Louis XVI 8

 

Darras tome 40 p. 88

 

 88. Mais ce qu’on attendait avec le plus d'anxiété, c'était le jugment du Saint-Siège. On l'avait bien dépouillé légalement de tous ses droits, mais par une vieille habitude de respect, par une anti­que tradition de piété et d'obéissance, au besoin, par un simple ins­tinct du vrai dans les choses catholiques, on sentait bien que de là viendrait le coup de grâce. Déjà on avait colporté de faux brefs, les uns pour, les autres contre,  la constitution civile; puis on avait répandu de fausses nouvelles ; enfin il s'était fait une certaine accalmie. Après un moment de relâche, des journalistes mal infor­més donnaient comme positive la désapprobation du Pape.

 

Le Moniteur du 16 janvier 1791 s'empressa de les démentir, non sans laisser entrevoir quelques inquiétudes. La feuille officielle cherchait à rassurer, en pensant, « comme tous les bons citoyens, que l'opinion du Saint-Père ne peut rien changer aux décrets de

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(1) L'abbé Tilloy : Les schismatiques démasqués p. 402 ; cette belle pièce se trouve également dans l'Histoire de l'Église de SI. Henrion,

Il n'est pas inutile de rappeler ici que Louis XVI rétracta, dans son testament, la signature donnée à la constitution civile. «Ne pouvant me servir d'un prêtre, dit l'infortuné monarque, je prie Dieu de recevoir la confession que je lui ai faite de mes péchés, et surtout le repentir profond que j'ai d'avoir mis mon nom, quoique ce fût contre ma volonté, à des actes qui peuvent être contraires à la discipline et à la croyance de l'Église catholique, à laquelle je suis sincèrement attaché de cœur. »

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p87 CHAp.   X.   — LOUIS  XVI,  LA  RÉVOLUTION  FRANÇAISE,   ETC.             

 

l'Assemblée nationale, à qui la nation ne refusera certainement pas le droit de parler, comme les ci-devant parlements du royaume : » c'est-à-dire, d'après la pure théorie gallicane, que si le Pape con­damne on n'y fera pas attention.

 

   Le Pape condamna d'abord, par deux brefs à des évêques qui l'avaient consulté et dans une réponse à Loménie de Brienne. L'abbé de Vauponts, évêque élu de Laval, avait refusé, puis accepté, enfin rejeté sans retour son élection. Sa conduite se trouva en parfaite harmonie avec un bref pontifical qui lui ordonna, non seulement de ne point accepter, mais de rejeter et repousser sa nomination, comme contraire à toutes les formes canoniques, depuis si longtemps reçues et en vigueur dans l'Église. L'abbé Grégoire, élu pour Vannes, avait demandé au Pape une règle de conduite. Le Pape s'empressa de lui répondre qu'il venait de refuser, au risque même de la persécution. « Ces persécutions, dit-il, ne feraient qu'accroître votre gloire, rien n'étant plus honorable à un fidèle, à un prêtre, à un pasteur, que de souffrir pour la cause de Dieu. » Le Pape flétrit ensuite les décrets de l'assemblée, décrets contraires aux saints canons et à toute justice, schismatiques, par conséquent, et frappés de nullité. Il fit ressortir les prescriptions de saints canons, la bassesse qu'il y a de prendre la place d'un autre, l'hor­reur que doit inspirer la prise de possession d'un siège non vacant. « C'est un acte de schisme, dit-il, et un attentat sacrilège. » Il l'ex­horta surtout à ne pas se laisser imposer les mains. «Personne, dit le Pape, ne peut le demander, nul métropolitain, nul évêque ne peut l'accorder, sans se rendre coupable d'un sacrilège horrible, quand une église n'est point privée légitimement de son pasteur, quand l'élection n'a point été canonique et la vôtre ne l'est point ; et qu'on ne présente point notre mandat apostolique, principe de toute mission légitime, si l'ordination se fait autrement ; celui qui est ordonné, vu le sacrilège dont il est flétri, n'a nulle puissance de juridiction et tous les actes qu'il se permet sont nuls et de nulle valeur (1). » Dans sa réponse à Loménie, le Pape était plus explicite encore.

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(1) Tresvaux, Hist. de la râvol. en Bretagne, t. I, p. 11.

