Darras tome 24 p. 422
46. En présence d'une déclaration si positive et si nettement accentuée, la dispense secrète et verbale que les évêques ambassadeurs se vantaient d'avoir obtenue de Pascal II était plus qu'invraisemblable 2. « Les deux fidèles religieux, Baudoin et
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1 Paschal. II, Epist. hxxv; Pair, lat., t. CLXIII, col. 94.
2. M. de Rémusat qui avait sous les yeux toutes les pièces de la procédure et qui savait qu'en dernier lieu Pascal II, informé, comme nous le dirons plus tard, de l'affirmation sacrilège et parjure des trois évêques ambassadeurs, avait opposé à leurs allégations apocryphes le démenti le plus formel, n'en prend pas moins le parti du roi contre le pape. Voici comment il résume cette discussion. « Que s'était-il passé à Rome, et qu'avait fait l'ambassade anglaise? On l'ignore. {Cependant Eadmer nous l'a très-minutieusement raconté.) Il était impossible qu'elle obtint le désaveu des principes ultramontains. Elle ne l'obtint pas, ni même la concession écrite d'un ajournement ou d'un moyen terme. La correspondance officielle est sous nos yeux. (Pourquoi ne pas la reproduire?) Elle ne contient rien de semblable. Est-il impossible de supposer que dans la négociation orale, le pape ait montré plus de complaisance, et autorisé des atermoiements, s'ils étaient accordés par les deux partis? (Mais puisqu'il était impossible d'obtenir « le désaveu des principes ultramontains, » comment est-il possible de supposer que dans la négociation orale le pape ait montré plus de complaisance? Un principe n'a-t-il de valeur qu'en audience publique ? cesse-t-il d'en avoir dans l'intimité du
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Alexandre, qui les avaient accompagnés à Rome en qualité de délégués d'Anselme, se présentèrent au sein de l'assemblée, reprend Eadmer. En termes clairs et précis, ils attestèrent que le pape n'avait donné à aucun des membres de l'ambassade une explication différente du texte des lettres pontificales. Les trois évêques repoussèrent leur témoignage. « Ces choses, dirent-ils aux moines, se sont passées entre le pape et nous, sans que vous en ayiez eu connaissance. En public il nous a tenu le langage que vous avez entendu ; mais en particulier il nous a parlé d'une manière différente. — A ces mots, Baudoin, révolté d'entendre jeter au pontife du siège de Rome une calomnie aussi infamante, céda à l'ardeur naturelle de son caractère, et s'adressant aux trois évêques : Où sont ici les hommes à double face? demanda-t-il. Est-ce ainsi que vous tenez les serments de fidélité que je vous ai vus prêter à Rome entre les mains du seigneur apostolique? — Cette apostrophe fut le signal d'une véritable tempête dans l'assemblée. Les uns disaient que des communications orales, ne s'appuyant sur aucune pièce écrite, étaient absolument sans valeur. Il fallait s'en tenir aux lettres du pape munies du sceau apostolique, et admettre le témoignage désintéressé des deux moines. Les autres répondaient, avec une indignation plus ou moins sincère : Pouvez-vous hésiter entre l'assertion de trois évêques et un griffonnage tracé sur une peau d'agneau, noircie d'encre et surchargée d'une bulle de plomb? entre le serment de trois évêques et le témoignage de ces moinillons,
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cabinet?) Cette prudence est-elle en opposition avec la politique romaine? On en jugera. Une chose mieux assurée, c'est que les trois prélats qui représentaient le roi auraient désiré qu'il en fût ainsi, ou du moins qu'on pût croire qu'il en était ainsi. Ce qui est tout à fait certain, c'est que le roi était absolu et opiniâtre. Parce qu'il n'aimait ni la guerre ni les violences, parce qu'il préférait aux voies directes les voies détournées, ne pensez pas qu'il fût médiocrement jaloux de son pouvoir. Dans la guerre qu'il entretenait contre Anselme, il montra toutes les ressources d'une volonté patiente qui se contient et ne se lasse pas. » (Rémusat, Saint Anselme de Cantorbéry, p. 302.) Nous ne nous lasserons pas nous-même de protester contre cette façon subreptice de dénaturer les récits les plus authentiques, en leur prêtant des réticences qu'ils n'ont point et en supprimant leurs affirmations les plus explicites.
