Bysancce 28

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    16. Tous les proscrits furent rappelés de leur exil; les prisons s'ouvrirent pour les généreux confesseurs que de si longues tortures subies pour la cause de la foi signalaient aux hommages et à la vénération publique. Parmi les plus illustres se trouvait l'héroïque Méthodius, dont la conservation après de si horribles souffrances était vraiment miraculeuse. Un concile fut réuni au palais impérial par les ordres de Théodora. Jamais peut-être on n'en vit de plus nombreux à Constantinople, parce que tous les évêques catholiques s'empressèrent de s'y rendre, et que ceux de la faction iconoclaste, plus intéressés encore à y comparaître afin de régulariser leur si­tuation et de se faire pardonner leurs antécédents, y accoururent en foule. D'une commune voix on renouvela contre l'erreur icono­claste les anathèmes prononcées par le IIe concile de Nicée. Lécanomante fut déposé du patriarcat et le vénérable Méthodius fut élu au siège vacant. Le premier dimanche de carême de l'an 842, il fut sacré dans l'église de Notre-Dame des Blakhernes, au milieu des acclamations enthousiastes du peuple de Constantinople. Du haut de l'ambon, le nouveau patriarche, s'adressant à l'immense multi­tude, parla en ces termes : « 0 mes pères et mes frères, quelles actions de grâces ne devons-nous point rendre au Christ notre Dieu, auteur de tout bien, qui nous rend la liberté après trente années d'hérétique oppression et de persécution sanglante! II a étendu son bras et fait de grandes choses; il a jeté bas les puissants et exalté les humbles; il a accompli pour nous la promesse qu'il faisait jadis à ses apôtres, quand il leur disait: «Vous serez pres­surés par les haines du monde; mais ayez confiance, car j'ai vaincu le monde. » Tous vos visages, toutes vos acclamations me disent que, moi aussi, je dois partager l'allégresse qui déborde en ce mo­ment dans tous les cœurs. II est vrai, je suis heureux plus que je ne le puis dire d'assister au triomphe de la vérité, de voir de mes yeux resplendir enfin après tant d'orages la divine lumière de Jésus-

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p291 CHAP.   VI. —   1ÎMPIHE   D ORlEîtT.     

 

Christ. Mais une profonde tristesse se mêle à cette joie qui est pour vous sans mélange. Je suis désolé d'avoir été appelé par vous à subir la charge de l'épiscopat. Plus cette dignité est élevée, et glorieuse, plus elle est redoutable devant Dieu et périlleuse parmi les hommes. Mais enfin je ne veux pas faire mon âme plus précieuse que moi-même. Que suis-je et qu'importe ma faible personnalité? Un seul but doit s'imposer à toutes nos pensées et les dominer absolument; rétablir l'unité et l'intégrité de la foi parmi nous. A ceux qui ont souffert de la part des hérétiques, je n'ai qu'une parole à dire, la parole du Sauveur sur la croix : «Père, pardonnez-leur, ils ne savaient point ce qu'ils faisaient. » A ceux qui regretteraient peut-être le pouvoir dont ils abusaient hier pour nous persécuter, qu'il me soit permis de dire : Ne vous affligez pas d'une impuissance qui vous ôte seulement la faculté de faire le mal. Vous l'avez com­mis sans le savoir et de bonne foi ; réjouissez-vous maintenant de ne pouvoir plus le commettre. Ainsi tous, persécuteurs et victimes, bénissons le Sauveur qui guérit en ce jour les souffrances corpo­relles des uns et l'aveuglement spirituel des autres 1. »

 

   17. Donnant à la fois l'exemple et le précepte de l'indulgence et du pardon pour le passé, saint Méthodius inaugura son patriarcat par une neuvaine de prières publiques dans l'église de Sainte-So­phie, pour le repos de l'âme de Théophile, cet empereur deux fois infortuné, dont le repentir avait été si tardif. Des apocrisiaires furent envoyés au pape Grégoire IV pour lui annoncer ces heureux événements. La communion entre les deux églises latine et grecque fut solennellement rétablie, et cette heureuse époque donna nais­sance à une fête annuelle qui se célébrait à Constantinople sous le nom de « fête de l'orthodoxie. » Nous n'avons plus la correspon­dance échangée à ce sujet entre le pape et le nouveau patriarche catholique de Byzance. A la date où le retour de l'Orient à la vraie foi s'accomplissait d'une manière si providentielle, Rome avait vu des nuées de Sarrazins venus de la Sicile et de la Calabre investir ses remparts. La cité sainte, courageusement défendue par le pape

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1. S. Method., Vite. Pair, grwc, tom. C, col. 1254.

