Darras tome 21 p. 235
89. Une nouvelle douleur l'y attendait. Le cardinal Humbert de Moyenmoutier avait échoué dans sa mission évangélique près des Sarrasins de Sicile, ce qui ne surprit guères le saint pape, car un patriarche déjà connu au XIe siècle disait « qu'il est plus difficile de convertir un musulman que cent idolâtres2.» Mais en parcourant les cités du littoral sicilien, Humbert avait acquis la preuve que les Grecs de Byzance inauguraient un nouveau schisme contre l'église romaine. Une lettre synodale du patriarche de Constantinople répandue avec profusion dans toutes les contrées de l'empire d'Orient proclamait la rupture et déclarait hérétiques tous les fidèles du rite latin. Humbert en avait trouvé un exemplaire chez l'évêque de Trani et il l'apportait au pape. Depuis longtemps les patriarches de Constantinople aspiraient à une suprématie spirituelle indépendante; ils s'efforçaient d'obtenir la confirmation du titre prétentieux d'oecuménique qu'ils s'étaient arrogé de leur propre autorité. D'autre part, le dogme de la primauté romaine était si incontestable que les patriarches n'osaient généralement l'attaquer, ni le méconnaître ouvertement. C'était une lutte pénible entre la conscience et la passion, la soumission et la révolte. Cette lutte avait eu ses crises. Nous sommes arrivés à celle qui fut décisive.
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1. Wibert. Viia S. Léon. IX. loc. cit. col. 500.
2 Le titre d'archevêque de Sicile fut dès lors supprimé et remplacé pour Humbert par l'évêché suburbicaire de Sylva-Candida, aujourd'hui Sainte-Rufine.
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Michel Cérulaire (marchand de cierges)1 d'abord impliqué dans une conspiration politique et exilé s'était fait moine, et avait été tiré de son couvent par l'empereur Constantin Monomaque pour être promu au siège patriarchal de Constantinople. L'ambition, l'orgueil, le faste, un esprit inquiet et remuant formaient le fond du caractère de ce nouveau patriarche. Il ne vit dans la primauté apostolique de l'église romaine qu'une supériorité odieuse dont il chercha à secouer le joug. Reprenant tous les griefs que Photius avait déjà objectés contre les Latins, il en ajouta de nouveaux tels que de ne pas chanter l’Alléluia en carême, de manger la viande d'animaux étouffés, de conférer le baptême par une seule immersion, de consacrer avec du pain azyme, point sur lequel il insista le plus; de ne pas honorer les reliques et les images des saints, de se couper la barbe, etc. De concert avec Léon archevêque d'Achride métropolitain de Bulgarie et Nicétas moine de Stude, il rédigea une lettre synodale dans laquelle il exposait tous ces sujets de récrimination et excommuniait l'église romaine au nom des Grecs « gardiens fidèles de la foi évangélique. » Michel Cérulaire commença à exécuter son projet de séparation en fermant les églises et les monastères des Latins dans toute l'étendue de sa juridiction, jusqu'à ce qu'ils se conformassent aux rites des Grecs. Il excommunia ceux qui avaient recours au saint-siége et rebaptisa les fidèles qui avaient reçu le baptême dans les formes prescrites par l'église romaine. Saint Léon IX répondit aux reproches de Michel Cérulaire par une longue lettre où il justifiait l'église romaine avec autant d'érudition que de douceur. Il rétablit dans leur intégrité tous les points de dogme ou de simple discipline attaqués par les Grecs ; il insistait sur la procession du Saint-Esprit, sur la coutume apostolique de consacrer avec du pain sans levain , justifiée historiquement par le fait même de l'institution de l'eucharistie, où Notre-Seigneur se servit du pain
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1. Ce surnom fut donné à Michel parce qu'il avait débuté dans la carrière des dignités ecclésiastiques par la charge de préposé au Kèpoularion, sacristie où l’on gardait les cierges que les fidèles venaient acheter et faire bénir.