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monachellorum, qui oublient que, le jour où ils ont renoncé au monde, ils ont perdu pour jamais le droit de témoigner dans une affaire séculière? — Mais, s'écria Baudoin, ceci n'est point une affaire séculière ! — Les seigneurs du parti de la cour crurent devoir lui répondre avec une certaine déférence. Nous rendons justice, dirent-ils, à la noblesse et à la dignité de votre caractère. Toutefois notre respect pour l'ordre hiérarchique ne nous permet pas de préférer votre témoignage à ceux d'un archevêque (Girard d'York) et de deux évêques (Herbert de Norwich, Robert de Chester). — En ce cas, répliqua Baudoin, que faites-vous du témoignage officiel du pape exprimé par deux rescrits authentiques? — Quoi! s'écrièrent-ils, quand nous n'admettons pas contre la parole de nos évêques votre propre témoignage, nous recevrions celui que nous transmet une misérable peau de mouton! — A ces mots, une protestation se fit entendre de la part de quelques religieux. — L'Evangile n'est-il donc pas écrit sur des peaux de mouton? dirent-ils. Ici l'iniquité se trahit elle-même l. »
47. « Jusque-là, continue l'hagiographe, Anselme avait gardé le silence. Sa perplexité était grande. D'une part, il ne pouvait ni ne voulait en rien contrevenir aux instructions qui lui étaient apportées par les lettres apostoliques; d'autre part, il tenait à éviter le scandale d'une action canonique intentée contre trois évêques, lesquels n'eussent pas tardé à être convaincus juridiquement de parjure. Dans une situation si délicate, sa prudence lui suggéra un moyen de sauver les apparences sans compromettre les intérêts de la justice, et il se réserva de l'employer au moment opportun. Henri de son côté, s'appuyant sur le témoignage des trois ambassadeurs officiels, se montrait de plus en plus pressant. Les princes et les évêques stimulaient encore son impatience. De concert avec eux, il somma Anselme de lui prêter serment d'hommage-lige, et d'avoir à sacrer, comme le faisaient jadis ses prédécesseurs, les sujets qui auraient reçu l'investiture royale pour les évêchôs. A cette nouvelle injonction, Anselme répondit : « Si les lettres du
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1 Eadmer, Histor. Novor., 1. III, loc, cit., col 436.
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souverain pontife concordaient avec les paroles qu'on lui prête, peut-être, après mûr examen, ferais-je ce que le roi exige. Mais ne voulant pas être trompé ni précipiter mon jugement dans une affaire où les dépositions orales sont contradictoires, je crois indispensable d'en référer au pape lui-même, pour savoir directement de lui la vérité. » Les évêques ambassadeurs durent éprouver une certaine inquiétude en se voyant exposés à un contrôle si redoutable. Toutefois ils n'en firent rien paraître. Ils répondirent à Anselme : « Ce que nous avons dit, nous le disons encore; ce que nous avons attesté, nous l'affirmons de nouveau. Si vous refusez de nous croire, nous en appelons sans hésitation à l'arbitrage du siège apostolique. Au nom du seigneur pape et par son ordre, nous vous notifions d'avoir à vous conformer aux instructions verbales qu'il nous a données. Quant à la sincérité absolue de notre rapport, nous sommes prêts, quand vous le voudrez, à en fournir des preuves irrécusables. — Il ne me convient pas, répartit Anselme, d'engager une controverse avec vous sur la véracité de votre témoignage. On me dit que le roi, d'accord avec les princes, a résolu de passer outre et de reprendre, sans s'arrêter à mes résistances, l'usage des investitures. S'il donne