Socin 1

Darras tome 33 p. 536


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§. VII. LE SOCINIANISME ET LA FRANC-MAÇONNERIE.


128. Hérésie est un mot français qui, d'après son étymologie grecque, signifie choix, élection. Choisir en soi est une bonne chose, pourvu qu'on en ait le droit et que, dans l'exercice de son droit, on ait le discernement nécessaire ; mais, en matière religieuse et ecclé­siastique, on n'a ni ce discernement, ni ce droit, parce qu'on est su­jet et sujet déchu. L'hérétique est donc coupable, parce qu'il pré­fère suivre sa propre idée, son sentiment personnel plutôt que d'écouter l'enseignement de Jésus-Christ et de son Église ; il est en­core plus coupable, s'il s'obstine dans l'erreur. La raison est im­puissante à trouver et à imposer la vraie religion; fut-elle suffisante pour une si grande entreprise, elle serait dépossédée, parce que Dieu, notre souverain maître, nous a instruits par une série d'actes gravés dans les fastes de l'histoire. II suit de là qu'en religion, l'homme n'a pas à choisir entre son idée propre et l'enseignement divin : il doit écouter la parole de Dieu, croire ce que Dieu dit, sans se permettre de choisir, dans cet enseignement, certains dogmes et de rejeter les autres : choisir de cette manière, c'est pré­cisément se rendre coupable d'hérésie. Cela se comprend par cette raison que, dans la religion, ce qui est la chose principale c'est l'autorité de Dieu qui enseigne : les vérités qui composent cet en­seignement ne sont que la chose secondaire. C'est pourquoi l'auto­rité de Dieu doit être respectée dans tout ce qu'elle nous ordonne de croire et de pratiquer, et prétendre qu'on a le droit de faire son choix sur un ou plusieurs points fondamentaux pour s'en tenir à son opinion personnelle, c'est renverser l'autorité de Dieu tout en­tière. Car c'est supposer qu'il se trompe sur les points rejetés ; or, si Dieu peut se tromper en quelque chose, il peut se tromper par­tout, il n'est pas l'infaillible vérité : il n'est par conséquent pas Dieu. Le vrai chrétien est donc celui qui s'attache à l'Église ensei­gnante, et qui ajoute foi à sa parole à cause de l'autorité divine dont Jésus-Christ l'a revêtue. D'où il suit qu'on peut être hérétique

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de deux manières : d'abord en refusant d'adhérer à Jésus-Christ lui-même, comme Fils de Dieu, ainsi que l'ont fait les Juifs  et les païens, puis en refusant de se soumettre à son enseignement, tel que l'Église catholique nous le communique en nous commandant d'y croire : c'est ainsi que parle Saint Thomas d'Aquin. On a donné le nom de Sectaires et d'Hérétiques à ceux qui suivent des opinions contraires à l'enseignement de Jésus-Christ et de l'Eglise. Les sec­taires sont donc ceux qui s'attachent, en matière de religion, à des opinions personnelles. Ni Jésus-Christ, ni son Église n'enseignent des opinions mais des dogmes et des vérités qu'il faut croire. Que les philosophes se contentent d'avoir des opinions sur les questions livrées à leurs disputes, nous le comprenons facilement, sachant la faiblesse naturelle de la raison humaine, mais  que l'on ne s'avise pas de parler d'opinion quand il s'agit de religion. Dieu ne nous a pas  envoyé son Fils pour disserter à la  façon des philosophes : Jésus a enseigné tanquam potestatem habens, comme ayant une au­torité suprême, devant laquelle nous nous inclinons. C'est pourquoi nous avons des croyances religieuses, des convictions religieuses, et nous laissons les opinions religieuses aux hérétiques et aux sectaires, avec leur faux dogme de la liberté de conscience. Il ne suffit point toutefois, pour être hérétique, de suivre une opinion personnelle ou d'entrer dans une secte ; il faut, pour cela, savoir qu'on est dans une erreur condamnée par l'Église et vouloir y rester. « Sont héré­tiques, dit saint Augustin, ceux  qui  professant  dans l'Église de Jésus-Christ des opinions dangereuses et dépravées, puis ayant été avertis de la saine et véritable doctrine, résistent opiniâtrement, gardent leurs dogmes empoisonnés et mortels, refusent d'en ôter l'erreur et persistent à les défendre. » Comme la foi est la vie  du juste et que ces esprits opiniâtres la rejettent loin d'eux, il s'ensuit que ces révoltés se donnent à eux-mêmes la mort et se suicident moralement. L'Église alors intervient, examine, juge et déclare que ce chrétien a cessé de vivre de la vie de Jésus-Christ, que ce n'est plus qu'un cadavre, ou, si l'on veut, un rameau qui s'est de lui-même détaché violemment de la vigne céleste, et que déjà, comme le figuier de la colline des Olives, aruit, il s'est desséché. »

