Darras tome 41 p. 164
37.
En général, les princes romains ne se montrèrent point à la hauteur de leur mission. « Rome, dit le comte Lubienski, possède
une puissante aristocratie qui doit aux papes son élévation ; une bourgeoisie dont le séjour des papes à Rome fait toute la richesse, une bureaucratie, une armée liée au souverain par un devoir
rigoureux et tenant tout du gouvernement; enfin, un peuple pauvre secouru par la charité
toujours féconde des pontifes. Et
pourtant personne ne bougea pour défendre le pape ni même pour lui témoigner sa sympathie, sa douleur
et sa fidélité.
Une princesse, qui a beaucoup d'influence, habituellement sur l'esprit de ses fils se mit en vain à genoux pour
les supplier d'aller voir le saint
captif. La garde civique, la bourgeoisie armée qui avait juré de défendre l'Église confiée à son honneur, persista
dans une stupeur immobile et parjure. Tous les rangs de la société, toute la nation romaine, se montra indigne en ce jour, d'avoir
chez elle le chef suprême du christianisme, le vicaire de Jésus-Christ. Espérons qu'un jour viendra ou Rome
pénitente et châtiée saura réparer le
déshonneur de sa pusillanimité (1) ».
38.Parmi les traitres que produisit la noblesse, il faut citer le comte Mamiani. Térenzio Mamiani, poète, prosateur, philosophe, était un de ces libéraux, modérés par faiblesse et emportés par
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(I) Edouard Lubienski, Guerre» et révolutions d'Italie en 1843 et 1849, p. 257.
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cupidité, dont la philosophie éclectique fait des athées, et que Ieur indomptable ambition porte à tout sacrifier pour parvenir. Exilé sons le pape Grégoire XVI, il n'était rentré qu'en 1847 et sans prêter le serment exigé des bénéficiaires de l'amnistie. De tout temps, il s'était considéré comme un homme supérieur ; il prétendait que la dictature appartient de droit aux hommes de son espèce ; il ajoutait que la charge de corriger les ténèbres de l'ignorance cléricale revient aux forts de la lumière moderne. Depuis son retour, il flattait la populace en la méprisant et lui promettait monts et merveilles pour la dominer ; pour atteindre à son but il jouait alors le rôle de modérateur : rôle hypocrite que se font ou qu'acceptent parfois les plus misérables, pour couvrir d'un voile leur indignité.
39.L'allocution du 29 avril avait dissipé les nuages, amassés comme à plaisir et découvert, entre les actes du Pape et les plans des sociétés secrètes, un abîme. Ce coup de foudre pontificale souleva dans Rome, une véritable tempête. Il nous a trompés Il nous a trahis ! criaient par les rues les prêtres qui venaient de prêcher la croisade. ! répétait Cicervacchio les larmes aux yeux. Fiorentino, un des principaux meneurs, lança une brochure qui concluait ainsi : « Puisque Pie IX ne veut pas sauver les Italiens, les Italiens doivent se sauver sans lui ! » Les séïdes inférieurs s'exprimaient avec une netteté plus banale. La police arrêta un homme qui distribuait un pamphlet clandestin, intitulé: Histoire de Pie IX, pape intrus, traître à la patrie, etc. Dès qu'il eût connaissance de cette arrestation, le Souverain Pontife se fit amener le coupable, et après l'avoir interrogé avec douceur, il lui dit : « Comme votre faute n'atteint que moi, je vous pardonne ». Ce malheureux, touché d’une telle générosité fondit en larmes, et, se jetant aux pieds du Saint-Père, offrit de lui révéler les noms des auteurs du pamphlet. Le Pape ne voulut rien savoir. « Que leurs fautes, s ' écria-t-il, restent ensevelies dans le silence, et puisse le repentir pénétrer dans leurs cœurs I »
On parlait publiquement de déchéance et de gouvernement provisoire ; c'était aller trop vite ; ce mot de gouvernement provi-==========================================
