Catherine Emmmerich

Daras tome 42 p. 501

 

104. Le P. Smœger, rédemptoriste de Vienne, a écrit la vie d'Anne-Catherine, la Voyante de Dulmen. En voici l'abrégé, entremêlé des réflexions d'Ernest Hello, et augmenté de par­ticularités empruntées à l'abbé de Cazalès.

 

Anne-Catherine naquit le 8 septembre 1774. Merveilleuse dès l'enfance, elle vit la campagne où elle gardait les animaux s'é­clairer des splendeurs du monde suprasensible. Beaucoup plus profonde qu'un philosophe, beaucoup plus sensible qu'une petite fille, elle ne s'étonnait pas des faveurs dont elle était comblée. Pourquoi s'en étonner? 0 Dieu, disait-elle en re­gardant les étoiles, puisque vous êtes mon vrai père, et que vous avez de si belles choses dans votre maison, vous devriez bien me les montrer!

 

Dès ses premières années, elle eut un don particulier qu'on retrouve dans les histoires de sainte Sibylline de Pavie, d'Ida de Louvain,  d'Ursule Benincasa et de quelques autres âmes

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pieuses ; le don de distinguer ce qui est bon ou mauvais, saint ou profane, béni ou maudit, dans les choses matérielles ou spirituelles. Elle reconnaissait les reliques des saints au point de raconter non seulement des particularités inconnues de leur vie, mais encore l'histoire de la relique qui lui était présentée et les divers lieux où elle s'était trouvée. Elle eut toute sa vie un commerce intime avec les âmes du Purgatoire : toutes ses actions, toutes ses prières étaient en vue de ces âmes; elle se sentait souvent appelée à leur secours, et recevait quelque avertissement frappant lorsqu'elle les oubliait.

Elle ne se permettait que le plus strict nécessaire en fait de sommeil et de nourriture; elle passait plusieurs heures en prières chaque nuit, et l'hiver elle allait quelquefois en plein air s'a­genouiller sur la neige. Elle couchait par terre sur des plan­ches disposées en forme de croix. Elle mangeait et buvait ce dont les autres ne voulaient pas : les meilleurs morceaux étaient réservés pour les pauvres et les malades, et quand elle ne sa­vait à qui les donner, elle les offrait à Dieu avec une foi en­fantine, le priant d'en faire part à quelqu'un qui en eût plus besoin qu'elle.

 

Dans sa dix-huitième année, elle alla à Coesfeld en appren­tissage chez une couturière, et y ayant passé deux ans, elle revint chez ses parents. Elle demanda à être reçue chez les Augustines de Borken, chez les Trapistines de Darfeld et chez les Clarisses de Munster, mais sa pauvreté et celle de ces cou­vents y mirent obstacle. Elle resta quelques années à Coesfeld dans le travail, les bonnes œuvres et la prière, ayant toujours la même direction intérieure. C'était une enfant docile et silen­cieuse dans la main de son ange gardien.

 

Vers sa vingt-quatrième année, elle reçut une grâce que le Seigneur a accordée sur cette terre à plusieurs personnes dé­vouées à un culte plus spécial de sa douloureuse Passion, à savoir : la souffrance corporelle et visible des douleurs de sa sainte tête dans le couronnement d'épines. Nous rapporterons ici ses propres paroles : «  A peu près quatre ans avant mon