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129. Saint Paul, dans son Epitre aux Galates dit : « Les hérésies appartiennent aux œuvres de la chair, » non pas quant à l'acte même d'infidélité à Jésus-Christ ou à son enseignement, pris dans son objet immédiat, mais sous le rapport de la cause qui est, ou le désir illégitime, provoqué par l'orgueil ou par la cupidité, ou une illusion de l'imagination, principe d'erreur souvent lié aux organes corporels : ainsi parle saint Thomas d'Aquin. « L'homme n'est ni ange, ni bête, dit Pascal, et qui prétend être ange, devient bête. » Cette doctrine, parfaitement expliquée par la philosophie, a pour elle l'expérience des siècles : toujours les hérétiques ont été des hommes esclaves de leurs passions. Qui fut plus orgueilleux qu'Arius, plus hypocrite que Nestorius. plus obstiné dans ses rêveries qu'Eutychés, plus astucieux que Pélage, plus scandaleux que Lu­ther, plus cruel que Calvin, plus voluptueux qu'Henri VIII, plus cu­pide que tous ces princes allemands du XVIe siècle. Les hérésies ont donc, pour auteur, soit un apostat orgueilleux de l'Orient, soit un apostat voluptueux de l'Occident. Telle est la source commune des hérésies ; leur mobile, c'est la haine. Dans sa Somme théolo­gique, saint Thomas pose cette question: «Peut-on haïr la vérité?» et il répond en disant : « On ne peut haïr la vérité en général, mais on peut haïr telle ou telle vérité particulière, comme contraire à ce que l'on aime... C'est ainsi qu'on hait la vérité, quand on voudrait que ce qui est vrai ne le fut pas ; ou bien quand la vérité est dans notre intelligence et qu'elle nous empêche de poursuivre l'objet de nos vœux. Ainsi les méchants voudraient ne pas connaître les véri­tés de la foi pour pécher librement et c'est en ce sens qu'ils disent au Seigneur : « Nous ne voulons point de la connaissance de vos voies. » Or, la haine, stérile de sa nature, est ennemie de Dieu et de ses œuvres. Ne pouvant détruire Dieu qu'elle essaie cependant de faire oublier, elle travaille sans cesse à traverser le plan de Dieu, à rendre inutiles ses bienfaits infinis, à tourner en dérision sa loi, finalement, à perdre les âmes rachetées au prix du sang de Jésus-Christ. Cette considération résume les faits et gestes de toutes les hérésies, plus cruelles que tous les fléaux qui désolent la terre. Aussi nos pères combattaient l'erreur religieuse  et l'arrêtaient au

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seuil de leur maison ou aux frontières de la patrie. Corrompre la foi, qui est la vie des âmes, était, à leurs yeux, un crime plus grand qu'altérer la monnaie, instrument des échanges, base de la vie ma­térielle.


