Darras tome 41 p. 310
19. L'Irlande, affligée d'une telle perte, ne continua pas moins de se relever de son vieil asservissement. En 1846, elle fut en proie a une terrible famine, Pie IX, touché de sa détresse, écrivit à tous les évêques du monde : « Nous recommandons fortement à votre charité d'exciter par vos exhortations le peuple confié à votre garde à soulager par d'abondantes aumônes la nation irlandaise. Vous n'avez pas besoin qu'on vous prouve la vertu de l'aumône ni les beaux fruits qui en naissent, pour obtenir la clémence du Dieu très saint et très grand. Dans les saints Pères de l'Église, et principalement dans un grand nombre de sermons de saint Léon le Grand, vous trouverez les louanges données aux aumônes faites avec discernement et sagesse. Vous avez lu l'admirable lettre du martyr saint Cyprien, évêque de Carthage, adressée aux évêques de Numidie. Cette lettre renferme une très grande preuve du zèle particulier que montra le peuple confié a ses soins pour venir en aide, par d'abondantes aumônes, aux chrétiens qui un avaient besoin. Par ces instructions et par d'autres encore, vous ferez en sorte que les pauvres d'Irlande soient largement secourus ».
Les évêques répondirent à l'appel du Pape ; de toutes les par-
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(1) Gondon, Biographie de Daniel O'Connell, passim.
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ties du monde, des aumônes abondantes furent envoyée ; aux pieux enfants de la verte Erin. Puis par un admirable retour, Pie IX, qui, en 1847, avait secouru les Irlandais, exilé en 1849, recevait, des Irlandais, le denier de Saint Pierre ; et, plus lard, il les vit accourir sous ses drapeaux pour le défendre contre la révolution. Tel enfant qui avait du, en 1846, la vie à la charité de Pie IX, répandra son sang pour Pie IX en 1870.
En secourant les Irlandais, Pie IX faisait encore la guerre à l'hérésie et préparait une réponse à ces protestants qui devaient déplorer hypocritement plus tard la condition des États pontificaux. Quand les hommes d'État de l'Angleterre s'occupèrent en 1856, des affaires de Rome et que les journaux anglais provoquèrent une intervention, un journal de Dublin put demander : «Puisque les journaux de Londres poussent à s'immiscer dans les affaires des nations étrangères, pourquoi donc les journaux français et autrichiens ne poussent-ils pas leur gouvernement à intervenir pour améliorer le sort de l'Irlande, en la délivrant du joug qui pèse sur elle : L'église protestante. » L'intervention eut été plus rationnelle, car, suivant une parole de l'agitateur irlandais : « Jamais sur la terre aucun peuple ne fût traité avec autant de cruauté, d'infamie et d'injustice, que le peuple d'Irlande ne l'a été par le gouvernement anglais.
L'Irlande autrefois si heureuse, gémit maintenant dans une misère extrême. En 1841 elle comptait 8,175,124 habitants, et, dix ans plus tard, ce chiffre était descendu à 6,515,794 ; en dix ans une diminution de 1,559,230 habitants, c'est-à-dire vingt pour cent. Dans le Connaught, l'abaissement de la population était de 28 pour cent, et de 30 dans le Roscommon. Un tel fait est la conséquence du paupérisme irlandais et de l'émigration continue. Les irlandais affamés dans leur patrie par la charité protestante, vont chercher une autre patrie en Australie et en Amérique. L’Irlande s'épuise au profit des protestants anglais ; mais il se forme sur des plages lointaines, des nations rivales, émules de la gloire de l'Angleterre et peut-être un jour fatales à sa domination.
Malgré sa misère, l'Irlande reste fidèle à sa foi. Au lieu d'en-
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voyer comme autrefois ses fils étudier sur le continent, elle possède maintenant pour tous les degrés l'instruction des écoles catholiques. Les villes ont des collèges ; les évêques possèdent des séminaires; les études supérieures se parachèent à Maynoolt; Dublin se glorifie d'une université, dont le rectorat est confié au père Newman. De tous côtés on a élevé des églises ; un clergé modèle instruit et édifie le peuple le plus catholique du monde. De nos jours enfin, l'église protestante a été désétablie par lord Gladstone, le fanatique adversaire du Vaticanisme, mieux inspiré lorsqu'il rendait justice à l'Ile sœur. Ainsi l'Irlande, martyre de son amour pour l'église romaine, après avoir vécu d'un long supplice, a fini par enfanter un libérateur, et, sous le pontificat de Pie IX, elle a brisé ses chaînes.