suite à ce projet, je m'abstiendrai par égard pour vous de fulminer l'excommunication contre lui et contre les sujets investis de la sorte, jusqu'au retour des délégués que je vais faire partir pour Rome, afin de savoir de la bouche du pape lui-même la vérité exacte. Dans l'intervalle, je refuserai également la consécration épiscopale aux sujets qui auraient reçu l'investiture royale, et je ne permettrai à aucun évêque de procéder à leur sacre. » Cette réponse, loin de déplaire à Henri, le mit au comble de la joie. Dès que le primat déclarait ne vouloir point sans nouvelles instructions de Rome, sacrer les sujets qui dans l'intervalle auraient reçu l'investiture, il admettait donc que de nouvelles investitures pourraient avoir lieu. Grâce à cette interprétation dérisoirement sacrilège, Henri crut pouvoir ressaisir un privilège qui lui tenait tant à cœur. Pour en user sur le champ, il appela en triomphe deux des clercs de sa chapelle, le chancelier Roger, et un autre du même nom, son Iardier, larderarium suum. Au premier, il conféra par la
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tradition du bâton pastoral l'investiture de l'évêché de Salisbury ; au second, celle du siège épiscopal de Héréford, vacant par la translation régulière de Girard, l'un des ambassadeurs revenus de Rome, à l'archevêché d'York 1. » Un « lardier, » quelque pût être à la cour d'Angleterre le prestige attaché à cet office de cuisine, était assez mal choisi pour rehausser l'éclat des investitures royales. Du reste, le «lardier» transformé en évêque ne garda pas longtemps son titre ; il devait mourir avant d'avoir vu réaliser son rêve d'épiscopat. Son collègue et homonyme, le chancelier Roger, destiné à faire sous Henri I la même fortune que Rannulf sous Guillaume le Roux, était normand d'origine. Un jour que Henri Beau-Clerc, réfugié à la cour de Robert de Normandie, passait aux environs de Gaen, il entra dans une église et demanda au prêtre du lieu de lui dire la messe. Celui-ci expédia si lestement l'office divin, que les hommes d'armes de la suite du prince, émerveillés d'une telle prestesse, s'écrièrent : « Il nous faudrait un chapelain qui eût ce talent ! » Leur vœu fut exaucé. « Suivez-moi, » dit Henri au prêtre expéditif : et il le trouva si habile, si accommodant de tout point, qu'il lui confia l'intendance de ses affaires et l'administration de sa maison. Devenu roi, il en fit son conseiller intime, lui donna le titre de chancelier d'abord, et en dernier lieu, comme on vient de le voir, celui d'évêque. Un mot de Guillaume de Malmesbury complète le portrait religieux et moral de ce prêtre si expéditif à dire la messe. « Roger avait un neveu, qui portait le même nom que lui, dit le chroniqueur, ou plutôt, c'était, suivant l'opinion générale, plus que son neveu ! Il prétendait lui léguer en survivance la charge de grand chancelier d'Angleterre 2. »
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1 Eadmer, loc. cit., col. 437.
2 Willelm.
Malmesbur., Histor. Novell., 1. II; Pair. lat.,t. CLXXIX,
col. 1416. Cf. Itémusat, Saint Anselme de Cantorbéry, p.
307. L'Église a toujours flétri comme
uue irrévérence sacrilège les messes rapides qui plaisaient
tant aux hommes d'armes du jeune prince Henri. La théologie a fixé sur ce point des règles positives. Un prêtre qui « expédierait, » pour nous servir du terme que les mœurs militaires ont malheureusement introduit,
dans notre langage, une messe en un quart
d'heure, si bref que fût d’ailleurs l'office liturgique du jour, serait
difficilement excusé de péché mortel.
(Cf. Curs. Theolog. complétas, t. XXII, col.
1013.)