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azyme tel qu'il était prescrit par la loi mosaïque pour le festin pascal 1.
90. Trois légats apostoliques, Humbert de Moyenmoutier, Pierre archevêque d'Amalfi et le cardinal Frédéric de Lorraine diacre et chancelier de la sainte Eglise, furent chargés de porter cette lettre à Constantinople. Il ne leur fut pas difficile de réfuter les vaines harguties de Michel Cérulaire et de ses adhérents2. Mais comme il s'agissait bien moins, dans l'esprit du patriarche, d'éclaircir tel ou tel point de la doctrine que de rejeter la suprématie du saint-siége, il ne prêta qu'une faible attention aux évidentes démonstrations des légats. Pour lui la question avait cessé d'être théologique, elle se réduisait à ce seul point : « Le siège de l'em-pire ayant été transféré par Constantin sur les rives de l'Asie, ce « n'est plus à Rome mais à Constantinople que doit appartenir la suprématie religieuse. » Les démonstrations et les arguments théologiques n'avaient donc à ses yeux aucune valeur. Les légats du pape firent alors la seule chose qui fût utilement possible. Dans l'église de Sainte-Sophie, le 16 juillet 1054, ils déposèrent solennellement sur l'autel, en présence du peuple, un acte d'excommunication contre Michel Cérulaire et ses adhérents. Sortant ensuite de la basilique, ils secouèrent la poussière de leurs pieds et s'écrièrent : « Que Dieu voie et qu'il juge! » Puis les ambassadeurs du saint-siége reprirent le chemin de Rome. Photius n'avait pas reculé devant les falsifications pour faire triompher sa cause. Cérulaire gardait ces traditions de déloyauté. Il traduisit en grec l'acte d'excommunication en le dénaturant dans ses parties principales et ce fut ainsi dénaturé qu'il le lut au peuple. Le patriarche faussaire se donna en outre le plaisir d'excommunier à son tour le souverain pontife e t d'effacer son nom des sacrés diptyques. Il écrivit aux trois patriarches d'Orient tout ce que la haine et l'orgueil purent lui dicter, pour les détacher de la communion de l'église
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1 S. Léon IX. Epist. eu ad Mieh. Constantinopol. Patr. Lat. Tom. CXLIII,
col. 770
2 Cf. Humbert. Adversus Grscorum calumnias. Pair. Lat. Toni. CXLIII,
col. 930. ;
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romaine. On ignore l'effet de ces lettres sur les patriarches d'Alexandrie et de Jérusalem. Celui d'Antioche répondit en justifiant les Latins sur une partie des griefs qu'on leur imputait, en les blâmant sur quelques autres, mais pas au point d'y voir une raison de rompre l'unité. Michel Cérulaire sans s'arrêter à ces considérations ne cessa d'agir pour étendre et affermir son schisme sous les règnes assez courts de Théodora et de Michel Stratonique, qui se succédèrent sur le trône après la mort de Constantin Monomaque (1034-1057). Il devint plus entreprenant encore sous Isaac Com-nène dont il avait favorisé l'usurpation, mais il causa ainsi sa propre ruine. Comnène, en effet, ne pouvant plus supporter ses exigences, le relégua dans la Proconèse (1059) où il mourut la même année. Le schisme ne mourut point avec Michel Cérulaire et ne fut toutefois pas encore irrévocablement consommé. Il n'y eut rien de formulé contre la primauté romaine, mais si l'église grecque ne fut pas alors formellement séparée, elle n'en était pas moins presque en totalité composée de schismatiques et sa décadence devint irrémédiable. Dépourvue de la sève divine, réduite à une existence toute politique, elle n'eut dès lors et seulement par intervalles qu'un simulacre d'unité et de vie. L'empire d'Orient retombait lui-même plus faible que jamais. Une nouvelle race s'élevait alors sur la puissance divisée des Arabes et commençait à insulter les fontières des Grecs. C'étaient les Turcs, peuple d'origine tartare, établis sur les bords de la mer Caspienne. Les uns habitaient des villes et avaient des demeures fixes, les autres vivaient en aventuriers sous la conduite de chefs qu'ils se choisissaient eux-mêmes. Le plus brave et le plus heureux de ces guerriers fut Seldjouk, qui s'empara du Korassan, embrassa l'islamisme et fonda la célèbre dynastie des Seldjoucides. Son fils Togrul-Beg porta le secours de ses armes au calife de Bagdad Caïem, qui le fit Emir-Al-Omrah et l'investit de toute l'autorité. Il s'empara de la plus grande partie de la Perse et fut le premier sultan de sa dynastie. Son neveu Alp-Arslan recueillit son héritage (1062), continua ses conquêtes et se trouva ainsi en face des Grecs. Telle était la dynastie qui allait succéder à l'empire épuisé des Arabes et rajeunir en quelque sorte la guerre que l'islamisme