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« Nous ne trouvons point de termes, dit-il, pour vous peindre la douleur que nous avons ressentie en vous voyant écrire et publier des sentiments si indignes d'un archevêque et d'un cardinal : mais ce n'est pas ici le temps ni le lieu de vous convaincre des erreurs où vous êtes tombé.

 

« Nous nous contentons de vous dire que vous ne pouviez impri­mer un plus grand déshonneur à la pourpre romaine, qu'en prê­tant le serment et en l'exécutant, soit par la destruction du véné­rable chapitre de votre église, soit par l'usurpation d'un diocèse étranger, irrégulièrement remis entre vos mains par la puissance civile. De tels actes sont des forfaits détestables.

 

« Alléguer, pour couvrir votre faute, que votre serment a été purement extérieur, c'est avoir recours à une excuse aussi fausse qu'indécente ; c'est s'autoriser de la pernicieuse morale d'un philoso­phe qui a imaginé ce subterfuge tout à fait indigne, je ne dis pas de la sainteté du serment, mais de la probité naturelle d'un honnête homme. » Et il termine en menaçant Brienne, s'il ne vient à résipiscence, de le dépouiller de la dignité de cardinal.

 

Ce dernier bref, adressé par le secrétaire d'état à l'abbé Maury, fut publié. Loménie, blessé de cette publication, renvoya au Pape ses insignes de cardinal pour mourir en 1794, comme il avait vécu, misérablement.

 

Mais que trouvons-nous et dans la réponse de Loménie et dans sa consultation et dans toutes les pièces analogues ? Nous y trouvons toutes les rubriques gallicanes, l'autorité du souverain comme tel sur les matières religieuses, l'indépendance absolue de la société civile, sa juridiction sur les choses extérieures, sa compétence exclusive dans les matières mixtes, toutes choses mal définies ou mal entendues. Il faut le dire pourtant, si ce gallica­nisme est vrai, il faudrait bien convenir qu'ici les réfractaires sont dans la logique pure et qu'une seule personne a tort, le Pape.

 

Quel catholique oserait le penser ?

Enfin arriva la réponse annoncée dans le bref à Loménie. Le Pape se prononça contre la constitution civile du clergé et la loi

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du serment dans deux brefs, dont l'un est du 10 mars, l'autre du 13 avril. Le premier est adressé spécialement aux évêques qui fai­saient partie de l'assemblée nationale. Le Pape y discute plusieurs articles de la constitution civile du clergé ; il répond à ceux qui prétendaient que l'assemblée avait eu le droit de statuer sur la discipline, comme étant susceptible de changement. D'abord, disait-il, plusieurs des nouveaux décrets s'écartent de l'enseignement de la foi. Cette liberté absolue que l'on proclame et que l'on exagère, cette doctrine qu'on ne voit plus dans le souverain le ministre de Dieu même, cette soustraction formelle à l'autorité du Saint-Siège ne sont-elles pas en liaison intime avec le dogme ? La dis­cipline contribue à en conserver la pureté: on a vu les conciles pro­noncer des censures contre des personnes qui n'étaient coupables que contre la discipline ; le concile de Trente en offre plusieurs exemples. — Le mode d'élection décrété est plein de nouveautés. Le Pape rappelle à ce sujet plusieurs élections d'évêques faites par le souverain pontife seul, il fait remarquer que le changement introduit dans la discipline généralement suivie autrefois (l'élection par le peuple) avait été nécessité par les troubles et les dissensions qui résultaient très fréquemment des élections populaires. Mais si on avait été forcé d'exclure le peuple lorsque tous étaient catholi­ques, que dire du décret qui, privant le clergé du soin de concourir aux élections, y admet les hétérodoxes, et même les infidèles ?

 

Le Pape se plaint ensuite des entraves mises à l'autorité des évêques, de l'abolition des ordres religieux, de la destruction de tant d'établissements utiles, et des autres plaies faites à l'Église. Il compare ce qui se passe en France avec ce qui était arrivé en Angleterre sous Henri II et sous Henri VIII, et demande enfin aux évêques les moyens, s'il en est, de concilier les esprits et de termi­ner les querelles.

 

Ce bref était accompagné d'une lettre au roi, où le Pape exposait les raisons de son retard, en lui faisant sentir, quoique avec ména­gement, la précipitation, l'imprudence et la faiblesse qu'il avait eues de sanctionner des décrets que le Saint-Siège ne pouvait approuver, pas même provisoirement, pas même pour le plus léger

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terme. Il lui parle de ces évêques parjures qui ont prêté le serment et contre lesquels il sera obligé d'employer la sévérité des canons s'ils ne se rétractent pas. Ce qu'il fit par le bref du 13 avril.