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soire émut le vrai peuple romain ; il faillit produire une réaction contre les clubs. Terenzio Mamiani s'attrista de voir les scélérats se montrer si tôt à découvert. Dans sa misérable sagesse, il pensait que le temps de l'hypocrisie devait se prolonger encore, et il s'employa à calmer cette colère terrible, à mettre fin à la sanglante tragédie (ce sont les expressions de Rusconi). « Il parcourait les rues de Rome, haranguait les clubs, usait de son autorité et de
son nom pour empêcher un massacre qui paraissait inévitable Il réussit après de longs efforts, et la cité, toujours sombre et muette, mais non plus irritée, abandonna ses projets de vengeance ». Pie IX, pour sauver Rome, se sacrifia encore une fois lui-même en prenant pour ministre ce Mamiani, dont la politique était de placer le Saint-Père dans les sphères sereines du dogme pour prier, bénir et pardonner. Mamiani conserva la police à Galetti, se mit lui-même laïque, à l'intérieur, et accepta la présidence, à peu près fictive, du cardinal Ciacchi, qui, absent, fut remplacé d'abord passagèrement par le cardinal Orioli, et d'une manière définitive, quatre mois plus tard, par le cardinal Soglia.
La conduite de Mamiani, dans ses nouvelles fonctions, fut en parfait accord avec sa vie passée. Son activité consistait uniquement à se mettre, de la façon la plus indigne, en opposition avec le Souverain Pontife et à disposer de tout selon son bon plaisir. Cest la marque ordinaire du plus parfait libéralisme : le despotisme personnel, et, par dessus, l'hypocrisie.
Mais d'abord, nous devons bien déterminer la ligne politique de Pie IX.
40.L'Europe était en feu : des mouvements populaires avaient éclaté, après la révolution parisienne de février, dans la plupart ses capitales. Milan et Venise avaient secoué le joug de l'Autriche ; Charles-Albert avait déclaré la guerre à cette dernière puissance; et, d'un bout à l'autre de la péninsule, le mot d'ordre était: Fuori i barbari.
Pie IX, comme prince italien, ne pouvait être que favorable à l’indépendance de sa patrie. II est naturel À tout homme d'aimer À respirer, dès le berceau, un air libre ; et il est naturel à tout
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souverain de vouloir jouir parfaitement de sa souveraineté. Pie IX, comme prince temporel, n'était pas moins favorable à la liberté de ses États. Lui-même venait d'en donner la preuve par une série de réformes où, prenant l'essentiel du régime représentatif, il conciliait avec les latitudes de la liberté les exigences de l’ordre, et harmonisait heureusement les droits des peuples avec les droits de la tiare. Mais le grand Pontife ne pouvait plus se dissimuler combien le temps était peu propice à l'affermissement de ses institutions. Son regard attentif lui révélait d'ailleurs les perfidies de ce qu'on a justement appelé « la conspiration de l'amour » Sous les apparences flatteuses de démonstrations enthousiastes, il avait vu se former des projets ennemis ; il voyait les révolutionnaires appliqués à l'entraîner pour le déborder ou le renverser ; et il n'ignorait point qu'à l'arriére plan, les mains cachées des sociétés secrètes et d'une certaine diplomatie ourdissaient un complot contre son pouvoir temporel. — D'autre part, le Piémont, déclarant la guerre â l'Autriche, avait produit en Italie un entraînement patriotique auquel le pape ne pouvait pas s'associer, auquel le roi de Rome ne pouvait pas résister. C'était l’heure où la tempête décharnée sur le vaisseau, ne laisse plus au pilote que l'alternative de se briser sur les écueils ou d'être englouti dans les abîmes.
