Pie IX 8 et les Libéraux 4

Darras tome 41 p. 156

 

« Aujourd'hui toutefois, comme plusieurs demandent que, réuni aux peuples et aux autres princes de l'Italie, nous déclarions la guerre à l'Autriche, nous avons cru qu'il était de notre devoir de protester formellement et hautement dans cette solennelle assem­blée contre une telle résolution entièrement contraire à nos pen­sées, attendu que, malgré notre indignité, nous tenons sur la terre la place de celui qui est l’auteur de la paix, l'ami de la charité, et que, fidèle aux divines obligations de notre suprême apostolat, nous embrassons tous les pays, tous les peuples, toutes tes nations dans un égal sentiment de paternel amour. Que si, parmi nos sujets, il en est que l'exemple des autres Italiens entraine, par quel moyen veut-on que nous puissions enchaîner leur ardeur ? »

Pendant que toute l'Europe était en guerre et que les frères

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combattaient contre les frères, on entendait donc tout à coup une parole de paix, et cette parole sortait de la bouche du Père com­mun des fidèles. Le Pontife se sacrifie lui-même à la tranquil­lité du monde, défend les princes avec l'autorité de la religion et recommande aux sujets l'obéissance. Cette allocution lui coûtera le trône et lui vaudra l'exil : qu'importe ? Les considé­rations humaines ne peuvent rien sur le cœur de Pie IX. Il fait voir aux rois de la terre que ce pontificat, si odieux à beaucoup d'entre eux, est le soutien de la couronne qu'ils portent. Il montre aux philanthropes modernes que le dogme de la fraternité univer­selle ne se trouve que dans l'Église. Au milieu de l'effervescence générale produite par l'avidité du gain, par la haine de la pro­priété, on voit partir du Vatican un magnifique exemple du respect pour autrui et pour les droits acquis. A une société usée et qui tombe en dissolution, Pie IX fait sentir la sublimité de la doc­trine catholique, et il convoque à la fois les peuples et les rois sous les pacifiques tentes d'Israël.

 

Sublime allocution ! nous défions un hérétique honnête de la lire et de la méditer avec calme, sans reconnaître la divinité du christianisme qui inspirait ces nobles propos. L'allocution n'était pas moins concluante, si nous la considérons comme apologie de la politiqne papale. Déjà, dans son excellent écrit, intitulé Pie IX, Jaime Balmes faisait remarquer que Grégoire XVI avait dû résister aux exigences révolutionnaires, parce que c'eut été, de sa part, une faiblesse de céder, mais que son successeur arrivé au trône en des jours de paix, se trouvait au contraire dans l'obliga­tion de prévenir les périls qu'entraîne le système de résistance absolue. Que serait devenu le pape en février 1848, s'il n'avait pris les devants sur la révolution. Au lieu de provoquer ses fureurs, il l'avait obligée à s'arrêter devant son trône et à chanter les louanges de la papauté. Croit-on que l'ouragan qui renversa le roi des Français, qui chassa l'empereur d'Autriche de sa capitale, qui ensanglanta la Suisse, la Prusse, toute l'Allemagne, aurait épargné le successeur de Saint Pierre, s'il eut été Gré­goire XVI ? C'est faire de la petite politique que de considérer

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le mal qui est arrivé, et de ne pas mettre dans la balance celui qui a été prévenu. Examinées à leur vrai point de vue, les con­cessions paraissent le résultat d'une bienfaisante prudence, qui a épargné des milliers de maux au monde catholique. On dira que le pape n'a pas moins été obligé de céder au torrent de la révolu­tion. Mais quand ? lorsque l'Autriche, la France, l'Espagne et Naples purent le protéger de leur affection et le soutenir de leur épée. Auraient-elles pu le faire, dans les premiers mois de 1848?

 

Au point de vue religieux, l'allocution du 29 avril est un des plus nobles actes du souverain pontificat. « Le courageux refus de faire la guerre, observe un écrivain français qui ne peut être suspect de partialité, fut non seulement une résolution sainte, mais l'un des actes les plus raisonnables de Pie IX. L'unité poli­tique de l'Italie, sous la présidence du pape, tournait au détriment de l'unité religieuse, en rendant pour ainsi dire la papauté ita­lienne. Et contre qui voulait-on qu'il prêchât la croisade? contre des peuples chrétiens qui, en effet, sont ennemis de l'Italie (il ne faut pas oublier qu'elle est l'opinion, de l'écrivain), mais qui n'en sont pas moins enfants de l'Église. Cette confusion des deux ordres aurait substitué au schisme temporel des Romains le schisme spirituel des Allemands; un nouvel Henri VIII pouvait naître dans le camp de Pie IX ». (1).