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48. Cependant les délégués d'Anselme, probablement les mêmes qui avaient fait partie de la précédente ambassade, étaient repartis pour Rome avec une lettre où le primat d'Angleterre suppliait le pape de lui faire connaître la vérité. « L'archevêque d'York et les deux évêques de Norwich et de Chester ses compagnons, disait-il, ont affirmé en assemblée solennelle, sur leur foi et leur honneur épiscopal, que malgré la teneur de vos lettres ostensibles, vous les aviez, dans un entretien secret, chargés de mander au roi que, si d'ailleurs ce prince se montrait scrupuleux observateur de la justice, vous ne lui interdiriez point l'usage des investitures. Ils ajoutaient que cette dispense exceptionnelle, accordée seulement de vive voix, n'avait été consignée dans aucun acte écrit, de peur que les autres princes d'Europe, s'autorisant de cet exemple, n'en prissent occasion de rétablir partout l'abus des investitures. Ils m'ont enjoint en votre nom d'avoir à conformer ma conduite à cette instruction secrète, qu'ils affirment par serment tenir de votre bouche. Entre le texte de vos lettres apostoliques et le témoignage contradictoire de ces trois évêques, mon embarras n'est pas médiocre. Le roi me menace d'un nouvel exil si je refuse d'appliquer la dispense verbale qu'on vous attiibue. Il recommence d'ailleurs ses investitures d'évêchés et d'abbayes, et il a soin de déclarer qu'il le fait en vertu de votre autorité suprême. Prosterné à vos pieds, très-saint père, dans le sentiment de la soumission la plus filiale, je vous conjure de mettre fin à mes perplexités en me faisant connaître votre volonté apostolique. Je ne crains ni l'exil, ni le dénuement, ni les tortures, ni la mort. Avec l'aide de Dieu, mon cœur est prêt à affronter tous les périls pour maintenir l'autorité du saint siège et la liberté de la sainte Église de Jésus-Christ. Il me suffira d'être renseigné d'une manière certaine sur vos intentions, afin de les exécuter ponctuellement. J'ai assisté au concile romain présidé par le seigneur Urbain II de vénérable mémoire ; j'ai entendu la sentence d'excommunication fulminée contre les rois, princes et seigneurs qui s'arrogent le droit de conférer les investitures ecclésiastiques, et contre tout clerc qui les recevrait de leurs
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mains. Si votre sainteté croit devoir suspendre pour l'Angleterre l'effet de cette excommunication, il me sera permis de rester dans ce royaume ; si au contraire elle veut le maintenir, j'aurai à pourvoir à ma sûreté. Mais daignez, je vous prie, par vos lettres apostoliques m'indiquer clairement votre décision. Je vous supplie également de me tracer la ligne de conduite à suivre par rapport aux sujets que, dans l'intervalle, le roi aura investis d'évêchés ou d'abbayes. Pour beaucoup d'autres détails de moindre importance, je conjure votre paternité de me transmettre verbalement ses ordres par l'entremise de ceux qui lui portent ma présente lettre 1. »
49. Le roi et les évêques courtisans se promettaient d'opposer de nouveaux subterfuges à la réponse catégorique que Pascal II, si indignement calomnié, ne manquerait pas de faire à cette lettre. Pour eux, le point capital était de gagner du temps. Anselme le savait : mais il n'entendait pas que cette trêve forcée prolongeât davantage l'impunité des abus exécrables, des criminels désordres introduits dans l'église d'Angleterre depuis la rupture avec le saint-siége. Henri I n'osa point se refuser officiellement au désir du primat de Gantorbéry, lorsque celui-ci, invoquant les lois canoniques dont la tyrannie de Guillaume le Roux avait entravé l'action, réclama la liberté des conciles nationaux et provinciaux, telle qu'elle avait existé sous le règne du Conquérant. Profitant de la présence des évêques réunis à Londres, Anselme ouvrit dans l'église Saint-Pierre 2 le premier concile national qui eût été tenu depuis le vénérable Lanfranc d'illustre mémoire. « A ses côtés siégèrent, dit le chroniqueur, Girard archevêque d'York, Maurice évêque de Londres, Robert Bloët de Lincoln, Samson de Worcester, Robert de Chester, Jean de Bath, Herbert de Norwich, Ralph ou Radulf de Chichester, Gondulf de Rochester, Hervé de Bangor, Guillaume Gifford
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1 S. Anaelm. Cantuar., Epist. lxxiii, 1. III; Pair, lat., t. CLIX, col. 111.
2 In ecclesia beati Pétri, in occidentali parte juxta Londoniam sita. Cetteéglise de Saint-Pierre, à l'ouest de Londres, n'est autre que la chapelle de Westminster.
