Révolutions en Italie 3

Darras tome 19 p. 577

 

§  II. Le  pape  féodal octavien

 

46. A l'aide de ces nouveaux documents, il nous est permis aujourd'hui de contrôler le récit de Luitprand. On l'avait, en ce qui regarde les mœurs de Jean XII, taxé d'exagération; les catalogues pontificaux et la chronique du moine de Saint André flétrissent comme lui le scandale de ce pontificat qui retentit à travers les siècles comme un blasphème contre Jésus-Christ et son Église. Mais Luitprand n'avait pas dit le pacte simoniaque en vertu duquel Octavien avait été, par une intrusion manifeste, porté sur le siège apostolique qu'il devait profaner. Cette omis­sion volontaire ou non de l'évêque de Crémone avait longtemps déconcerté les historiens de l'Église. Ils croyaient à une élection régulière et canonique de Jean XII ; les détracteurs de la papauté triomphaient en rappelant qu'il avait pu se trouver, dans la liste des successeurs légitimes de saint Pierre, un monstre comme Octavien. La vérité enfin une fois connue dissipe les incertitudes des uns et la joie maligne des autres. Nous sommes en face d'un intrus féodal de dix-huit ans qui s'empara du siège apostolique dans des circonstances où l'Italie était livrée à l'anarchie intérieure et à la guerre contre l'étranger. Tous les vassaux, chacun

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1 Benedict, 8anct. Andréa:. Chronkon., cap. xxxvn. Patr. lot., tom. CXXXIX, Kl. 48.

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dans son domaine, profitaient du désordre général afin de s'a­grandir sans limites. Les marquis, comme Bérenger II, se fai­saient rois. D'autres, comme Pandulfe, duc de Capoue, sans prendre le titre royal, se constituaient dans une indépendance vraiment souveraine. Octavien, patrice de Rome et comte de Tivoli, se faisait pape, et à dix-huit ans s'intitulait vicaire de Jésus-Christ. Lorsque les députés romains dont parle la chronique de Saint-André vinrent dire à Othon le Grand l'infâme conduite de ce pape patrice, le premier mouvement d'Othon fut de répon­dre : « Il est jeune; avec le temps il se corrigera. » Dans un tel milieu, on comprend qu'une intrusion comme celle d'Octavien fût possible et qu'elle ait pu être subie par le clergé romain. L’absence d'une souveraineté fortement constituée, telle que Léon III l’avait créée en faveur de Charlemagne, se traduisait pour l'Italie en déchirements, en luttes, en guerres intestines. L'alliance de la âpauté et de l'empire était nécessaire pour sauver le monde. Malheureusement on n'avait plus sous la main des éléments ho­mogènes pour la constituer d'une manière solide. Le rétablisse­ment de l'empire au profit des princes d'Allemagne ne devait pas présenter les garanties de protection et de stabilité qu'en attendait le saint-siége. Octavien changea son nom en celui de Jean XII. C'est le premier exemple d'une pareille mutation, passée depuis en usage pour tous les souverains pontifes.

 

   47. Jean XII ne vit, dans sa nouvelle dignité, qu'un moyen de servir plus sûrement ses passions. Dès son avènement, il assem­bla des troupes et marcha contre Pandolfe, prince de Capoue. Ses armes ne furent point heureuses. II revint à Rome complète­ment vaincu, et cet échec le livra sans défense aux entreprises séditieuses d'Adalbert, roi de la haute Italie. Impuissant à se dé­livrer de cette tyrannie, Jean XII s'empressa d'accueillir Othon le Grand à son arrivée à Rome, espérant gagner pour jamais sa protection en le couronnant empereur (962). Après cinquante années d'interrègne, l'empire d'Occident se trouvait ainsi rétabli. Les Romains jurèrent fidélité à Othon le Grand. Jean XII lui promit solennellement de ne jamais contracter d'alliance, avec ses