 

31.Il y a dans l'allocution du 29 avril un point qui mérite une sérieuse attention. A ceux qui l'invitaient à se mettre à la tête du mouvement italien, pour devenir le chef de la fédération : « Quand à nous, répond Pie IX, nous le déclarons, de nouveau, toutes les pensées, tous les soins, toute la sollicitude du pontife romain n'ont d'autre but que de procurer chaque jour l'accroissement du royaume de Jésus-Christ qui est l'Église, et nullement d'étendre les frontières du royaume temporel que la divine Providence a voulu donner au Saint-Siège pour protéger sa dignité et le libre exercice de l'apostolat suprême ».

 

Les hérétiques et les faux catholiques ont bien des fois accusé les papes de s'être procuré la souveraineté temporelle par ambi-

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(1)  John Lehoykk, Affairas de. Rome, p, .86, Rang, 4850.

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tion, en excitant des troubles, en se servant de toutes les circons­tances pour agrandir leurs domaines. C'est une calomnie que l'on trouve chez les protestants Basnage, Mosheim, Gibbon, Sismoudi, Hegewisch ; et parmi les gallicans, dans Vertot, Lebeau, Velly, de Peyronnet, etc. Il n'y a rien qui soit plus en contradiction avec la vérité historique. Entre les dynasties séculières et celles des papes rois, il y a cette différence, que, parmi les premières, il n'y en a pas une qui ne se soit agrandie par des usurpations et qui ne se trouve dans l'impossibilité de justifier ses conquêtes devant Dieu et devant la conscience : mais, sauf le cas unique de Jules II, on ne pourra jamais découvrir ni où, ni quand, ni comment, les papes se sont servis de la force pour reculer leurs frontières. Dans les jours de leur plus haute puissance, on ne trouve pas un usur­pateur ; et lorsque les papes faisaient valoir leur Suprématie sur les États, ce n'était pas pour se les approprier, mais pour en assi­gner le gouvernement à tel ou tel personnage. «Les papes, dit Joseph, de Maistre, régnent depuis la fin du neuvième siècle, pour le moins. Or, à partir de cette époque, on ne trouvera dans aucune dynastie souveraine un plus grand respect pour le territoire d'autrui et un moindre souci pour agrandir le sien » (1).

 

A l'époque où Pie IX prononçait l'allocution du 89 avril, en Italie, Charles-Albert tirait l'épée, sortait de ses États et envahis­sait la Lombardie ; Daniel Manin enlevait la Vénitie à l'Autriche et se mettait à la tête de la république ; le Piémont s'emparait de la principauté, placée sous son protectorat. En France, les Bour­bons, les Orléans, les républicains et les socialistes se disputaient la succession de Louis-Philippe. Il y avait des prétendants en Espagne et en Portugal, des usurpateurs à Vienne et à Berlin; l'Angleterre frémissait au bruit des commotions de l'Europe, toute prête à en faire son profit, et l'empereur de Russie disait, à ses boyards : Moutons à cheval.

 

Partout des combats, partout la lutte paur conquérir et usurper. La propriété, fondement de l'ordre social, était maudite; les pro­létaires en voulaient aux privilèges des riches, les bourgeois à

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(1) Du Pape, liv. fi. ch. VI.

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ceux des nobles, les nobles à ceux des rois ; les rois se faisaient la guerre entre eux, et la cause de toute cette perturbation, c'était le désir de la possession, la soif du bien d'autrui, le besoin d'ac­quérir aux dépens des autres. C'est alors qu'une voix part du Vatican et cette voix est celle de Pie IX. Et Pie IX, pour refuser les agrandissements qu'on lui offre, déclare qu'il se contente des étroites frontières que la Providence a fixées à ses États ; il prê­che le respect pour la propriété d'autrui, il défend la cause des autres princes, et recommande à leurs sujets le calme, l'obéissance et la soumission (1).

 

Ce fait devrait être une grande leçon pour les puissances de la terre. Les princes d'abord eussent dû se réjouir de compter, parmi les têtes couronnées, les papes qui ne cherchaient point à s'agrandir aux dépens des autres ; mais qui, suivant l'exemple donné par Etienne II à l'égard du plus lâche des rois, Léon l'Isaurien, faisaient tous leurs efforts pour conserver aux autres leurs possessions et s'interposaient pour cela avec toute l'autorité de leur caractère. Ne doivent-ils pas encore fermer pour toujours l'oreille à ces voix qui ne cessent de leur parler d'usurpations clé­ricales et d'empiétements de l'Église sur l'État ? Qu'ils citent, à ces perfides séducteurs, l'allocution de Pie IX refusant le royaume d'Italie que lui offrait la révolution. Celui qui a refusé un royaume voudrait-il usurper un droit?


