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32. Après cette tentative concertée vraisemblablement dans le but d'effrayer l'évêque exilé, tout en lui ouvrant une porte pour une rétractation à laquelle il était si peu disposé, on ne parla plus de son mémoire. Il en fut de même de l'apologie que saint Athanase crut devoir à la même époque adresser directement à l'empereur. L'illustre patriarche n'était pas seulement exilé, comme Lucifer de Cagliari et Eusèbe de Verceil. Il était poursuivi comme un traître; tous les coldats impériaux avaient ordre de s'emparer de sa personne partout où ils pourraient le trouver. Le seul fait de lui avoir donné asile était un crime de lèse-majesté qui devait être immédiatement
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1.Floieut.. Ail Luciftr. Kpist. ; Pair, lat., toui. XIII, col. 035. — * Lucifer, Alf lovent. Epist., ibid.
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puni de mort. Les monastères de la Thébaïde, qui lui offrirent successivement une retraite, furent tous le théâtre des plus horribles scènes de carnage. Aussitôt que les soldats y pénétraient les religieux, sans répondre aux questions qui leur étaient adressées au sujet d'Athanase, présentaient leur tête au glaive homicide. Ils se laissaient immoler sans trahir leur secret. Constance avait poussé si loin les précautions tyranniques qu'il avait écrit à deux souverains d'Abyssinie, Aizan et Atz-Béha, pour les informer qu'un transfuge rebelle du nom d'Athanase pourrait être tenté d'aller chercher un asile dans leurs lointains états. Il les suppliait, au nom de l'alliance qui les unissait à l'empire, d'arrêter ce criminel et de le livrer au gouverneur romain le plus rapproché de leurs frontières. Athanase, averti de ce danger, se retira dans une grotte déserte, où il vivait des aliments qu'un religieux lui apportait chaque semaine. Ce fut là qu'il composa son apologie, chef-d'œuvre de logique, de netteté, de modération ferme et respectueuse. « Très-religieux empereur, disait-il, votre zèle pour la foi de Jésus-Christ m'est connu ; j'ai eu depuis longtemps l'occasion d'en faire personnellement l'expérience ; c'est d'ailleurs chez vous un sentiment héréditaire. Il ne m'en coûte donc point de me justifier près de vous. Mes ennemis me reprochent les relations que j'eus autrefois avec le très-pieux auguste Constant, votre frère, de bienheureuse et éternelle mémoire. Ils prétendent que j'aurais profité de la bienveillance dont il daigna m'honorer pour aigrir son esprit contre vous par des propos insidieux et calomniateurs. Ma réponse est bien simple. Jamais je n'eus un entretien particulier avec votre frère. Quiconque a connu ce grand prince sait qu'il évitait de parler des affaires d'État ailleurs que dans son conseil impérial. Or je n'en faisais nullement partie; et vraiment, exilé que j'étais alors, il m'eût fallu être fou pour aborder des sujets de ce genre devant un empereur, et qui plus est, devant un frère qui professait pour vous le plus sincère attachement! Au surplus, je ne me présentai jamais à son audience sans être accompagné de l'évêque du lieu, ou de tout autre qui se trouvait présent. Fortunatien d'Aquilée, Osius de Cordoue, notre vénérable père,
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Crispinus de Poitiers, Lucilius de Vérone, Denis de Leyde, Vincent de Capoue, Maximin de Trêves, Protais de Milan, pourraient en témoigner. Quelques-uns sont morts depuis, mais il en est qui survivent, et d'ailleurs vous avez près de vous le sénateur Eugène, qui remplissait à la cour de votre frère le poste de Maître des offices. Il vous certifiera la vérité du fait. En quel lieu donc, en quel temps, devant quels témoins, ai-je tenu les discours diffamatoires dont on m'accuse? Qu'on m'en cite une parole ; qu'il se présente un homme, n'importe lequel, qui les ait entendus? Cela n'arrivera jamais, parce que cette accusation est complètement fausse. J'en atteste la justice de