 

Dans ce bref, adressé à tout le clergé et à tous les fidèles du royaume, le Pape cite avec éloge l'exposition des principes, qu'il appelait la doctrine de l'Église gallicane. II déplore vivement la défection des quatres évêques, et surtout de celui qui avait prêté les mains pour la consécration des constitutionnels, et s'élève avec une grande force contre les élections et les consécrations des nou­veaux évêques, et contre celles d'Expilly et de Marolles en parti­culier. Il combat avec les armes de la raison, de la tradition, et les préceptes des saints canons, les consécrations criminelles, illici­tes et sacrilèges; il les casse, les annule et les abroge. Il déclare les nouveaux consacrés dépourvus de toute juridiction, et suspendus de toute fonction épiscopale, ainsi que leurs consécrateurs. Il ordonne à tous ecclésiastiques qui ont fait le serment de le rétrac­ter dans l'espace de quarante jours, sous peine d'être suspendus de l'exercice de leurs ordres, et soumis à l'irrégularité s'ils en faisaient les fonctions.

 

A la fin du bref du 10 mars, qui est un monument de zèle, de science et de sagesse, Pie VI conclut : « Les idées et les sentiments que nous venons de développer, ce n'est pas notre esprit particulier qui nous les a suggérés ; nous les avons puisés dans les sources les plus pures de la science divine ; c'est à vous maintenant que nous nous adressons, nos très chers frères, objets de nos plus tendres sollicitudes ; vous qui faites notre joie et notre couronne, vous n'avez pas sans doute besoin d'être animés par des exhortations... Cependant ceux mêmes qui paraissent les plus affermis dans les sentiers du Seigneur, doivent prendre toutes les précautions possi­bles pour se soutenir ; ainsi, en vertu des fonctions pastorales dont nous sommes chargé, malgré notre indignité, nous vous exhortons à faire tous vos efforts pour conserver parmi vous la concorde, afin qu'étant tous unis de cœur, de principe et de con­duite, vous puissiez repousser, avec un même esprit, les embû­ches de ces nouveaux législateurs et avec le secours de Dieu,

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défendre la religion catholique contre leurs entreprises. Rien ne pourrait contribuer davantage au succès de vos ennemis que la division qui se mettrait parmi vous... Nous empruntons donc les paroles de notre prédécesseur, saint Pie V : « Que votre âme soit « inébranlable et invincible ; que ni les dangers ni les menaces n'affaiblissent votre résolution. » Rappelez-vous l'intrépidité de David en présence du géant, et le courage de Machabée devant Antiochus ; retracez-vous Basile résistant à Valens, Hilaire à Constance, Jean de Chartres au roi Philippe. Déjà, pour ce qui vous concerne, nous avons ordonné des prières publiques ; nous avons exhorté le roi à refuser sa sanction, nous avons averti de leur devoir les deux archevêques qui étaient de son conseil ; et pour calmer et adoucir autant qu'il était en notre devoir les dispositions violentes où l'on parais­sait être, nous avons cessé d'exiger le paiement des droits que la France devait à la Chambre Apostolique. Nous n'avons point encore lancé les foudres de l'Église contre les auteurs de cette malheureuse constitution civile ; nous avons opposé à tous les outrages la dou­ceur et la patience, nous avons fait tout ce qui dépendait de nous pour éviter le schisme et ramener la paix au milieu de votre nation ; et même nous vous conjurons encore de nous faire savoir comment nous pourrions parvenir à concilier les esprits (1).

 

Par une pente insensible, le gallicanisme parlementaire était allé là où il ira toujours : de la révolte à l'hérésie, de l'hérésie au schisme, du schisme il va aller aux plus tristes abaissements, aux plus grands malheurs de la nation. Et nunc intelligite : Et mainte­nant qu'on veuille bien le comprendre. Répudier le gallicanisme, ce n'est pas seulement faire, envers l'Église, acte de foi et de piété ; c'est faire encore acte d'intelligence et de dévouement au service de la patrie.