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p292 PONTIFICAT  DE   GRÉGOIRE   IV   (824-844).

 

roi, échappa à la dévastation ; mais la basilique de Saint-Pierre, laquelle était encore en dehors de l'enceinte fortifiée, fut livrée au pillage. Le monastère du Mont-Cassin subit le même sort, avec une circonstance plus affligeante encore. La situation de l'abbaye sur un point culminant rendait l'attaque dangereuse pour des pirates armés à la légère, qui n'avaient ni les moyens ni la volonté d'entamer un siège en règle. Le duc de Bénévent, Siconulf, se fit l'allié des Sar­rasins et leur épargna la peine de risquer les hasards d'une bataille. Il leur livra lui-même les trésors du monastère, cent trente livres d'or massif, huit cent soixante-cinq d'argent, tant en croix histo­riées qu'en lampadaires, couronnes, reliquaires, calices ou autres vases précieux; trente-doux mille solidi d'or monnayé, la cou­ronne d'or enrichie d'émeraudes qui avait appartenu à Arigise et estimée seule cinq mille solidi d'or, en un mot tous les dons accumulés depuis deux siècles sur le tombeau de saint Benoît par la piété des princes de l'Europe, furent par l'infâme trahison de Sico­nulf livrés à la rapacité des fils de Mahomet.

 

Darras tome 18 p. 425

 

   18. Quel rôle odieux cependant que celui de l'empereur Louis II envoyant à Rome une armée pour installer de vive force un prêtre

excommunié sur le trône de Saint-Pierre !   Le  cardinal-prêtre du titre de Saint-Marcel, le rebelle Anastase, anathématisé par saint Léon IV, déposé juridiquement dans un synode romain ; tel est le candidat impérial que des soldats francs introduisent en triomphe dans la basilique vaticane. Cet intrus est iconoclaste ; la hache à la main il abat les images saintes, les statues consacrées par la pieté des siècles. Ce trait est caractérisque. On se rappelle les pro­grès que la doctrinc iconoclaste, importée de Byzance, avait faits dans les Gaules sous Louis le Débonnaire. Pour mériter les bonnes grâces du César Louis II, Anastase s'était fait iconoclaste. Il allait plus loin, il consentait à tenir de l'empereur seul et des soldats de l'empereur sa promotion au siège apostolique. On frémit d'indigna­tion en voyant des leudes francs envahir le palais du pape légitime­ment élu, s'avancer sur des monceaux de cadavres jusque dans la salle du trône, faire souffleter par la main vénale d'un évêque apos­tat la face auguste du vicaire de Jésus-Christ. Voilà ce qu'était devenu l'empire romain d'Occident. Deux générations seulement sé­paraient l'empereur Louis de Charlemagn son bisaïeul. Qu'on s'étonne ensuite de la prompte disparition de la dynastie carlovingienne. Louis II devait mourir sans enfants, après un règne qui fut une série ininterrompue de défaites, après avoir lui-même subi, comme par la loi du talion, l'emprisonnement ignominieux qu'il avait infligé à un pape. Nous raconterons ces événements à leur

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p426      l'OHTIFJCAT  HE  BENOIT III   (853-858).

 

date, et ils prouveront une fois de plus que Dieu punit dès ce monde tous et chacun des souverains qui osent attenter à la majesté des successeurs de saint Pierre.


