Constantin 5

Darras tome 9 p. 20

 

   7. «Cet usurpateur, une fois maître de la capitale du monde, dit Eusèbe, donna bientôt le spectacle hideux d'une volupté effrénée jointe à une férocité sans nom. Chaque matin un édit impérial prononçait le divorce de quelques patriciennes dont la beauté avait attiré les regards du tyran. Des émissaires allaient arracher ces malheureuses à leur époux et à leurs enfants, pour les livrer comme une proie aux outrages de Maxence. Parfois il s'amusait,

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après les avoir déshonorées, à les renvoyer à leurs maris auxquels il ordonnait sous peine de mort de les reprendre. Chaque jour, son exécrable passion s'assouvissait ainsi sur les plus nobles Romaines, et loin de s'apaiser avec le temps et le nombre des victimes elle ne faisait que s'accroître. De pieuses chrétiennes exposées à la violence du tyran préférèrent la mort au déshonneur. L'une d'elles, Sophronia1, femme d'un sénateur, vit un matin les satellites de Maxence entourer sa demeure, arrêter son époux, et le menacer du supplice s'il ne consentait a ce qu'on exigeait de lui. Les officiers arrivèrent enfin près de Sophronia et lui signifièrent l'ordre infâme de leur maître. Attendez quelques instants, répondit-elle, je vais me disposer à vous suivre. — Elle passa dans son cabinet de toilette et se plongea un poignard dans le cœur. Les ministres du tyran s'enfuirent à la vue de son cadavre et la ville de Rome apprit bientôt avec un frémissement d'indignation et de sympathique douleur cet acte héroïque d'une Lucrèce chrétienne. Cependant la terreur étouffait toutes les plaintes, il fallait cacher ses larmes et les dissimuler aux espions du tyran. Peuple et sénat, riches et pauvres, nobles ou esclaves, nul n'était à l'abri des fureurs de Maxence. On souffrait en silence, dans l'espoir que cette soumission passive ôterait au monstre couronné ie prétexte d'un massacre général. Cette dernière illusion s'évanouit bientôt. Un jour, à propos d'une rixe insignifiante, les prétoriens reçurent l'ordre d'exterminer à leur guise les malheureux Romains. On vit des milliers de citoyens désarmés tomber sous le glaive des soldats. Les sénateurs furent égorgés de préférence, et le tyran se hâta de confisquer à son profit les biens des victimes 2. » Tel était le prince en faveur duquel Maximien-Hercule venait rechercher l'alliance politique de Constantin. Celui-ci ne pouvait s'associer en aucune façon à une si odieuse tyrannie. Il accepta donc la main de Fausta, mais il refusa toute espèce d'engagement avec son indigne frère. Maximien-Hercule revint assez mé-

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1. Eusèbe, dans ce récit que nous lui empruntons, ne donne pas le nom de cette héroïne chrétienue. C'est Ruffin qui nous l'a conservé. — 2. Euseb., Vit. Constant., lib. I, cap. xxxill-xxxv.

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content de son voyage de Trêves. Il n'eut pas d'ailleurs le temps de songer à autre chose qu'à repousser l'attaque de Galerius, lequel, à la tête d'une armée formidable, s'approchait de Rome. Nous avons raconté précédemment l'issue de cette lutte. Elle fut toute à l'avantage de Maximien-Hercule et de Maxence. Les troupes de Galerius l'abandonnèrent et celui-ci s'estima fort heureux de pouvoir reprendre, sans être poursuivi de trop près, le chemin de Nicomédie. Tout semblait donc concourir au maintien du pouvoir tyrannique de Maxence. Cependant l'heure de la vengeance divine approchait. Odieux à ses sujets, ce prince le devint bientôt à son père lui-même. Soit que Maximien-Hercule voulût par ambition détrôner son fils pour régner à sa place, soit que par une vue plus digne d'un politique sage et d'un souverain expérimenté, il comprit que les violences qui désolaient Rome compro-mettaient l'avenir de sa famille, il est certain que le vieil empereur forma le projet de déposer Maxence. Il s'imaginait que les soldats qu'il avait jadis commandés s'empresseraient de revenir sous les drapeaux de leur ancien général. Il crut que le peuple, lassé des cruautés de Maxence, saisirait avidement cette occasion de secouer le joug. Dans son calcul des chances diverses qu'il allait courir, Maximien-IHercule ne faisait point entrer en ligne de compte les souvenirs odieux que sa domination personnelle avait laissés dans les âmes. Il oubliait le sang des chrétiens qu'il avait répandu à grands flots. Quoi qu'il en soit, il convoqua un jour le sénat, le peuple et l'armée dans une assemblée extraordinaire, et là, après avoir énuméré tous les crimes de Maxence, il le déclara déchu du trône et voulut lui arracher de ses mains la pourpre impériale. Maxence n'eut que le temps de se jeter dans les rangs des prétoriens, les conjurant avec larmes de le sauver des outrages d'un vieillard en démence. La foule était restée muette pendant cette scène inattendue. La surprise, l'étonnement, l'anxiété étaient au comble. Maxence profita de l'instant d'hésitation qui suspendit le peuple entre la double haine qu'on portait également au fils et au père. Maxence avait toujours gorgé les prétoriens ; à chaque revue, il avait coutume de leur dire : « Jouissez, prodiguez, dissi-