 

89. En présence de la réponse du Pape, il n'y avait, pour les catholiques, qu'à s'incliner. L'assemblée, accusée de confondre tous les pouvoirs, d'établir une religion nouvelle et de tyranniser les con-

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(1) Documents inédits, relatifs aux affaires religieuses de la France, de 1790 à 1800, parle P. Theiner, préfet des archives secrètes du Vatican, Paris, Didot, 1857.

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sciences, publia une instruction pastorale pour se défendre. A son avis, on lui reprochait d'avoir fait ce qu'elle n'avait ni fait ni voulu; elle ne voyait dans ces reproches qu'un excès de corruption dont l'hypocrisie était le comble. Si elle avait demandé un serment, c'était seulement pour maintenir la loi de l'État ; ceux qui ne vou­laient pas s'y soumettre n'avaient qu'à se retirer et faire place à d'autres. « Le dogme n'est point en danger ; dès que la foi n'est pas en péril, tout est permis pour le bien des hommes, tout est sanctifié par la charité. » Si le rédacteur de l'instruction était de bonne foi, il était bien ignorant. La charte du clergé constitutionnel dépouillait l'Église de la puissance spirituelle pour la donner à des laïques ; elle enlevait au Saint-Siège le droit de confirmer les élections aux évêchés ; sans aucun recours à la puissance ecclésias­tique, elle supprimait d'anciens évêchés et en érigeait de nouveaux ; elle renouvelait, sur la discipline, les hérésies de Luther et de Calvin; elle remettait les élections à des assemblées laïques, impies et même infidèles; elle faisait revivre les occasions de trouble que la présence du peuple y causait anciennement ; elle donnait lieu à des élections capables de favoriser la corruption des peuples, con­trairement aux lois en vigueur ; elle voulait que l'évêque fût con­firmé par le métropolitain ou par le plus ancien évêque à l'exclusion du Pape ; sur leur refus, elle permettait d'appeler comme d'abus devant le magistrat civil, dernier juge en Israël ; elle contraignait l'évêque à se choisir pour vicaires des prêtres destinés à cet office; elle faisait du prêtre l'égal de l'évêque et à certains égards son supérieur ; elle ôtait à l'évêque le droit de choisir et de destituer les supérieurs des séminaires ; elle arrachait les moyens de soulager les pauvres et de soutenir la dignité du caractère épiscopal€ ; elle leur enlevait le droit de se nommer un coadjuteur, elle attribuait à des assemblées provinciales la circonscription des pa­roisses et n'en laissait subsister qu'une par 6.000 âmes; si elle enva­hissait les biens de l'Église, elle ne touchait pas aux prébendes protes­tantes, elle supprimait les chapitres, les monastères, les vœux religieux, l'office divin; elle n'était enfin, sous le nom de constitution civile, qu'un extrait de diverses hérésies, le dernier résidu galli-

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cant, un acte formel de schisme ; œuvre de philosophes, de jansé­nistes et d'impies, elle anéantissait, dans ses effets, la juridiction du souverain pontife, les droits de l'épiscopat, ceux du sacerdoce eux-mêmes, de la communauté des fidèles, noyée dans la multitude des incroyants et des étrangers.

 

    Enfin le gouvernement établit en France la circonscription de l'Église constitutionnelle ; il supprima soixante-deux sièges anciens et en érigea neuf nouveaux. On les pourvut comme on put, par des élections de pure forme, car le gouvernement avait partout ses can­didats officiels qui passèrent d'emblée. L'assemblée en fournit une vingtaine, dont elle faisait des évêques pour récompenser leur soi-disant patriotisme. Mais ce n'était pas assez de s'être fait élire; il fallait trouver des évêques qui voulussent bien donner la consécra­tion épiscopale. Un seul s'y prêta : ce fut l'infâme Talleyrand ; assisté de Gobel, évêque de Lydda, et de Miroudot, évêque de Babylone, il sacra, le 23 janvier 1791, les curés Marolles et Expilly. Le Pape déclara cette consécration sacrilège ; suspendit de tout exercice des fonctions épiscopales, les consacrés et les consécrateurs, et por­tant ses regards vers l'avenir : « Pour prévenir, dit-il, de plus grands maux, nous ordonnons, dans les mêmes termes et en vertu de notre autorité apostolique, que toutes les autres élections faites par les électeurs des départements ou des districts, dans les formes prescrites par la susdite constitution du clergé, pour les églises cathédrales, ou les curés de France, tant d'ancienne que de nou­velle et illégitime érection, quand même lesdites places seraient vacantes, et, à plus forte raison, si elles sont occupées, ainsi que les élections qui pourraient être faites par la suite, soient réputées pour toujours nulles, illégitimes et sacrilèges, sans qu'il soit nécessaire de les dénommer expressément. En conséquence, nous les cassons, annulons, abrogeons par ces présentes et dès à présent pour les temps où elles auraient lieu ; déclarant, en outre, que les sujets élus irrégulièrement et sans aucun droit, et tous ceux qu'on élira par la suite aux évêchés et aux cures, sont privés de toute juridic­tion ecclésiastique et spirituelle pour le gouvernement des âmes ; que les évêques illicitement consacrés jusqu'ici et qui le seront par