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ennemis. De son côté, Othon le Grand confirma les anciennes donations faites au saint-siége par Pépin et Charlemagne. L'original de cet acte précieux, écrit en lettres d'or, fut déposé au château Saint-Ange. L'empereur stipulait qu'il ne se réservait, pour lui et ses successeurs, aucune puissance de gouvernement ni de juridiction sur les États pontificaux, « à moins qu'ils n'en soient officiellement requis par celui qui tiendra alors le gouver­nement de la sainte Eglise. » On renouvelait d'ailleurs le décret du pape Eugène II, relatif aux élections des papes : « Le clergé et la noblesse de Rome, à cause de la nécessité des circonstances, et pour punir les injustices envers le peuple et les prétentions raisonnables des prélats, feront serment de suivre exactement les canons de l'élection du pape, et de ne pas souffrir que l'élu soit consacré sans la présence des envoyés de l'empereur. »

 

48. Jean XII ne garda pas longtemps la foi qu'il avait jurée. Othon le Grand était encore à Pavie, lorsqu'il apprit que le pape venait de conclure une alliance offensive et défensive avec Adalbert, pour chasser les Germains de l'Italie. Surpris à cette nou­velle, qu'il ne pouvait croire, il envoya des députés à Rome pour s'informer de la vérité. Les citoyens les plus considérables char­gèrent Jean XII d'accusations malheureusement trop fondées.
Ses mœurs étaient infâmes. Il disait que «s'il préférait Adalbert à l'empereur, c'est qu'il avait un complice dans le premier et un juge dans le second. » Othon le Grand accueillit ces accusations avec une certaine réserve; il rejeta sur la jeunesse du pape les actions odieuses qu'on lui imputait. « Il pourra, dit-il une se­conde fois, se corriger avec l'âge par les exemples et les avis des gens de bien. » L'empereur se contenta de faire tomber son indi­gnation sur Adaibert, et il alla mettre le siège devant Montefeltro, où ce prince s'était enfermé. Sur ces entrefaites, une députation du pape, composée de Léon, proto-scriniaire (premier secrétaire) de l'Eglise romaine, et Démétrius, personnage considérable de Rome, arriva au camp impérial. Jean
XII promettait, par leur bouche, de réformer dans sa conduite ce qui n'avait été que l'entraînement et la fougue de la jeunesse. Il se plaignait ensuite de

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ce que l'empereur se faisait prêter serment d'obéissance à lui-même, et non au siège apostolique, dans les villes où il établis­sait sa domination. Othon lui répondit par une lettre où il se dis­culpait du grief énoncé dans les lettres pontificales. Il fit partir, de son côté, pour Rome, Landobard, évêque de Munster, et Luitprand de Crémone, l'historien de cette triste époque, avec des vassaux qui devaient au besoin prouver l'innocence de leur maître par l'épreuve du duel, selon le barbare préjugé du temps, si le pape ne consentait pas à recevoir leur témoignage. Jean XII ne voulut admettre aucune espèce d'excuse, et appela les troupes d'Adalbert à Rome.

 

   49 1 A cette nouvelle nouvelle, l'empereur hâta le siège de Montefeltro, et, à la fin de l'été, se rendit lui-même à Rome. Jean XII et Adalbert n'osèrent l'attendre, ils s'enfuirent, emportant le trésor de Saint-Pierre (963). Jusque-là, autant que nous en pouvons juger par le récit des auteurs contemporains, la conduite d'Othon le Grand avait été irréprochable. Entraîné par les conseils d'évêques allemands, peu versés dans la science canonique ; irrité à juste titre par la conduite légère et scandaleuse de Jean XII, il essaya alors une démarche d'un exemple funeste, et se crut en droit de faire déposer le souverain pontife. Quel qu'il fût, Jean XII était pape, toute entreprise contre son autorité spirituelle était nulle de droit. Le huitième concile œcuménique venait de décréter dans son vingt et unième canon : « Si quelqu'un, fort de la puissance séculière, cherche à expulser le souverain pontife de son siège, qu'il soit anathème ! » Saint Avit de Vienne résumant, de son temps, la doctrine catholique sur ce point, avait dit : «Comment le chef de l'Église universelle pourra-t-il être jugé par ses infé­rieurs? Parmi les autres pontifes, si l'un d'eux s'écarte de la bonne voie, on peut le réformer. Mais si le pape était appelé en jugement, ce n'est plus un évêque, c'est l'épiscopat tout entier qui serait vacillant. » Dans une conjoncture semblable, quand les évêques de France étaient réunis à Rome pour prendre con­naissance des accusations portées contre Léon III (860), ils avaient tous unanimement fait cette déclaration solennelle : « Nous

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n'osons juger le siège apostolique qui est le chef de toutes les Églises de Dieu. C'est à ce siège et au pontife qui y est assis de nous juger tous, sans qu'il puisse être jugé par personne, suivant les traditions de l'antique discipline. « Voilà ce que n'auraient point dû oublier les évêques réunis par Othon le Grand pour juger Jean XII. Leur assemblée ne fut qu'un conciliabule, leurs décrets furent contraires à toutes les règles canoniques, le pontife  qu'ils élurent fut un antipape 1.