130. La succession des hérésies s'est effectuée selon un certain ordre logique, trop évident pour n'être pas accepté comme une des grandes lois de l'histoire. Les premières hérésies s'acharnent à dé­figurer le fait même de l'établissement du Christianisme. Les judaïsants veulent le faire rétrograder dans les ombres du mosaïsme ; les gnostiques s'ingénient à l'attirer dans les impuretés du paganisme ; les néoplatoniciens s'appliquent à l'exploiter au profit de leur phi­losophie. Les questions de fait engagent bientôt les questions de principes. Les antitrinitaires, les sabelliens et les patripassionnistes inaugurent les hérésies dogmatiques, et, pour sauver l'unité de Dieu, nient la Trinité. Arius et Pélage détruisent l'Incarnation du Verbe, l'un en niant la divinité du Christ, l'autre en affirmant que la nature humaine se suffit sans la grâce. Nestorius, Eutychès, les monophystes et les monothélistes ne s'en prennent plus à l'exis­tence du Christ, mais aux rapports naturels et aux opérations réci­proques des deux natures dans la personne du Sauveur. Montan, Macédonius et Photius s'attaquent à la divinité du Saint-Esprit, à la procession du Fils et à son mode d'opération dans les âmes. Roscelin oppose à l'hérésie antitrinitaire l'hérésie trithéiste. Béranger anéantit le corps sacramentel de Jésus-Christ. Wiclef et Jean Hus préparent la révolte protestante. A dater du seizième siècle, le libre examen, proclamé par Luther, réduit la religion à une ques­tion individuelle et nie le corps mystique de Jésus-Christ, l'Eglise. Deux siècles plus tard, le philosophisme, né du libre examen, ajoute à la négation de l'Eglise, la négation sommaire de l'ordre surnaturel et l'anéantissement de toute religion positive. De nos jours, par la tendance funeste qui incline toujours le mal à s'aggra­ver, ces négations faisant la nuit dans les régions de la pensée, il naît de ces ténèbres les monstres de doctrines qui passent, à l'heure présente, comme des visions sinistres. Phénomène singulier et pourtant réel ! A chaque hérésie qui lève la tête, l'Eglise écrase de

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son pied le reptile. Cependant bien que toutes les hérésies soient confondues, souvent même radicalement détruites, l’empire de la
négation ne fait que s'agrandir,
et un temps vient où ce ne sont plus des erreurs de détail qui s'opposent à des vérités particulières, mais une grande conspiration d'erreurs ameutées qui veulent étouffer toute vérité. — Nous en sommes là. — Des apologistes dont nous n'entendons point contester le mérite, ni diminuer les services, ont présenté, sur l'enchainement logique des hérésies, de savantes con­sidérations. Les uns prétendent qu'analysées dans leurs principes
philosophiques, elles dérivent toutes du panthéisme ; les autres en­seignent que, réduites à leur application finale, elles aboutissent toutes au socialisme. Ces considérations, prises dans leur généra­lité, sont vraies, en ce sens que l'erreur implique l'erreur, comme l'abîme invoque l'abîme : une doctrine fausse, résolument profes­sée, implique nécessairement la solidarité de plus faux principes et des plus monstrueuses conséquences. Mais si l'on veut entendre que le principe immédiat de toute hérésie est le panthéisme et que le socialisme ne tarde pas à sortir de cette genèse philosophique, cette opinion n'est pas en logique, d'une rigueur absolue et dépend, dans l'application, des circonstances. Nous dirions plus volontiers que toute hérésie s'attache à défigurer d'abord, ensuite à nier Jésus-Christ. Par conséquent, elle doit arriver, en dernier résultat, à nier l'ordre surnaturel dont Jésus-Christ est le foyer vivant ; à attaquer, à nier l'Eglise, qui est, dans le monde, l'Incarnation continue du
Sauveur des hommes ; et, après de longs circuits, elle doit se ré­soudre en nihilisme.

   131. Il est remarquable toutefois que la révolte de Luther alla de prime abord à toutes ses conséquences les plus extrêmes et à tous les pus vils excès. L'esprit humain a besoin de la religion pour guide, et de l'Eglise pour garde-fou ; s'il écarte l'Eglise, pour cher­cher la religion en lui-même, il se peut faire que, par timidité, il s'arrête à mi-chemin de la négation ; mais s'il pousse à fond il ne trouve rien dans la raison, qu'une puissance destructive et va, du premier saut, par enjambement, au fond des abîmes. Luther avait bouleversé les règlements disciplinaires, rejeté les rites, brisé les