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la suite, lesquels nous voulons être censés nommés par les pré­sentes, demeurent et demeureront suspens des fonctions épiscopales, et de même les curés illégalement institués, ou qui le seront par la suite, suspens des fonctions sacerdotales ; et, en conséquence, faisons défense très expresse, à ceux qui sont élus évêques ou qui pourront l'être par la suite, d'oser recevoir l'ordre et la consécration épiscopale d'aucun métropolitain, ni d'aucun évêque; défendons également à ces faux évêques et à leurs sacrilèges consécrateurs, et à tous les autres archevêques et évêques, d'entreprendre sous quelque titre ou prétexte que ce soit, de consacrer ceux qui sont ou seront irré­gulièrement élus; défendant de plus à tous ceux qui sont ou seront nommés à des évêchés ou à des cures de jamais se porter pour archevêques, évêques, curés, vicaires, et de joindre à leur nom le titre d'aucune église cathédrale ou paroissiale, de s'attri­buer aucune juridiction, autorité ou pouvoir pour le gouvernement des âmes, sous peine de suspense et de nullité ; de laquelle peine les susdits ne pourront être relevés que par nous ou par ceux qui en auront reçu le pouvoir du Saint-Siège.»

 

L'Assemblée, par la constitution civile et la réquisition du ser­ment, avait exclu les catholiques scrupuleux des administrations, des élections et surtout des élections ecclésiastiques ; sous prétexte de réforme des abus, elle avait mis hors la loi les prêtres et les fidèles. Les prêtres restèrent, comme les évêques, par conscience, en dehors du schisme; les deux tiers environ repoussèrent le serment ou ne le prêtèrent qu'avec des restrictions. Sur 70,000, 46,000 sont destitués et la majorité de leurs paroissiens est pour eux. On s'en aperçoit à l'absence des électeurs convoqués pour les remplacer : à Bordeaux, sur 900, il n'en vient que 450 ; ailleurs la convocation n'en rassemble que le tiers ou le quart. En nombre d'endroits il ne se présente point de candidats ou les élus refusent d'accepter ; on est obligé, pour la desserte des églises, d'aller chercher des moines ou des prêtres défroqués. Dés lors, dans chaque paroisse, il y a deux partis, deux croyances, deux cultes, deux discordes en perma­nence. Même quand l'ancien et le nouveau curé sont d'humeur paci­fique, leur situation les met en lutte. Pour le premier, le second est

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l’intrus, réfractaire. pour le second, le premier est le En qualité de gardien des âmes, le premier ne peut se dispenser de dire à ses pa­roissiens que l'intrus est excommunié, que ses sacrements sont nuls ou sacrilèges, qu'on ne peut sans péché entendre sa messe. En qua­lité de fonctionnaire, le second ne peut manquer d'écrire aux auto­rités que le réfractaire accapare les fidèles, fanatise les consciences, sape la constitution et doit-être réprimé par la force. Le curé fidèle fait le vide autour de l'intrus ; l'intrus appelle les gendarmes et la persécution commence. Par un étrange renversement, c'est la ma­jorité qui la subit et la minorité qui l'exerce. Partout l'église du curé constitutionnel est déserte. En Vendée, sur cinq ou six cents paroissiens, il y a dix ou douze assistants; les dimanches et jours de fêtes, on voit les paysans faire une ou deux lieues pour aller entendre la messe orthodoxe. Les villageois disent que si on leur rend leur ancien curé, ils paieront imposition double; en Alsace, en Franche-Comté, en Artois, dans dix provinces, c'est la même chose qu'en Vendée. « A la fin, dit un témoin peu suspect, le départ s'est fait comme dans un composé chimique. Autour de l'ancien curé, sont rangés tous ceux qui sont ou redeviennent croyants, tous ceux qui, par conviction ou tradition, tiennent aux sacrements, tous ceux qui, par habitude ou foi, ont envie ou besoin d'entendre la messe. Le nouveau curé n'a pour auditeurs que des sceptiques, des déistes, des indifférents, des gens de clubs, membres de l'administration, qui viennent à l'Église comme à l'hôtel de ville ou à la société populaire, non par zèle religieux, mais par zèle politique, et qui soutiennent l'intrus pour soutenir la constitution (1). »