 

50. Le concile se rassembla donc (963) à l'église de Saint-Pierre. Luitprand y servait d'interprète à l'empereur qui ne savait que le saxon. On formula contre Jean XII les plus graves accusations d'immoralité, de simonie et de crimes énormes. Après la lecture de ces griefs, Othon le Grand prit la parole, et Luitprand traduisit chaque phrase de son discours en latin. « Nous le savons par expérience, dit l'empereur, il arrive souvent que, par un esprit de dénigrement et d'envie, on calomnie les personnes constituées en dignité. C'est là ce qui me rend suspect l'acte d'accusation qu'on vient de lire. Je vous conjure donc, au nom du Dieu qu'on ne peut tromper, au nom de la vierge Marie sa mère, en présence de l'apôtre saint Pierre, dont le corps re­pose au milieu de nous, de n'articuler contre le pape que des faits réels, notoires et attestés par des hommes dignes de foi. » On voit qu'Othon le Grand comprenait la gravité de ce qui se passait alors, et cherchait à entourer un acte inouï de toutes les garanties possibles. Le clergé, les grands et le peuple romain protestèrent de la vérité des accusations formulées. « Si Jean, s'écrièrent-ils, n'est pas coupable de tous ces crimes et de beau­coup d'autres encore, tellement honteux que la parole manque pour les exprimer, qu'au jour de notre mort, le prince des apô­tres nous refuse l'entrée au ciel! Si vous ne croyez pas notre témoignage, croyez au moins votre armée tout entière qui, depuis cinq jours, l'a vu sur l'autre rive du Tibre, l'épée au côté, por-

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1. Baronius. Muratori, Mansi, de Marca,  Noël Alexandre, Kerz sont unanimes à juger ainsi rassemblée des évêques allemands de 903.

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tant le bouclier, le casque et la cuirasse, au mépris des saints canons ! » En présence d'une telle unanimité, Othon le Grand, avant de passer outre, se crut obligé d’en écrire à Jean XII lui-même. « À notre arrivée dans cette cité, lui dit-il, nous avons de­mandé aux évêques la cause de votre absence. Ils ont porté contre vous des accusations si honteuses, qu'elles seraient indignes des gens de théâtre. Tous, clercs et laïques, vous ont accusé d'homi­cide, de parjure, de sacrilège et d'inceste. Nous vous prions donc instamment de venir vous justifier sur tous ces chefs. Si vous craignez l'insolence du peuple, nous vous promettons, avec ser­ment, qu'il ne se fera rien que selon les canons (6 novembre 963). » Jean XII répondit au concile par une lettre, pleine de me­naces. « Nous avons appris, dit-il aux évêques, que vous préten­dez élire un autre pape. Si vous passez outre, au nom du Dieu tout-puissant, en vertu de notre autorité apostolique, nous vous déclarons excommuniés et vous défendons de faire aucune ordi­nation ou de célébrer les saints mystères. » Ce langage énergique n'arrêta point les évèques. Dans une nouvelle session, l'empereur les invita à prononcer la sentence. « A un mal sans exemple, dirent les évêques, il faut un remède inouï. Si, par des mœurs corrompues, Jean XII ne nuisait qu'à lui-même, on devrait le tolérer ; mais son exemple est contagieux et pervertit les âmes. Nous vous prions donc qu'il soit chassé de la sainte Église ro­maine, et qu'on choisisse à sa place un pontife édifiant et ver­tueux. » Othon y consentit. Le proto-scriniaire de l'Église ro­maine, celui-là même qui avait été député par Jean XII au camp de Montefeltro, fut élu sous le nom de Léon VIII (963).