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pez; c'est là votre devoir et votre droit! » Les soldats se souvinrent de cette parole ; ils prirent hautement le parti du jeune prince. En un clin d'œil le tribunal où siégeait Maximien-Hercule fut envahi par eux. Le vieil empereur se déroba par une fuite précipitée aux glaives qui menaçaient sa poitrine et Maxence fut reconduit en triomphe au Palatin (308).

 

  8. Maximien-Hercule échappé à ce péril le plus grand qu'il eût  couru de sa vie, tenta vainement d ‘ntéresser Galerius à sa cause.       Celui-ci n’avait pas oublié sa récente défaite aux portes de Rome. Loin de prendre parti pour Maximien-Hercule, il se hâta d'investir Licinius du titre d'Auguste. Il ne restait au père de Maxence qu'un seul asile : la cour de Constantin. Il s'y rendit, et nous avons raconté comment il paya la généreuse hospitalité qui lui fut alors accordée. Le tragique événement qui mit fin à la vie de Maximien-Hercule précéda de quelques mois seulement la mort de Galerius (310). Nous avons précédemment exposé en détail ces deux grands faits qui exercèrent une influence si considérable sur la destinée de Constantin. La mort de Galerius le débarrassait d'un ennemi irréconciliable. Celle de Maximien-Hercule fut le prétexte de la guerre qui devait donner à Constantin l'empire du monde. Par une inconcevable folie, Maxence afficha la prétention de venger le sang de son père « injustement répandu,» disait-il. Au fond, Maxence avait conçu l'espoir de réunir les Gaules à son empire. Ce qui l'encouragea dans cette visée ambitieuse fut le succès de ses armes en Afrique (311), où le préfet du prétoire Rufus Volusianus était par- venu à détrôner l'usurpateur Alexandre, qui régnait depuis cinq ans sur cette riche province. Mais il était plus facile de venir à bout d'un aventurier comme Alexandre que de renverser le fils de Constance-Chlore. Cependant Maxence ne recula point devant une telle entreprise ; et pour toute déclaration de guerre, il fit abattre et traîner dans la boue la statue du héros qui figurait avec celles de Licinius et de Maximin dans le palais impérial. Il ne fallut pas moins que cet outrage pour déterminer Constantin à prendra les armes contre son indigne beau-frère. Vainement les Romains l'avaient, depuis trois ans, supplié de les délivrer d'une tyrannie