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jadis doyen du chapitre de Rouen et qui venait d'être élu malgré sa résistance au siège de Winchester, les deux Roger, l'un de Salisbury, l'autre de Héréford, récemment investis par l'autorité royale. Osbern évêque d'Exéter, retenu dans son diocèse par la maladie, ne put se rendre au synode. Les questions disciplinaires qui furent traitées au concile étaient d'une si grande importance pour la restauration religieuse de l'Angleterre, qu'Anselme voulut en écrire de sa main le procès-verbal 1. » Voici ce document: « L'an de l'incarnation du Seigneur 1102 (29 septembre), la quatrième année du pontificat suprême de Pascal II, la troisième depuis l'avènement de Henri glorieux roi d'Angleterre, du consentement de ce monarque, un concile fut célébré dans l'église du bienheureux Pierre à Westminster , avec l'assentiment unanime des évêques, abbés et princes de tout le royaume. Anselme archevêque de Cantorbéry et primat de la Grande-Bretagne le présida, entouré des vénérables Girard archevêque d'York, Maurice évêque de Londres, Guillaume élu de Winchester et d'un grand nombre d'autres évêques et abbés. Sur la requête adressée au roi par Anselme, les princes et seigneurs laïques assistèrent à cette assemblée, afin que les décisions qui y seraient prises fussent revêtues de la double sanction de l'autorité spirituelle et du pouvoir civil. Cette mesure était d'autant plus nécessaire que depuis plus longtemps l'interruption des synodes avait laissé le champ libre à tous les abus et éteint la ferveur de l'esprit religieux en Angleterre 2. En premier lieu, les décrets des saints pères contre la funeste subreption de l'hérésie simoniaque furent promulgués et confirmés. On déposa ensuite plusieurs titulaires coupables de simonie, savoir Guy abbé de Pershore au diocèse de Winchester, Wimond abbé de Tavestoch dans le Devonshire, Ealdwin abbé
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1. Eadmer, Hist. Novor., 1. III; Pair, lat., t. CLIX, col. 437. Cf. Kémusat, Saint Anselme de Cantorbéry, p. 317.
2 Depuis les derniers conciles nationaux tenus par Lanfrane, dont les plus célèbres sont ceux de Londres et de Winchester, en 1075 et 1076, la Grande-Bretagne n'avait pas vu de ces solennelles assemblées.
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de Ramsey dans le comté de Hantingdon. D'autres récemment élus, mais qui n'avaient point encore reçu la consécration abbatiale, tels que Godric de Petersbury dans le Northampton, Haimo de Cernel dans le Somerset, Égelric de Middleton dans le comté de Dorset, virent leur élection annulée. Ils durent quitter les monastères dont ils s'étaient déjà mis en possession. — Pour des motifs non moins graves, mais étrangers à l'inculpation de simonie, Richard abbé d'Ely au comté de Cambridge et Robert abbé d'Edmondsbury dans le comté de Suffolck furent également déposés1. — On défendit aux évêques de se constituer une cour pareille à celle des seigneurs séculiers, soit pour juger les procès civils, soit pour prendre part aux expéditions militaires. Ils devaient, conformément aux règles canoniques, avoir toujours près d'eux d'honnêtes et religieuses personnes qui pussent rendre témoignage de la régularité de leur conduite. — Il fut interdit d'affermer les titres d'archidiacres. Les titulaires qui en seront revêtus devront réellement être promus à l'ordre hiérarchique du diaconat. — Le célibat ecclésiastique sera rigoureusement observé par tous les clercs depuis leur ordination au sous-diaconat. — Défense aux fidèles d'entendre la messe des clérogames. — Les enfants d'un prêtre marié n'hériteront pas des biens de provenance ecclésiastique laissés par leur père. — Les clercs ne pourront être employés par aucun laïque ni comme intendants, ni comme procureurs, ni comme juges en matière criminelle. — Tout prêtre qui fréquenterait les tavernes et les popinae (cabarets) sera interdit. — Les clercs porteront le costume de leur ordre ainsi que la tonsure, sous peine de déposition. — Les moines et clercs qui
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1 L'un et l'autre devaient leur promotion non point à une élection simoniaque mais à la volonté prépondérante du roi. Richard, ancien élève de saint Anselme à l'abbaye du Bec, était par son origine allié à la famille ducale de Normandie, devenue royale depuis la conquête de l'Angleterre. Cette parenté lui avait valu le tout-puissant patronage de Henri Beau-Clerc. Robert était fils du comte Hugues le Loup, qui avait depuis plusieurs années essayé sans succès de s'établir de force au monastère de Saint-Edmond. « Ces abbés de haut lignage, dit M. de Rémusat, étaient naturellement favorables aux prétentions toutes féodales de l'autorité temporelle. » (Saint Anselme de Cantorbéry, p. 318.)
