Le Scerdoce et l’Empire 1

Darras tome 40 p. 217

 

§ V. LA LUTTE DU SACERDOCE ET DE L'EMPIRE

 

L'exécuteur des vengeances célestes devait appeler sur lui-même la catastrophe qui servira de dénouement à l'histoire de ses triomphes. Émule à plus d'un litre de Constantin, de Théodose, d'Alexandre et de César, il aurait pu, après trois siècles d'égare­ments, réagir contre la barbarie savante des peuples européens, rompre le cours de la révolution et s'élever à la grandeur d'un Charlemagne ; il se contenta de rivaliser avec les Césars du Bas-Empire, les empereurs d'Allemagne et les csars de Moscou. L'esprit de foi en eût fait une des plus hautes personnalités de l'histoire ; une ambition grandiose, mais vulgaire, va le réduire aux propor­tions d'un Constance, d'un Valens, d'un Barberousse ou d'un Ro-manoff. Ce n'est pas un astre fixe, c'est un météore.

 

   23. On ne peut pas dire, à proprement parler, que Napoléon ait été jamais un ami dévoué et un serviteur convaincu de la sainte Eglise : Napoléon n'a jamais été que l'homme de ses idées et encore plus l'esclave de ses passions. Dans toute la période publique de

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(1) Louis Veuillot, La guerre et l'homme de guerre, p. 51.

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son existence, il a réglé, sur les intérêts de sa fortune, la manifes­tation de ses sentiments ; mais il n'a eu, pour boussole, que sa fortune. Tour à tour jacobin ardent, admirateur officiellement enthousiaste de l'Islam, flatteur et persécuteur de la papauté, il n'a été, au moment de ses plus vives sympathies pour le christia­nisme, que l'autocrate qui veut se faire de la religion un instru­ment et de l'Église une esclave. Sans attache pour aucune foi, sans respect pour aucune loi, despote jusqu'au fond des entrailles, la seule cause qu'il ait voulu faire prévaloir, c'est la cause de son despotisme. Lui, lui, dis-je, et c'est tout. Et dans cet égoïsme mons­trueux, à supposer qu'il ait pu établir sa domination, on découvre le dessein bien arrêté d'anéantir toute indépendance, religieuse, politique ou sociale, et si l'on admire la force mise au service d'un si gigantesque dessein, on ne peut faire tomber, sur le but de ses efforts, que la réprobation de l'anathème.

 

En dictant le traité de Tolentino, Bonaparte espérait faire détra­quer la vieille machine du prince des Apôtres. Après Marengo, il crut utile d'appeler le machiniste à son aide, mais en discutant le Concordat, il le désorganisait par les articles organiques. S'il appela Pie VII au sacre, c'était pour en recevoir du lustre, ou pour em­prunter, à Dieu, le principe de la force et de la lumière. Dès lors, ce n'est plus que le tyran aveugle et insatiable, jaloux de l'empire du monde, empire fondé sur l'universelle servitude. Napoléon ne s'y trompa point ; il n'y avait qu'une force à subalterniser, l'Église et le monde était vaincu. Tel est le sens des assauts qu'il va livrer à Pie VII depuis 1804, jusqu'à 1814. La guerre au Pape est, avec la guerre contre toutes les puissances, le fait caractéristique de son règne. On en vit les premiers indices dans ces refus de tenir, après le sacre, aucune des promesses qui avaient été prodiguées avant. Tout aussitôt les dissentiments s'accusent à la fois sur une orga­nisation rêvée par l'Empereur pour les églises d'Allemagne, sur des lois portées en Lombardie contre le droit constant de l'Église ro­maine, et sur le projet de rupture d'un mariage de Jérôme Bona­parte avec une protestante d'Amérique. Napoléon n'était pas capa­ble de cacher ses sentiments ni de mener une négociation. Ce qu'il

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voulait, il le disait très haut, et quand il l'avait exigé avec hau­teur, il fallait le lui accorder humblement ou se résoudre à le com­battre, auquel cas il ne songeait plus qu'à vous écraser. Les dissenti­ments avec Pie VII n'offrent qu'une série d'attentats.