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traditions ; il conservait toutefois, un certain nombre de dogmes, la hiérarchie, ainsi que le principe fondamental de l'autorité, mais sous le joug du pouvoir temporel. Du moment ou il avait rejeté le Pape, répudié la communion spirituelle, proscrit l'excommunica­tion, il ne pouvait plus maintenir que par l'épée cette unité de foi qu'il venait de rompre ; mais s'il ne réussit que trop à ébranler la hiérarchie ecclésiastique, ses disciples laissèrent croire à la possi­bilité d'accommodement, et plus d'une fois on put espérer une ré­conciliation. Calvin tint peu aux symboliques et aux constitutions offi­cielles ; il se lança dans une critique plus radicale et nia sans détour l'Eglise sous toutes ses formes ; il n'exalta que l'individu autonome, de façon à creuser un abîme entre la divinité et ses adorateurs. Cepen­dant, comme ses prédécesseurs, il con- serva certains dogmes et soutint la divinité de Jésus-Christ ; la Bible en tant que révélation, paraissait encore le port du salut contre les doutes de l'intelligence et les tempêtes du cœur. Ce furent les Italiens qui couronnèrent la dou­ble dissolution de la discipline et de la hiérarchie, en répudiant toutes les vérités fondamentales de la religion. Au nom de la rai­son souveraine, ils s'attaquèrent à l'idée même, à l'antropologie chré­tienne, pour y substituer le nominalisme et le sensualisme, mas­qués de rationalisme, qui n'étaient tempérés que par ces rudiments ou simulacres imaginaires que les doctes païens avaient sauvé du naufrage des vérités primitives. N'allez pas croire que ces radi­caux fussent des gens d'Eglise, des hérétiques plus hardis que les autres ; c'étaient, au contraire, des jurisconsultes et des médecins qui ne trouvant pas dans la Bible le dogme de la Trinité, le répu­dièrent à la manière des antiques Ariens, en niant la divinité du Christ, la consubstantialité du Verbe et autres croyances qu'ils at­tribuaient au génie inventif des sophistes grecs. Quel besoin avait Dieu de faire tant de circuits pour nous sauver? Il suffisait d'un acte de volonté et nos péchés étaient remis. Quant à notre instruc­tion, il suffisait des doctrines et des exemples d'un homme rempli de l'Esprit Saint, sans qu'il fut Dieu. Le Christ est celui qui éleva l'humanité au maximum du progrès religieux.


132. Au lendemain de la révolte de Luther, Munzer et les Ana-

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baptistes avaient poussé le  principe du libre examen, jusqu'à la proclamation de l'anarchie et à l'application du communisme. Par ce côté, la pseudo-réforme préludait, de loin, à toutes les théories de liquidation sociale, qui, maintenues longtemps dans les hautes sphères de l'abstraction, viennent de nos jours au renversement de tous les droits. D'un autre côté, cette même réforme, au lieu de se tenir aux symboliques de Genève et de Wittemberg, prenait, si j'ose ainsi dire, le ciel d'assaut  et faisait tout tomber sous ses coups. La Trinité est le dogme  fondamental du Christianisme. A Genève, Servet avait payé de sa vie la négation de ce dogme fon­damental, Servet n'eut pas de disciples, mais trouva des imitateurs. Peut-être Ochin et  d'autres  réformés, probablement aussi la so­ciété secrète de Vicence, doutaient-ils de ce dogme. A cette société appartenait Valentin Gentilis,  de Cozenza,  qui, pour suivre les doctrines nouvelles, s'était expatrié. Valentin qui avait enseigné à Genève, s'exprimait ainsi dans un livre dédié au roi de Pologne : «Trinité est un mot que vous ne lirez jamais dans la sainte Ecri­ture ou dans les Symboles catholiques (erreur grossière), pas plus que ces expressions tout à fait humaines : Personne, substance, hypostase. Il y a un Dieu seul et   unique ; lui seul est Dieu ; c'est lui qui répand dans le Christ sa propre divinité ; Christ est son image; c'est le symbole de la gloire du Père ; il est Dieu, mais non par lui-même ; il en est ainsi de l'Esprit-Saint, qui est la puissance divine mise en action. Père, Fils, Esprit-Saint sont distincts de personne, d'essence et de degré. Calvin adore une quaternité au lieu d'une trinité, car il enseigna que, l'hypostase étant une fois écartée, il reste toujours la divinité, et  que  chaque personne est vraiment Dieu : d'où, il suit qu'il y a quatre dieux 1. » Comme cette prétendue con­tradiction de la trinité avec l'unité, devenue la base de la dogmati­que de Mahomet embarrasse les esprits simples, nous dirons que Dieu n'est pas une abstraction, une généralisation, une  théorie de l'esprit humain ou une formule d'algèbre ;  c'est le Dieu vivant et véritable, qui existe par lui-même, avec lui-même ; un être infini,

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1 Gabarel,   Calvin à  Genève, p. 232 : —  Ladebchi,   Ba^onii  Continuatio, p. 202.