20. L'Ecosse évangélisée par les saints Minian et Colomban, florissante sous Malcolm III et son épouse Elisabeth, avait compté au XVe siècle, treize évêchés. A l'époque de la réforme, ravagée par le fanatisme des presbytériens, elle trouva, dans Grégoire XV et Innocent VIII des protecteurs ; reçut des vicaires apostoliques d'Innocent XII, Benoit XIV et Léon XII. A l'avènement de Pie IX, les églises d'Ecosse administrées par quatre vicaires, possédaient une cathédrale, des églises, des chapelles, des associations pieuses et même des journaux. Pie IX désirait ardemment ramener l'antique église d'Ecosse à son ancienne noblesse et la doter comme l'Angleterre, de la hiérarchie. Les catholiques d'Ecosse et l'évêque d'Abila, John Strain, le pressaient de supplications. Du consentement du gouvernement britannique, l'affaire était en voie d'arrangement, lorsque Pie IX mourut. Le premier grand acte de son successeur fut de promulguer ce rétablissement qu'il avait préparé : Glascow reçut le titre honorifique de métropole ; la métropole réelle fut Edimbourg avec le titre de Saint-André, possédant, pour suffragants, les quatres diocèses d'Aberdéen, de Dunkeld, de Galway et d'Argyll. Pie IX a ainsi préparé, aidé et consommé la résurrection spirituelle des trois royaumes : deux par le rétablissement de la hiérarchie, le troisième par la justice
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21. « Ce siècle ne finira pas, écrivait il y a soixante ans M. de Maistre, avant que la messe soit dite à Sainte-Sophie de Constantinople et à Saint-Paul de Londres ». A l'époque ou le grand écrivain émettait hardiment cette prévision, l'anglicanisme pouvait se flatter d'avoir effacé le catholicisme dans la Grande-Bretagne et se promettre de donner, au monde, le spectacle d'une Église protestante solidement assise sur ses bases. D'atroces persécutions avaient exterminé les derniers descendants des familles catholiques ; des lois sanguinaires fermaient aux apôtres les portes du pays. Des traditions vivaces, un caractère positif, les préoccupations tournées au bien-être défendaient le peuple anglais contre le dissolvant du libre examen. L'établissement de Henri VIII était associé aux droits de la couronne, fondé sur la législation, sur l'éducation, sur la littérature, sur les préjugés nationaux, sur les passions indigènes, et soutenu par un riche clergé. En deux mots, l'anglicanisme était identifié avec les passions et les intérêts de l'Angleterre : c'était là sa force : c'était aussi sa faiblesse.
L'anglicanisme étant un établissement d'erreur et ne prêchant qu'une doctrine fausse, avait, contre lui, toutes les puissances d'erreurs plus radicales et toutes les puissances de la vérité. Le progrès du rationalisme l'a livré aux sectes et acculé jusqu'aux erreurs les plus extrêmes du positivisme ; mal défendu contre les attaques, l'anglicanisme n'a pu se conserver en lui-même. La dépendance de l'Église vis-à-vis de l'État ; le clergé sans une part convenable dans le choix des évêques ; les évêques dépouillés de l'autorité nécessaire pour gouverner réellement ; l'impuissance de l'Église à faire usage des censures, l'abolition de toute autorité canonique dans la hiérarchie ; l'esprit protestant des trente-neuf articles en général et, en certains points, leur violente opposition au catholicisme ; la discipline énervée, les sacrements et la liturgie tombés en oubli ; l'extinction des vocations monastiques et le mépris des observances ascétiques : voilai les griefs contre lesquels s'élève un concert de plaintes. Au sentiment intime de ses misères s'ajoute, contre l'anglicanisme, le sentiment pénible de son isolement. La société, qu'il devait vivifier, cache d'ailleurs
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sous les brillants aspects de sa fortune, des plaies saignantes. Enfin I'irrésistible puissance de l'Église romaine le bat en brèche à coups redoublés et toujours victorieux. Les conquêtes du Saint-Siège en Angleterre sont un fait dont il y a peu d'exemple dans l'histoire.