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entrée au couvent, par conséquent en 1798, je me trouvais une fois, vers midi, dans l'église des Jésuites de Coesfeld, et j'étais à genoux devant un crucifix.  Comme j'étais plongée dans la méditation, je ressentis tout à coup une chaleur vive et douce, et je vis venir de l'autel où, se trouvait le saint-Sacrement dans le  libernacle mon fiancé  céleste,  sous la forme  d'un jeune homme resplendissant. Sa main gauche tenait une couronne de fleurs, sa main droite une couronne d'épines, il me présenta l'une et l'autre pour choisir. Je pris la couronne d'épines, il me la mit sur la tête, et je l'y enfonçai avec mes deux mains : alors il disparut, et je revins à moi ressentant une violente douleur autour de la tête. Je dus quitter l'église qu'on allait fermer. Une de mes amies qui était agenouillée à côté de moi, pouvait avoir vu quelque chose de mon état : je lui demandai à la maison si elle ne voyait pas de blessures à mon front, et lui parlai, en termes généraux, de mon rêve et de la violente douleur qui l'avait suivi. Elle ne vit rien extérieurement, mais ne fut pas étonnée de ce que je lui dis, parce qu'elle savait que je me trouvais quelquefois dans des états extraordinaires, dont elle ne comprenait pas la cause. Le jour suivant, mon front et mes tempes  étaient  très enflées et je souffrais horriblement. Ces douleurs et cette enflure revinrent souvent et durèrent quel­quefois des jours et des nuits entières. Je ne remarquai de sang autour de ma tête que lorsque mes compagnes m'avertirent de prendre un autre  bonnet, parce que le mien était plein de taches rougeâtres. Je les laissai en  penser ce qu'elles vou­draient, et j'arrangeai ma coiffure de manière à cacher le sang qui coulait de ma tête ; je le fis jusque dans le couvent, où une seule personne le découvrit et me garda fidèlement le secret. » Son désir du cloître finit par être exaucé. Les parents d'une jeune personne que désiraient avoir les Auguslines de Dulmen déclarèrent qu'ils ne laisseraient entrer leur fille chez elles que si elles recevaient en même temps Anne-Catherine. Le pauvre couvent y consentit, quoique avec peine, à cause  de l'indi­gence absolue de  celle-ci. Le 13 novembre 1802, huit jours

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avant la fête de la Présentation de la Sainte Vierge, elle prit l'habit de novice.

 

Un an après, étant âgée de 29 ans, elle prononça ses vœux so­lennels et elle devint l'épouse de Jésus-Christ. Cette époque fut la plus heureuse de sa vie quoiqu'elle eut beaucoup à souffrir de ses compagnes, dont quelques-unes voyaient avec une sorte de jalousie les dons extraordinaires qu'elle avait reçus et qu'elle ne pouvait pas cacher entièrement. «Toutefois, disait-elle, mon âme était inondée de bonheur, au milieu des contradictions et des souffrances. J'avais une chaise sans siège et une autre sans dossier dans ma cellule, et pourtant elle était pour moi si pleine et si magnifique, que je croyais y voir souvent le Ciel tout entier.

 

« Je voyais toujours mon ange gardien à mes côtés, et quoi­que le mauvais esprit cherchât à m'assaillir et à m'effrayer de toutes sortes de manières, et il ne lui était pas donné de me faire grand mal. Mon désir du saint Sacrement était si hrésistible, que souvent la nuit je quittais ma cellule, et m'en allais à l'église, si elle était ouverte ; dans le cas contraire, je restais à la porte ou près des murs, même l'hiver, agenouillée ou bien prosternée, les bras étendus et en extase. Le chapelain du couvent, qui avait la bonté de venir de bonne heure pour me donner la sainte communion, me trouvait dans cet état; mais quand il s'approchait et ouvrait l'église, je revenais à moi, me rendais en hâte à la table de la communion et trouvais mon Seigneur et mon Dieu. »

 

Le 3 décembre 1811, le couvent fut supprimé et l'église fer­mée. Les religieuses se dispersèrent chacune de son côté. Anne Catherine resta pauvre et malade. Une servante compatissante du monastère la servit par charité. Un vieux prêtre émigré, qui disait la messe dans le couvent, resta aussi avec elle. Ces trois personnes ne quittèrent la maison conventuelle qu'au printemps de 1812. Elle était encore malade, et ce ne fut qu'avec peine qu'on put la transporter. Le prêtre trouva un petit logement chez une pauvre veuve de l'endroit : elle eut dans la même mai-