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avait déclarée à la société chrétienne. Les Turcs Seldjoucides arrivaient à ce haut degré de puissance précisément dans le temps que Michel Cérulaire entraînait l'église grecque dans la voie du schisme, sous Constantin Monomaque.
91. Léon IX avait cessé de vivre quand ses légats revinrent d'Orient. « L'excellent pasteur, dit Wibert, avait été escorté à Bénévent par ses nouveaux sujets, les Normands, qui ne se rassasiaient point du bonheur de le voir et de l'entendre. Il resta près d'une année entière au milieu d'eux. Sa vie était une mortification continuelle ; un tapis étendu sur le sol avec une pierre pour chevet lui servait de lit durant les quelques iustants de sommeil qu'il s'accordait. Chaque nuit il récitait intégralement tout le psautier, avec un nombre infini de génuflexions. Le jour lui suffisait à peine pour recevoir les pauvres qu'il servait de ses mains et auxquels il lavait les pieds. Un soir, accompagné d'un serviteur fidèle, il rencontra à la porte de son palais un lépreux couvert de haillons, le prit dans ses bras et le porta dans le lit de parade toujours soigueusemeut orné de son appartement pontifical, bien qu'il ne s'en servît jamais pour son usage personnel. Agenouillé devant ce lépreux, il s'entretint avec lui comme un père avec le plus tendre de ses enfants, le couvrit de son manteau, puis fermant la porte, il se retira à son oratoire pour la psalmodie accoutumée. Quand il revint, le lépreux avait disparu. Le serviteur ne l'avait point vu sortir ; il le chercha dans tout le palais sans pouvoir le retrouver. Cependant l'homme de Dieu accablé de fatigue ne tarda pas à s'endormir sur la pierre nue. Il eut un songe. Quel fut ce songe? ajoute le chroniqueur, il ne le dit jamais. Le lendemain pourtant il appela le serviteur et lui défendit de parler à personne, tant qu'il vivrait lui-même, de ce qui s'était passé durant cette nuit. Je ne doute pas, dit encore Wibert, que nouveau Martin, Léon IX n'ait tenu dans ses bras le Christ lui-même en la personne d'un lépreux. Sa modestie put dissimuler cette faveur céleste mais d'autres miracles éclataient chaque jour, malgré le soin qu'il prenait à les cacher. Sa bénédiction guérissait instantanément les malades. Un paysan lui amena un jour sa fille atteinte d'une folie furieuse et le supplia de la guérir. L'humble pon-
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tife s'en excusa, disant qu'il n'était point un thaumaturge et qu'il fallait conduire la malade au tombeau des saints apôtres. Mais le père obstiné dans sa foi insista tellement que pour se débarrasser de ses importunités, le pape rencontrant sous sa main du sel le bénit et en mit quelques grains sur les lèvres de la jeune fllle, en invoquant le nom du Seigneur. Aussitôt une excrétion sanguinolente sortit de la bouche de la malade, qui recouvra subitement la raison et la santé. J'abrège ces récits, ajoute Wibert, pour ne pas retarder trop longtemps le lecteur. Le soldat du Christ avait combattu le bon combat, il avait droit à la récompense et l'heure était venue. Lui-même l'appelait de tous ses vœux et répétait sans cesse la parole de l'apôtre : « Le monde est crucifié pour moi et moi pour le monde1. » Il menait dans un corps mortel la vie des anges, au point que de toute la journée il ne prenait pour toute nourriture qu'un verre d'eau. Le 12 février 1054, anniversaire du jour de son ordination, il célébra pour la dernière fois les saints mystères et adressa à la foule qui l'entourait une exhortation touchante. Le lendemain, sachant que son heure était proche, il voulut être transporté à Rome. Les Normands, naguère ses ennemis, devenus maintenant les plus dévoués de ses serviteurs, se disputaient l'honneur de le porter dans une litière avec toutes les marques du dévouement le plus filial. Ce fut ainsi que le pape triomphant dans sa défaite rentra au palais de Latran aux premiers jours du mois d'avril 1054 2.
