Darras tome 34 p. 7
184. Le développement de l'idée des Exercices nous découvre leur but. Ce but c'est de nous faire voir la fin dernière de l'homme ici-bas et dans l'éternité ; c'est de nous montrer les moyens de l'atteindre le mieux et le plus sûrement qu'il nous est possible dans cette condition. « Ils doivent, dit S. Ignace, préparer l'âme convenablement et la disposer à se dépouiller de toute affection déréglée, puis à chercher et à trouver comment Dieu veut qu'elle ordonne sa vie pour son salut éternel. » L'homme doit donc s'appliquer à connaître le but pour lequel Dieu l'a créé et racheté ; il ne doit pas considérer ce problème comme une chose spéculative et purement extérieure ; mais il doit la trouver en soi, car ce problème consiste dans l'accord de la révélation, du dogme de la loi morale avec les besoins de notre propre esprit, dès que celui-ci ne se laisse plus éblouir par les illusions des uns, mais qu'il écoute, au contraire, la voix de la conscience qui donne la connaissance de la vérité et nous unit à Dieu. Pour atteindre ce but suprême, celui qui suit les Exercices doit parcourir plusieurs degrés dont chacun conduit à un but spécial. Ces degrés forment, quant au temps, les quatre divisions appelées semaines, et répondent, quant à leur objet aux trois voies, la purgative, l’illuminative et l’unitive. Le pécheur a d'abord besoin de se purifier : chacun a besoin de connaître ce qu'est le péché et quelles en sont les suites. Les sept jours de la première semaine sont donc destinés à exercer sur cet objet les puissances de l'âme et à produire, comme fruit, le repentir et la haine du péché. La seconde et la troisième semaine comprennent le chemin que l'âme doit parcourir, après s'être purgée des vices qui la rendent malade, afin d'acquérir une santé parfaite, laquelle consiste dans la connaissance et l'accomplissement de la volonté divine. C'est alors qu'elle
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choisit l'état où Dieu veut qu'elle le serve, ou qu'elle se réforme, si son choix est déjà fait. Les sujets de ces méditations la préparent au dernier degré qui remplit la dernière semaine, dont le but est d'unir fortement et pour toujours à Dieu le cœur qui s'est détaché de l'amour du monde. La philosophie a bien peu conscience de la dignité de sa mission, quand elle néglige, dans sa métaphysique, de se joindre à la foi pour célébrer le devoir, la puissance et le bonheur de l'amour de Dieu. Le plus grand génie du paganisme l'avait pressenti : Socrate et Platon voulurent qu'on s'attachât à ce qu'ils appellent le bon, le beau, c'est-à-dire le parfait. Platon exprime admirablement la grandeur et l'héroïsme de cet amour, quand il fait dire à Socrate, dans son Banquet : « Qu'il y a quelque chose de divin dans celui qui aime... que l'amour en fait un Dieu par les vertus…. que ceux qui aiment veulent seuls mourir pour un autre. » La philosophie profondément chrétienne de Leibniz renferme sur ce point une sublime doctrine : « L'amour, dit le philosophe, est cette affection qui nous fait trouver le plaisir dans les perfections de ce qu'on aime : et il n'y a rien de plus parfait que Dieu, rien qui doive charmer davantage. Pour l'aimer, il suffit d'envisager ses perfections, ce qui est aisé, parce que nous trouvons en nous leurs idées. Les perfections de Dieu sont celles de nos âmes ; mais il les possède sans bornes, il est un océan dont nous n'avons reçu que des gouttes... L'ordre, les proportions, l'harmonie nous enchantent : Dieu est tout ordre. Il fait l'harmonie universelle ; toute la beauté est un épanchement de ses rayons1. » Je n'ai pas besoin de citer Fénelon dont le génie, éminemment philosophique et la tendre piété surent parler si bien la langue du pur amour. Le soldat, illuminé dans la grotte de Manrèze, s'était donc élevé à la plus sublime philosophie.