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son une mauvaise petite chambre au rez-de-chaussée, dont les fenêtres donnaient sur la rue. Elle vécut là, toujours malade, jusqu'à l'automne de 1812. Ses ravissements dans la prière et le commerce spirituel qu'elle entretenait avec le monde invisible, étaient devenus plus fréquents encore. Il plut au Seigneur, vers ce temps, de marquer son corps virginal des stigmates de la croix et de son crucifiement ; scandale pour les Juifs, folie pour les païens, et l'un et l'autre pour bien des gens qui se nomment chrétiens. Elle avait, dès son jeune âge, prié le Sauveur de lui imprimer fortement sa croix dans le cœur, afin qu'elle ne put jamais oublier son amour infini pour les hommes; mais elle n'a­vait jamais pensé à un signe extérieur. Repoussée dans le monde, elle priait plus ardemment que jamais à ce sujet.

 

Un jour qu'elle faisait cette prière, elle tomba en extase, et vît venir à elle un jeune homme resplendissant, tel que son fiancé céleste lui apparaissait ordinairement. Il lui présenta une petite croix, qu'elle saisit avec vivacité et serra fortement contre sa poitrine. Peu de temps après, étant allée avec la petite fille de son hôtesse visiter un vieil ermitage près de Uulmen, elle tomba tout à coup en extase et perdit connaissance. Puis étant revenue à elle, elle fut ramenée à sa demeure par une paysanne. Comme la douleur cuisante qu'elle ressentait à la poitrine augmentait chaque jour, elle vit l'apparence d'une croix de trois pouces de long, qui semblait appliquée sur l'os de la poitrine, elle se des­sinait en rouge à travers la peau. Cette croix rendait du sang à certains intervalles, au point qu'on pouvait en prendre l'em­preinte sur du papier. En 1814, cette sueur de sang fut plus rare; seulement la croix était, tous les vendredis, d'un rouge de feu. Toutefois elle rendait encore du sang plus tard, notamment tous les vendredis saints. Le 30 mars 1821, Brentano vit cette croix; d'un rouge très vif et rendant du sang par tous les points. D'au­tres extatiques ont reçu de semblables empreintes de la croix, entre autres Catherine de Raconis, Marina d'Escobar, Emilie Bichieri, etc.

 

La stigmatisation s'accomplit dans les derniers jours de l'an-

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née 1812. Le 29 décembre, vers trois heures de l'après-midi, elle était dans sa petite chambre, fort malade et couchée sur son lit, mais les bras étendus et en état d'extase.  Elle méditait sur les souffrances du Sauveur et demandait à souffrir avec lui. Elle dit cinq Pater en l'honneur des cinq plaies, redoubla de ferveur,  et se sentit très affamée de souffrir avec Jésus :  son visage  était rouge et enflammé. Elle vit alors une lumière qui s'abaissait vers elle et y distingua la forme resplendissante du Sauveur crucifié ; ses blessures rayonnaient comme cinq foyers lumineux. Son cœur était ému de douleur et de joie, et à la vue des saintes plaies, son désir de souffrir avec le Seigneur devint d'une  vio­lence extrême. Alors, des mains, des pieds et du côté de l'appa­rition partirent de triples rayons d'un rouge  sanglant,  qui se terminaient en forme de flèches et qui vinrent frapper ses mains, ses pieds et son côté droit. Les trois rayons du côté finissaient en fer de lance. Aussitôt qu'elle en fut touchée, des gouttes de sang jaillirent aux places des blessures. Elle resta encore long­temps sans connaissance, et lorsqu'elle reprit ses sens, elle ne sut pas qui avait abaissé ses bras étendus. Elle vit avec étonnement le sang qui coulait de la paume de ses mains, et ressentit de violentes douleurs aux pieds et au côté. La jeune fille de son hôtesse était entrée dans sa chambre, avait vu ses mains sai­gnantes et l'avait raconté à sa mère. Celle-ci, tout inquiète, lui de­manda ce qui était arrivé, et Anne-Catherine la pria de n'en point parler. Elle sentit   après  la stigmatisation qu'un  changement s'était opéré dans son corps; le cours du sang semblait avoir pris une autre direction, et il se portail avec force vers les stigmates. Elle disait elle-même : « Cela est inexprimable.»