   19. À l'époque où l'empereur d'Occident Louis II ensanglantait la ville de Rome et outrageait si cruellement le siège apostolique, l'empire d'Orient tombait aux mains d'un César qui devait mériter par ses débauches l'épithète « d'Ivrogne » pour jamais accolée à son nom de Michel III. L'époque de sa majorité coïncidait avec l'avènement du pieux pontife que Léon II faisait traîner dans un cachot. La mère de Michel III, la sainte impératrice Théodora eut encore assez d'influence pour envoyer à cette occasion l'ambassade solennelle dont parle le Liber Pontificalis, avec la double mission de notifier au saint-siége l'avénement du jeune prince et de dépo­ser en son nom des offrandes au tombeau du prince des apôtres. Mais ce fut le dernier acte d'une régente qui s'était acquis la véné­ration et l'amour des peuples de l'Orient. L'indigne fils à qui elle remettait les rênes du gouvernement fut un des princes qui ont le plus horriblement avili le rang suprême. Nouveau Néron, il ne connaissait pas d'occupation plus sérieuse que de conduire un char dans les jeux publics. Entouré de vils débauchés avec lesquels il se livrait aux plus infâmes orgies, il se plaisait à parodier les cé­rémonies augustes de la religion. Théodora fut chassée honteuse­ment de la cour après que son fils, si on peut lui donner ce nom, l'eut fait indignement outrager par ses bouffons. Michel III la fit enfermer dans un monastère et voulait la contraindre à recevoir l'habit religieux des mains du patriarche saint Ignace. «Prince, lui dit ce courageux pontife, quand j'ai pris le gouvernement de l'é­glise de Constantinople, j'ai juré de ne rien faire contre votre gloire. Si vous voulez la flétrir vous-même par des violences contre celle qui vous a donné le jour, je ne dois pas prêter mon ministère à cette indignité.» L'impératrice Théodora mourut en prison. L'É­glise l'a placée au rang des saintes princesses dont elle honore la mémoire (857). Michel l'Ivrogne avait donné toute sa confiance au patrice Bardas, son oncle, qu'il fit proclamer César. Bardas était un de ses génies ambitieux pour qui tous les moyens sont bons

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p427 .  IX.   — SYNCHRONISME.     

 

pourvu qu'ils mènent au pouvoir. Politique adroit, ami des sciences, protecteur des savants, il se faiait partout des créatures; et aux yeux de Michel, il se laissait pardonner sa supériorité en affectant de partager toutes les débauches impériales. Il ne s'étu­diait qu'à profiter des vices de son neveu. Sa conduite à lui-même était un scandale public. Il répudia sa femme pour épouser celle de son fils. Le patriarche saint Ignace, après des remontrances inu­tiles, prit le partit de l'excommunier. Bardas en furie voulait lui passer son épée au travers du corps. Mais la majestueuse tranquil­lité du saint archevêque l'émut au point qu'il n'osa exécuter son crime. De ce jour, Bardas mit tout en œuvre pour perdre saint Ignace. Il le fit reléguer dans l'île de Térébinthe. Le choix de l'in­trus qu'il voulait mettre à sa place était arrêté depuis long­temps.     

 

20. Bardas avait pour ami l'eunuque Photius. Poète, mathématicien, orateur, grammairien, jurisconsulte, théologien, homme d'État, Photius était le plus bel esprit et l'âme la plus perverse de son siècle, le génie le plus vaste et le plus cultivé, le plus entrepre­nant et le plus artificieux; anobli par l'alliance de sa maison avec la famille impériale 1, illustré par les deux grandes charges de pre­mier écuyer, de premier secrétaire et par une ambassade célèbre en Syrie, puissant par ses richesses, par son crédit, par son habi­leté à se faire des partisans, à rendre ses coupables desseins plau­sibles, à surprendre jusqu'aux gens de bien. La religion, qui ne parut jamais qu'un jeu pour lui, avait tout à craindre d'un impie de ce caractère. L'Église d'Orient, déchue depuis longtemps de sa splendeur, par l'oubli des saines maximes, par l'obscurcissement de tous les principes, n'avait besoin pour se précipiter à jamais dans l'abîme que d'une main qui l'y poussât. Photius fut l'instru­ment de cette ruine immense. Au mépris de toutes les règles cano­niques, et sans élection préalable, il fut sacré par l'évêque de Sy­racuse, et, le jour de Noël de l'an 857, l'auteur futur du schisme d'Orient montait sur le siège patriarcal de Constantinople.

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1 II était fils du patrice Sergius et d'Irène, sœur de l'impératrice Théodora.