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détestée. Constantin avait résisté à toutes les ouvertures de ce genre. Il respectait dans Maxence le frère de Fausta. Quand cette insultante dénonciation d'hostilités parvint à sa connaissance, il terminait une glorieuse expédition contre les tribus Franques des Bructères, Chamaves et Chérusques, réunies en armes sur l'autre rive du Rhin. On raconte que la nuit qui précéda la bataille, Constantin, déguisé en paysan et accompagné seulement de deux de ses officiers, s'avança jusqu'au milieu des lignes ennemies, lia conversation avec quelques chefs et obtint par cette voie des révélations précieuses sur le nombre et la disposition de leurs troupes. Il fut assez heureux pour n'être pas reconnu. De retour au camp romain, il utilisa les renseignements qu'il avait acquis au péril de sa vie et le lendemain une éclatante victoire couronnait ses drapeaux. La défaite des barbares fut complète et l'armée romaine décerna par acclamation le titre de Maximus à son illustre chef. On conçoit facilement l'impression produite sur les guerriers victorieux par la grossière insulte que Maxence venait de se permettre contre son impérial beau-frère. Toutes les légions brûlaient d'aller à Rome venger l'honneur de leur général. Constantin se prêta à leur enthousiasme, sans négliger cependant aucune des précautions qui pouvaient assurer le succès de son entreprise. L'année 311 fut employée aux préparatifs militaires et diplomatiques. L'alliance du plus voisin des deux empereurs d'Orient fut assurée à Constantin. Un projet de mariage entre Licinius et Constantia, fille de Constance-Chlore et sœur paternelle de l'empereur des Gaules, fut signé. A ce prix Licinius s'engageait à maintenir dans une neutralité absolue toutes les provinces Illyriennes qui relevaient de son sceptre. Des émissaires de Constantin se rendirent à Rome et dans les principales cités d'Italie pour y ménager à leur maître de précieuses intelligences. D'après Zonaras et Cedrenus, ils réussirent tellement dans leur mission que le Sénat romain députa une ambassade à son futur libérateur. Cependant une flotte sortie de Massilia (Marseille) s'emparait de la Corse, de la Sardaigne et du port déjà fameux de Genua (Gênes). De sa personne, Constantin parcourut toutes les provinces de la Grande-Bretagne et des

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Gaules pour y compléter par les bienfaits qu'il semait sur sa route l'œuvre de pacification générale et recruter partout des renforts. Ce fut à cette époque qu'il visita la cité Flavia d'Augustodunum. La province Eduenne offrait encore le spectacle des dévastations amoncelées durant l'invasion des Bagaudes. Les campagnes dépeuplées à l'époque de cette terrible guerre gémissaient sous le fardeau des impositions qui achevaient leur ruine. Quand le sénat d'Augustodunum vint aux portes de la ville pour le recevoir, Constantin, ému par les scènes de désolation qui venaient de frapper ses regards, ne laissa pas à l'orateur le temps de lui adresser les compliments d'usage. « Je connais tous vos malheurs, dit-il, je viens les réparer. Demandez-moi tout ce que vous voudrez. Aucun sacrifice ne me coûtera pour vous rendre la prospérité dont vous êtes dignes. » A ces mots, peuple et sénateurs tombèrent à ses genoux, se disputant l'honneur de baiser la frange de son manteau de pourpre. Le héros ne put retenir ses larmes. «Larmes glorieuses pour le prince, dit Eumène, larmes fécondes pour nous ! » En effet, l'empereur déclara sur-le-champ qu'il remettait les cinq annuités dues au fisc, et diminua d'un quart l'imposition ordinaire. Une immense acclamation mêlée de sanglots et de pleurs que la joie faisait répandre s'éleva jusqu'au ciel. Ce fut avec cette escorte d'attendrissement et d'amour que Constantin entra dans Augustodunum.

 

   9. Des traits de ce genre renouvelés partout sur son passage font comprendre la popularité dont le héros (Constantin) jouissait dans les Gaules.  Lorsqu'au printemps de l'an 312, quittant la cité d'Arles où il avait passé l'hiver, Constantin se mit en marche à la tête de ses légions pour franchir les Alpes, les vœux de la population tout entière l'accompagnaient. Nous avons raconté précédemment cette campagne aussi rapide que glorieuse. Mais il importe de revenir sur un fait capital dont nous n'avons pu alors nous occuper que brièvement. Il s'agit de la vision de Constantin et du Labarum victorieux qu'il prit pour étendard. Le surnaturel fait ici invasion dans le domaine de l'histoire. On conçoit donc que l'événement ait pu donner lieu à une ardente polémique. Le rationalisme ne permet pas facilement à