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auraient profité du désordre général pour abandonner leur couvent ou leur église et qui refuseraient d'y rentrer, seront frappés d'excommunication. — Les dîmes ne peuvent être perçues que par les églises. (C'était une mesure prise contre la rapacité des princes et des seigneurs qui, à l'exemple de Guillaume le Roux, s'étaient partout mis en possession des dîmes ecclésiastiques.) — Les églises ni les prébendes ne peuvent se vendre ni s'acheter. (Presque tous les titulaires des bénéfices ecclésiastiques de second ordre en faisaient publiquement trafic, ainsi que le font encore les bénéficiers protestants de l'église anglicane.) — Aucune nouvelle chapelle ne pourra être érigée sans le consentement de l'évêque diocésain. — Aucune église ne devra être consacrée avant qu'il ait été pourvu à son entretien, et à l'existence du prêtre chargé d'y célébrer les divins offices, — Les abbés ne prêteront plus en personne le service militaire; ils demeureront sous le même toit que les moines et mangeront au réfectoire commun, à moins d'empêchement grave 1. — Les religieux ne pourront administrer le sacrement de pénitence sans une autorisation écrite de leur abbé, et l'abbé ne pourra la leur accorder qu'à l'égard des fidèles dont il a charge d'âme. — Les religieux et religieuses ne pourront être parrains ni marraines. — Les moines ne pourront tenir une ferme à bail. — Ils ne devront accepter d'aucun laïque la juridiction sur un titre paroissial. Dans les paroisses qui leur ont été antérieurement concédées, ils laisse-
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1 Ne abbates faciant milites, et ut in eadem domo cum monachis suis man-ducent et dormiant, nisi necessitate aliqua prohibente. Les commentateurs anglais, et en particulier le fameux jurisconsulte anglican Selden (1584-1664) dans ses notes historiques sur l’Historia Novorum d'Eadmer, ont cru devoir interpréter la première partie de ce canou dans le sens que le concile interdisait aux abbés de conférer l'ordre de la chevalerie. Leur dessein, en donnant cette traduction qui n'a aucune espèce de rapport avec le contexte, était de dissimuler ce qu'ils considéraient, de la part du synode de Londres comme un attentat à la puissance royale. On sait en effet que, d'après la théorie anglicane, la couronne seule a droit de prononcer en dernier ressort dans les questions de dogme et de discipline. Selden voulait donc établir un précédent d'après lequel l'autorité royale devait être seule compétente soit pour exiger des abbés le service militaire personnel, soit pour les en dispenser, si elle le jugeait à propos.
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ront une part de revenus suffisante pour entretenir convenablement les prêtres qui y exercent le saint ministère. » Quelques autres prescriptions touchaient au luxe efféminé dont nous avons plusieurs fois fait mention ; au respect du sacrement de mariage ; aux règles à observer pour les empêchements de consanguinité; à la fixation du droit curial dans chaque paroisse. Deux autres canons accusent la persistance en Angleterre des superstitions idolâtriques, du culte d'Odin, de la pratique païenne de l'esclavage. « Que nul n'ait la sacrilège audace de rendre un culte quelconque aux ossements des morts, aux fontaines, aux arbres, ou à tout autre objet de ce genre. L'autorité épiscopale seule détermine les honneurs à rendre aux reliques des saints et les pèlerinages à faire en leur honneur. » — « Que nul n'ose renouveler le trafic infâme perpétué jusqu'à nos jours, qui consiste à vendre les hommes comme des bêtes brutes. » Voilà donc ce qu'avaient fait de la noble Angleterre le schisme insensé de Guillaume le Roux, l'alliance avec l'antipape Wibert de Ravenne, le maintien de l'abus fiscal des investitures! Mais ce n'est pas tout encore. Et ici nous regrettons d'avoir à traduire le latin de saint Anselme, avec la crainte de ne pouvoir ni exprimer ni déguiser suffisamment dans notre idiome de telles horreurs. Voici le dernier canon promulgué au