tome 24 p. 578
CHAPITRE XXI.
Témoignages du prophète Isaïe concernant la résurrection et le jugement.
1 . « Les morts, » dit le prophète Isaïe, « ressusciteront, et ceux qui étaient dans les sépulcres. Et tous ceux qui sont sur la terre se réjouiront : car la rosée qui émane de vous est leur santé. Mais la terre des impies tombera. » (Is. xxvi, 19.) La première partie de ce verset regarde la résurrection des bienheureux. Mais la terre des impies tombera, doit s'entendre des corps des méchants qui tomberont dans cet abîme de damnation. Quant à la résurrection des justes, un examen sérieux et approfondi de ce passage nous convaincra qu'il faut rapporter à la première ces paroles : « Les morts ressusciteront » et à la seconde les suivantes : « Ressusciteront aussi, ceux qui étaient dans les sépulcres. » Et les justes, qu'à son événement le Seigneur trouvera vivants, sont ici clairement désignés. « Et tous ceux qui sont sur la terre se
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réjouiront, : car la rosée qui emane de vous est leur santé. » Par la santé nous entendons ici très‑bien l'immortalité. En effet la santé parfaite est celle qui pour se soutenir n'a pas besoin du remède quotidien des aliments. Enfin parlant encore du jour du jugement, encourageant les bons par l'espérance, frappant les méchants de terreur, le prophète s'exprime ainsi : « Voici ce que dit le Seigneur : Je me détourne sur eux comme un fleuve de paix, comme un torrent inondant la gloire des nations. Leurs enfants seront portés sur leurs épaules et caressés sur les genoux. Comme une mère console son enfant, je vous consolerai et ce sera dans Jérusalem que vous recevrez cette consolation: Vous verrez, et votre cœur se réjouira, et vos os germeront comme l'herbe. On reconnaîtra la main du Segneur sur ses fidèles serviteurs, et ses menaces tomberont sur les rebelles. Car le Seigneur va venir comme le feu, et ses chars comme la tempête pour exercer sa vengeance dans sa colère et tout livrer aux flammes. Car toute la terre sera jugée par le feu du Seigneur et toute chair par son glaive. Plusieurs seront blessés par le Seigneur. » (Is. LXVI, 12.) Ce fleuve de paix promis aux justes est certainement une abondance de paix, la plus grande qui puisse être. C'est de cette paix que nous jouirons à la fin, paix dont nous avons amplement parlé au livre précédent. C'est ce fleuve que le prophète déclare que le Seigneur fera détourner sur ceux à qui il promet une si grande félicité; c'est‑à‑dire que dans cette région de la félicité qui est le ciel, tout sera inondé des eaux de ce fleuve. Mais parce que cette paix donne même aux corps l'incorruptibilité et l'immortalité, c'est pour cela qu'il dit que ce fleuve se détournera sur eux pour s'élancer des hauteurs dans les abîmes et rendre les hommes égaux aux anges. Par Jérusalem, il ne faut pas entendre celle qui est esclave avec ses enfants, mais avec l'apôtre, « celle qui est libre, notre mère qui est éternelle dans les cieux. » (Gal. iv, 9‑6.) C'est là que nous serons consolés après les travaux et les ennuis de cette vie mortelle, et portés sur ses épaules et sur ses genoux comme de petits enfants. Béatitude inconnue, qui environne des soins les plus caressants notre enfance novice. C'est là que nous verrons, et que notre cœur se réjouira. Que verrons‑nous? il ne le dit pas. Mais que pourraît‑ce être, si ce n'est Dieu? Puisqu'il faut que la promesse de l'évangile s'accomplisse en nous : « Bienheureux ceux qui ont le coeur pur, car ils verront Dieu. » (Matt. V, 18.) Et encore toutes ces choses que nous ne
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voyons pas maintenant, mais que nous croyons, et dont l'idée que nous nous formons dans les étroites limites de notre intelligence est infiniment au‑dessous de ce qu'elles sont en effet, vous verrez, dit‑il, et votre coeur se réjouira. Ici vous croyez, là vous verrez.