92. Ici nous empruntons à un témoin oculaire, Libuin, sous-diacre de l'église romaine 3, le récit des derniers moments du grand pape « Le second dimanche après Pâques (17 avril) à l’époque où d'ordinaire il ouvrait le synode romain, le bienheureux pontife appela près de lui les évêques venus des divers diocèses et leur dit :
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1. Galat. vi, 14.
2. W'ibert. V. S. Léon. Lib. II, cap. mi. Patr. Lat. Tom. CXLIII, col. 501.
3. Nous avons deux rédactions du récit de Libuin; la première publiée par Mabillon sur un manuscrit de la bibliothèque de Ravenne, sans nom d'auteur, et reproduite par la Patrologie Lat. Tom. CXLIII, col. 505; la seconde, plus complète, retrouvée avec le nom d'auteur par les Bollandistes (Ad. SS. 19 April) et rééditée par Watterîch, Tom. I, p. 170.
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« Frères et coévêques, fils de notre mère la sainte Église, et j'ose ajouter, vous les fils de mes entrailles, appelés à gouverner le troupeau du Seigneur, n'oubliez jamais la parole évangélique : « Veillez, parce que vous ne savez point à quelle heure le Maître doit venir. » Veillez sur les brebis confiées à vos soins, ces chères brebis que le divin Pasteur voulait lui-mcme porter sur ses épaules. Veillez donc, je vous en supplie, et en même temps je me recommande à votre fraternité, moi que le Seigneur malgré mon indignité a fait ici-bas vicaire du bienheureux Pierre. Le temps de ma dissolution est venu. La nuit dernière, dans une vision, la gloire de la patrie céleste me fut manifestée; je restais plongé dans un transport extatique, lorsque je reconnus parmi les groupes des martyrs ceux qui sont morts en Apulie pour la défense de l'Église. « Viens et demeure avec nous, me disaient-ils. C'est par toi que nous avons obtenu la palme des éternelles béatitudes. » Mais une voix se fit entendre qui disait : « Pas encore. Dans trois jours seulement tu seras admis au nombre des élus. » Donc, frères bien-aimés, supportez-moi encore trois jours et vous verrez s'accomplir en moi la volonté du Seigneur. » Après ces paroles il les congédia, car la nuit était venue, mais la plupart entre eux par amour pour lui ne voulurent point quitter le palais; ils demeurèrent dans une salle voisine et depuis ils attestèrent que l'homme de Dieu passa toute cette nuit en prières, prosterné sur le sol de sa chambre. Le lendemain matin , tous les évoques étant réunis, le saint pape se plaça dans une litière avec le cercueil qu'il tenait prêt pour ses funérailles et se fit conduire processionnellement à la basilique de Saint-Pierre. La populace romaine voyant ce lugubre cortège crut que le pontife était mort. Selon sa détestable coutume, elle se précipita sur le palais de Latran pour le mettre au pillage; mais en apprenant que Léon vivait encore, cette foule hideuse se retira. Arrivé devant le maître-autel de la basilique, le pape pria en ces termes : « Seigneur Jésus, vous qui êtes le seul bon pasteur, vous que toute créature sert, vous avez dit : « Cherchez et vous trouverez, demandez et vous recevrez 1; » exaucez, je vous en conjure, la prière que vous
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1. Matth. vu, 7.
