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Cela ne veut pas dire qu'il faille tout laisser comme par le passé et supporter les choses telles qu'elles se trouvent être. Supporter peut aussi être une attitude extrêmement active, une lutte pour que l'Église devienne toujours davantage celle qui porte et supporte.
Car, l'Église ne vit qu'en nous‑mêmes, elle vit de la lutte des pécheurs pour arriver à la sainteté, de même d'ailleurs que cette lutte vit du don de Dieu sans lequel elle ne serait pas possible.
Mais une telle lutte ne devient féconde et constructive que si elle est animée par la volonté de supporter, par une charité réelle. Et nous voilà arrivés du même coup au critère qui doit servir continuellement de norme à cette lutte et à cette critique pour une meilleure sainteté, lutte qui non seulement n'exclut pas, mais exige le support mutuel. Ce critère, c'est le caractère constructif.
Une dureté qui ne fait que détruire se juge elle‑même. Une porte que l'on claque peut devenir, il est vrai, un signe qui réveille ceux qui sont dedans.
Mais l'illusion qui consiste à croire que l'on pourrait construire davantage dans l'isolement que dans la communion, n'est justement qu'une illusion, exactement comme l'idée d'une Église de « saints » au lieu d'une « Église sainte », qui est sainte parce que le Seigneur prodigue en elle le don de la sainteté sans aucun mérite3 .
Par là, nous sommes déjà arrivés à l'autre expression que le Credo emploie pour désigner l'Église : elle est apelée “catholique».
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p249 “LA SAINTE ÉGLISE CATHOLIQUE»
Les nuances de sens que ce mot doit à son origine sont variées. On peut dégager toutefois une idée principale qui est décisive dès le départ: ce mot renvoie, dans un double sens, à l'unité de l'Église; il y a d'une part l'unité locale : seule la communauté unie à l'Évêque est « Église catholique», non les groupes particuliers qui, pour quelque raison que ce soit, s'en sont séparés.
Il y a ensuite l'unité des nombreuses églises locales entre elles, qui ne doivent pas se renfermer en elles‑mêmes et qui ne demeurent Église qu'en étant ouvertes les unes aux autres, en formant une unique Église par le témoignage commun de la parole et la communauté de table eucharistique ouverte à tous et partout.
Dans les commentaires du Credo, l'Église «catholique » est opposée à ces églises qui ne subsistent que dans “leurs provinces respectives » et qui contredisent ainsi la véritable essence de l'Église.
Ainsi le mot “catholique » exprime la structure épiscopale de l'Église et la nécessité de l'unité entre tous les évêques. Le Symbole ne contient pas d'allusion à une cristallisation de cette unité dans le siège épiscopal de Rome. Ce serait une erreur d'en conclure qu'un tel point d'orientation de l'unité ne serait qu'une évolution secondaire.
A Rome où notre Symbole est né, cette idée était devenue très tôt une composante de catholicité, sous‑entendue comme allant de soi. Il est vrai cependant que ce point n'est pas à compter parmi les éléments primaires du concept de l'Église et ne peut à plus forte raison être considéré comme sa véritable clé de voûte.
Les éléments fondamentaux de l'Église sont bien plutôt : le pardon, la conversion, la pénitence, la communauté eucharistique et à partir d'elle, la pluralité et l'unité : pluralité des églises locales, qui cependant ne demeurent Église que par leur insertion dans l'organisme de l'unique Église.
L'unité est constituée d'abord par la parole et le sacrement; l'Église est une, grâce à l'unique parole et à l'unique pain. L'organisation épiscopale apparaît à l'arrière‑plan comme un moyen de cette unité.
Elle n'est pas là pour elle‑même, mais appartient à l'ordre des moyens; sa position doit être définie par le petit mot “pour » : elle sert à la réalisation de l'unité des églises locales en elles‑mêmes et entre elles. Et dans le même ordre des moyens, le service de l'évêque de Rome constitue encore un stade ultérieur.
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p250 L'ESPRIT ET L'ÉGLISE
Une chose est claire: l'Église ne doit pas être conçue à partir de son organisation, c'est l'organisation qui doit être comprise à partir de l'Église. Du même coup il est clair que pour l'Église visible, l'unité visible est plus qu'une «organisation ».
L'unité concrète de la foi commune attestée dans la parole, et de la table commune de Jésus‑Christ, est partie essentielle du signe que l'Église est appelée à instaurer dans le monde. Ce n'est qu'en étant « catholique », c'est‑à‑dire visiblement une malgré la pluralité, qu'elle correspond à l'exigence du Symbole5 .
Elle doit être, dans notre monde déchiré, signe et moyen de l'unité, elle doit dépasser et unir les nations, les races et les classes. Nous ne savons que trop à quel point elle a souvent failli ce devoir.
Déjà dans l'antiquité, elle avait du mal à être à la fois l'Église des Barbares et l'Église des Romains; dans les temps modernes, elle n'a pas pu empêcher la lutte entre les nations chrétiennes, et aujourd'hui encore, elle ne réussit toujours pas à créer entre les riches et les pauvres des liens tels que le superflu des uns serve à rassasier les autres : le signe de la communauté de table est loin d'être réalisé.
Et malgré cela, on n'a pas le droit de méconnaître tout ce que la prétention à la catholicité n'a cessé de poser comme exigences impératives.
Mais avant tout, nous devrions, au lieu de faire le procès du passé, entendre l'appel du présent et nous efforcer aujourd'hui de faire de la catholicité non pas seulement l'objet de notre confession de foi dans le Credo, mais une réalité concrète dans la vie de notre monde déchiré.