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Dieu d'intervenir directement dans le gouvernement du monde. Ceux de nos lecteurs qui ont bien voulu nous accompagner jusqu'ici dans notre voyage à travers les siècles, ont eu plus d'une occasion de s'en convaincre. Selon notre coutume invariable, nous allons reproduire intégralement les témoignages et exposer, sans réticence, les objections qui se sont élevées contre le fait miraculeux. L'historien de l'Église n'a rien à dissimuler en ce genre, ou plutôt, s'il avait besoin d'habileté, la plus grande qu'il pût employer serait la franchise. Voici textuellement le récit d'Eusèbe, publié peu d'années après la mort de Constantin, et par conséquent du vivant d'un très-grand nombre de témoins oculaires : « Après avoir pacifié la Grande-Bretagne et la Gaule, dit Eusèbe, le héros jeta un regard sur l'empire romain, cette vaste agglomération de peuples divers rangés sous un même sceptre, comme un corps immense régi par une seule âme. La capitale du monde lui apparut dans l'oppression où elle gémissait pareille à une captive éplorée qui l'invitait à venir briser ses fers. Cependant il ne voulut point prendre l'initiative de sa délivrance. Il laissait ce rôle glorieux à ses collègues impériaux, plus anciens que lui et plus accrédités par leur influence et leur pouvoir 1. Mais nul d'entre eux n'était en mesure de tenter une entreprise qui venait d'échouer naguère à la honte de Galerius. Constantin résolut donc de sacrifier sa vie pour le bonheur du peuple romain. Réduit à ses propres forces il jura de mourir plutôt que de laisser Rome aux mains d'un tyran abhorré 2. Maxence, de son côté, n'épargnait rien pour se défendre. A ses crimes anciens, il en ajouta de nouveaux, les forfaits qu'il commit alors dépassèrent tout ce qu'on avait jamais vu. Sous prétexte d'opérations magiques, il faisait éventrer des femmes enceintes ou égorger des enfants nouveau-nés, afin de chercher des oracles plus sûrs dans leurs entrailles palpitantes. Tantôt c'était des lions qu'il dépeçait; tantôt il faisait évoquer les démons dans des mystères horribles, afin d'apprendre la vérité de

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1 Eusèbe fait allusion ici à Licinius et à Maximin Daïa, qui régnaient alors, le premier en Thrace, le second à Nicomédie. —2. Euseb., Vit. Constant., lib. I, cap. xxvi.

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leur bouche et de conjurer les malheurs qui le menaçaient. Il se flattait d'enchaîner ainsi la victoire à ses drapeaux. Chaque jour des cruautés nouvelles épouvantaient les Romains. Je renonce à les décrire parce qu'elles dépassent toute croyance. Qu'il me suffise de noter l'horrible famine qui sévit bientôt dans la capitale du monde. Le tyran se réjouissait à la vue des milliers de victimes emportées par le fléau. Il croyait que tant de morts désarmeraient la colère des dieux 1. Constantin sentait la nécessité d'un secours plus efficace que celui de ses soldats pour combattre les prestiges et les ressources de l'art magique dont le tyran s'environnait. Il voulait s'appuyer sur une force plus grande encore que celle de son armée, il comprenait que Dieu seul donne la victoire. Mais quel Dieu invoquerait-il? Ses prédécesseurs avaient placé toute leur confiance dans le culte des idoles ; ils avaient chargé de victimes et d'offrandes les autels du polythéisme. On les avait vus, après des oracles qui leur promettaient le succès et la gloire, n'aboutir qu'à l'infortune, aux désastres et à la mort. Ces pensées agitaient l'âme du héros. Il se rappelait que son père, seul entre tous les Césars, avait abjuré les traditions idolâtriqnes, pour adorer le Dieu unique et suprême. Cette conduite avait été récompensée par une prospérité sans nuage, tandis que les autres empereurs, livrés à toutes les passions, avaient fini déplorablement leur vie, sans laisser à leurs descendants une seule des couronnes qu'ils avaient portées. Il se rappelait les expéditions de Galerius et de Sévère contre Maxence. Entreprises toutes deux sous les auspices de l'idolâtrie, la première avait échoué honteusement, la seconde avait entraîné la mort de son chef. A mesure qu'il déroulait ces souvenirs dans sa pensée, il arrivait à se convaincre que les dieux de l'empire étaient de vains fantômes et leur culte une folle superstition. Le Dieu de son père lui semblait le seul Dieu véritable. Il commença dès lors à l'invoquer, le suppliant de se manifester à lui et de lui tendre une main protectrice au milieu de tant de périls et d'angoisses. Telles étaient les préoccupations et les prières

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1. Vit. Constant., lih. I, cap. xsxvi.