2. Mais pour prévenir toute erreur sur cette parole : votre cœur se réjouira, et nous détourner de croire que ces biens de la Jérusalem céleste ne regardent que l'esprit, il ajoute : Et vos os germeront comme l'herbe. Mots qui comprennent la résurrection des corps comme pour réparer une omission. Car elle ne se fera pas quand nous aurons vu, mais nous verrons quand elle sera arrivée. En effet le prophète avait déjà parlé d'un ciel nouveau et d'une nouvelle terre, souvent et de diverses manières, dans ses prédictions de la félicité promise aux saints à la fin des temps : « Il y aura dit‑il, un ciel nouveau, et une terre nouvelle; et ils ne se souviendront plus du passé, et la mémoire n'en troublera point leurs cœurs; mais ils ne trouveront que des sujets de joie et d'allégresse dans cet heureux séjour. Je ferai de Jésusalem une fête, et de mon peuple, la joie même. Je ferai de Jérusalem mes délices, et mon peuple sera ma joie, et l'on n'entendra plus désomais la voix des pleurs,» (Is. LXV, 17) et plusieurs autres prédictions que certains esprits veulent rattacher à ce règne charnel de mille ans. Car il met ici les expressions figurées avec les autres, suivant la coutume des prophètes, afin qu'un esprit droit par d'utiles et salutaires efforts, y trouve un sens spirituel; mais la paresse charnelle, la lenteur de l'esprit sans culture et sans exercice ne soupçonne rien à découvrir sous l'écorce littérale. C'en est assez sur les paroles du prophète qui précèdent. Revenant au texte dont nous nous sommes un instant éloignés : «Vos os, dit le prophète, germeront comme l'herbe.» Pour montrer qu'il ne parle ici que de la résurrection des gens de bien, il ajoute :«On reconnaîtra la main du Seigneur envers ceux qui le servent. » Qu'est-ce à dire, sinon la main de celui qui distingue ceux qui le servent de ceux qui le méprisent. Et ses menaces tomberont sur les rebelles, on suivant une autre version, sur les incrédules. Ce ne sera plus le temps des menaces; mais les menaces proférées aujourd'hui auront alors leur accomplissement. « Car voilà le Seigneur qui vient comme le feu, et ses chars comme la tempête, pour exercer sa vengeance dans sa colère et livrer tout aux flammes. Car toute la terre sera jugée par le feu du Seigneur, et toute chair par
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son glaive : seront blessés par le Seigneur. « Feu, tempête, glaive, par lesquels il désigne les peines du jugement. Et le Seigneur qui vient comme le feu n'est‑ce pas contre ceux pour lesquels son avènement doit être un supplice? Ses chars mis au pluriel, peuvent sans inconvénient s'entendre du ministère des anges. Quand il ajoute que toute la terre et toute chair seront jugées par le feu du Sauveur et son glaive, il n'y faut pas comprendre les saints et les spirituels, mais seulement ces hommes charnels et terrestres dont il est dit : « qu'ils n'ont de goût que pour les choses de la terre, » (Ph. 111, 16.) et « n'avoir de goût que selon la chair, c'est la mort,»(Rom. viii, 6) et ceux que Dieu appelle chair quand il dit : « Mon esprit ne demeurera plus parmi ces gens‑ci, parce qu'ils ne sont que chair. » (Gen. VI, 3.) Quant à ce que dit ici le prophète, que plusieurs seront blessés par le Seigneur, cette blessure sera la seconde mort. On peut prendre en bonne part le feu, le glaive et la blessure : puisque Notre‑Seigneur a dit « qu'il était venu apporter le feu sur la terre; » (Luc. xii, 49) et les disciples virent « comme des langues de feu qui se divisèrent quand le Saint-Esprit descendit sur eux; » (Act. 11, 3) et Notre-Seigneur dit encore « qu'il n'est pas venu apporter la paix sur la terre, mais le glaive. » (Matth. x, 34.) Et l'écriture appelle « la parole de Dieu un glaive à deux tranchants » (Hab. xiv, 12) à cause des deux testaments. Et dans le cantique des cantiques la sainte Église s'écrie que « l'amour l'a blessée, qu'elle est atteinte d'une flèche de l'amour. » (Cant. iv, 9.) Mais comme ici nous lisons que le Seigneur doit venir pour exercer ses vengeances, nulle équivoque sur le sens de ses paroles.