185. L'objet des Exercices s'accorde avec leur idée et leur but. Afin de bâtir sur un fondement solide, on commence par méditer sur la fin de l'homme, parce que celle-ci doit préexister à l'être qui doit y parvenir. La première question que l'homme doit s'adresser
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1 Pensées de Leibnitz, p. 252-264 ; — Fénelon, Sur l'amour pur.
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est celle-ci : Pourquoi suis-je dans le monde? «L'homme répondent les Exercices, a été créé pour louer Dieu, c'est-à-dire pour l'honorer, le servir et pour sauver aussi son âme. Tout ce qui est sur la terre a été fait pour l'homme, afin de l'aider à atteindre le but pour lequel il est créé. » Qu'on essaie de donner une autre réponse à cette question et l'on verra qu'aucune autre ne peut nous satisfaire. Ce n'est ni la science, ni l'art, ni la richesse, ni le plaisir, ni la force qui est la fin de l'homme : autrement tous les hommes devraient avoir la même aptitude, les mêmes droits et la même part à toutes ces choses ; et l'inégalité qui existe réellement dans la distribution des biens corporels et spirituels serait une injustice à la fois inexplicable et irréparable. L'égoïste ne gagne rien en laissant de côté le problème, car, après ses égarements, il faut y revenir ou négliger l'affaire la plus importante de son âme et réduire à dessein son esprit à l'inaction. La plupart néanmoins prennent les moyens pour le but et s'arrêtent à la recherche du bonheur sensible, désordre inconciliable avec le christianisme. Ce désordre est l'objet de la seconde méditation, désordre qui consiste dans la préférence donnée à la créature sur le Créateur, tendant ainsi vers le néant. C'est pour ce motif que la méditation du péché est suivie immédiatement de la méditation sur l'enfer. Lorsque l'homme, en considérant où mène l'amour de la créature a atteint le premier degré de la conversion, à savoir l'indifférence à l'égard des créatures et la purgation du péché, la seconde période commence en posant, pour principe, la vocation. L'ancien monde est passé ; par le rachat du genre humain, une nouvelle création va se produire. Cette seconde semaine commence donc par la méditation du royaume de Jésus-Christ, invitant solennellement tous les hommes à le suivre comme des sujets suivent un roi, de sorte qu'ils ne fassent et ne souffrent rien, qu'il n'ait fait ou souffert avant eux. Après cette introduction viennent les méditations sur l'incarnation, la naissance et la vie du Christ. Au quatrième jour, Jésus quitte ses parents pour rester dans le temple, c'est la méditation célèbre des deux étendards. Lucifer, d'un coté, sur son trône dans la Babel terrestre, image de la Babel infernale ; il appelle des
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soldats pour étendre son règne. De l'autre côté, dans la Jérusalem mystique, Notre-Seigneur, d'une beauté ravissante, mais dans un lieu bon, appelle des combattants disposés à agir et à souffrir plus que des chrétiens ordinaires. L'un promet des biens et des plaisirs de la terre dont il n'est pas le maître, et nous trompe d'une manière indigne ; l'autre invite ceux qui veulent le suivre à prendre sur eux, ici-bas, la pauvreté, l'humilité, les persécutions et à l'aider, dans sa lutte, avec ses armes. Mais trois classes d'hommes, voulant se sauver, n'en prennent pas les moyens : les uns renvoient le salut jusqu'à la mort; les autres veulent le concilier avec des inconciliables ; les derniers, sont prêts à tout, mais se négligent. Au cinquième jour, où la volonté doit se décider, on entre dans la vie publique du Sauveur et l'on apprend à connaître les divers degrés de l'humilité. Enfin, après avoir triomphé des fascinations de la sensualité et pris la résolution de suivre réellement Jésus-Christ, on entre, la troisième semaine, dans la méditation des souffrances du divin Maître, afin d'y puiser les forces et l'énergie nécessaires contre les ennemis du salut et pour que la force d'en haut vienne confirmer notre vocation. La quatrième et dernière semaine est consacrée à la vocation et à la gloire. On s'y occupe de considérer les mystères depuis la résurrection jusqu'à l'ascension. On y apprend comment l'homme céleste se perfectionne et s'achève : et l'on finit par méditer, non pas sur l'union avec Dieu dans l'éternité, mais sur le moyen d'acquérir la charité parfaite, objet constant de nos efforts ici-bas. S. Ignace cherche surtout à inculquer cette pensée : que l'amour consiste plus dans les œuvres que dans les paroles, qu'il consiste dans l'échange mutuel de ce que possèdent l'aimant et l'aimé. Que l'aimé donne à Dieu, dans cet échange soi-même : c'est le fruit le plus parfait des Exercices : « C'est vous qui me l'avez donné, Seigneur, je vous le rends, tout est à vous, disposez-en selon votre bon plaisir ; en retour, donnez-moi votre amour et votre grâce, car elle me suffit. »
