce sera toujours avec cette image. » Ainsi, tout l'Orient, représenté par un concile où les trois grands patriarchats d'Alexandrie, d'Antioche et de Jérusalem furent réunis, témoigne solennellement de l'authenticité de la tra-

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dition. Un siècle auparavant André de Crète s'exprimait ainsi : « Nous avons appris par la tradition que l'apôtre et évangéliste saint Luc peignit le Seigneur et sa Mère et que la ville de Rome se glorifie de posséder ces portraits, dont il existe aussi à Jérusalem des copies que l'on conserve précieusement. » Enfin, à l'époque même où l'impératrice Pulchérie construisait l'église des Blaquernes, à Constantinople, elle en faisait élever une autre dans le quartier des Odegores, pour y déposer la Vierge de saint Luc, qui fut dès lors désignée sous le titre d'image Odégitria, et dont l'histoire se trouve, à toutes les époques, mêlée à celle de l'empire byzantin.

 

    17. De bonne foi, des témoignages si explicites appuyés sur des monuments  et   confirmés par une tradition non interrompue doivent-ils disparaître devant le parti pris d'une ironie hostile? Est-ce sérieusement, par exemple, que dom Calmet, à la suite de Grotius et de Tillemont, disait que saint Luc a fait le portrait de la sainte Vierge, dans son Évangile, lorsqu'il nous a retracé ses vertus, les mystères de sa vie, la naissance et l'histoire de l'enfant Jésus? Telle était l'incroyable interprétation qu'on osait proposer pour les textes historiques que nous avons cités! Arrière donc ces menteuses et hypocrites exégèses ! La science classique de Lanzi, aussi bien que la critique officielle de D. Calmet, s'évanouissent au rayon de lumière récemment échappé des catacombes. Le culte de la sainte Vierge remonte au siècle apostolique; ses images ont été peintes sous les yeux des apôtres et exposées par eux à la vénération des fidèles; le mystère de son assomption glorieuse, transmis par la tradition orale avec les autres arcanes de la doctrine sainte, éclata au grand jour, à l'époque de Constantin, et resta depuis une des plus douces croyances de l'univers catholique. Voilà la vérité, telle que nous avions à cœur de la dire, après tant de défail-lances, d'hésitations et de réticences calculées. Du reste, il est bien vrai qu'à cette époque saint Luc fit paraître son Évangile. On s'accorde généralement à reconnaître qu'il le composa à l'époque du troisième voyage de saint Paul à Jérusalem. Mais s'il fut évangé-liste, l'hisloire nous apprend en outre qu'il était peintre, et qu'en

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cette qualité il légua aux générations à venir les traits bénis de la Mère de Dieu.

 

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