V. LE TRIOMPHE DE LA DÉMAGOGIE A ROME

 

« L'allocution du 29 avril rompit le charme de la papauté, et anéantit une puissance qui avait paru inviolable ». Ainsi parle Kusconi ministre des affaires étrangères de la République. C'est-à-dire que l'allocution pontificale avait vaincu l'hypocrisie des révolutionnaires en les obligeant à combattre visière levée, à se montrer tels qu'ils étaient en réalité, les plus violents ennemis de Dieu et de son vicaire, du peuple et du souverain qui en était le père. « Rome frémit, ajoute le même historien (et, par Rome, il

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(1)  Marootti, Les victoires de F Église, p. 85.

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faut entendre la démagogie) ; elle s'émut et courut furieuse aux armes. Les portes de la ville furent fermées, le château Saint-Ange fut occupé par les citoyens : (lisez : les démagogues) ; on plaça des gardes devant la demeure des cardinaux; on eut dit que l'ange exterminateur planait sur la cité éternelle, et les cardinaux pâli­rent de terreur devant la colère populaire » (1).

 

34. La révolution triomphante met en évidence quelques hommes nouveaux ; c'est autour de leur nom que va se dérouler cette page d'histoire. Nous devons présenter au lecteur ces tristes personnages. Le moins en vue et le plus en crédit, c'est Mazzini, le fondateur d'une secte antisociale, dont les articles constitutifs sont ceux-ci : Art. I. La société est instituée pour la destruction indispensable de tous les gouvernements de la Péninsule, et pour former un seul État de toute l'Italie, sous la forme républicaine. — Art. II. En raison de maux dérivant du régime absolu et de ceux plus grands encore des monarchies constitutionnelles, nous devons réunir tous nos efforts pour constituer une république une et indivisible ». Ainsi aucune des formes existantes de gouvernement ne doit sub­sister. Mais alors qu'elle sera la forme de la république mazzinienne? Un  autre chef socialiste   Ricciardi,  nous l'apprend.  « Pour conduire le peuple, dit-il, il ne s'agit pas d'une assemblée populaire, flottante, incertaine, lente à délibérer ; mais il faut une main de fer qui seule peut régenter un peuple jusqu'alors accou­tumé aux divergences d'opinion, à la discorde, et, ce qui est plus encore un peuple corrompu, énervé, avili par un long esclavage » Aussi le gouvernement qui doit régénérer, béatifier ces malheu­reux Italiens, c'est une main de fer armée d'un poignard. « La plante funeste née en Judée, n'est arrivée à ce haut point de crois­sance et de vigueur, ajoute Ricciardi, que parce qu'elle fut abreu­vée de sang. Si vous désirez qu'une erreur prenne racine parmi les hommes, mettez-y le fer et le feu. Voulez-vous qu'elle tombe, faites-en l'objet de vos moqueries » (2).

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32.En  1815, la famille Bonaparte,  proscrite partout,  avait

33….

(I) Ruscoxi, La République romaine de 1Ç44, t. I, p. 40. Turin, 1830.

•2) Balleydier, Hist. de la Bévol. de Rome, t. I, Introd.

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trouvé un asile à Rome sous Pie VIl qu'elle avait si longtemps et si misérablement persécuté lorsqu'elle était au pouvoir. Un mem­bre de cette famille, Lucien Bonaparte, s'était toujours montré dévoué au Saint-Siège et Pie VII, pour honorer son dévouement, l'avait fait prince de Husignano et Canino. Le fils de Lucien, Charles Bonaparte n'eut pas la constance de son père ; de sa prin­cipauté de Canino, il ne tira que des dents canines contre la Chaire Apostolique. C'était un hypocrite plein d'activité, mais n'ayant que des idées bases et de féroces passions. Voici le portrait qu'en fait Balleydier dans son histoire de la Révolution de Rome; « Habile dans l'art de la dissimulation, Charles Bonaparte avait joué, sous le pontifical précédent, deux rôles diamétralement opposés. Le matin, dans les antichambres des cardinaux, le soir dans les conci­liabules des sociétés secrètes, il avait exploité par un double jeu les chances du présent et les éventualités de l'avenir ; souvent même on l'avait vu se rendre pieusement au Vatican, pour déposer, aux pieds de Grégoire XVI, des hommages que son cœur démentait ». En 1847 et 1848, le fils de Lucien, marchant à la tête des séditieux de Rome, un poignard à la main, se croyait à coup sûr plus habile que son père. Cependant, « s'il avait eu la simplicité filiale d'imi­ter son père jusqu'en 1852, dit Rohrbacher, l'univers chrétien et l'histoire, au lieu d'avoir à flétrir sa conduite, le proclameraient peut-être, le membre le plus digne de la famille Bonaparte ».