186. Les Exercices sont comme un flambeau qui éclaire les coins les plus obscurs et les plus cachés de l’âme ; comme une sonde qui pénètre jusqu'au fond des plaies qui la souillent: Ils procurent à
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l'homme une connaissance exacte et intime de lui-même. L'homme s'efforce désormais d'arracher de son cœur les mauvaises herbes et les difficultés de l'entreprise ne l'arrêtent plus. Les Exercices éclairent et purifient : Ils répondent à ce besoin impérissable de pureté et de lumière, qu'on n'a su, dans tous les temps, satisfaire que d'une manière extérieure et symbolique. Mais comment les Exercices obtiennent-ils ces effets qui les ont rendu si célèbres? Ils ne sont après tout que des méditations sur les anciennes vérités du christianisme, vérités qui se trouvent partout, mais qui ne produisent pas toujours la même impression. Ignace a-t-il quelque secret magique? Au contraire, tout ce qui pourrait survenir entre la vérité et nous est mis de côté; rien de créé ne peut prendre dans notre cœur la place qui n'appartient qu'à Dieu. Ce qui donne surtout, aux Exercices, cette vertu merveilleuse, c'est qu'ils sont une prière active, une méditation pratique des vérités fondamentales, lesquelles simplement lues feraient une impression beaucoup plus faible. Il faut encore chercher la cause de ces effets merveilleux dans l'étude détaillée de ces vérités, dans leur ordre et leur arrangement, dans leur rapport avec les besoins de l'Ame ; de sorte qu'aucune autre forme, ni aucune autre réforme ne pourrait faire ce que fait celle-ci, lorsque les choses se passent, du reste, comme elles doivent se passer. L'analyse et la déduction exacte des vérités ont une haute importance. Plus on creuse la mine, plus la mine d'or qu'elle renferme est riche, plus le métal qu'on en tire est pur, plus le cœur se sent fortement attiré, plus l'esprit se dépouille de ses erreurs, plus la volonté se dégage des sens, plus l'âme ressemble à Dieu. Ces effets, au surplus, ne sont pas seulement le résultat de l'activité humaine, ils ont lieu parce que Dieu est fidèle dans ses promesses; qu'il va au devant de la créature qui cherche la vérité ; qu'il attend, pour se donner, qu'elle se serve des moyens auxquels il a attaché sa grâce. Or, un de ces moyens, ce sont les exercices spirituels, qui s'insinuent dans l'âme, par la méditation et la prière, les principales vérités du christianisme et les y font pénétrer comme un principe de vie divine. —Il ne faut pas oublier que la Compagnie de Jésus doit aux Exercices son origine, son or-
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ganisation, sa conservation et son expansion. Saint Ignace voulut que les novices en fissent la base de leur avancement dans la perfection. Les autres institutions et les règles n'en sont guère que la traduction et le développement externe ; de sorte que la vie de l'ensemble et de chacune des parties tire d'eux son origine et sa réforme. Il faudrait un livre pour décrire l'influence qu'ils ont exercée sur tous les États et toutes les conditions de la Compagnie. On peut dire, en tout cas, que ces Exercices produisent la vraie réforme, car ils réforment notre vie, et, il y a toujours en nous quelque chose à corriger ; ce besoin n'est point imaginaire, mais réel et véritable : cette réforme n'est le fruit ni d'une erreur de l'esprit, ni d'une illusion de cœur ; ce n'est que l'application de nos croyances à la transfiguration de notre vie. Réforme, il faut le crier sur les toits, bien différente de celle du moine apostat, qui, après avoir jeté, dans le monde, les principes révolutionnaires, ne sut que s'ébaudir au milieu des pots de bière et cuver sa bière à côté d'une femme.