 

   61. Cependant Jean XII avait encore de nombreux partisans. Après le départ de l'empereur, il rentra triomphant dans Rome. Léon VIII eut à peine le temps de prendre la fuite. Le diacre Jean et le proto-scriniaire Azon, qui s'étaient fait remarquer par leur attachement à l'antipape, furent traités avec la dernière ruauté. Le premier eut la main droite coupée ; on arracha au second la langue, le nez et deux doigts. Cette vengeance accom­plie, Jean XII tint un concile pour annuler le précédent. « Vous

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saves, bien-aimés frères, dit le pape, que j'ai été chassé de mon siège pendant deux mois, par la violence de l'empereur. Je vous demande donc si, d'après les règles canoniques, on peut donner le nom de concile à une assemblée irrégulièrement convoquée dans mon Église, en mon absence? — C'est une prostitution en faveur de l'antipape Léon ! s'écria le concile. — Il faut donc le condamner! dit Jean XII. — Nous le devons! » Par un trait de lâcheté qui peint les mœurs de cette désastreuse époque, les évêques qui parlaient ainsi étaient, pour la plupart, les mêmes qui déposaient Jean XII trois mois auparavant. Léon VIII fut excommunié. On ne put lui faire subir d'autre châtiment : il était en sûreté à la cour de l'empereur. Lorsque Jean XII eut remporté cette victoire sur ses ennemis, il reprit sa vie dissolue avec plus d'ardeur que jamais. Le châtiment ne se fit pas attendre. Sa fin fut digne de ses crimes. Frappé d'une maladie soudaine, au milieu même de ses infâmes plaisirs, il mourut au bout de huit jours, sans avoir pu recevoir le saint viatique (14 mai 964). O sainte Église romaine ! mère et maîtresse de toutes les autres ! plus d’une fois, en écrivant cette triste histoire, nous avons gémi de l'abaissement où vous ont réduite les désordres d'un pontife. Deux cent cinquante-neuf souverains pontifes se sont succédé, depuis saint Pierre jusqu'à Pie IX. Deux ou trois, dans une pé­riode de dix-neuf siècles, ont profané l'auguste caractère de repré­sentants de Jésus-Christ. Il faut que des scandales soient donnés au monde, avait dit saint Paul. Terrible il faut, qui s'est vérifié jusque sur te siège apostolique! Mais du moins le dépôt sacré de la foi, lors même qu'il était confié à des mains indignes, n'a jamais été altéré. Il s'est toujours conservé pur et sans mélange étran­ger : et c'est le miracle de l'Église.

 

52. Le Regestum de Jean XII ou du moins la portion qui en a été conservée et qui se compose de vingt lettres adressées aux divers monastères et églises de France, d'Italie, d'Allemagne, d'Angleterre et d'Espagne, c'est-à-dire de tout l'Occident catho­lique, est réellement irréprochable1. Aucune de ses décisions,

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1. Joanu. XII. Epittola et Privilégia. Patr. M., tom. CXXXIII, col. 1014 ad ultim.

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quant à la foi, les mœurs et la discipline, ne peut fournir pré­texte à la moindre objection. Il n'est pas douteux que la plupart de ces documents furent à peine connus du pontife qui les signa. Rédigés dans le scriniarium apostolique par les évêques suburbicaires et les autres officiers de la chancellerie romaine, ils repro­duisent tous l'empreinte de la sagesse traditionnelle, de la mo­dération et parfois de la vigueur des pontifes romains. Pendant que Jean XII se livrait à la vie de désordres que les chroniqueurs nous ont fait connaître, des lettres revêtues de sa signature al­laient porter au roi d'Angleterre AEdred, au clergé de la Grande-Bretagne, à saint Dunstan de Cantorbéry en particulier, les encou­ragements, les exhortations et les avis les plus paternels. Les monastères de Saint-Viton en Lorraine, de Subiaco, de Saint-Vincent au Vulturne, des Saints-Étienne-Denis et Sylvestre in Capite en Italie, de Fulde en Allemagne, recevaient de Jean XII des rescrits et des privilèges où la réforme de Cluny et la ferveur monastique leur étaient recommandées avec autant de soin et en termes aussi éloquents qu'aurait pu le faire le plus édifiant des pontifes. Ainsi, dans ce Xe siècle, d'ailleurs si désastreux, la foi était telle au sein des populations que les scandales donnés par un pape lui-même n'enlevaient rien au respect de la chrétienté pour le siège apostolique. On appliquait sans doute aux indignes pontifes qui désolaient l'Église la parole de Notre-Seigneur : « Faites ce qu'ils disent, et non ce qu'ils font. »