Dieu, qu'on ne trompe point. Permettez-moi d'en appeler à votre propre témoignage. Votre mémoire est fidèle; vous daignerez donc vous souvenir des entretiens que j'eus avec vous, à mon retour d'Occident ; à Viminiacum d'abord, puis à Césarée de Cappadoce et enfin à Antioche. Certes, s'il était dans mon caractère d'occuper les autres de mes injures personnelles, j'avais alors une belle occasion de récriminer. Vous n'ignorez pas les persécutions que les Eusébiens m'avaient fait subir. Cependant vous n'avez pas entendu de ma part une seule plainte formulée contre eux. Comment croire, quand je sais m'imposer une telle réserve, que j'aurais été dans les Gaules assez impudent pour parler à un empereur contre un autre empereur, à un frère contre son frère? Mais on me reproche un fait plus grave, plus criminel, plus séditieux encore. Oui, très-religieux empereur, quand j'ai su que les Ariens montraient partout une fausse lettre que j'étais censé avoir écrite à l'usurpateur Magnence, cette calomnie me jeta dans le désespoir. Je tombai à genoux, pleurant devant Dieu, et suppliant la céleste justice de m'aider à rétablir mon innocence si odieusement outragée. Quoi ! me disais-je, je fus honoré de la bienveillance de Constant ; il daigna m'admettre à sa familiarité ; il prit la peine d'écrire en ma faveur à son auguste frère. C'est à lui que je dois d'avoir revu ma patrie. Aujourd'hui Constant a succombé sous le poignard d'un traître et on montre de moi une correspondance avec son meurtrier ! Mais je ne connaissais pas Magnence ; je n'ai jamais vu ce scélérat dont vous avez purgé la
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terre. Quelle raison donc aurais-je eue de lui écrire? A Rome, il massacra mes plus chers amis, Eutropia, Abuterius, Sperantius et tant d'autres. Ecrire à ce monstre couvert du sans des personnes que j'ai le plus aimées ! Non, non. En présence de Dieu qui lit dans mon cœur et recueille chacune de mes paroles pour me juger un jour, je déclare que je n'en eus jamais la pensée. Vous avez d'ailleurs un moyen de contrôler ici encore la vérité de mes assertions. Interrogez Servatius de Tongres et Maximus de Noyon, ces deux évêques qui passèrent alors à Alexandrie. Demandez-leur quelle fut mon attitude en apprenant la fin lamentable de Constant, votre frère. Ils se rappelleront le cri d'horreur que je poussai, les larmes qui inondèrent mon visage, alors que, déchirant mes vêtements, je demandais à Dieu justice pour cette victime auguste, pour cette âme que j'aimais si ardemment en Jésus-Christ! Quels vœux formais-je alors? Vous pouvez aussi vous en faire rendre compte par l'ancien préfet d'Egypte, Felicissime, par les officiers Rufin et Etienne, par le comte Asterius et Palladius, le maître du palais ; enfin par les receveurs Antiochus et Evagrius. Ils étaient présents lorsque je réunis l'assemblée des fidèles, et qu'au milieu de la stupeur produite par la nouvelle de la mort de votre frère, je m'écriai : Prions pour la conservation du très-pieux empereur Auguste Constance! Tout le peuple, dans une acclamation spontanée, répondit à ma voix en disant : Christ, Dieu tout-puissant, soyez propice à notre empereur Constance ! Et longtemps ce cri de tous les cœurs retentit sous les voûtes de la basilique. En résumé, qu'on interroge tous les serviteurs, tous les officiers, tous les ambassadeurs du tyran, et l'on se convaincra que la lettre mise en circulation sous mon nom par les Ariens est une atroce invention de leur malice pour me perdre. Ils me font un autre crime d'avoir sans votre consentement procédé à la dédicace de la grande église d'Alexandrie, bâtie par vous, très-religieux empereur, sur l'emplacement du Kaisaréion1. Or il est complètement faux que j'aie procédé à cette
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1. Nous avons déjà eu l'occasion d'expliquer la provenante de cet édifice et le sens de ce vocable en parlant des Adrianées, tom. Vil de celte Histoire, pag. 82.