 

   Jérôme Bonaparte s'était marié, en 1803, quoique mineur, à Baltimore, avec Elisabeth Patterson, fille d'un riche protestant des États-Unis. Napoléon demanda au Pape de déclarer ce mariage nul. « Il est important, pour la France même, disait-il, qu'il n'y ait aussi près de moi une fille protestante ; il est dangereux qu'un mineur de dix-neuf ans, enfant distingué, soit exposé à une séduc­tion pareille contre les lois civiles et toute espèce de convenance. » Pie VII répondit qu'il avait reçu, à ce sujet, des mémoires basés sur des principes opposés les uns aux autres, mais qui se détruisaient réciproquement. « De l'analyse de ces opinions contraires, disait le pontife, il résulte que les empêchements proposés sont au nom­bre de quatre ; mais, en les examinant séparément, il ne nous a pas été possible d'en trouver aucun qui, dans le cas en question et d'après les principes de l'Église, puisse nous autoriser à déclarer la nullité d'un mariage contracté et déjà consommé. — D'abord la disparité du culte, considérée par l'Église comme un empêchement dirimant, ne se vérifie pas entre deux personnes baptisées, bien que l'une d'elles ne soit pas dans la communion catholique. Cet empê­chement n'a pas lieu dans les mariages entre protestants et catho­liques, quoiqu'ils soient abhorrés par l'Église ; cependant elle les reconnaît valides. — Il n'est pas exact de dire que la loi de France, relative aux mariages des enfants non émancipés et des mineurs, contractés sans le  consentement des parents et des tuteurs, les rende nuls quant au sacrement. Le pouvoir même législatif laïque a déclaré, sur des représentations du clergé assemblé l'an 1629, qu'en établissant la nullité de ces mariages, les législateurs n'avaient entendu parler que de ce qui regarde les effets civils du mariage, et que les juges laïques ne pouvaient donner aucun autre sens ou interprétation à la loi; car Louis XIII, auteur de cette déclaration, sentait bien que le pouvoir séculier n'a pas le droit d'établir des empêchements dirimants au mariage comme sacrement. En effet,

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l'Église, bien loin de déclarer nuls, quant au lien, les mariages faits sans le consentement des parents et des tuteurs, les a, même en les blâmant, déclarés valides dans tous les temps, et surtout dans le concile de Trente. — En troisième lieu, il est également contraire aux maximes de l'Église de déduire la nullité du ma­riage, du rapt ou séduction : l'empêchement du rapt n'a lieu que lorsque le mariage est contracté entre le ravisseur et la personne enlevée, avant que celle-ci soit remise en sa pleine liberté. Or, comme il n'y a pas d'enlèvement dans le cas dont il s'agit, ce qu'on désigne dans le mémoire par le mot de rapt, de séduction, signifie la même chose que le défaut de consentement des parents duquel on déduit la séduction du mineur, et ne peut, en conséquence, former un empêchement dirimant, quant au lien du mariage. C'est donc sur le quatrième empêchement, celui de la clandestinité, ou l'ab­sence du curé, que nous avons dirigé nos médidations. Cet empê­chement vient du concile de Trente ; mais la disposition du même concile n'a lieu que dans les pays où son fameux décret, chapitre I, section 2-i, de Reformatione matrimonii, a été publié, et même dans ce cas il n'a lieu qu'à l'égard des personnes pour lesquelles on l'a publié. Désirant vivement de chercher tous les moyens qui pour­raient vous conduire au but que nous souhaitions d'atteindre, nous avons d'abord donné tous nos soins à connaître si le susdit décret du concile de Trente à été publié à Baltimore. Pour cela nous avons fait examiner de la manière la plus secrète les archives de la Propagande et de l'Inquisition, où on aurait dû avoir les nouvelles d'une telle publication. Nous n'en avons cependant rencontré aucune trace ; au contraire, par d'autres renseignements, et surtout par la lecture du décret d'un synode convoqué par l'évêque actuel de Bal­timore, nous avons jugé que la susdite publication n'a pas été faite. D'ailleurs, il n'est pas à présumer qu'elle ait eu lieu dans un pays qui a toujours été sujet des hérétiques. A la suite de cette recherche des faits, nous avons considéré sous tous les points de vue si l'absence du curé pourrait, selon les principes du droit ecclésias­tique, fournir un titre de nullité ; mais nous sommes resté convaincu que ce motif de nullité n'existe pas. » Napoléon cassa, de son chef, le

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mariage de son frère Jérôme ce qui prouve bien qu'il n'était pas nul ; il trouva des complaisants pour approuver cet acte sacrilège et lui, qui ne voulait pas d'une protestante pour femme de Jérôme, maria Jérôme à la protestante Catherine, princesse de Wurtemberg.