 

Anne-Catherine, ne pouvant plus marcher ni se lever de son lit, en vint promptement à ne plus manger ; bientôt elle ne put prendre que de l'eau avec un peu de vin, puis, que de l'eau seule; quelquefois, mais plus rarement, le jus extrait d'une ce­rise ou d'une prune : elle vomissait immédiatement toute nour­riture plus consistante, fût-elle prise en très petite quantité. Cette impossibilité de prendre de la nourriture, ou plutôt cette faculté

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de vivre longtemps sans autre aliment que de l'eau, n'est pas sans exemple chez les malades, au dire des médecins instruits. Les théologiens trouveront souvent dans la vie des ascètes con­templatifs, et nommément des extatiques et des stigmatisés, que plusieurs restaient longtemps sans prendre d'autre nourriture que le pain de la sainte Eucharistie. Nous citerons, entre beau­coup d'autres, saint Nicolas de Flue, sainte Lidwine de Schiedam, sainte Catherine de Sienne, sainte Angèle de Foligno, sainte Louise de l'Ascension, etc.

 

Tous les phénomènes qui se manifestaient dans Anne-Cathe-rine restèrent cachés à ceux qui l'approchaient de plus près, jusqu'au 25 février 1813, où le hasard les fit connaître à une ancienne compagne de couvent de la malade : à la fin de mars, toute la ville en parlait. Le 23 mars, le médecin de l'endroit la soumit à un examen; il se convainquit de la vérité contre son attente, dressa un procès-verbal de ce qu'il avait vu, devint son médecin et son ami; et resta tel jusqu'à sa mort. Le 28 mars, l'autorité spirituelle envoya de Munster, près d'elle, une com­mission d'enquête. La malade gagna à cette occasion la bienveil­lance de ses supérieurs et l'amitié de feu le doyen Overberg qui depuis ce temps lui faisait chaque année une visite de plu­sieurs jours, et qui resta le directeur de sa conscience et son con­solateur. Le conseiller médicinal de Druffel, présent à cette enquête comme médecin ne cessa jamais de la vénérer; il donna en 1814, dans le Journal de médecine de Salzbourg, une relation détaillée des phénomènes observés chez Anne-Catherine, à laquelle nous renvoyons.

 

Le 23 octobre 1813, on la porta dans un autre logement qui avait vue sur un jardin. L'état de la pauvre religieuse devenait de jour en jour plus pénible. Ses stigmates furent pour elle, jusqu'à sa mort, une source de douleurs indicibles : elle n'arrê­tait pas sa pensée aux grâces dont ils étaient les témoins ineffa­çables, mais les faisait tourner au profit de son humilité, en les considérant comme une croix pesante dont elle était chargée à cause de ses péchés. Son pauvre corps lui-même devait prê-

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cher Jésus le crucifié. Il était difficile d'être pour tous une énigme, un objet de suspicion pour la plupart, de respect mêlé de crainte pour plusieurs, sans tomber dans l'impatience, l'irri­tation et l'orgueil. Elle se serait volontairement cachée au monde; mais l'obéissance l'obligea bientôt de se soumettre aux jugements divers d'un grand nombre de curieux. Souffrant les douleurs les plus cruelles, elle avait en outre perdu à peu près la propriété d'elle-même, et elle était devenue comme une chose que chacun croyait avoir le droit de regarder et de juger, souvent sans profit pour personne, mais au grand préjudice de son corps et de son âme, pour le repos et le recueillement dont on la privait.