41.En présence d'nne situation si compliquée, il est facile de prouver que le Pape s'est conduit en Pape ; le vicaire de Jésus-Christ, tenant d'une main l'Évangile, de l'autre, les tables de la loi, peut être renversé ou assassiné ; il ne peut ni être vaincu par l'iniquité, ni céder à l'ingratitude des circonstances. Quand viendra le moment où l'on voudra le précipiter, les faits témoigneront qu'il n'a point trahi sa cause.
Au peuple de Rome, fanatisé pour la guerre contre l'Autriche, le Pape prédit que ces entraînements aveugles n'aboutiront qu'à la défaite ou a la guerre civile. Même au simple point de vue de la sagesse humaine, il est donc mieux de ne point se laisser entraîner. Mais, au point de vue moral et religieux, quelles tristes perspectives ! La capitale du monde catholique sera inondée de
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sang innocent... « Et ce sera là, ajoute Pie IX, la récompense que devait attendre un Souverain Pontife pour les témoignages d'amours si multipliés qu'il a donnés à son peuple ! 0 mon peuple, que t'ai-je fait ? Popule meus, quid feci libi? Les malheureux ! ils ne s'aperçoivent pas qu'outre l'énorme crime dont ils se souilleraient, et le scandale incalculable qu'ils donneraient au monde, ils ne feraient que déshonorer la cause qu'ils prétendent soutenir en remplissant Rome, l'État et l'Italie tout entière d'une suite infinie de malheurs ! Et dans un cas pareil (que Dieu en éloigne la possibilité)! saurait-elle rester oisive dans nos mains, la puissance spirituelle que Dieu nous a donnée ? Que tous le sachent bien une fois, que nous sentons la grandeur de notre dignité et la force de notre pouvoir.
« Seigneur, sauvez votre ville de Rome de tant de malheurs ! Éclairez ceux qui ne veulent pas écouter la voix de votre Vicaire, ramenez-les tous à de plus sages pensées, afin que, soumis à celui qui les gouverne, ils passent des jours moins malheureux dans l'exercice des devoirs de bons chrétiens, sans lesquels devoirs on ne peut être ni bon sujet ni bon citoyen. »
Au Sénat qui le pousse à la guerre, Pie IX répond « que la mission du Sénat romain n'est pas de s'occuper de propositions de guerre ; que lui, Souverain Pontife, n'entend le céder à personne ; et que l'adresse qu'on lui présente se réduit à une abdication pure et simple, indignité à laquelle il ne voudra jamais consentir. »
A l'empereur d'Autriche, adversaire forcé de l'Italie, dans la guerre machinée par la révolution, pour mettre le feu aux poudres, Pie IX écrit le 3 mai 1848 :
« Au milieu des guerres qui ensanglantaient le sol chrétien, on vit toujours le Saint-Siège faire entendre des paroles de paix, et dans notre allocution du 29 avril dernier, quand nous avons dit que notre cœur paternel a horreur de déclarer la guerre, nous avons expressément manifesté notre désir de contribuer à la paix. Que Votre Majesté ne trouve donc pas mauvais que nous nous adressions à sa piété et à sa religion, l'exhortant, avec une affection toute paternelle, à retirer ses armes d'une guerre qui, sans
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pouvoir reconquérir à l'empire les coeurs des Lombards et des Vénitiens, amène à sa suite la funeste série de calamités, cortège ordinaire de la guerre, et que très certainement abhorre et déteste Votre Majesté. Que la généreuse nation allemande ne trouve pas mauvais que nous l'invitions à étouffer tout sentiment de haine et à changer en utiles relations d'amical voisinage une domination sans grandeur, sans résultats heureux, puisqu'elle reposerait uniquement sur le fer. »