 

   26. L'état de la religion en Allemagne était presque aussi déplorable que celui dont le Concordat essayait de tirer la France. Les innovations de Joseph II, les écrits inspirés par ces inno­vations, les ponctuations schismatiques d'Ems avaient diminué la dévotion du peuple allemand  pour la Chaire apostolique. Une guerre longue et malheureuse contre la république française aug­menta beaucoup le mal ; la paix y mit le comble. Les princes, dépossédés par les traités de Campo-Formio et de Lunéville, s'in­demnisèrent au détriment des institutions ecclésiastiques, évêchés, abbayes et chapitres; ils se saisirent des biens temporels de ces églises et parvinrent à faire ratifier, par  la Russie  et la France, cette usurpation à la diète de Rastibonne en 1803. Un seul prélat, Théodore de Dalberg, avait conservé une partie de l'ancien élec­toral de Mayence et reçu en indemnité, pour les parties annexées à la France, la principauté de Ratisbonne et le comté de Wetzlar, avec le titre d'électeur archi-chancelier de l'Empire. Le boulever­sement du temporel avait entraîné la confusion du spirituel : les évéchés de Bamberg, de Freisingen, de Passau, de Wurtzbourg étaient vacants ; la métropole de Cologne n'avait ni évêques, ni administration quelconque ; les cures étaient privées de pasteurs ; les fondations et les règles canoniques à la merci des princes pro­testants. Pour mettre un terme à une anarchie aussi funeste, des conférences eurent lieu entre l'archevêque Dalberg et l'auditeur de nonciature, Troni, sur les bases suivantes : 1° que le Saint-Siège con­serverait ses droits et que chaque souverain assurerait un revenu décent aux évêchés de ses États ; 2° que le prince présenterait aux évêchés des sujets auxquels le Pape donnerait l'institution. Pour régler, d'après ces principes, les rapports particuliers et les intérêts respectifs de l'Église et des souverains, il s'ouvrit à Ratisbonne, des conférences où l'empereur Napoléon eût voulu envoyer Etienne Bernier, évêque d'Orléans, prélat que refusa Pie VII, parce qu'il ne

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pouvait pas compter sur le négociateur du Concordat. Ces confé­rences eurent lieu entre Annibal délla Genga, archevêque de Tyr, nonce apostolique, Franck, référendaire de l'Empire, et Kolborn, suffragant de l'archevêque Dalberg. Il y eut, du 6 février au 21 mars 1804, huit conférences ; elles n'amenèrent aucun résultat. La complication des intérêts, la diversité des systèmes, tous plus ou moins subversifs des saints canons, ne laissèrent aucun moyen d'entente. Bientôt des guerres nouvelles, la chute de l'empire ger­manique, la création de la confédération du Rhin firent évanouir tout espoir d'une convention, qui aurait pu cicatriser les plaies si profondes de l'Eglise en Allemagne. Le nonce apostolique se vit même plus tard obligé de quitter ce pays, qu'il laissa en proie aux ravages de l'impiété et à l'indifférence des gouvernements.

 

    27. En Italie, un concordat avait été conclu entre Ferdinand Marescalchi, fondé de pouvoir de la république cisalpine, et le car­dinal Caprara. Ce concordat, passé en 1803, était en substance l'équivalent du Concordat de 1801, avec quelques dispositions plus favorables à l'Église et à son droit traditionnel. On pensa que cette différence démontrait la bonne volonté de Bonaparte, plus exigeant en France, parce qu'il devait des ménagements aux incrédules, plus conciliant en Italie, parce que les populations n'y étaient pas au même points perdue d'impiété. La suite ne ratifia pas cette pré­somption. Bonaparte, devenu Napoléon, voyant une médaille romaine s'était écrié : «Auguste était bienheureux, il était souverain pontife en même temps qu'empereur ! » A Tilsitt, Alexandre l'entretenant de ses difficultés avec l'Église romaine, lui disait : « Moi, je suis chef de mon Église ; je n'ai pas de ces embarras. » La conduite de Napoléon porte le reflet de ces anecdotes. En Italie, comme en France, il voulait diriger lui-même, selon ses convenances, les affaires ecclésiastiques, et, comme le Concordat italien était plus favorable à l'Eglise, il se permit contre ses articles des infractions plus nom­breuses et plus formelles. Le Pape s'en plaignit, le 19 août 1803 ; Napoléon répondit au Pape en faisant une énumération pompeuse des avantages  matériels qu'il avait accordés aux églises de la Cisalpine. Le Pape n'avait pas porté sa plainte de ce côté, il se