 

C'était, soi-disant, pour ramener l'Église aux belles mœurs des premiers siècles, qu'on lui avait fait cadeau de cette constitution ; dans la réalité, c'était pour l'anéantir, et la conduite des auteurs de la constitution civile et la conduite des prêtres et prélats schismatiques qui sont son ouvrage, en fournissent la triste preuve. Sans entrer ici dans le détail des énormités qu'eurent à subir les prêtres fidèles, nous venons tout de suite au dénouement de ce drame sacri­lège. Gobel, archevêque de Paris, et ses treize vicaires épiscopaux

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(1) Taine, La révolution, t. I, p. 339.

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p96      PONTIFICAT  DE PIE VI (1775-1800)

 

signent une déclaration par laquelle ils déclarent abjurer l'erreur. Gobel dépose sur l'autel de la patrie son anneau et sa croix ; le président Laloy le félicite de sacrifier sur l'autel de la patrie les hochets gothiques de la superstition. Plusieurs prêtres, membres de la Convention, se précipitent à la tribune ; l'un rappelle qu'il a été curé et déclare avoir renoncé à ses titres et à ses fonctions. Lindet, évêque de l'Eure, annonce qu'il a toujours prêché la pure morale, qu'il a été le premier à se marier et qu'il abdique. Gré­goire, évêque de Loir-et-Cher, se dit prêt à abandonner ses fonc­tions (1). Gay-Vernon, évêque de la Haute-Vienne, qui a déjà remis sa croix, obéit à la voix de la raison, de la philosophie et de la liberté. Lalande, évêque de la Meurthe, abdique pour toujours les fonctions ecclésiastiques, ne voulant d'autres titres que celui de citoyen et de républicain. Le lendemain, Séguin, évêque du Doubs, assure n'avoir accepté les fonctions épiscopales qu'avec répugnance et vouloir redevenir simple citoyen pour ne plus prêcher que la pure morale. La pure morale est la morale de ces apostats ; d'après eux, il paraîtrait qu'il y en a une autre.

 

Le 15 novembre 1793, la Convention accorde une pension aux prêtres qui abjurent leur état. Marolle, évêque de l'Aisne, envoie ses lettres de prêtrise et quitte ses fonctions ; dix-huit vicaires épiscopaux écrivent dans le même sens. L'évêque du Nord fit aussi passer ses lettres et déclara renoncer à ses fonctions. Torné, mé­tropolitain du Cher, avoua qu'il avait été un fourbe, un imposteur, se maria et tomba dans les derniers excès. Pelletier, évêque de Maine-et-Loire, envoya ses lettres de prêtrise. Thibault, évêque du Cantal, donna sa démission et promit de ne plus défendre que la liberté, l'égalité et l'indivisibilité de la république. Minée, évêque de la Loire-Inférieure, abjura son sacerdoce. Héraudin, évêque de l'Indre, renonça à son état. Huguet, évêque de la Creuse, empêché par la maladie, apostasia dès qu'il le put. Molinier, évêque des Hautes-Pyrénées, appuya un arrêté de Fouché, qui supprimait toutes les cérémonies du culte. Pontard, évêque de la Dordogne, disait la messe le bonnet rouge en tête, avec sa pipe à la bouche et

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(1) Moniteur, t. XXV, p. 47 et seq.

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p97 CHAP.  X.  — LOUIS   XVI,   LA   RÉVOLUTION FRANÇAISE,   ETC.            

 

sa femme près de l'autel. Diot, de Reims, maria un de ses prêtres et l'accabla de compliments. Savines, de l'Ardèche, se dégrada lui-même. A ces évêques se joignit un grand nombre de vicaires généraux et de curés constitutionnels. D'où il suit que l'église réformée et reconstituée par la constituante, c'est l'abjuration du christianisme.

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