Aux deux conseils de la Consulte d'État, pour l'ouverture de la session, le 3 juin, par la bouche du cardinal Altieri : « C'est à vous, Messieurs, dit-il, qu'il appartient de faire ressortir des nouvelles institutions ces bienfaits que Sa Sainteté a désirées en nous les accordant. Le Saint-Père ne cessera de prier l'Auteur de toutes lumières pour qu'il répande dans vos esprits la vrai sagesse, et pour que les institutions et les lois auxquelles vous aurez à travailler, soient empreintes de cet esprit de justice et de religion, solide et véritable fondement de toute liberté, de toute stabilité, de tout progrès. Le Saint-Père recommande à votre fidélité et à vos sollicitudes incessantes, l'ordre et la concorde intérieure. Avec elle, la liberté tournera à l'avantage de tous ; avec elle, se développeront les bonnes lois, les larges réformes et les sages institutions. Instruits par une longue et douloureuse expérience, défenseurs de la sainte religion qui a son siège dans cette cité, vous aurez lieu d'espérer qu'aucune sorte de biens ne vous sera refusé de Dieu pour que vous puissiez mieux rivaliser de gloire avec vos aïeux. »
En réponse à l'adresse du Haut-Conseil :
« Il est toujours doux à notre cœur de nous voir entouré d'hommes qui animés du désir du bien public, ont résolu d'aider le Souverain dans la difficile entreprise d'améliorer les affaires da pays. Nous vous témoignons notre reconnaissance pour les sentiments que vous nous avez exprimés au nom du Haut-Conseil, et nous avons la confiance que parfaitement d'accord avec le Conseil des députés, et toujours appuyés sur les formes légales établies par nous, vous parviendrez à atteindre le noble but que vous-
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vous êtes proposé. Vous connaissez déjà nos paternelles intentions. Quoique les temps soient plus que jamais difficiles, nous nous sentons fortifié quand nous pouvons nous voir soutenu par des personnes qui aiment leurs pays et qui savent que parmi les éléments qui le constituent, l’élément religieux est celui qui mérite, de préférence à tous les autres, leur amour et leurs graves réflexions. Nous avons aussi l'espoir de voir toujours fleurir de plus en plus l’ordre et la tranquillité qui sont les sources de la confiance publique et préparent tous les éléments du bien. Mais pour obtenir tous ces avantages, élevons vers le ciel nos cœurs et nos regards, car c'est de Dieu seul que nous pourrons obtenir le fort appui, les lumières nécessaires, la constance et le courage pour toucher le but. »
En réponse à l'adresse du Conseil des députés : « Si le Pontife prie, bénit et pardonne, il a aussi le devoir de délier et de lier. Et si comme prince, dans l'intention de mieux protéger et de fortifier la chose publique, il appelle les deux Conseils à coopérer avec lui, le Prince-Prêtre a besoin de toute liberté nécessaire pour que son action ne soit pas paralysée en tout ce qui touche les intérêts de la religion et de l'état ; cette liberté, il la garde intacte tant que demeurent intacts, comrme ils doivent l'être, le statut et la loi sur le Conseil des ministres que nous avons spontanément octroyés.
« Si de grands désirs se multiplient pour la grandeur de la nation italienne, il est nécessaire que le monde entier apprenne de nouveau que, pour notre part, la guerre ne peut être le moyen d'atteindre ce but. Notre nom a été béni par toute la terre pour les premières paroles de paix qui sortirent de notre bouche ; il ne pourrait plus l'être assurément, si des paroles de guerre en « sortaient aujourd'hui. »
A une nouvelle députation du Haut-Conseil, à propos des événements de Ferrare et des protestations diplomatiques du Saint-Siège :
« Les nouvelles qui surviennent nous donnent la certitude que les troubes autrichiennes ont déjà évacué Ferrare.