 

Brentano alla la voir en septembre 1818, muni de recomman­dations de l'illustre comte de Slolberg et du respectable doyen Overberg. Elle lui permit de passer chaque jour quelques heures chez elle, et lui témoigna tout d'abord une pleine confiance. Pour lui, il mettait tous les jours sur le papier ce qu'il observait en elle, ou ce qu'elle lui racontait de sa vie intérieure et exté­rieure. Le 22 octobre, le pieux Sailer, évêque de Ralisbonne, vint la visiter. Leur entrevue fut touchante : il ètait beau de voir ces deux cœurs, brûlants de l'amour de Jésus-Christ et conduits par la grâce selon des voies si diverses, se rencontrer au pied de la croix. Le vendredi, 23 octobre, Sailer vit le sang jaillir de sa tête, de ses mains et de ses pieds : il lui recommanda instam­ment de tout communiquer sans réserve à Brentano, et s'en­tendit à ce sujet avec son directeur ordinaire. Il la confessa, lui donna la communion le samedi 21, et continua son voyage. Il fut son ami jusqu'à sa mort, pria toujours pour elle et lui de­manda ses prières quand il se trouva dans des circonstances dif­ficiles. Brentano resta jusqu'en janvier 1819; il revint au mois de mai et continua ses observations presque sans interruption jusqu'à la mort d'Anne-Catherine.

 

La pieuse fille priait Dieu constamment de lui retirer les stig­mates extérieurs, à cause du trouble et de la fatigue qui en ré­sultaient pour elle, et sa prière fut exaucée au bouL de sept

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ans. Vers la fin de 1819, le sang coula plus rarement de ses plaies, puis cessa tout à fait de couler. Le 25 décembre, des croûtes tombèrent de ses pieds et de ses mains, et on vit des cicatrices blanches qui devenaient rouges certains jours; quant aux douleurs, elles étaient restées. L'empreinte de la croix et la blessure du côté droit furent souvent visibles comme aupara­vant, mais irrégulièrement. Elle eut toujours, à jours fixes, la douloureuse sensation d'une couronne d'épines autour de la tête. Elle ne pouvait alors appuyer sa tête nulle part, elle ne pouvait pas même y porter la main et restait de longues heu­res, quelquefois des nuits entières assise dans son lit, soutenue sur son séant par des coussins, pâle, gémissante, comme une effrayante image de douleur. Cet état se terminait toujours par un flux de sang plus ou moins abondant autour de la tête : quelquefois sa coiffure seule en était imbibée, quelquefois le sang coulait jusque sur son visage et sur son cou. Le Vendredi-Saint, 19 avril 1819, toutes ses plaies se rouvrirent et saignèrent, puis se refermèrent les jours suivants.

 

Il y eut sur son état une enquête rigoureuse faite par des médecins et des naturalistes. On la porta à cet effet dans une maison étrangère où elle resta du 7 au 29 août : cet examen ne paraît pas avoir amené de résultats positifs. On la rapporta dans sa demeure le 29 août; depuis ce temps on la laissa en repos jusqu'à sa mort, sauf quelques tracasseries privées et quelques insultes publiques.

 

Le Vendredi Saint, 30 mars 1820, sa tête, ses pieds, ses mains, sa poitrine et son côté rendirent du sang. La même chose arriva en 1821 et 1822. Les 27 et 28 mars 1823, jeudi et vendredi saints, elle eut des visions sur la Passion, pendant lesquelles toutes ses plaies saignèrent, non sans lui causer de vives douleurs. Ce fut la dernière fois que son sang rendit té­moignage de son union aux souffrances de Celui qui s'est don­né tout entier pour nous.