3. Puis désignant en un mot ceux qui seront consumés par ce jugement, marquant les pécheurs et les impies sous la figure des viandes défendues dans l'ancienne loi dont ils ne se sont pas abstenus, il revient à la grâce du Nouveau Testament depuis le premier avènement du Sauveur jusqu'au jugement dernier dont nous parlons où il amène et conclut sa prophétie. Dans son récit le Seigneur dit qu'il viendra pour assembler toutes les nations; qu'elles obéiront à sa voix et qu'elles seront témoins de sa gloire. Car, comme dit l'apôtre : « Tous ont péché, et ont beoin de la gloire de Dieu. » (Rom. 111, 23.) Isaïe, ajoute qu'il fera de si grands miracles parmi eux, qu'ils les porteront à croire en lui; qu'il enverra plusieurs élus d'entre eux aux nations étrangères, aux îles lointaines qui n'ont jamais entendu parler de lui, ni vu sa gloire; qu'ils annonceront son évangile aux na-
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tions, et qu'ils amèneront les frères de ceux à qui il parle, les frères des Israélites choisis à la même foi en Dieu le père; qu'ils amèneront au Seigneur des présents sur des chevaux, sur des chariots, c'est‑à‑dire par le ministère soit des anges, soit des hommes de Dieu, et qu'ils les amèneront dans la Cité sainte de Jérusalem, qui maintenant est répandue par toute la terre dans les fidèles. Car les hommes croient où ils sont aidés de Dieu : et ils viennent où ils croient. Or le Seigneur les compare aux enfants d'Israël, qui lui offrent des victimes dans son temple avec des cantiques de louange, ce que l’Église pratique déjà partout; et il leur promet qu'il se choisira parmi eux des prêtres et des lévites, ce que nous voyons aussi s'accomplir. Car nous voyons qu'on choisit les prêtres et les lévites,« non selon la race et le sang, comme cela avait lieu dans le sacerdoce selon l'ordre d'Aaron ; mais comme il convient sous la nouvelle alliance, où Jésus Christ est le pontif souverain selon l'ordre de Melchisédech, consultant les mérites que la grâce se plaît à répandre dans leurs cœurs ; ministres dont il ne faut pas juger par la dignité qu’obtiennent souvent ceux qui en sont indignes, mais par la sainteté qui ne peut être commune aux bons et aux méchants.
4. Après avoir ainsi parlé de cette miséricorde de Dieu sur son Église, dont les effets sont si visibles et si connus, il promet à chacun les fins où il arrivera, lorsque le dernier jugement aura séparé les bons des méchants. Voici ce que le Seigneur dit par son prophète, ou le prophète de la part du Seigneur : « Car comme le nouveau ciel et la nouvelle terre demeureront en ma présence, ainsi votre semence et votre nom demeureront devant moi; et ainsi de mois en mois, de sabbat en sabbat toute chair viendra m'adorer à Jérusalem, dit le Seigneur; et ils sortiront et verront les membres des hommes prévaricateurs. Leur ver ne mourra point, et le feu qui les brûlera ne s'éteindra point, et ils serviront de spectacle à toute chair. » (Is. LXVi, 2‑9.) C'est par où le prophète finit son livre, c'est par là que le monde doit finir. Quelques versions, au lieu des membres des hommes, portent les cadavres des hommes, entendant évidemment par là la peine corporelle des damnés; quoique d'ordinaire on n'appelle cadavre qu'un corps sans âme, tandis que les corps dont il parle se-
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ront animés, autrement ils ne pourraient souffrir. Comme il s'agit ici des corps d'hommes morts, mais morts une seconde fois, on peut peut‑être sans absurdité les appeler cadavres. D'où vient cette parole du prophète que j'ai déjà citée : « La terre des impies tombera. » Qui ne sait que cadavre vient d'un mot latin qui signifie tomber. Au reste il est clair que par les hommes, il entend aussi les femmes, puisque personne n'oserait dire que les femmes pécheresses n'auront point part à ce supplice. Le nom du sexe supérieur d'où la femme a été tirée, désigne les deux sexes. Mais ce qui importe surtout à notre sujet, c'est que le prophète dit en parlant des justes: «Toute chair viendra. » Parce que ce peuple sera composé de toutes les nations; non pas que tous les hommes y seront réunis; car le plus grand nombre sera dans les tourments; mais, je le répète, comme les justes sont désignés par le mot chair et les méchants par celui de membres ou de cadavres, concluons qu'après la résurrection de la chair que ces expressions rendent si évidente, le jugement viendra qui séparera les bons des méchants.
CHAPITRE XXII.
Isaie dit : «Les bons sortiront pour voir les supplices des méchants. » Quelle sera cette sortie ?