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« En tout cas, il nous est agréable de vous donner l'assurance que nous sommes disposé à donner tous les ordres nécessaires pour garantir le droit de défense : nous n'avons jamais entendu renoncer à ce droit ; loin de là, nous protestons que nous le maintenons et que nous le voulons inviolable. Nous recevons, en cette nouvelle occasion, avec reconnaissance les sentiments que vous nous exprimez, ainsi que les offres que vous nous faites, et qui tendent à mieux garantir les droits dont nous venons de parler. Nous, cependant, nous renouvelons à Dieu nos humbles prières, afin qu'il préserve l'Italie de tout malheurs, et que, rendant les âmes unies sur leurs véritables intérêts, il y fasse fleurir comme en un sol privilégié la religion et la paix, uniques sources de la vraie félicité. »
Après avoir lu la précédente réponse, le Saint-Père ajoute: « Vous pouvez dire deux choses, savoir, que le Pape admet de plein droit la défense de ses propres États, et que la Ligue avec les princes d'Italie, dont Lui, Pape, a eu l'initiative, sera poursuivie quand on n'y mettra pas des obstacles et des conditions inadmissibles. »
A cette nouvelle adresse du Conseil des députés qui demandait la guerre, Pie IX répond encore le 3 août :
« J'ai aimé à vous entendre prononcer le nom du Statut fondamental: j'en appelle moi-même à ce Statut, et c'est lui qui suggère ma réponse à vos demandes. Vous reclamez de grandes et extraordinaires mesures qui doivent être soumises d'abord à l'examen du Haut-Conseil avant que je puisse vous faire ma réponse. En attendant, je dois vous prévenir que les armées ne s'improvisent pas. Le grand capitaine de notre siècle qui vivait encore au temps de ma jeunesse, et que tous vous avez connu, sinon en personne, du moins par l'histoire, même dans les extrémités les plus pressantes, ne se hasarda jamais à conduire sur le champ de bataille des hommes ramassés à la hâte et non formés à la discipline militaire. Vous parlez de faire appel à des légions étrangères ; mais cet appel exige du temps pour les négociations, pour les voyages, et d'un autre coté vous parlez de dangers imminents.
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Espérons que la providence de Dieu remédiera aux besoins de l'État et de l'Italie, en employant des moyens que nous ne connaissons pas, et que nous devons adorer. Il y a parmi vous un grand nombre de conseillers qui, ne se laissant pas emporter par l'impétuosité des passions, connaissent les vrais besoins du pays, parmi lesquels le plus nécessaire, le plus urgent est de rétablir l’ordre aussi troublé et foulé aux pieds. Mon affection et ma bénédiction vous accompagnent ! »
42.Toutes ces réponses, parfaitement concordantes, manifestent l'esprit, le cœur et le caractère de Pie IX. Les manifestations et adresses qui les provoquent, montrent, de plus, l'esprit et la passion des Italiens. Pour accomplir de nobles choses, il faut, sans doute, du sang au cœur ; il faut aussi du plomb et même un peu de glace dans la tête et d'acier dans les bras. Les Italiens changent cet ordre ; ils mettent le sang dans la tête, la glace au cœur et le plomb dans les gants, quelquefois avec un poignard, rarement avec d'autres armes. Le temps des deux conseils se perd en adresses emphathiques ; les jours et les mois du peuple ouvrier se consument à courir les rues avec d'imbéciles drapeaux et des cantiques saugrenus. Tout cela, parce que les Autrichiens, cantonnés depuis trente ans dans la citadelle de Ferrare, ont mis depuis quelques semaines, un factionnaire tudesque sur la place publique de la même ville. En vain, le Pape a protesté itérativement par les notes de son secrétaire d'État, ie cardinal Ciacchi ; en vain, il vient de protester encore par une note récente du cardinal Soglia. Le peuple court toujours les rues et les députés courent toujours les antichambres. Pour jeter, sur les effervescences puériles, quelques gouttes de rosée, le Pontife-Roi vient de parler; pour les dissiper complètement, le cardinal Soglia, publie encore deux protestations : il est bon de noter qu'elles portent la date du 6 août, une semaine après l'entière déroute des Piémontais, le lendemain de la capitulation et reddition de Milan au feld-maréchal Radetzki.
43.