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Darras tome 18 p. 480

   33. « Sur ces entrefaites la justice de Dieu s'appesantit sur l'empereur Michel qui périt d'une mort violente. Son successeur Basile fut l'instrument dont le Seignenr se servit pour rendre la paix à l'Église. Le néophyte et intrus Photius fut chassé ignominieuse­ment, et en conformité avec les décisions du siège apostolique, Ignace le patriarche légitime fut rétabli sur le siège de Constantinople. Ces événements couronnèrent le glorieux pontificat de Ni­colas le Grand. Dans les luttes qu'il eut à soutenir, ce saint pape ne chercha jamais que la gloire de Dieu et le salut des âmes. Avec l'aide du bienheureux Pierre, il combattit vaillamment les combats du Seigneur. Il exhortait les princes à se montrer bienveillants et doux pour leurs sujets, et les sujets à êtres obéissants à leurs princes. Le recueil de ces lettres adressées aux rois et aux évêques de l'univers entier est plein de ces paternelles exhortations 1. Il eut

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1 Kicolai XjEpistol. el Décréta, Pair, lui., toni. CaIX, col. 770et sq.

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p481 AP.   X.   —  L'OIUENT.      

 

toujours son âme dans ses mains, n'ayant en vue que les choses cé­lestes, vaquant nuit et jour aux veilles saintes, au jeûne, à la prière, n'accordant aucun repos à ses membres brisés de fatigue. S'il fallait énumérer toutes les omeuvres de sainteté, de vertu et de foi, accom­plies par ce héros de Jésus-Christ le temps et le parchemin n'y suf­firaient pas. »

 

   34. « Durant son pontificat l'abondance  régna à Rome grâce à son infatigable charité. En une ordination au mois de mars il consacra sept prêtres, quatre diacres et soixante-cinq évêques desti­nés à diverses églises. Après qu'il eut victorieusement et comme un véritable athlète de Dieu dirigé le siège apostolique, il émigra de ce monde mortel vers le Seigneur le jour des ides de novembre (13 no­vembre 867). Toutes les nations le pleurèrent. Que dirai-je de plus? Il sembla que les éléments eux-mêmes s'associaient au deuil des humains, tant on vit de tempêtes éclater à la mort de ce grand homme. Son corps fut enseveli devant la porte d'entrée de la basi­lique du bienheureux apôtre Pierre 1. »

 

§ III. L’ORIENT

 

35. Cette notice du Liber Pontiftcalis écrite par un témoin atten­dri nous fait comprendre mieux que les plus éloquents discours combien le pape saint Nicolas Ier mérita le titre de Grand qui lui fut décerné par l'admiration et la reconnaissance du monde chrétien. Quel contraste entre les vertus, la sainteté, l'humilité du grand pape et l'ambition, la bassesse, l'hypocrisie de Photius. En six

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1 Lib. Pontijicalis, S. Nicolaus I Magnus papa 10S. Patr. lai., tom. CXXVIII, col. 1357-1378. Voici l'inscription qui fut placée sur le tombeau du grand pape :

Conditur hoc aatro sacra substantia carnis Prasulis egregii Nicolai dogmate sancto Qui faltit cunctis, muudumque reptevil et urbem Intaclis micuit membris, castoque pndore. Quœ docuit verbis, actuque peregit opime; Sidereœ pleitus mansit doctusque Sophiœ, Cœlorum claris quœ servat régna triumphis, Ut regnet soliis procerum per sœcula nahis.

(Giacoa., Vit. Summor. Pontifie, tom. i, col. Oïû.)