concile national de Westminster : « Tous ceux qui se rendent coupables du crime de Sodome, tous ceux qui prêtent leur concours à la perpétration de cet attentat innommable, sont frappés par le présent concile d'un anathème dont ils ne pourront être absous en ce monde qu'après une confession sincère et une pénitence suffisante. Tout clerc ou religieux publiquement noté de cette tache d'infamie sera déposé de son ordre. Jamais il ne pourra être promu à un rang supérieur dans la hiérarchie sacrée. Un laïque convaincu de ce forfait perdra ses dignités, son rang, son statut légal, dans toute l ‘étendue du royaume. Et comme il se pourrait trouver, hélas ! dans l'ordre sacerdotal lui-même, des complices prêts à absoudre chez les autres un crime qu'ils ne rougissent pas de commettre, l'absolution en pareil cas
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est réservée exclusivement à l'évêque diocésain. » Lamentable constatation d'une immoralité qui n'eut peut-être jamais d'égale dans l'histoire ! Et cependant telle était l'effroyable universalité du mal, qu'après la fulmination de cet anathème, les pères du concile de Londres ajoutèrent la clause suivante : « Chaque dimanche, dans toutes les églises d'Angleterre, notre sentence d'excommunication sera publiquement lue au prône de la messe paroissiale 1. »
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1. Eadmer, Hislor. Novor., 1. III; Patr.
fat., t.
CLIX, col. 437439. — Labbe, Concil., t. X, col. 728-731. M. de
Rémusat, dont les conceptions théologiques
ne s'élevaient pas assez haut pour comprendre que l'Eglise fondée par Jésus-Christ ne peut recevoir ses évêques de la main de César, trouve les
investitures
fort légitimes. Il les assimile au système concordataire, en vertu duquel les gouvernements actuels présentent au saint-siége les futurs évêques. « En France depuis un long temps, dit-il, le roi nomme les évêques, et le pape les
confirme par une pure délégation spirituelle qu'il ne refuserait qu'au sujet indigne. Il institue, dit-on, les évêques; en fait, il les accepte librement,
il ne
les choisit pas. Ces exemples et d'autres analogues des pays catholiques, prouvent assez que, par une irrésistible nécessité, difficile à justifier en
pure théorie, le pouvoir civil intervient dans le pouvoir spirituel. C'est que
l'Eglise
est ailleurs que dans le royaume qui n'est pas de ce monde. » (Rémusat, Saint Anselme de Cantorbéry, p. 278.) Le savant académicien ne se
doutait pas qu'il y a autant d'erreurs que de mots dans ces quelques lignes dont s'applaudissait
sans doute son génie administratif. Les investitures étaient à ses yeux aussi légitimes que nécessaires ; elles constituaient le plus beau fleuron
d'une couronne royale. Son étonnement ne fut sans doute pas médiocre en constatant, par les actes authentiques du concile de Westminster, le résultat moral du système des investitures, tyranniquement pratiqué par Guillaume
le Roux et obstinément maintenu par Henri I. En historien impartial,
il aurait dû, malgré ses répugnances personnelles, faire connaître les décisions de cette assemblée. Il n'en eut pas le courage. De tous les décrets du concile de Westminster, il en choisit un, un seul, sur lequel il insiste avec complaisance.
Son choix, qu'il croyait fort spirituellement ironique, tombe sur un canon
proscrivant une certaine coupe de cheveux, mise à la mode par ceux qu'on
appelait alors « les efféminés, » contre lesquels Anselme avait déjà eu l'occasion de s'élever dans ses prédications à la cour de Guillaume
le Roux. (Cf. t. XXIII de cette Histoire,
p. 221.) Voici le texte de ce canon : « Ceux qui portent les cheveux longs
devront les disposer de telle sorte qu'ils laissent les yeux et les oreilles à
découvert : » Ut criniti sic tondeantur ut pars aurium appareat, et oculi
non leguntur. Il ne faut pas être grand clerc pour deviner l'intérêt personnel que pouvaient avoir les jeunes débauchés,
dont le concile flétrit d'ailleurs énergiquement les infamies, à se faire de
leur chevelure un masque sous lequel il fût impossible de les reconnaître.