L'Angleterre possède aujourd'hui environ deux milles prêtres catholiques, quinze cents églises, des écoles, des couvents, des maisons de refuge, des asiles, des crèches, un hôpital. « L'influence de la minorité catholique, dit l'abbé de Madaune, grandit chaque jour. On n'est plus mal venu à se dire catholique ; et sans oser dire avec quelques Anglais qu'il devient de mode et de bon ton de se faire catholique, nous croyons pouvoir affirmer que le respect et les sympathies des familles considérables, des familles dirigeantes, sont en faveur des idées et des œuvres catholiques. L'archevêque de Westminster est le bienvenu à la cour ; et les princes du sang ne se font nul scrupule d'assister publiquement aux solennités catholiques, quand les circonstances les y invitent. Les intérêts catholiques enfin ont leurs défenseurs, et des défenseurs généralement écoutés, dans le conseil privé de la reine et dans les grands corps de l'État.
« Dans le Conseil privé, ce sont : le vicomte Castlerosse, lord Howard de Glossop, lord Robert Montagu, sir Colman O'Loghlec, Richard More, O'Ferall, William Monsell.
« A la Chambre des lords, ce sont : le duc de Norfolk, le marquis de Bute, les comtes de Denbigh, d'Oxford, de Gainsborougb; les barons Camoys, Beaumont, Stourton, Vaux, Pètre, Fingall, Howden, Lovât, de Freyne, K nnermre, Gormanston, Howard, Acton, O'Hagan.
« Enfin, les membres catholiques de la Chambre des communes sont au nombre de trente-huit ». (1)
En principe, il n'y a plus de schisme, il ne reste que des schismatiques. C'est désormais à la piété des fidèles et au zèle des apôtres à presser l'heure de la grande nouvelle : « Londres est maintenant catholique ! (1)
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Ignace Spencer et la renaissance catholique, p. 4C6.
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Au reste, en exprimant cet espoir de salut prochain pour l'Angleterre, nous n'entendons pas nous bercer d'illusions. Les passions et les vices feront, sans doute, bien des tentatives de rapprochement. Le grand contradicteur de toute œuvre sainte, le monde avec sa froideur, ses railleries, ses maximes perverses, son feux amour de liberté, suscitera des ennemis. L'adversaire né de tout bien suscitera des divisions et des querelles. Il y aura peut-être un faux zèle, des considérations d'intérêts, des amis compromettants. Et puis, que d'embarras pour rétablir l'Église dans un grand pays, la doter de toutes ses institutions. La route sera longue. La terre promise n'est qu'au delà du désert, désert d'âpres montagnes et de plaines sablonneuses ; là sont les serpents de feu et les rusés séducteurs ; les prophètes de malédiction et les géants armés ; les solitudes arides et les sources amères. Là, on éprouve les désappointements, les murmures, les défections. Plus d'une fois peut être, les tables seront jetées à terre et récrites encore. Plus d'un Moïse mourra au sommet du Nébo, embrassant du regard, mais sans espoir de la posséder, la terre de promission où coulent le lait et le miel. Mais grâce à Dieu, la manne ne fera point défaut, ni la confiance au Dieu d’Israël ! Et ceux qui auront combattu ne s'en iront pas sans gages de succès et certitude de récompense.
Ah! puisse le jour n'être pas éloigné, où l'Angleterre, confessant son erreur, saura dignement la réparer ! Puisse arriver le moment ou le peuple anglais, si longtemps dévoué à l'Église romaine et à son chef visible sur la terre, commencera à remplir dans tous les pays du monde le rôle glorieux que nul autre ne pourrait lui disputer ! Dieu veuille que, purifiés dans ses mœurs comme dans sa foi, il rende aux millions de malheureux qui s'agitent sur son sol les espérances de la vie future avec le pain quotidien de la vie présente ! Alors la France et l'Angleterre comme deux filles bien-aimées d'une même mère, se dévoueront avec une généreuse ardeur à l'intention et à la gloire de l'Église de Jésus-Christ ; et, baisant avec respect la pierre du tombeau des saints apôtres, elles iront, sous la bénédiction du successeur de Pierre et
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de Grégoire, travailler à l'accomplissement de leur sublime destinée. Embrassant dans leur zèle propagateur les continents et les mers, elles répandront en tous lieux, avec la connaissance et l'amour de Dieu et de son Évangile, les seuls vrais principes de la civilisation ; et par l'union des esprits et des cœurs, elles assureront aux nations reconnaissantes cette félicité du temps qui prépare elle même l'éternelle félicité des cieux.