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cérémonie. Voici l'incident fort simple qu'on a cherché à travestir en crime de lèse-majesté. A la fête de Pâques, j'ai réuni l'assemblée des fidèles dans ce nouveau temple inachevé, parce que les autres églises d'Alexandrie eussent été insuffisantes pour contenir la foule. Dès le carême précédent, l'exiguité du local dont nous disposions était telle que parfois on avait pu craindre de voir des personnes étouffées. Grâces à Dieu, ce malheur n'arriva point; mais il était sage de le prévenir. Je l'ai fait. Ce n'est ni un crime, ni une impertinence, pas même une indiscrétion. La dédicace du Kaisareon n'a point encore eu lieu. Puissiez-vous, auguste empereur, lorsque le moment sera venu, rehausser de votre présence l'éclat de cette cérémonie ! Enfin on prétend me faire un grief auprès de vous de n'avoir point profité d'une autorisation que j'eusse sollicitée de Votre Majesté, pour me rendre auprès d'elle à Milan. La vérité est que je n'ai jamais adressé de demande de ce genre. Les prétendues lettres qu'on a produites en ce sens partent de la même main que l'épître à Magnence. Je suis aussi étranger aux unes qu'aux autres. Au moment où je fus brusquement chassé d'Alexandrie, je manifestai l'intention d'aller trouver l'empereur et ne renonçai à ce dessein qu'après que les fonctionnaires impériaux m'eurent donné l'assurance que cette démarche serait inopportune. Voilà pourquoi je me suis acheminé au désert, ne voulant point par ma présence occasionner le plus léger trouble. J'attends que la passion de mes ennemis se soit apaisée et qu'elle permette à votre démence de s'exercer sur moi. Daignez donc, très-religieux empereur, accueillir favorablement ma justification. Rendez les exilés à leur patrie, les évêques à leurs églises, les pasteurs à leurs troupeaux, afin qu'un jour, en paraissant devant Jésus-Christ, le prince des pasteurs, vous puissiez lui dire : « Père, je n'ai laissé périr aucun de ceux que vous m'aviez confiés 1! »
33. Constance lut-Il cette noble et éloquente défense? On ne le sait pas. La faction arienne le circonvenait tellement qu'elle ne lui laissait plus rien voir par lui-même. S'il y a une excuse possible
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1. S. Athanas., Apol. ad Constant., passim ; Patrol. greee, tom. XXV, col. 595-642.
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pour Constance, elle se trouverait dans sa faiblesse. Mais la faiblesse poussée à ce point chez un prince devient un véritable crime. Quoi qu'il en soit, la tactique des ennemis d'Athanase avait des ressources infinies. Ils abandonnèrent les griefs surannés des prétendues relations criminelles avec Constant et Magnence. Ils ne parlèrent plus du Kaisareione, ni de sa dédicace ; Athanase devint coupable d'avoir fui. C'était par une inqualifiable lâcheté qu'un patriarche cerné par les troupes au milieu de son église ensanglantée, avait déserté son siège épiscopal. Une telle démarche ne pouvait avoir été faite qu'au mépris de toutes les lois divines et humaines, au mépris de l'honneur, du devoir et de la conscience outragée ! Dans les rochers brûlants de la Thébaïde, où l'illustre proscrit disputait sa vie à un climat meurtrier, aux farouches habitants du désert et plus encore aux soldats qui sillonnaient la solitude en tous sens pour le saisir, il lui fallut répondre à cette absurde invention d'une haine obstinée. «J'apprends, dit-il, que Léontius d'Antiache, Narcisse de Néroniade et Georges de Laodicée, échos de tout le parti arien, me