 

34.A côté du prince de Canino, se présente le docteur Sterbini. C'est un homme que la honte de sa pauvreté, l'absence de moralité et de génie pour s'élever, l'impatience de parvenir, l'ar­dente soif du pouvoir avaient jeté dans une voie honteuse. Avant de se révolter contre l'autorité de son souverain, il s'était révolté contre l'autorité de son père. Membre des sociétés secrètes, il avait conspiré longtemps. Devenu directeur politique du Contemporaneo il attaquait dans son journal la religion, la morale, la pro­priété, la famille et ne respectait même pas le mur sacré de la vie privée. Aussi ingrat que Canino, physiquement d'une laideur repoussante et moralement plus laid, il était, arec son âme pétrie d'ambition et d'orgueil, le Marat de Rome.

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37. Mazzini avait un autre lieutenant, l'avocat Galetti. Fils d'un barbier de Bologne, il avait embrassé d'abord la profession paternelle ; puis il avait échangé le rasoir de Figaro contre le poignard des Carbonari. En 1831, alors avocat, il avait quitté la toge pour les armes, avait pris part aux guerres civiles tantôt comme soldat, tantôt comme chef de bandes et avait dû se retirer en exil. Douze ans plus tard, étant rentré pour assassiner Gré­goire XVI, il avait été mis eu prison : l'amnistie lui ouvrit les portes de son cachot. Criblé de dettes, joueur, corrupteur, mais habile, dissimulé et sans conscience, il sut tromper Pie IX et, pendant qu'il flattait le Pape, bien mériter de la démagogie.

 

38. A côté de Galetti, nous voyons Armellini, autre avocat qui prononcera la déchéance du Pape comme prince temporel. Armellini, avocat consistorial, avait prêté six serments de fidélité à la papauté ; il avait même composé en l'honneur de la papauté, un sonnet remarquable que voici : « Je rencontrai le Temps et lui démandai compte de tant d'empires, de ces royaumes d'Argos, de Thèbes et de Sidon, et de tant d'autres qui les avaient précédés et suivis. Pour toute réponse le Temps secoua sur son passage des lambeaux de pourpre et de manteaux de rois, des armures en pièces, des débris de couronnes, et lança à mes pieds mille sceptres en morceaux. —» Alors je lui demandai ce que devien­draient les trônes d'aujourd'hui. — Ce que furent les premiers, me dit-il en agitant cette faux qui nivelle tout sous ses coups impitoyables ; les autres le deviendront. Je lui demandai si le sort de toutes ces choses était réservé au trône de Pierre... Il se tut, et, au lieu du Temps ce fut l'Éternité qui se chargea de la réponse».

 

39. II y avait encore, à cette époque, a Rome, un homme du peuple, nommé Angelo Brunetti, et surnommé Cicervacchio ou Joufflu, par sa mère, qui était une femme pieuse. Le fils, devenu grand et fort, fut d'abord charretier, puis loueur de chevaux, marchand de vin, de bois et de fourrage. Comme il était sensible et compatissant, il était fort aimé du peuple. Mais il avait deux grands vices: il était orgueilleux et ivrogne. Les sociétés sécrétes

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en profitèrent pour s'emparer de lui et en faire leur instrument sur la multitude. Les socialistes flattèrent donc sa vanité, lui donnè­rent le titre de chef du peuple, le nommèrent officier de la garde civique, et lui ouvrirent les palais des princes. Ainsi corrompu, Cicervacchio, beugleur de carrefours, Gicéron des vachers et des portefaix, finit par devenir un chef de sicaires et d'assassins. Parmi ces révolutionnaires se trouvaient quelques transfuges du clergé, le P. Gavazzi, moitié charlatan, moitié fou ; Ugo Bassi, que les Autrichiens fusillèrent ; et un père Stéphano, démocrate raffiné qui, rentré dans la vie civile, inaugura pour son compte les pratiques de la liberté, de l'égalité et de la fraternité, en pillant les maisons de son ordre.

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