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de l'empereur quand un prodige surnaturel vint frapper ses regards. Si le récit que je vais faire m'eût été transmis par une autre bouche, il pourrait trouver des auditeurs incrédules. Mais je le tiens de l'auguste et victorieux prince lui-même. Bien des années après, quand j'eus l'honneur d'être admis dans son intimité, il me raconta le fait et m'en attesta plusieurs fois par serment l'authenticité. C'est sa narration que je vais reproduire, et bien téméraire serait celui qui oserait s'inscrire en faux contre un pareil témoin, au sujet d'un prodige que les événements survenus depuis ont d'ailleurs suffisamment confirmé. Constantin m'affirma donc qu'une après-midi, quand le soleil s'inclinait déjà sur l'horizon, il aperçut dans les airs, au-dessus de l'astre rayonnant, une croix lumineuse. Je l'ai vue de mes yeux, disait-il, et je l'atteste. Une inscription se lisait distinctement sur la croix et portait ces mots : 'Ev touto vixa : In hoc vince. « Sois vainqueur par ce signe. » Tous ceux qui accompagnaient l'empereur virent comme lui cette apparition. Je ne me souviens plus du lieu où se trouvait alors l'armée, mais elle fut témoin du prodige et l'étonnement fut au comble. Le prince lui-même, il ne faisait pas difficulté de l'avouer, resta longtemps à chercher la signification d'un événement si extraordinaire. Il était encore plongé dans ses réflexions, quand la nuit vint le surprendre. Durant son sommeil, le Christ Fils de Dieu lui apparut avec le même signe qu'il avait vu resplendir dans les airs, et lui ordonna de faire reproduire cette image sur les drapeaux, comme un gage certain de victoire. Constantin, à son réveil, fit part à ses confidents de ce qui venait de se passer. Des orfèvres furent appelés et l'empereur leur décrivit l'image qui s'était produite à ses regards. Ils en exécutèrent un modèle enrichi d'or et de diamants qui fut adopté. J'ai vu maintes fois ce symbole reproduit sur les enseignes des légions. C'était une haste allongée, revêtue d'or et munie d'une antenne transversale à l'instar de la croix. Au sommet de la haste, était fixée une couronne d'or et de pierreries. Au centre de la couronne était le monogramme du Sauveur PX, c'est-à-dire les deux premières lettres grecques du nom du Christ, le X et le P, groupées en un seul chiffre. L'empereur porta toujours depuis ce monogramme

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gravé sur son casque 1. Or, à l'antenne obliquement traversée par la haste était suspendu, en guise de voile, un tissu de pourpre enrichi de pierres précieuses artistement combinées entre elles et qui éblouissaient les yeux par leur éclat. Ce voile était un carré parfait. A sa partie supérieure, était représenté en fine broderie le buste de l'empereur et celui de ses enfants. Tel était ce symbole sacré dont le héros se servit toujours depuis comme d'un signe protecteur et divin contre ses ennemis. Il faisait porter par ses légions un étendard dessiné sur ce modèle. Mais je reviens à mon sujet. Constantin, sous le charme de la vision céleste qui lui était apparue, ne voulut plus adorer d'autre Dieu que celui qui venait de se révéler si merveilleusement à son âme. Il manda des prêtres de Jésus-Christ et se fit instruire par eux des mystères de notre foi. Quel est ce Dieu qui s'est ainsi manifesté à mes regards? Leur dit-il. Que me présage le symbole qu'il a deux fois reproduit sous mes yeux? — Ils lui répondirent que le signe de la croix était le symbole de l'immortalité, le trophée de la victoire remporté sur la mort par le Verbe éternel. Ils lui apprirent l'avènement du Fils de Dieu sur la terre, lui en développèrent les motifs et l'instruisirent du mystère sublime de l'incarnation. Le prince écoutait avidement leurs paroles; la protection visible de ce Dieu qui lui était prêché remplissait son âme d'émotion et de foi. La conformité de l'ensei-gnement sacerdotal avec le sens de l'apparition céleste lui démontrait la vérité de notre religion. Dieu lui-même lui parlait; il fut docile à sa voix. Dès lors il s'appliqua sans relâche à la lecture et à la méditation des Livres saints; sous la direction des ministres de Jésus-Christ il commença à adorer le seul Dieu véritable. Dans ces sentiments qui remplissaient son âme d'une généreuse espé- rance, il poursuivit son expédition contre le tyran de Rome 1. »

 

   10. Ainsi parle Eusèbe. Son récit, appuyé sur le témoignage de Constantin lui-même, est confirmé par Lactance. Précepteur du

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1 L'étude de la numismatique Constantinienne donne ici pleinement raison à Eusèbe. Le casque de Constantiu, reproduit sur les monnaies de ce prince porte toujours le monogramme sacramentel. — 2.Euseb., Vit. Constant., lil wp. JXVH-IXXII.