reprochent aujourd'hui, comme une lâcheté sans exemple, de n'être pas allé me livrer entre leurs mains, alors que leurs satellites m'entouraient de leurs épées nues. A Dieu ne plaise que je réponde jamais par des malédictions ou des injures aux outrages et aux persécutions dont je suis l'objet ! Tout l'univers connaît cette lamentable histoire. II suffira pour ma justification de démontrer une fois de plus que, de leur part, il n'est plus question de l'Évangile, de ses maximes et de sa foi, mais d'un arbitraire qui dépasse toutes les tyrannies connues. Quelle est l'église qui n'ait pas été ensanglantée par leurs violences et qui ne pleure en ce moment leurs forfaits? Le vénérable Eustache a été arraché de son église patriarcale d'Antioche, Euphration, cet évêque thaumaturge, a eu le même sort à Balanée; Carterius à Antarade ; Eutrope à Adrianopolis; Marcel à Ancyre, Asclepas à Gaza; Cyrus à Bérée; Théodule et Olympien, ces illustres évêques de Thrace, ont été condamnés à mort; leur tête, ainsi que la mienne, est mise à prix; on les cherche, ainsi que moi, pour les livrer au bourreau. Est-ce assez d'attentats, de barbaries, de cruautés, de sacrilèges? Hélas ! non. L'Arianisme, c'est
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la sangsue du Livre des Proverbes; la soif de sang qui le dévore ne s'arrêtera que quand les victimes lui manqueront. Au milieu des prières et des larmes de tout le peuple romain on a exilé le pontife Liberius. Il en avait été de même de Paulin, métropolitain de Trêves, Denys de Milan, Lucifer de Sardaigne, Eusèbe de Verceil. Aujourd'hui ces héroïques confesseurs gémissent dans l'exil ou les chaînes. Puis-je oublier, parmi tant de noms illustres, ce vieillard dont la sainteté fait l'admiration du monde, le grand Osius de Cordoue, dont le nom seul est un éloge? En quelle contrée si barbare la renommée de ses vertus n'est-elle point parvenue? Quels synodes n'a-t-il pas présidés? Quels cœurs si endurcis n'a-t-il point ramenés à la vérité et à la vertu par sa douce éloquence? Quelle âme si affligée n'a-t-il pas réussi à consoler? Qui jamais a pu l'approcher, sans se sentir pénétré d'une grâce, d'une force et d'une bénédiction irrésistibles? Ils ont osé pourtant torturer cette vieillesse auguste, livrer au bourreau la majesté de ses cheveux blancs, pour le punir de n'avoir pas voulu signer la sentence de notre condamnation! Que ce martyr, brisé par la souffrance, ait cessé pour un temps de leur résister; c'est possible. Mais cela ne prouverait en définitive que leur cruauté sans nom 1. » La réserve que saint Athanase, au fond de son désert, mettait dans son appré- ciation de la conduite d'Osius, n'a pas été imitée par tous les historiens. Le grand patriarche savait par expérience combien l'Arianisme inventait de calomnies contre les plus illustres défenseurs de la foi catholique. Il se garde donc bien d'affirmer la chute d'Osius; il ne la présente que sous une forme dubitative. C'est qu'en effet l'évêque de Cordoue n'avait pas déshonoré ses cheveux blancs par un acte de faiblesse. La faction arienne, lasse de le tourmenter sans résultat, et n'osant pas prolonger sur un vieillard vénéré de tout l'univers des traitements si indignes, cessa tout-à-coup de le poursuivre et publia que le grand Osius de Cordoue avait apostasié. Quoi qu'il en soit, Athanase continue à dérouler le tableau des horreurs et des massacres commis par les Ariens. «Quarante
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1. S. Athanas., Apolog. de fugi sud; Patr. lat,, tom. XIII. col. 656.