Telle était l'attitude de Pie IX ; voici maintenant le rôle de Mamiani.
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Pie IX déclarait impossible de conserver un laïque au ministère de l'intérieur ; Mamiani restait malgré le Pape, à ce poste. Pie IX désapprouvait solennellement la guerre contre l'Autriche, Mamiani la favorisait par ses écritures et ses discours à l'ouverture des Chambres. Pie IX voulait prononcer le discours inaugural par l'intermédiaire du cardinal Altiéri ; Mamiani prétendait qu'il n'appartenait qu'à lui d'ouvrir les Chambres. Dans ce discours, Altiéri, au nom du Pape, avait tracé la ligne politique à suivre ; à la première occasion, Mamiani démolit le discours du cardinal Altiéri. Pie IX ayant protesté contre les allégations de Mamiani et dit combien il apprenait chaque jour à détester les agissements de son principal ministre, Mamiani resta sourd à toutes ces remontrances ; il semblait rivé à son portefeuille ; il restait au ministère comme serviteur des clubs, jusqu'à ce que de nouveaux événements vinssent précipiter sa chute.
44.Afin de relever l'esprit public et de secouer la torpeur « à laquelle, disait-il dans une de ses circulaires, les Italiens sont trop enclins, non par nature, mais par leurs habitudes d'esclavage et de feinte », Mamiani imagina un stratagème étrange et qui, s'il en fut réellement l'auteur, ne prouvait guère qu'il fut lui-même au-dessus des habitudes qu'il déplorait. Le 30 juillet au soir, au moment où la population se répand dans le Corso ; un courrier arrive haletant, couvert de poussière, comme un homme qui vient de faire une longue route, et criant à pleine voix : Victoire ! Charles-Albert vient d'écraser les Autrichiens ! Aussitôt des manifestations s'organisent; on se presse sous les fenêtres du ministre de Sardaigne; on illumine de rue en rue ; on se porte aux églises afin de les associer à la joie commune, et la soirée, et la nuit même s'achèvent au son des cloches et aux détonations de la mousqueterie.
Le lendemain, on veut contraindre le clergé hésitant à chanter un Te Deum. Mais une voix s'écrie : Frères, il y a là une affreuse mystification ! Le courrier d'hier était parti de Rome une heure auparavant; il était sorti de la porte Angélica pour rentrer par la porte du Peuple, et il a reçu trois piastres pour sa peine.
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p174 pontificat de pie ix (4846-1878)
La destinée fut cruelle ce jour-là envers les Romains. Un second courrier vint annoncer qu'effectivement il y avait eu batailla entra Charles-Albert et Radetzky (c'était la première bataille de Custoxza, livrée le 25 juillet 1848), mais que Charles-Albert en déroute reculait sur Villa-Pranca, d'où l'on apprit bientôt qu'il était rejeté au-delà du Mincio, puis de l'Ogliu, puis de l'Adda. On apprenait, en même temps, que le corps pontifical, commandé par Durando, bien qu'il fut composé de purs démocrates et qu'il eut juré cent fois d'exterminer les barbares jusqu'aux derniers, s'était débandé au premier choc, manœuvre du fameux recul en bon ordre, qu'il répétait, quelques jours plus tard à la Cornuda. Toutefois, ces braves se rallièrent sur le territoire pontifical et firent à Rome une entrée triomphale, sous une pluie de fleurs. Après un déjeuner copieux offert par la ville, au palais Doria, ils se portèrent à l'assaut du Jésu, qui était vide ; leur héroïsme alla jusqu'à le prendre et à le retrancher fortement, pour bien garder cette fois, leurs positions.
Manuani, enfin battu, quitta le ministère an commencement d'août; il eut, pour successeur, le comte Fahri, vieillard qui n'était pas à la hauteur des événements, les Chambres furent prorogées du 26 août au 15 novembre; Le 15 septembre, le comte Pellegrino Rossi formait un nouveau ministère.