Saint Ignace désira que son livre des Exercices fût scrupuleusement examiné à Rome. Le pape Paul III nomma des censeurs. Après un double examen et un double rapport, le 31 juillet 1548, le pape Paul III dans la bulle Pastoralis officii, approuva en ces termes : « Ayant reconnu que ces renseignements et ces exercices sont remplis de piété et de sainteté, très utiles et très salutaires, pour l'édification et l'avancement spirituel des fidèles... De notre science certaine et par l'autorité pontificale, en vertu des présentes, nous approuvons, louons et confirmons lesdits exercices et tout leur contenu. » Je ne sache pas qu'il y ait un autre exemple d'un livre ainsi formellement approuvé par une bulle des souverains pontifes.
187. Les Exercices sont commentés par le Directorium, les Industrie et la Medulla asceseos, ce dernier ouvrage de Bellecius : ce sont autant de trésors ascétiques des traditions primitives de la Compagnie. Des esprits mal faits ou égarés ont élevé, cependant, contre les Exercices, différentes objections. Les examens de conscience, dit-on, sont trop fréquents. En principe, on ne peut les
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condamner, sans condamner tous les maîtres de la vie spirituelle ; en fait, leur fréquence provient de ce que les exercices ne doivent durer que trente jours et c'est peu pour la transformation morale d'une âme. — Les détails, dit-on encore, sont trop minutieux : les détails sont toujours des minuties; mais on ne peut les réprouver sans réprouver aussi les minuties, dans la manœuvre du soldat, dans les comptes du banquier ou dans la consultation du médecin, car, il s'agit ici de guérir une âme, d'amasser les trésors du ciel, d'armer le soldat chrétien contre tous les ennemis du salut, et pour une telle entreprise, les riens mêmes ont leur importance. — L'extase, objectent les libres penseurs, y est réduite en système. Si l'on veut bien ne pas se payer d'antithèse, et ne pas travestir les choses, on verra qu'il n'y a ici, ni système, ni extase, mais simplement une pratique heureuse de conversion, d'après la vieille maxime : Aide-toi, le ciel t'aidera. — L'enthousiasme des choses divines, disent les mêmes soi-disant penseurs, se change en un mécanisme abrutissant. Or il n'y a ici, ni mécanisme abrutissant, ni enthousiasme avec écarts, mais uniquement la soumission de la liberté humaine à la volonté divine qui purifie et élève la nôtre ; et si l'on s'obstine à voir dans cette subordination, un automatisme chrétien, nous disons que cette soumission à Dieu est librement acceptée et que cet esclavage date des temps apostoliques. Le célèbre théologien espagnol Torrès explique en ces termes comment les Exercices ont pu avoir une telle influence sur les savants de bonne foi : « Dans mes premières études, dit-il, j'avais pour but de m'instruire ; mais j'ai fait les Exercices pour les pratiquer; car il y a bien de la différence entre savoir une chose pour la savoir, et la savoir pour la faire1. » On peut dire la même chose de l'action qu'ils ont eue sur le peuple, auquel on les expose d'une manière plus simple et proportionnée à sa condition. Ce furent ces Exercices suivis et médités avec constance qui donnèrent à l'Eglise saint Charles Borromée, saint François Xavier, saint François de Borgia et une foule d'autres. Saint François de Sales, dont la piété ne doit pas
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1 Bolland., âct. Su/ict. §. 10, no 97.
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faire oublier le génie, disait que ce livre avait sauvé autant
d'âmes qu'il avait de lettres.