 

En 1823, elle répéta plus souvent qu'à l'ordinaire qu'elle ne pouvait pas accomplir sa tâche dans la situation où elle se trou-

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vait, que ses forces n'y suffisaient pas, qu'il lui aurait fallu un couvent paisible pour y vivre et pour y mourir. Elle ajoutait que Dieu la retirerait bientôt à lui, qu'elle l'avait prié de lui per­mettre d'achever dans l'autre monde ce qui lui restait à faire pour celui-ci. Sainte Catherine de Sienne, peu de temps avant de mourir, avait fait une prière semblable. L’année 1822, qui fut la dernière ou elle parcourut en entier le cercle de l'année ecclésiastique, lui apporta dds travaux intimes. Elle parut vou­loir accomplir sa tâche tout entière, et c'est ainsi qu'elle tint la promesse faite antérieurement de raconter toute la Passion : ce fut le sujet de ses méditations du Carême pendant cette année.

 

Au commencement de l'Avent, ses douleurs furent un peu adoucies par d'aimables visions sur les préparatifs de voyage de la Sainte Vierge, et plus tard sur tout son voyage à Bethléhem avec Joseph. Cela lui arrivait ainsi tous les ans à la même époque; mais cette année il y eut plus de fatigue et moins de consolations. Ainsi, à l'heure de la naissance du Sauveur, qui était ordinairement pour elle un moment de joie enivrante, elle se traîna péniblement en esprit vers l'Enfant Jésus dans sa crèche, et ne lui porta d'autre présent que de la myrrhe, d'autre offrande que sa croix, sous le poids de laquelle elle tomba à ses pieds comme mourante. Il semblait qu'elle terminât son compte terrestre avec Dieu, et qu'elle se dévouât une dernière fois pour une multitude d'hommes affligés spirituellement et corporellement. Le peu que l'on pût connaître de cette substi­tution à diverses douleurs d'autrui touche à l'incompréhensible. Elle disait avec raison : « L'Enfant Jésus ne m'a apporté cette année qu'une croix et des instruments de martyre. »

 

Elle se concentra chaque jour davantage dans sa souffrance, ne parla presque plus, et quoiqu'elle continuât à voir les voya­ges de Jésus pendant sa prédication, elle indiquait tout au plus en quelques mots la direction de sa route.

 

Son élat empira de jour en jour : elle, qui ordinairement souf­frait en silence, poussait maintenant des gémissements étouffés, tant ses douleurs étaient affreuses. Le 15 janvier elle dit : « L'En-

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p511  §   III. — LES PIEUX  PERSONNAGES ET SAINTS RELIGIEUX     

 

fant Jésus m'a apporté à Noël de grandes douleurs; je me suis trouvée de nouveau près de sa crèche à Bethléhem : il avait la fièvre et me montrait ses souffrances et celles de sa mère. Ils étaient si pauvres qu'ils n'avaient qu'un mauvais morceau de pain pour toute nourriture. Il m'a donné des douleurs encore plus grandes et m'a dit : « Tu es à moi, tu es ma fiancée, souf­fre comme j'ai souffert et ne demande pas pourquoi. » Je ne sais ce que ce sera, si cela durera longtemps; je m'abandonne aveu­glément à mon martyre; soit qu'il faille vivre, soit qu'il faille mourir, je désire que la volonté cachée de Dieu s'accom­plisse en moi. Au reste, je suis calme, et j'ai des consolations dans mes peines. Ce matin encore, j'étais très heureuse. Béni soit le nom du Seigneur! »

 

Ses douleurs augmentèrent encore, s'il est possible : assise sur son séant, les yeux fermés, elle gémissait d'une voix éteinte et elle tombait de côté et d'autre : si on la couchait, elle menaçait d'étouffer : sa respiration se précipitait, tous ses nerfs et ses mus­cles tremblaient et tressaillaient de douleur : après de violents efforts pour vomir, elle souffrit horriblement des entrailles. On craignait qu'il y eût de la grangrène. Son gosier était altéré et brûlant, sa bouche enflée, ses joues étaient rouges de fièvre, ses mains pâles comme de l'ivoire : les cicatrices des stigmates bril­laient comme l'argent à travers sa peau tendue. Son pouls donnait 160 à 180 pulsations par minute. Le 27 à deux heures de l'après midi, elle reçut l'Extrême-Onction, au grand soula­gement de son corps et de son âme. Le soir, son ami, l'excel­lent curé de H….. pria près de son lit ; ce fut une grande conso­lation pour elle. Elle lui dit : « Combien tout ici est bon et beau! » Et encore : « Dieu soit mille fois loué et remercié! »