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éternel, indépendant et autonome ; vivre pour lui, c'est se compren­dre, c'est s'aimer, c'est opérer ad intra ; vivre éternellement, c'est éternellement se comprendre, s'aimer et agir. Par la compréhen­sion de lui-même, Dieu engendre son Verbe, et de l'amour qu'il a pour son Verbe procède le Saint-Esprit ; trois personnes en un seul Dieu. Ces trois rapports sont indispensables pour concevoir l'unité comme Dieu vivant et véritable, partant, la conception fondamen­tale du Dieu en trois personnes est essentielle à l'idée du Dieu un. Calvin poursuivit de ses invectives Valentin Gentilis, comme un homme ignare qui vous présente à boire l'eau trouble qu'il a puisée à la citerne bourbeuse de Servet et qui veut persuader à ceux qui ont le goût corrompu, que c'est une liqueur douce et un breu­vage salutaire. Néanmoins l'antitrinitarisme se répandit en Suisse et chez les Grisons, et Lyon avait des poètes qui exposaient en vers les doctrines de Valentin. Aussi, pour éviter qu'au moins à Genève l'uniformité ne fut compromise, Calvin rédigea un formu­laire que les membres de l'Eglise italienne établie dans cette ville devaient s'engager par serment à jurer, formulaire qui contenait la définition la plus orthodoxe de ce mystère et la promesse de ne pas l'attaquer ni directement ni indirectement. Cinq italiens y ap­posèrent leur signature, sept refusèrent d'y adhérer; parmi eux, André Ossellani, Marc Pizzi et Valentin, qui pourtant n'était pas disposé à mourir comme Servet, finit plus tard par l'admettre, ce qui ne l'empêcha pas peu après d'enseigner ses doctrines fantaisis­tes, et de dire : « Je confesse que le Dieu d'Israël, que les saintes Ecritures nous proposent comme le seul vrai Dieu, et, qui selon de vains sophistes, n'a pu avoir un fils, est le père de Notre-Seigneur Jésus-Christ ; je reconnais que ce même Jésus-Christ, envoyé par lui, en tant qu'il est le Verbe, est le vrai et naturel fils du Dieu saint, le père tout-puissant. » Calvin fit jeter Valentin en prison comme parjure et hérétique, celui-ci pendant ce temps priait Dieu d'éclairer ses juges et composait des apologies, ce qui n'empêchait pas Calvin de lui adresser le reproche suivant: « Ton dernier écrit nous a clairement démontré que tu as l'esprit dépravé, rem­pli d'un orgueil insupportable et d'une nature venimeuse, qu'enfin

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tu es un hérétique obstiné. Répète tant que tu voudras que tu re­connais Christ pour vrai Dieu : si son père seul est Dieu, il est le Dieu d'Israël, et alors tu le rejettes ouvertement du lieu où tu pla­ces le Père seul. » Valentin fit cette rétractation complète, cepen­dant, voici les termes de la sentence rendue contre lui par ses ju­ges : « La malice et la méchanceté que tu as déployées t'ont mérité d'être exterminé d'entre les humains comme séducteur, hérétique et schismatique ; cependant, comme tu es venu à récipiscence, nous te condamnons à venir en chemise, pieds nus, tête découverte, un petit cierge à la main, t'agenouiller devant nous pour nous deman­der pardon à nous et à la justice ; pour maudire tes écrits, et nous t'ordonnons de les jeter au feu de ta propre main, comme remplis de mensonges pernicieux. » Le 2 septembre 1558, Valentin parcou­rut en cet accoutrement le carrefour, faisant amende honorable, et jura qu'il ne sortirait pas de la ville ; mais, dès qu'il le put, il s'enfuit en Savoie près du médecin, Mathieu Gribaldi, où allèrent le rejoindre Paul Alciat et Biandrata. A peine avait-il passé la frontière que la vérité lui apparut encore sous la forme d'une étincelle et lui révéla que le seul père de la parole était le Dieu d'Israël. Le bailli de Gex l'ayant obligé à faire une profession de sa foi, il feignit de considé­rer cette obligation comme un ordre exprès et le fit imprimer avec une dédicace au bailli, qui pour cela devint suspect. Valentin alla prêcher ses doctrines en France et en Pologne, d'où il sortit pour se retirer en Moravie et à Vienne, lorsque Charles IX, en 1566, bannit les professeurs de nouvelles doctrines. Calvin, son grand adversaire, étant venu à mourir, il crut pouvoir retourner impuné­ment en Suisse, mais, poursuivi comme ayant rompu son ban, il fut arrêté le 11 juin 1566, et, après un procès en règle, décapité à Berne. En marchant au supplice, on l'entendit prononcer ces paro­les : « Les autres ont donné leur sang pour le Fils; moi, je suis le premier qui aurai l'honneur de le verser pour la suprême gloire du Père1. »


   133. Ainsi, après la révolte de Luther, les premiers négateurs de

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1 Caktu, Les hérétiques d'Italie, t. III, p. 3S3.