188. Les Exercices spirituels ont fait du pécheur un converti, les Constitutions vont faire, du converti, un membre de la Compagnie de Jésus. Saint Ignace, nous le savons, n'avance qu'avec une sainte maturité. Tandis que Luther, écumant de rage, se jette au milieu des foules et vomit, comme un volcan, la lave incendiaire de sa symbolique, Ignace se retire dans la retraite, invoque la Vierge, médite longuement et dépose sur l'autel, pendant la messe, le papier confident de sa pensée réformatrice. Sur le seul point de savoir si les maisons professes auraient des revenus, Ignace passa dix jours en prières et trente en méditations : pendant ce laps de temps, l'Ecclésiaste de Wittemberg eut barbouillé un in-folio. Nous devons examiner les principaux points de ces constitutions, en commençant par le noviciat. Au postulant qui se présente dans la compagnie, on pose ces questions : Etes-vous prêt à mourir s'il le faut? pour vivre, consentez-vous à aller partout où vos supérieurs vous enverront ? saurez-vous obéir en tout ce qui ne sera pas péché ? voulez-vous souffrir ignominie pour Jésus-Christ? S'il répond : Oui, il entre au noviciat qui dure deux ans, sans autre étude que la lecture de l'Ecriture-Sainte, sans autre travail que celui qui mène à l'humilité, au mépris de soi, à la création de l'homme nouveau. Dans les autres ordres, le noviciat dure moins longtemps ; la durée fixée par saint Ignace est déjà une conception hardie et puissante. C'est une autre originalité que d'interdire l'étude proprement dite. « Une distance si grande, dit le P. de Ravignan, sépare la vie du monde et la vie religieuse, les études d'un homme destiné à marcher dans les voies du siècle et celle du religieux réservé aux travaux apostoliques, que pour l'âme appelée à ce genre de vie dans la société de Jésus, l'énergique et prudent législateur a voulu en quelque sorte créer un milieu nouveau et toute une existence nouvelle. Dans la longue éducation de ses novices et dans l'absence même des études, il a entendu préparer le meilleur fondement pour les études elles-mêmes, savoir : l'humilité et toutes les vertus solides ; la prière, les méditations prolongées, l'étude pratique de la
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perfection et surtout la plus entière abdication de soi-même, la réforme courageuse des penchants de la nature, la lutte journalière et fidèle contre l'amour d'un vain honneur et des fausses jouissances, l'usage familier des Exercices spirituels et la conversation avec Dieu, la connaissance de tout un monde caché au fond de l'âme et d'une vie tout intérieure : voilà ce qui remplit les heures du noviciat. C'est bien là que viennent mourir les derniers bruits du monde et ses vaines agitations. À l'école de la pénitence et de la prière, on se dépouille peu à peu de cette vie fausse, de ces intérêts factices, de ses affections inférieures qui empêchent d'aspirer aux combats et aux triomphes de la grande gloire de Dieu et de la conquête des âmes. Et cependant l'onction des entretiens divins et les attraits puissants de la grâce, et le bonheur intime d'une concorde, d'une paix inaltérable, pénètrent, encouragent, consolent... Le novice, ainsi arraché aux illusions de la vie du siècle est mieux prémuni désormais contre le danger de leur retour, n'est encore lié par aucun engagement : il est libre. Souvent, très souvent, on appela ses réflexions sur les graves obligations que les vœux imposent. Il dut passer par des épreuves réitérées et décisives. Il délibère, il examine, il est jugé, il juge avec une entière liberté. Il s'offre enfin ; la société l'accepte, après deux ans révolus, il se donne entièrement par une consécration irrévocable1. » Le noviciat est ce travail régénérateur de l'esprit qui livre autant que possible, à la grâce divine, la possession entière des facultés, des forces et des habitudes de l'âme. Par là se forme une direction qui remplace dans l'homme toutes les situations purement humaines par l'unique ambition de la gloire divine et du salut éternel. Ad majorem Dei gloriam : Tel est le but vers lequel tendent toutes les épreuves, toutes les règles, toutes les lumières.
189. Deux années sont écoulées ; les vœux sont prononcés; l'heure des études a sonné ; le religieux de la Compagnie entre dans la carrière des études. Outre la puissance de l'exemple et la vie de l'esprit, il faut, en effet, à l'homme apostolique, la science
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1 De l’existence de l’institut. des Jésuites p. 87, 8e éJition.