 

Les jours suivants, elle fut plus mal. Le 7 au soir, étant un peu plus calme, elle dit : «Ah! Seigneur Jésus, mille remercîments pour toute la durée de ma vie : Seigneur, que votre volonté se fasse et non pas la mienne. » Le 8 février, au soir, un prêtre priait près de son lit, elle lui baisa la main avec reconnaissance, le pria de l'assister à sa mort et dit : «Jésus, je

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vis pour vous, je meurs pour vous ; Seigneur, soyez loué, je ne vois plus, je n'entends plus! » Comme on voulait la changer de posture pour la soulager, elle dit : « Je suis sur la croix, ce sera bientôt fini, laissez-moi. » Elle avait reçu tous les sacre­ments, mais elle voulait se confesser encore d'une faute légère qu'elle avait déjà confessée bien des fois. Le prêtre lui donna une absolution générale : elle fit un mouvement pour s'étendre et l'on crut qu'elle passait. Il vint près de son lit une personne qui croyait lui avoir fait souvent de la peine et qui lui demanda pardon. Elle la regarda d'un air surpris et dit avec un accent de vérité très expressif : « Il n'y a personne sur la terre contre qui j'aie quelque chose. »

 

Peu d'heures avant sa mort qu'elle implorait souvent par ces mots : « Seigneur, secourez-moi, venez-donc, Seigneur Jésus! » Une louange parut l'arrêter, et elle protesta contre avec énergie par l'acte d'humilité suivant : « Je ne puis pas mourir si tant de braves gens pensent du bien de moi par erreur : dites donc à tous que je suis une misérable pécheresse! Ah! si je pouvais crier, de manière à être entendue de tous les hommes, quelle pécheresse je suis! Je suis bien au-dessous du bon larron qui était en croix près de Jésus, car celui-là et tous ceux d'alors n'avaient pas un compte aussi terrible à rendre que nous qui avons toutes les grâces données à l'Église. » Après cette déclara­tion, elle parut tranquillisée, et dit au prêtre qui la consolait : « J'ai maintenant autant de paix et de confiance que si je n'avais jamais commis un péché. » Son regard se dirigeait avec amour vers la croix placée au pied de son lit; sa respiration était pénible et bruyante, elle buvait souvent, et quand le petit crucifix lui était présenté, elle ne baisait que les pieds par humilité.

 

Huit heures sonnèrent, elle respira plus péniblement pendant quelques minutes, et cria trois fois en gémissant : « Seigneur, secourez-moi, Seigneur, Seigneur, venez. » Le prêtre fit enten­dre sa sonnette et dit : « Elle est morte. » Plusieurs parents et amis qui étaient dans la pièce voisine entrèrent dans la chambre

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et s'agenouillèrent pour prier : elle avait dans la main un cierge allumé que le prêtre soutenait. Elle poussa encore quelques légers soupirs, et son âme pure s'échappa de ses chastes lèvres dans sa parure de fiancée, pour se précipiter pleine d'espérance, au-devant de l'Époux céleste et se joindre au chœur des vierges qui accompagnent l'Agneau partout où il va. Son corps inanimé s'affaissa doucement sur les oreillers, à huit heures et demie du soir, le 9 fermier 1824.

© Robert Hivon 2014     twitter: @hivonphilo     skype: robert.hivon  Facebook et Google+: Robert Hivon