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adresse pour votre Église le serviteur indigne que vous avez voulu placer un instant sur le siège de votre apôtre Pierre. C'est à vous, Seigneur, que je la remets ; soyez pour elle un rempart inexpugnable, repoussez tous les schismes, toutes les hérésies. Gardez-la, protégez-la contre les embûches de l'ennemi; ne détournez pas vos regards de cet héritage pour lequel vous avez versé votre sang très-précieux. Parmi cenx que j'ai dû séparer de sa communion, s'il s'en trouve qui aient été trop sévèrement jugés, je vous supplie de les absoudre. Convertissez à votre amour Théophylacte, Grégoire et Pierre, les auteurs de la contagion simoniaque qui envahit le monde. Renouvelez pour eux le miracle du chemin de Damas1. » Quand il eut achevé cette prière, une odeur délicieuse dont le parfum était supérieur à celui du plus pur encens s'exhala de l'autel du bienheureux Pierre. Le pape resta ensuite près d'une heure dans une contemplation silencieuse, puis il se fit apporter du pain et du vin. Il les bénit, mangea trois bouchées de pain et distribua le reste aux assistants qui conservèrent comme une relique cette eulogie. Se levant alors, il se dirigea vers le tombeau qu'il s'était fait préparer dans la basilique. « Voyez, dit-il, frères, combien est misérable, fragile et éphémère la gloire humaine. Que cet exemple ne sorte jamais de votre mémoire. De rien je fus un jour élevé au plus haut faite de ce qu'on appelle la gloire, et maintenant je vais être réduit à rien. La cellule que j'habitais comme simple religieux s'est changée plus tard en de vastes palais ; maintenant je n'aurai pour demeure que cet étroit cercueil ; aujourd'hui encore avec vous chair et sang, demain poussière et cendre. » Puis se tournant vers la pierre qui devait couvrir le sépulcre : « Bénie sois-tu entre toutes ! dit-il. Que le Dieu qui t'a créée pour devenir la gardienne de mon corps terrestre te bénisse. Sois pour moi la pierre très-fidèle. De
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1. Ad te couverte Theophylactum et Gregorium et Petrum,qm m totopene mundi simoniacam hseresim solidaverunt, revoca ilios ab errore, qui convertisti Paulam persecutorem. fBolland. et Watterich. p. 17y. Ces paroles autoriseraient à croire que la conversion définitive de Théophylacte (Benoît IX) n'eut lieu qu'après la mort de saint Léon, lequel aurait été durant tout son pontificat persécuté par cet antipape et ses frères Grégoire et Pierre, comtes de Tusculum.