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jeune César Crispus, et par conséquent admis lui aussi dans l'intimité du palais impérial, Lactance est un témoin sérieux et bien renseigné. Voici ses paroles : « Averti par une vision, durant son sommeil Constantin fit graver sur les boucliers de ses soldats le signe céleste, gage de la victoire. C'était le monogramme du Christ PX. Chaque guerrier muni de ce symbole céleste vola au combat 1. » Pour être plus laconique que celui d'Eusèbe, le récit de Lactance n'en est pas moins une confirmation évidente du fait lui-même. Il est vrai que Lactance ne parle point de l'appari-tion d'une croix lumineuse dans les airs, en présence de l'armée en marche. Mais il faut considérer que cet historien, loin de s'étendre sur des événements contemporains qui étaient alors de notoriété universelle, resserre au contraire à plaisir sa narration. L'expédition contre Maxence, les combats livrés à ses lieutenants dans l'Italie septentrionale, la grande victoire du Pont Milvius, l'entrée de Constantin à Rome et les mesures administratives du César vainqueur durant un premier séjour de deux mois dans cette ville, ces faits immenses pour nous, sont résumés par Lactance en un chapitre de quarante lignes seulement. On conçoit donc l'omission faite par lui du prodige dont l'armée avait été témoin. Cette omission d'ailleurs est amplement compensée par le témoignage non suspect de l'orateur païen Nazarius. Chargé par le sénat de prononcer le panégyrique de Constantin le Grand à l'occasion des premières fêtes quinquennales des deux Césars Crispus et Constantin le Jeune, en 321, Nazarius n'était pas médiocrement embarrassé, lui demeuré idolâtre, d'avoir à raconter une intervention directe du Dieu des chrétiens dans le gouvernement du monde. Heureusement pour lui, Constantin le Grand n'était point à Rome, et ne devait par conséquent pas se trouver en face de l'orateur. Nazarius profita en homme d'esprit de cette absence, et voici comment il fit illusion à l'apparition merveilleuse, sans trop compromettre ses sentiments personnels ni les droits de la vérité. Sous la trame de son éloquence convenue, il est facile de retrouver la réa-

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1. Lactant., de Mort, persécuter., cap. XUV \ Patrol. Cet, tom. Vïl, col. 261.

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lité qu'il dissimule : «  Toutes les Gaules, dit-il, ont répété unanimement le prodige. On a vu dans les airs des armées divines, présages de victoire. D'ordinaire le ciel ne laisse pas pénétrer ses secrets aux regards des mortels. Notre œil est trop grossier, notre nature trop imparfaite, pour atteindre les substances célestes. Cependant les citoyens du ciel se sont laissé voir cette fois à la terre. Ils ont attesté la gloire du héros, et n'ont disparu aux yeux de la foule qu'après avoir rempli cette mission. Quel radieux éclat dans leur apparition merveilleuse! Je ne sais quel symbole auguste brillait sur leurs boucliers étincelants de lumière. Ce qu'ils disaient tous le comprirent: Nous voulons Constantin! C'est au secours de Constantin que nous marchons! Il est donc vrai que la divinité a sa politique; que les habitants du ciel ont des ambitions qui se répercutent ici-bas! Ces phalanges descendues des cieux étaient fières de combattre pour Constantin. Pour moi, je n'en doute pas, elles étaient sous la direction de Constance, le père du héros, divinité tutélaire qui armait le ciel en faveur d'un fils bien-aimé ! » » Ce témoignage du rhéteur païen nous semble une confirmation irréfragable des récits d'Eusèbe et de Lactance. Enfin la parole lapidaire de l'arc de triomphe Constantinien, le fameux INSTINCTV Divinitatis   dont l'authenticité est maintenant démontrée, vient corroborer ces données empruntées aux sources les plus diverses.

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