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convenable. « Quand donc, dit saint Ignace, le fondement de l'abnégation et du progrès nécessaire des vertus aura été jeté dans ceux qui sont admis parmi nous, on songera pour lors à construire l'édifice de leurs connaissances 1. » Il faudra sans doute prendre garde que la ferveur des études n'attiédisse l'amour de la vie religieuse ; il faut apporter de sages tempéraments aux exercices de piété et de mortification, car les études exigent en quelque sorte l'homme tout entier. Or, le cours doit être régulièrement suivi, quand l'âge, le défaut d'aptitude ou de santé, quand les difficultés du saint ministère ou le malheur des temps n'y apportent pas d'obstacles invincibles. Les deux années qui suivent le noviciat sont données d'abord à la rhétorique et à la littérature ; trois ans à la philosophie, aux sciences physiques et mathématiques, quelquefois davantage. Vient ensuite ce qu'on nomme la régence ou la tenue des classes dans un collège. On fait en sorte que le jeune professeur, commençant par une classe de grammaire, monte successivement et parcoure tous les degrés du professorat. Cinq à six ans se passent ainsi. Il y a là utilité grande pour soi et dévouement pour les autres ; en apprenant beaucoup, on remplit tous les devoirs d'un zèle assidu, auprès de la jeunesse, et dans les fonctions qui en demandent le plus. Vers l'âge de vingt-huit ou trente ans, le religieux est renvoyé en théologie. Cette étude, avec celle de l'Écriture sainte, du droit canonique, de l'histoire ecclésiastique et des langues orientales, occupe quatre années, six même pour ceux qui montreraient des dispositions remarquables. Le sacerdoce n'est conféré qu'à la fin des études théologiques, rarement avant trente-deux ou trente-trois ans. Après chaque année de ce long cours d'études, un examen sévère est subi ; nul ne passe au cours de l'année suivante qu'après un jugement favorable porté par des examinateurs compétents. Toutes les études finies, ceux qui jusque-là ont réussi dans les examens annuels, subissent un examen général sur l'universalité des sciences philosophiques, physiques et théologiques. Avoir obtenu trois suffrages sur quatre, dans ce der-
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1 Institut Soc. t. I, p. 378.
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nier examen est une des conditions nécessaires, pour être admis à la profession. Tel est l'ordre d'études pour les jeunes religieux de la compagnie de Jésus ; tel est le secret de leur sorcellerie, la force de l'intelligence. Pour la plus grande gloire de Dieu et le plus grand bien des âmes, un long apprentissage prépare les ouvriers évangéliques à toutes les positions, à tous les ministères sacrés. Saint Ignace veut des hommes solidement instruits, des hommes qui ne s'égarent point, mais que les saines doctrines éclairent et conduisent toujours ; des hommes qui sachent tout ce qu'il faut savoir, qui se maintiennent à la hauteur du mouvement scientifique ; qui, en tout, en histoire, en physique, en philosophie, en littérature comme en théologie, ne restent point en arrière de leur siècle, mais puissent en aider le progrès, sans oublier qu'ils sont voués à la défense de la religion et au salut des âmes. Parmi les gloires de la France, on compte Corneille, Racine, Molière, Lafon-laine, Bossuet, Fénelon, Bourdaloue, Condé, Turenne, Descartes, Pascal, Voltaire ; sur douze, huit furent élèves des jésuites. On peut joindre à cette pléiade, une multitude d'hommes utiles dans toutes les branches des connaissances humaines et dans toutes les fonctions évangéliques. On trouvera, je l'espère, les caractères du génie théologique dans Suarez et Vasquez que Benoit XIV appelle les deux flambeaux de la théologie, dans Bellarmin et dans Delugo ; le génie de l'éloquence dans Seigneri, dans Bourdaloue dont Bossuet disait qu'il sera éternellement notre maître à tous ; enfin le génie des sciences dans Pétau, Sirmond, Kircher, Clavius, Gaubil, Grimaldi, Secchi ; et, au surplus, Ignace a voulu former des hommes apostoliques et non pas des savants. Or, si l'on porte à douze mille le nombre des écrivains jésuites, on porte à dix-mille le nombre de ses missionnaires, a dix mille le nombre de ses martyrs.