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même que le Christ a établi son Église sur la pierre apostolique, ainsi garde mes ossements jusqu'au jour où viendra le juge suprême et alors tu me rendras à mon créateur. » Tous les assistants fondaient en larmes. Le pape les congédia en disant : « Frères, je vous rends grâces d'avoir ainsi passé avec moi cette journée. Retournez à vos demeures et revenez demain recevoir mon dernier soupir. » Il se fit alors porter à l'episcopium (palais épiscopal) de Saint-Pierre, et y passa la nuit sans dormir une seule minute, dans une oraison continuelle. Au matin, ceux qui l'assistaient virent deux personnages inconnus s'entretenir avec lui ; le soleil se leva à l'horizon ; les deux interlocuteurs disparurent dans une auréole de gloire ; c'étaient les bienheureux apôtres Pierre et Paul. En ce moment, les cloches de la basilique sonnaient pour l'office du matin. Tous les évêques, prêtres et diacres avec le clergé et le peuple de Rome se réunissaient à Saint-Pierre. Le pape se leva et soutenu par deux assistants vint se prosterner devant le maître-autel. Son visage était baigué de larmes; il resta dans cette attitude environ une heure ; puis il s'étendit sur le lit qu'on avait apporté, et faisant signe de la main pour imposer silence, il adressa au peuple une courte exhortation, qu'il termina en traçant sur sa personne le signe de la très-glorieuse croix du Christ. Ensuite appelant près de lui les évêques. il leur fit sa confession. Sur son ordre, l'un d'eux célébra la messe, et lui administra le corps et le sang du Seigneur. Après quoi, il dit : « Faites silence, il me semble que je vais dormir. » En effet, inclinant la tête sur le lit, il sembla durant une demi-heure reposer dans un calme céleste ; il dormait en effet dans la paix éternelle. Un des évêques s'approcha le croyant encore vivant ; il le toucha et reconnut qu'il était mort, « Prions tous, s'écria-l-il : le saint pape est allé rejoindre au ciel le bon Pasteur ! » Ainsi mourut devant l'autel de saint Pierre le XIII des calendes de mai IVe ferie (mercredi 19 avril 1034) le très-bienheureux pape Léon IX, et il fut enseveli dans la paix. A l'heure où il remettait son âme aux mains du Christ, la cloche de Saint-Pierre, sans que personne la mît en branle, sonna à touie volée. La nature elle-même parut faire silence ; dans toute la ville
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p244 PONTIFICAT DE SAINT LÉON IX (4049-1034).
de Rome on n'entendit pas un bruit, les feuilles des arbres restaient immobiles. A Todi, le chevalier Albert et cinq autres qui l'accompagnaient virent une apparition glorieuse monter au ciel, escortée d'une légion d'anges. Sur la tombe du très-saint pontife Dieu opère chaque jour des miracles. Mais, ajoute en terminant le témoin attendri, qu'il vous suffise de cette courte relation écrite par Libuin sous-diacre et serviteur de notre saint pape et confesseur Léon l. » Un pape qui meurt de la sorte est un pape immortel. Léon IX n'avait que cinquante ans lorsqu'il donna aux Romains le spectacle de cette mort qu'on pourrait appeler synodale, loin de la «douce Alsace » qui l'avait vu naître, devant le tombeau de saint Pierre dont il avait si laborieusement imité les pérégrinations apostoliques. Sur la pierre sépulcrale qu'il avait bénie lui-même en termes si touchants, la reconnaissance publique grava ces deux vers :
Victrix Roma dolet nono viduata Leone, Ex multis talem non habiturapapam *.
Tout avait été grand dans ce pontife, sauf la durée de son pontificat renfermé dans un espace de cinq ans. Quand l'érection de la nouvelle basilique de Saint-Pierre nécessita l'exhumation des tombes antiques, le corps de Léon IX fut retrouvé dans une intégrité parfaite : il avait neuf palmes de long, vérifiant ainsi l'expression du chroniqueur contemporain Wiberl qui avait admiré cette taille extraordinaire, quam illi super cunctos illius temporis contulit Omnipotentis munificentia 3. Paul V fit transférer en grande pompe les restes de son illustre prédécesseur sous l'autel des saints Martial et Valère le 18 janvier 1606 4.
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1. Watterich. Tom. I, p. 177.
2. Wibert. loc. cit. col. 504. « Veuve de Léon IX, Rome victorieuse pleure un pape tel qu'elle n'en retrouvera plus. » » Wibert. loc. cit. col. 481. Cf. N° 7 de ce préient Chapitre, * Moroni, Dixionar. artic. Léo. IX, p. 33.