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la Trinité sont Munzer, Menno et plusieurs autres anabaptistes ; ensuite Louis Hetzer, Jean Cumpanus, un certain Claudius soutien-­
nent la même négation ; un peu plus tard Servet : plus tard encore et avec plus d'éclat, les conspirateurs de Vicence, notamment
Ochin et Gentilis. Nous citerons encore Alciat, Gribaldi et Pacio de Vicence. Jean-Paul Alciat de Milan, qui mourut à Dantzick, écri­vait deux lettres à Grégoire Paoli, pour défendre la doctrine uni­taire. Ces lettres lui ont valu de la part de Brèze, la qualification « d'homme en délire, d'homme vertigineux ; » et de la part de Cal­vin, celle « d'esprit non seulement stupide et insensé, mais frénéti­que jusqu’à la rage. » L'abbé Léonard, Nicolas Paruta, Jules de Trévise, François de Rovigo, Jacques de Chiari et François Negri appartiennent à la même école. Alciat, Ochin et Biandrata furent au nombre des dix-sept théologiens que le waivode Radzivil employa en 1563 à la traduction de la Bible. Mathieu Gribaldi, surnommé Moffa de Chiéri, célèbre juriste professa en France et en Espagne; appelé plus tard à Padoue en 1548, il y acquit une telle renommée que la salle ne suffisait pas à contenir ses auditeurs. A grand’peine, il dissimulait ses opinions favorables aux novateurs ; aussi le soupçonna-t-on d'être l'auteur du livre imprimé à Bâle en 1550, livre où était raconté la mort de l'hérétique Spiera : il prit la fuite. Ses an­ciens élèves le présentèrent à Calvin; celui-ci le croyant infesté de l'hérésie unitaire, pour laquelle il faisait alors poursuivre Servet, refusa de le recevoir et refusa encore plus d'avoir avec lui le colloque d'u­sage, dans la crainte qu'il ne parlât en faveur des doctrines incri­minées. Après le supplice de Servet, Calvin appela Gribaldi à une conférence, à laquelle celui-ci se rendit, mais l'intolérant hérésiarque ayant refusé de lui tendre la main et voulant le forcer à faire une profession de foi, l'invité crut prudent de se réfugier à Tubin-
gue, ensuite à Berne ; poursuivi dans cette ville par Calvin, comme antitrinitaire, il eut beau se rétracter, il dut quitter la ville. L'allégation qu'il serait, avant sa mort, revenu au catholicisme, paraît sans fondement. Il eut pour disciple le chevalier Jules Pacio de Vi­cence, un petit prodige d'érudition. S'étant enfui à Genève avec d'autres compatriotes, il épousa une jeune personne de l'émigra-
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tion lucquoise, il tint ensuite une chaire de droit à Sedan, à Nîmes et à Heidelberg ; les universités de France et d'Italie se le disputaient à l'envi, à cause de ses ouvrages de philosophie et de droit. A Montpellier, il eut pour disciple le fameux Peiresc, qui fit beaucoup d'efforts pour le ramener au catholicisme, en même temps qu'il lui obtenait une chaire bien rétribuée. Au bout de plu­sieurs années il abjura de fait : il alla alors enseigner le droit civil à Padoue, puis obtint de retourner à Valence, où il mourut. Il nous a laissé dans une élégie latine l'abrégé de sa vie. Au nombre des partisans les plus résolus des doctrines antitrinitaires furent Darius Socin, de Sienne, et ses frères, Albéric qui professa la juris­prudence à Oxford (1608), avec une rare élégance et une grande érudition, et Scipion, qui fit des cours, à Heidelberg et ailleurs, et qui traduisit en latin dès leur apparition les deux premiers chants de la Jérusalem délivrée.

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