Mais comment les bons sortiront‑ils pour voir les supplices des méchants? Dirons‑nous que par un déplacement de leurs corps ils quitteront les heureuses demeures pour se rendre au séjour de leurs peines, et être témoins de leurs souffrances? Non, ils sortiront parce qu'ils connaitront. Je veux dire que, ceux qui souffriront seront dehors. Notre‑Seigneur n'appelle‑t‑il pas ces endroits les ténèbres extérieures? En opposition à l'entrée du bon serviteur, dont il est dit : (( Entrez dans la joie de votre Seigneur; » (Matth. xxv, 21) afin qu'on ne croie pas que les méchants y entrent pour être connus; mais que ce sont plutôt les saints qui, en quelque façon, sortent vers eux par la connaissance de leur malheur. Car ils n’ignoreront pas ce qui se passe au‑dehors. Ceux qui seront dans les tourments ne connaitront pas ce qui se passe au‑dedans, dans la joie du Seigneur; mais ceux qui la posséderont, sauront ce qui se passera dehors dans ces ténèbres extérieures. Voilà pourquoi on dit : ils sortiront; car, ce qui
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se passera au‑dehors, n'échappera pas à leur connaissance. Car si les prophètes ont pu connaître ces choses avant qu'elles ne fussent arrivées, parce que Dieu se communiquait tant soit peu à leur esprit; comment les saints immortels pourront‑ils les ignorer, lorsque «Dieu sera tout en tous? » (I. Cor. xv, 28.) Le nom et la semence des saints subsisteront dans cette béatitude. Cette semence dont parle saint Jean : « Et sa semence demeure en lui. » (Job. 111, 9.) Le nom, car Isaïe dit : « Je leur donnerai un nom éternel, » et il sera ainsi de mois en mois, de sabbat en sabbat, comme de lune en lune et de repos en repos. » (Is. LXV, 5) Et les saints seront l'un et l'autre, lorsque de ces ombres anciennes et passagères ils entreront dans ces lumières nouvelles et éternelles. Quant aux supplices des damnés, ce feu inextinguible, ce ver qui ne saurait mourir, on les explique diversement. Les uns rapportent tous deux au corps et les autres à l'àme. D'autres disent que le feu tourmentera le corps, et que le ver est la figure des supplices de l’âme, ce qui est plus probable. Mais ce n'est pas ici le lieu de parler de cette différence. L'objet de ce livre est le jugement dernier où se fera la séparation des bons et des méchants. Pour leurs récompenses ou leurs châtiments, nous en parlerons ailleurs plus amplement.
CHAPITRE XXIII.
Prophétie de Daniel sur la persécution de l'Antechrist, sur la Justice de Dieu et le règne des saints.
1. Voici la prophétie de Daniel, sur le jugement dernier, qu'il fait précéder de l'avénement de l'Antechrist et qu'il conduit jusqu'au règne éternel des saints. Ayant, dans une vision prophétique, aperçu quatre bêtes, figures de quatre royaumes, et le quatrième conquis par un certain roi qui est l'Antechrist, il vit le royaume éternel du Fils de l'homme, c'est‑à‑dire, de Jésus‑Christ : « Mon esprit, dit‑il, fut saisi d'horreur, moi Daniel, dans tout mon être, et cette vision me remplit d'un trouble inconnu. Je me suis approché d'un de ceux qui étaient présents, et lui ai demandé la vérité de tout ce que je voyais, et il me l'apprit. (Dan. vii, 15.) Alors le prophète raconte ce qu'il entend de la bouche de celui qu'il vient d'interroger, et parle comme sous sa dictée : « Ces quatre grandes bêtes sont quatre royaumes qui se formeront sur la terre, qui ensuite seront détruits; l'empire passera aux saints du Très‑llaut, et ils le conserveront jusque dans le siècle, et le siècle des siècles. Je m'informai soigneusement de la quatrième bête, différente des autres et plus
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terrible : ses dents étaient de fer, ses ongles d'airain. Elle mangeait et lacérait tout, et foulait le tout aux pieds. Je questionnai sur les dix cornes qu'elle avait à la tête, sur une autre qui en sortit et fit tomber trois des premières; cette corne avait des yeux et une bouche qui annonçait de grandes choses, et elle était plus grande que les autres. Je m'aperçus que cette corne faisait la guerre aux saints et l'emportait sur eux jusqu'à l'arrivée de l'Ancien des jours, qui donna le royaume aux saints du Très‑Haut. (( Le temps était venu, les saints furent mis en possession du royaume. » Daniel nous expose ses questions et voici les réponses de celui à qui il