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catholiques égorgés à Alexandrie; les vierges du Seigneur livrées aux plus infâmes outrages; les évêques de la Maréotide envoyés en exil; les moines égorgés ou condamnés aux mines; voilà leur ouvrage! s'écrie-t-il. Et ils se plaignent que je ne sois pas venu me remettre avec confiance dans leurs mains ensanglantées1 » Comme autrefois Gyprien banni de Carthage par la persécution, Athanase rappelle la parole de l'Évangile et l'exemple du Sauveur lui-même qui ne voulut pas, avant son heure, se laisser saisir par les Juifs. «Qu'on veuille donc, dit-il en terminant, comparer le crime du meurtrier à celui de la victime qui se dérobe au fer. Des crimes! Les Ariens semblent rivaliser entr'eux à qui en commettra le plus. Et pourtant ils ne sauraient imaginer un forfait plus épouvantable que celui d'anéantir la foi chrétienne pour chercher à établir sur ses ruines l'impiété d'Arius1 ! »
34. Aux noms des évêques exilés dont saint Athanase nous fournit une liste déjà si longue, il faut ajouter ceux de saint Hilaire de Poitiers et de Rodanus de Toulouse. Ces deux confesseurs de foi catholique venaient, dans un concile tenu à Béziers, de jeter le cri d'alarme contre les envahissements de l'erreur arienne qui menaçait de pervertir toute la Gaule. Le concile de Béziers était présidé par Saturnin, l'évêque hérétique d'Arles. D'une voix unanime, les pères le déclarèrent exclu de leur communion. Cet acte d'énergique mais juste rigueur fut particulièrement l'œuvre de saint Hilaire, dont l'éloquence, le zèle, la fermeté incomparables, trouvèrent un concours intelligent et dévoué dans le saint évêque de Toulouse Rodanus. Le César Julien voyait avec une secrète satisfaction la guerre acharnée que les Ariens livraient au catholicisme. Ces tempêtes soulevées par d'autres mains que les siennes lui semblaient préparer merveilleusement le dessein qu'il méditait d'anéantir un jour la foi chrétienne. Il devait être en effet moins difficile à un souverain idolâtre de détrôner Jésus-Christ, lorsque des évêques auraient pris la peine d'apprendre au monde que Jésus-Christ n'était pas Dieu. Julien accueillit donc les plaintes
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1. Athanase, Apolog. de fuga sua. passim.
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que Saturnin d'Arles ne manqua pas de porter à son tribunal. Un rapport officiel fut adressé à l'empereur Constance : le César demandait qu'il lui fût permis d'expulser du territoire des Gaules deux prélats intrigants, brouillons, indisciplinés, qui soufflaient le feu de la rébellion dans cette belle province. L'autorisation ne se fit pas attendre. Saint Hilaire et son noble ami saint Rodanus furent arrachés par une troupe de soldats, l'un à sa chère église de Poitiers, l'autre à son siège métropolitain de Toulouse. Les clercs et le peuple fidèle essayèrent en vain, par leurs gémissements et leurs larmes, d'attendrir les officiers chargés de cette mission. Les épées nues furent tirées au milieu de l'église; on meurtrit à coups de fouet des fils qui avaient l'audace d'aimer leur père; et les deux saints furent traînés, chargés de chaînes, au fond de la Phrygie. Rodanus succomba aux souffrances et mourut dans cette région lointaine. Saint Hilaire, resté seul, écrivit son fameux livre contre l'empereur Constance. « Le temps des ménagements est passé, disait l'éloquent apologiste. L'heure de la parole libre et indépendante a sonné. Il est temps que le Christ se montre, aujourd'hui que l'Antéchrist se croit triomphant; que les pasteurs élèvent la voix, quand les voleurs et les mercenaires ont fait irruption dans le bercail, quand le lion rugissant dévore les âmes. L'ange de Satan s'est transformé en ange de lumière. Disons-le sans réticence, que le monde entier l'apprenne de notre bouche, proclamons-le au milieu des