 

   53, Les Romains, comme nous l'avons dit, exécraient la domination allemande. A la mort de Jean XII, sans tenir aucun compte de Léon VIII, ils placèrent sur le saint-siége (964) le pape Be­noît V, dont les écrivains allemands eux-mêmes s'accordent à reconnaître la vertu et la science. Mais Othon le Grand, dont Léon VIII était la créature, voulut soutenir son ouvrage. Il ac­courut à la tête d'une armée, et vint mettre le siège devant Rome. La haine était égale des deux parts. Les Allemands traitaient les assiégés avec une rigueur inouïe. Les Romains se défendaient avec une énergie désespérée. Le pape Benoît V n'épargnait rien pour exalter leur courage ; il monta sur les murailles de la ville

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p585  CHAP. VII. LE PAPB FÉODAL OCTAVIEN.      

 

pour menacer l'empereur et son armée d'excommunication, Othon n'en poussa pas moins vivement le siège, et Rome, vaincue par la famine plus que par les armes, lui ouvrit ses portes (23 juin 964). Léon VIII y entra avec lui. Un concile fut réuni, sous la présidence de l'antipape, dans l'église de Saint-Jean de Latran. L'empereur et les évêques romains, italiens, lorrains, saxons y assistaient. Benoît V y fut introduit revêtu des orne­ments pontificaux. L'antipape lui arracha le pallium, brisa le bâton pastoral que Benoît tenait à la main, le dépouilla de la chasuble et de l'étole, puis prononça la sentence en ces termes : «Nous privons de l'honneur du pontificat et du sacerdoce, Be­noît, usurpateur du saint-siége. Toutefois, à la prière de l'empe­reur, nous lui permettons de garder l'ordre de diacre qu'il avait lors de son intrusion, à la condition expresse qu'il ne pourra de­meurer à Rome, et qu'il sera envoyé en exil» (juin 964).

 

54. Ce fut alors que Léon VIII promulgua le décret reproduit plus haut, et qu'il renouvela pour Othon le Grand les privilèges accordés jadis par Adrien II à Charlemagne. Ce décret est le seul monument qui nous ait été conservé du Regestum de Léon VIII. La courte durée et les agitations de son pontificat ne durent d'ail­leurs pas lui permettre d'expédier un grand nombre de rescrits apostoliques. C'est par la même raison qu'il ne reste pas un seul document émané de la chancellerie de Benoît V. Les deux com­pétiteurs moururent à quelques mois d'intervalle, l'un dans son exil de Hambourg, l'autre à Rome. Othon le Grand avait quitté cette dernière ville à la fin de l'année 963; il passa le reste de l'hiver dans la haute Italie, où une peste violente décima son armée. Les Romains ne tentèrent plus aucune révolte contre Léon VIII, mais ils ne l'en aimaient pas davantage. A leurs yeux, il représentait l'influence germanique qu'ils avaient en horreur. Ils accueillirent donc avec joie la nouvelle de sa mort survenue en mars 965. Cette disposition des esprits à Rome nous est clai­rement indiquée par les paroles suivantes du Catalogue de Wat-terich : « Aussitôt que le seigneur Léon fut mort, tous les Romains, du plus petit au plus grand, d'un seul cœur, d'un consentement

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p586   JEAN xn, LÉON  VIII,  BENOIT V  (9oû-96t).

 

unanime, d'une volonté toute spontanée, élurent le révérendissime et pieux évêque de Narni, le seigneur Jean (Jean XIII), illustre par sa science de l'Écriture et du droit canonique. Il avait été élevé à l'école du palais de Latran et y avait reçu les divers degrés de la cléricature, successivement ostiarius, psalmiste, lec­teur, exorciste, acolythe, et plus tard ordonné sous-diacre et diacre de la sainte Église romaine. Ce fut lui qui par la volonté de Dieu fut élu canoniquement et légitimement pontife du siège apostolique1. »

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1 Watterich. Tora. I, p.49.

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