s’adresse : « La quatrième bête sera un quatrième royaume qui s'élèvera sur tous les royaumes de la terre; il dévorera la terre, il la foulera, il la brisera. Ses dix cornes sont autant de rois, après lesquels il en viendra un plus méchant que tous ceux qui l'ont précédé; il humiliera trois rois et il blasphèmera contre le Très‑Haut, et il écrasera ses saints. Il croira pouvoir changer les temps et les lois. On le laissera régner un temps, des temps et la moitié d'un temps. Puis le jugement viendra qui lui ôtera toute autorité, qui l'exterminera et le perdra pour toujours. Alors le royaume, la puissance, la grandeur de tous les rois qui sont sous les cieux seront le partage des saints du Très-Haut. Son royaume sera éternel, et toutes les puissances le serviront et lui obéiront. Il s'arrêta là. Cependant, moi Daniel, j'étais extrêmement troublé, mon visage en fut tout changé; mais je n'oubliai aucune de ses paroles. » Quelques‑uns ont appliqué ces quatre royaumes à ceux des Assyriens, des Perses, des Macédoniens et des Romains. Ceux qui veulent connaître sur quel fondement ils s'appuient, peuvent consulter les commentaires du prêtre Jérôme sur Daniel, qui sont écrits avec soin et érudition. Mais, fût‑on moitié endormi, on ne peut révoquer en doute que Daniel ne dise claîrement que la tyrannie de l'Antechrist contre les fidèles, quoique de peu du durée, doive précéder le dernier jugement et le règne éternel des saints. On nous apprend plus bas que le temps, que les temps, et la moitié d'un temps signifient ici un an, deux ans et la moitié d'un an, c'est‑à‑dire trois ans et demi. Or le nombre des jours exprimé plus bas dissipe toute obscurité, et, ailleurs, le nombre des mois le fait disparaître. Il est vrai que les temps semblent marquer un temps indéfini, mais en hébreu on peut interpréter deux temps à cause du duel que n'ont pas les Latins, que possèdent les Grecs, et qu'on dit exister aussi dans la langue hébraïque.
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Temps est donc pris ici pour deux temps. Sur les dix rois désignés comme dix hommes, je ne sais s'il faut les entendre de dix vrais rois que l'Antechrist doit trouver à sa venue, je crains de me tromper; il n'y aura peut‑être pas à sa venue imprévue autant de rois dans tout l'empire romain. Que savons‑nous si ce nombre n'est pas mis là pour signifier l'universalité de tous les rois qui doivent précéder son avènement. Souvent par le nombre mille, cent, sept et d'autres encore qu'il est inutile de rappeler ici, l'écriture entend la totalité.
2. Daniel dit ailleurs : « Le temps viendra d'une persécution telle qu'on n'en a point vu depuis l'origine du monde. En ce temps‑là tous ceux qui se trouveront inscrits dans le livre de vie seront sauvés; plusieurs de ceux qui dorment sous un amas de terre ressusciteront; les uns pour la vie éternelle et les autres pour une éternité d'opprobres et de confusion. Les savants auront l'éclat du firmament et beaucoup de justes brilleront comme les étoiles.» (Dan. xii, 1.) Ce passage ressemble beaucoup à celui de l'évangile où il est parlé de la résurrection des corps. Car ceux que l'évangile représente dans les sépulcres, le prophète les dit endormis « sous un amas de terre, » ou suivant d'autres interprètes, dans « la poussière de la terre. » Là il est dit qu'ils sortiront, ici, qu'ils ressusciteront. Dans l'évangile : ceux qui auront fait le bien pour ressusciter à la vie; ceux qui auront mal vécu pour ressusciter au jugement. Et dans le prophète : les uns ressusciteront pour la vie éternelle, les autres pour un opprobre et une confusion éternelle. Et qu'on ne dise pas que l'Evangéliste et le Prophète diffèrent l'un de l'autre, parce que celui‑là dit : tous ceux qui sont dans les sépulcres, et que celui‑ci dit: plusieurs de ceux qui sont sous un monceau de terre; car quelquefois l'écriture met plusieurs pour tous; Dieu dit à Abraham: « je vous rendrai le père de plusieurs nations; » (Gen. xvii, 5.) et ailleurs il lui dit : « Dans votre postérité toutes les nations seront bénies.» (Gen. xxii, 18.) Et sur cette même résurrection il est dit, peu après, au même Daniel: « Venez, reposez‑vous, il reste encore des jours jusqu'à la consommation des siècles; vous vous reposerez et ressusciterez pour posséder votre héritage à la fin des temps. » (Dan. xii, 13.)