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plaignait seulement de la violation du Concordat et ces infractions ne pouvaient se justifier. On proposait des pourparlers que le Pape acceptait, pour qu'on pût peser tout avec exactitude et maturité. « Cependant, ajoutait Pie VII, nous ne pouvons pas nous dispenser de faire observer à Votre Majesté que, dans les récentes ordonnances émanées du royaume italien, sur lesquelles nous vous avons pré­senté nos griefs, il y a non seulement des choses qui, suivant le Concordat, doivent être concertées avec le Saint-Siège, et qui ont été établies sans aucune intelligence réciproque, mais encore qu'il y en a d'autres qui, directement opposées aux articles de ce même Concordat, ne peuvent former le sujet d'une discussion. L'aperçu de ces déviations du Concordat, et que nous vous avons déjà envoyé, le démontre assez. Si d'un côté, nous pouvons nous prêter à confier à des conciliateurs le soin de vous suggérer les précau­tions et les modifications les plus convenables sur les sujets qui, selon le Concordat, doivent être établis de concert, et qui dans les ordonnances ont été résolus sans notre intervention, et d'une ma­nière absolument en opposition avec les lois de l'Église ; de l'autre côté, il ne serait pas possible d'admettre une discussion sur les objets dans lesquels les ordonnances sont en contradition directe avec les articles du Concordat. On ne pourrait en aucune manière, et avec aucune modification, approuver en ce point les ordonnances, sans faire une blessure à une convention aussi sacrée et aussi connue. En y consentant et en continuant de dissimuler, nous attirerions sur nous le reproche public d'avoir été un gardien négli­gent des droits de l'Église, convenus et établis dans le susdit Con­cordat, et Votre Majesté elle-même, aux yeux de l'opinion, perdrait la réputation de la fermeté et de l’immanquabilité de ses promesses. » Bonaparte avait nommé, aux sièges de la Cisalpine, des cardinaux italiens ; tous refusèrent sous différents prétextes, en réalité parce que les lois séculières étaient en opposition avec le droit canonique. Quant aux évo=êques nommés, Pie VII leur refusa l'institution canonique. Cette étincelle mit le feu aux poudres.

 

   28. L'armée française devait occuper Naples. Gouvion Saint-Cyr, en traversant l'État pontifical, occupe à l'improviste la ville

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d'Ancône, relève les fortifications, fait des approvisionnements, prend enfin tous les moyens de se maintenir longtemps dans la place. La cour de Rome réclame contre cette félonie ; le Pape se plaint des amertumes dont on l'abreuve depuis son retour de Paris, nommément de la nécessité qu'on lui impose de ne pas rester neutre entre les belligérants. A une lettre modérée dans les formes et trop juste au fond, Napoléon répondit de Munich, le 7 janvier 1806, sur le ton de l'insolence : « Il n'avait pu voir, écrivait-il, sans être vivement affecté, que, prêtant l'oreille à de mauvais conseils dans un moment où toutes les puissances à la solde de l'Angleterre s'étaient coalisées pour faire à la France une guerre injuste, Sa Sainteté s'était exprimée avec aussi peu de ménagements; la pré­tendue violation dont elle se plaignait n'était qu'une suite immé­diate et nécessaire de la mauvaise organisation de l'état militaire dans les pays appartenant au Saint-Siège ; se regardant comme le fils aîné de l'Église, il avait dû occuper Ancône afin d'empêcher que ce port ne fût souillé par la présence des Grecs et des Musul­mans ; il protégerait constamment le Saint-Siège, malgré les fausses démarches, l'ingratitude et les mauvaises dispositions de certains hommes ; ces hommes l'avaient cru perdu, mais Dieu avait mani­festé hautement, en favorisant ses armes par d'éclatants succès, la protection qu'il accordait à sa cause ; au surplus, Sa Sainteté pou­vait à son gré garder à Rome le ministre de France ou le renvoyer ; elle était libre d'accueillir de préférence les Russes et les Califes de Constantinople ; mais, ne voulant pas exposer le cardinal Fesch à toutes ces avanies, il le ferait remplacer par un séculier, d'autant plus que le cardinal secrétaire d'État lui portait une haine telle qu'il n'avait éprouvé que des refus sur tous les projets, même sur ceux qui intéressent le plus la religion, comme lorsqu'il s'agissait d'empêcher les protestants d'élever la tête en France. » Pie VII répondit à ces insultes avec autant de solidité que de modération ; Napoléon, dans sa réplique, ne sut pas imiter un si bel exemple. Après avoir soutenu que le Saint-Siège avait tout à craindre des puissances dont il recherchait l'amitié, Napoléon prétendait que, si le Pape était souverain de Rome, il en était, lui, l'empereur, et,

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par conséquent, ses ennemis devaient être les ennemis du Pape. « Dieu l'avait commis, disait-il, pour veiller au maintien de la religion et toute l'Italie devait être soumise à ses lois. » En même temps, son ambassadeur demandait formellement au Pape l'ex­pulsion de tous les Russes, Anglais, Sardes et Suédois qui résidaient dans l'État ecclésiastique et l'interdiction des ports du gouverne­ment pontifical aux bâtiments de ces nations.