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p482      PONTIFICAT  DE  SAINT  NICOLAS  1  LE  GRAND   (838-8G7).


jours, de simple laïque, Photius avait passé par les ordres inférieurs de la cléricature pour être ordonné patriarche. Michel l'Ivrogne et Bardas, son digne ministre, étaient satisfaits. Leur ancien compa­gnon de débauche prenait rang parmi les princes de l'Église; il ne pouvait pas être pour eux un censeur intraitable, comme l'avait été saint Ignace dont il usurpait le siège. Une pareille intrusion devait avoir les suites les plus désastreuses. Il est à remarquer que le schisme d'Orient, comme la plupart des grandes hérésies qui ont désolé l'Église, a pour berceau l'âme corrompue d'un César adul­tère qui croit légitimer ses désordres en étouffant la voix accusatrice d'un digne ministre de Jésus-Christ, et pour instrument un ambi­tieux sans principes et sans foi. Les germes d'une scission entre Constantinople et Rome existaient, nous l'avons vu, depuis le sesond concile général en381Mais Photius donna sa formule défini­tive à cette séparation, et l'enfanta avec tous ses périls religieux et politiques. Il arracha la branche du tronc, et la branche languit et dessécha, faute de la sève vivifiante qui n'était qu'à Rome. Il établit une église grecque, lorsque Jésus-Christ n'en a fondé qu'une seule, l'Église catholique, dont l'apôtre saint Pierre a placé le siège à Rome. La division, c'est la mort ; l'unité, c'est la vie. Quand sonnera l'heure du danger pour l'empire byzantin, menacé par le Croissant, on verra les empereurs de Constantinople recourir aux pontifes romains, maîtres de l'Europe, au moyen âge; mais les papes qui, obéissant aux belliqueux instincts de l'Occident, auront pu lancer en Orient de formidables armées pour arrêter les flots envahissants de l'islamisme seront réduits à l'impuissance par la mauvaise foi des Crecs, quand il s'agira de sauver Constantinople du joug de Mohahomet II (1453).


   36. Une clameur universelle s'était élevée contre l'ordination sacrilége de Photius. Pour l'apaiser, l'intrus voulut surprendre l'approbation de saint Nicolas Ier. Il lui écrivit une lettre artificieuse, dans laquelle il prodiguait les mensonges et les flatteries. « Quand je songe, disait-il, au lourd fardeau de l'épiscopat, à la faiblesse humaine, à la mienne en particulier, je ne puis exprimer la douleur profonde qui s'empare de mon âme en me voyant engagé sous ce

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p483 AV.   X.   —   r.ORJENT.      AH',)

 

joug terrible. Mais l'empereur, humain envers tout le monde, est cruel pour moi seul; les métropolitains assemblés, tout le clergé et le peuple, poussés par je ne sais quelle étrange impulsion, accla­mèrent unanimement mon nom aussitôt que mon prédécesseur eut renoncé à sa dignité. Sans écouter mes excuses et mes instantes supplications, ils m'ont imposé la charge épiscopale; ils m'ont fait violence, ils ont exécuté leur volonté malgré mes larmes et mon désespoir. » Ces protestations hypocrites furent remises au souve­rain pontife par une ambassade de Michel III et quatre évêques grecs. Pour mieux déguiser l'imposture, les députés étaient chargés de solliciter du pape l'envoi de deux légats en Orient, pour éteindre les restes du parti iconoclaste, qui dans la réalité n'existait plus. La haute prudence de Nicolas Ier et son attachement aux règles canoniques l'empêchèrent de tomber dans un piège si habilement concerté. « Nous ne pouvons en aucune sorte, répondit-il à l'em­pereur, approuver l'ordination irrégulière de Photius avant que le patriarche Ignace ait déclaré devant nos légats pourquoi il a quitté son siège, et que nous n'ayons approuvé canoniquement nous-même sa déposition, s'il y a lieu. Quand un rapport exact et fidèle nous aura été présenté sur ces faits, nous prendrons la décision la plus favorable au maintien de la tranquillité et de la paix, dans l'Église de Constantinople. » Les légats du saint-siége, Radoald, évêque de Porto et Zacharias, évêque d'Anagni partirent donc pour l'Orient, avec la mission de faire les informations juridiques (839). Ce n'était pas que Michel l'Ivrogne s'inquiétât beaucoup de cette affaire. Il passait son temps àtable en compagnie de ces bouffons. «Théophile, disait-il en riant, est mon patriarche (c'était le chef de ses compagnons de débauche) ; Photius est le patriarche de Bardas, et Ignace celui des chrétiens. » Ce jugement était plus vrai qu'il ne le pensait lui-même.

© Robert Hivon 2014     twitter: @hivonphilo     skype: robert.hivon  Facebook et Google+: Robert Hivon