tourments; confessons le nom de Jésus-Christ devant les rois et les puissants de ce monde : le martyre ne nous effraie pas. Il est écrit : Heureux celui qui aura persévéré jusqu'à la fin ! Vous savez tous, frères bien-aimés, comment au concile de Béziers tous les évêques des Gaules se séparèrent de la communion de Saturnin, Ursace et Valens, ces colonnes de l'Arianisme. Depuis lors cinq années se sont écoulées pour moi en exil. J'ai gardé jusqu'ici le silence, dans l'espoir que la rage des ennemis du Christ pourrait s'apaiser par l'assouvissement. Si j'élève la voix aujourd'hui, ce n'est certes point pour faire entendre des plaintes qui me seraient personnelles. Non, ma cause n'est rien, celle de Jésus-Christ est tout. Et plût à Dieu qu'au lieu d'a-
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voir été réservé à cette époque d'effacement général, ou la confession de la foi chrétienne n'entraîne que l'exil, il m'eût été donné de vivre au temps de Néron ou de Dèce. Alors, avec la grâce de Dieu, je n'aurais pas redouté les chevalets, me souvenant que le prophète Élie fut scié en deux; j'aurais affronté la flamme des bûchers, me souvenant des trois jeunes Hébreux dans la fournaise ardente; j'aurais embrassé la croix à laquelle on eût cloué mes membres, me souvenant que la croix a valu le paradis au larron. Mais aujourd'hui nous avons à lutter contre un persécuteur qui caresse, contre un ennemi qui flatte. Le bourreau ne brise pas les os, il séduit par des festins; il ne déchire pas les flancs, il pervertit le cœur; pour faire plier les consciences il préfère la molle et servile atmosphère de ses palais à l'air empesté des cachots ; il ne décapite point avec le glaive, il tue l'âme avec de l'or; il n'allume point de bûchers sur les places publiques, mais il allume les feux de l'enfer pour chacune de ses victimes. Il confesse le Christ afin de le mieux nier; il fait l'unité dans l'hérésie; il pervertit les prêtres pour en faire des évêques; il édifie des églises et détruit la foi. Tel est cet Antéchrist nouveau. Écoute-moi, Constance. Je vais te parler comme je l'eusse fait à Néron, à Dèce, à Maximien, si j'eusse vécu sous leur tyrannie. C'est à Dieu que tu t'attaques; c'est l'Église de Jésus-Christ que tu outrages! Tu persécutes les saints; tu exècres les prédicateurs de la vérité; tu prétends anéantir la religion; tu déclares la guerre au ciel. Vainement tu te proclames chrélien, tu es l'ennemi du Christ; ton rôle est celui du précurseur de l'Antéchrist! Tu es le docteur des profanes ; tu distribues les évêchés à tes créatures; tu chasses les bons pour placer les méchants! Tes sicaires égorgent les prêtres du Seigneur; tes légions envahissent les églises; tu rassembles des synodes; tu imposes à l'Occident l'erreur des Orientaux; tu divises l'Orient par d'intestines discordes; tu excites tes courtisans; tu stimules tes valets; les vieilles erreurs ne te suffisent plus, il t'en faut de nouvelles. Oui, nous sommes plus redevables à la cruauté de Néron, de Domitien et de Dèce ! Par eux du moins, nous avons triomphé de Satan. Le sang des martyrs partout recueilli, leurs ossements vénérables conser-
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vés par la piété des survivants, enrichissent maintenant nos égfises. Les saintes reliques chassent les démons, guérissent les malades, consolent les affligés. Mais toi, tu nous dérobes cette consolation suprême, par des martyres obscurs, sans violence et sans gloire. Est-ce donc le père du mensonge qui t'a enseigné lui-même cet art de vaincre sans combat; de décapiter sans le secours du glaive; de persécuter sans en avoir l'air; de condamner sans jugement; de mentir sans en avoir conscience; de faire des professions de foi, sans avoir la foi; de caresser sans amour; de faire tout ce que tu veux, sans savoir toi-même quelle est ta propre volonté 1 ! »