 

En présence de  réquisitions si étranges, le Pape réclama les lumières du Sacré Collège. Le Pontife s'étonnait qu'après lui avoir conseillé de ne pas se mêler de politique, on voulût l'engager dans les vicissitudes de la guerre. Fermer ces ports à certaines puis­sances, n'était-ce pas leur déclarer la guerre, rompre avec les chefs temporels de plusieurs millions de catholiques, gêner les communications de ces catholiques avec le Saint-Siège, et courir au-devant de la lourde responsabilité des malheurs qui pouvaient les atteindre. Napoléon se disait le successeur de Charlemagne ; mais Charlemagne avait restitué ses domaines au Pape, il ne lui en avait jamais pris ; il avait été le dévot défenseur de l'Église et non son oppresseur. Quant aux retards qu'éprouve l'expédition des bulles, ils sont motivés par la gravité de ces sortes d'affaires, surtout quand il y a des doutes sur l'idonéité  des candidats; l'Église, au surplus a pourvu à l'administration de l'Église pendant la vacance du Siège. Au lieu de répondre, cette fois, Bonaparte se contenta de faire adresser par son ministre trois notes menaçan­tes ; Consalvi était trop habile diplomate pour n'y pas répondre avec avantage. Le 23 avril 1806 le cardinal Fesch notifia l'avène­ment de Joseph Bonaparte au trône de Naples. Le secrétaire d'État appela l'attention de l'ambassadeur sur les rapports qui existent depuis des siècles entre le Saint-Siège et la couronne de Naples. La mention de ces droits excita la risée du cabinet français ; lui qui se moquait de ces prétentions, en soutenait d'un ridicule peu commun, en invoquant les prérogatives de Charlemagne.

 

Sur ces entrefaites Fesch fut rappelé en France ; c'était un prélat très gallican, soupçonneux et rancuneux comme un Corse, altier comme un parvenu ; il quitta Rome sans saluer Consalvi et après

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avoir manqué  gravement de respect au Pape. Son successeur fut le protestant régicide Alquier, sans doute pour épargner à un car­dinal l'odieux d'une complicité trop visible dans la ruine du pou­voir temporel des Papes. Peu après Consalvi, objet d'accusations violentes de Fesch et de Napoléon (1), cédait le ministère au cardi­nal Casoni, qui le céda à Joseph Doria, qui le céda à Gabrielli. Un peu plus tard, Talleyrand quittait le ministère pour faire place à un plus docile serviteur de Napoléon, Champagny. Au refus du Pape d'accéder au blocus continental, de reconnaître sans condi­tion Joseph Bonaparte et de donner des bulles  aux évêques de la Cisalpine,  Napoléon, au lieu de restituer Ancône,  fit occuper militairement plusieurs autres villes de l'État de l'Église, telles que Pesaro, Fano et Sinigaglia. Peu après, un corps de troupes venant de Naples,  et destiné en apparence pour Livourne, parut tout à coup devant Civita-Vecchia, et s'empara de la citadelle. Les auto­rités locales et le cardinal secrétaire réclamèrent sans succès contre cette violation de territoire, mais les nonces du Pape auprès les dif­férentes cours eurent ordre de leur faire connaître que le Saint Père n'avait rien omis pour prévenir ou faire cesser ces mesures, et qu'il était disposé à faire tout ce qui dépendrait de lui pour le maintien  de la neutralité. On portait en même temps de nouveaux coups à son  autorité. Napoléon disposait en faveur de l'apostat de Talleyrand et du maréchal Bernadotte, devenu plus tard roi de Suède et de Norwège au prix de sa foi, des duchés de Bénévent et de Ponte-Corvo. En France, on éditait le catéchisme de Napoléon ; Napoléon menaçait Spina et Caprara de saisir le temporel ; cepen­dant  Alquier assurait  à  Pie VII qu’il garderait ses  États,  s'il entrait, comme prince feudataire, dans les desseins de Napoléon. Pie VII ne répondit que par des refus. «Nous sommes, disait-il, résigné à  tout, prêt à  nous retirer dans un couvent ou dans les Catacombes de Rome, à l'exemple des premiers successeurs de S. Pierre. »

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