Hagiographie des Gaules 18

Darras tome 7 p. 85

 

   30. Tel est le troisième chapitre des gesta. En dehors des caractères intrinsèques qui ne permettent de le considérer que comme une légende complètement dépourvue d'authenticité, il se heurte à une impossibilité chronologique absolue. En effet, le pape Sergius mort le 8 septembre 701 ne put de son vivant avoir connaissance du martyre de saint Lambert eu 709. De tout ce récit, à peine deux faits nous semblent pouvoir être maintenus, celui d'un pèlerinage à Rome réellement entrepris par Hubert au temps de Sergius I vers l’an 699, et peut-être la consécration épiscopale donnée par le pape au noble pèlerin, sans attribution de siège, mais au titre de ces évêques missionnaires que l'église romaine multipliait alors pour la Germanie et les populations encore idoiâtres du nord de la Gaule. Ainsi s'expliquerait la tradition constante qui, en dehors de la légende apocryphe, rattache le sacre de saint Hubert au pape Sergius. Les auteurs les plus graves ont enregistré cette tradition : elle est encore aujourd'hui celle de Rome, et nous l'avons mentionnée nous-mème à sa date 1. Les «actes» du pontificat de saint Hubert semblent indirectement la confirmer; ils laissent entendre qu'Hubert était déjà évêque lorsqu'il fut appelé à succéder sur le

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1. Cf. tom. XVI de cette Histoire, pag. 502; Ciacon., Vilas Summ. Pontifie, [jm. I, col. 492.

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p86      PONTIFICAT UU  SAINT OllÉOOlllE   III   (731-7'lt).

 

siège de Trajectum au martyr saint Lambert : Hubertus venerandus prœsul ejus (Lamberti) sedi subrogatur episcopus, cui non erat virtute secundus 1. Quant à l'étole de saint Hubert et à la clef miraculeuse dont parle la légende, ces deux reliques existent encore , leur contact n'a cessé, depuis tant de siècles, d'être réclamé avec ferveur par les pèlerins, comme un tout-puissant remède contre la rage. Une tradition ininterrompue prétend que l'étole de saint Hubert lui fut donnée par Sergius. L'autre relique, dite « clef de saint Hubert, » ne représente en réalité ni la forme ordinaire d'un instrument de ce genre, ni l'aspect que lui donne la légende apocryphe. C'est une tige de fer assez courte, à l'une des extrémités de laquelle, selon l'opinion de Roberti, devait jadis être gravée une empreinte, avec l'inscription célèbre : Legia sancta Romanœ ecclesiœ filia. La prétendue « clef de saint Hubert » serait ainsi le sceau épiscopal du grand thaumaturge.

 

   40. On conçoit que l'élévation d'un prince mérovingien, oncle des ducs d'Aquitaine, sur le siège épiscopal de Trajectum, après le martyre d'un précédent évêque, mis à mort pour avoir soutenu contre Alpaïde les droits méconnus de l'épouse légitime Plectrude et de ses enfants, ne dut pas être fort agréable au fils de la concubine, Charles Martel. Entre l'épiscopat des Gaules et ce prince, qui devait d'ailleurs racheter par tant d'héroïsme l'irrégularité de sa naissance, il y avait un antagonisme réel, des souvenirs sanglants et comme une semence de haines domestiques. C'est ce point de vue, jusqu'ici complètement resté dans l'ombre, que nous avons cherché à mettre en relief, afin de restituer leur véritable caractère aux mesures spoliatrices de Charles Martel contre les monastères et les églises. La préoccupation exclusive d'une certaine école historique, trop accréditée de nos jours, consiste à chercher dans le passé, à inventer au besoin des personnages qui aient d'avance professé soit l'athéisme moderne, soit la haine du cléricalisme. C'est ainsi qu'on a voulu faire un esprit fort du théurge Julien l'Apostat, le plus superstitieux des hommes; de saint Hubert avant sa conversion, un mahométan

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1. Surius, Kit. S. Hubert, episcop. Leod. auctore quodam ejus discipulo vel familiarii ex antiquis ms. codicibus, 3 noveinbr.

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p87   CHAP.   I.   —  HAGIOGRAPHIE  DES  GAULES.    

 

ou un païen ; de Charles Martel un prince systématiquement incrédule, inaugurant au VIIIe siècle les procédés de persécution systématique dont notre siècle est aujourd'hui témoin. Ces assimilations imaginaires ont perverti en France les notions vraies de l'histoire; elles nous rendent la fable des savants étrangers. Charles Martel était un prince croyant : sa foi religieuse est suffisamment attestée et par la haute protection dont il couvrit les missionnaires catholiques en Germanie, et par les fondations pieuses qu'il multiplia aux bords du Rhin, et par ses relations avec le saint-siége. Les soldats de Charles Martel étaient des soldats chrétiens. Il n'est pas un compendium d'histoire de France, un de ces manuels classiques mis avec approbation officielle aux mains des écoliers, qui ne raconte, pour le tourner en dérision, l'épisode de la bataille d'Amblef1, où les Neustriens éperdus, se réfugiant dans une église, y furent couverts par le droit d'asile et eurent ainsi la vie sauve, sans outrages ni blessures. Seul, un malheureux soldat qui franchissait en courant le seuil du lieu sacré, ayant déjà tout le haut du corps dans l'église, eut le pied qui restait hors de l'enceinte abattu d'un coup de sabre par l'un des vainqueurs. Charles Martel eut à décider si le soldat austrosien avait outre-passé le droit de la guerre, car la victime déféra sa plainte au tribunal du prince. L'affaire fut entendue, et Charles débouta le plaignant de sa requête, par la considération de droit strict qu'il n'y avait aucune violation de l'immunité ecclésiastique, puisque le pied coupé l'avait été en dehors des limites sacrées. En vérité, que peuvent donc trouver de si ridicule, dans cette anecdote, les aimables faiseurs d'ironies et d'histoires officielles? Qu'ont-ils donc substitué de noble et de généreux au droit d'asile, cette institution religieuse et sociale, qui atténuait miséricordieusement les férocités de la guerre? Est-ce qu'il aurait été bien regrettable que les armées française et prussienne de 1870 eussent reconnu un droit d'asile quelconque? Sachons donc enfin substituer le bon sens et la vérité aux thèses d'imagination et de parti-pris. Le vice de sa naissance créait à Charles Martel une oppo-

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1 Cf. tom. XVI de cette Histoire, pag. 579.   i

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p88      PONTIFICAT  l)K  SAINT  URÙGOIIIF.  III   (731 -71 i ).

 

sition fort légitime, de la part au clergé de son temps. L'antagonisme de la famille des Pépins et de la dynastie mérovingienne établissait entre le héros et le prince d'Aquitaine, Hubert, devenu évêque de Trajectum, une situation particulièrement délicate; voilà toute la vérité.

 

   41. Les «  actes » de l'épiscopat de saint Hubert laissent deviner, plutôt qu'ils ne les accentuent, les difficultés que le successeur de Lambert rencontra sur sa route. Ecrits du vivant même de Charles Martel, ces actes ne pouvaient sans danger pour l'auteur être plus explicites ; c'est donc en termes généraux qu'ils disent : «Le troupeau exposé à la fureur des loups, à la dent des bêtes féroces, avait besoin d'un pasteur qui sût prendre la défense des plus humbles brebis, relever les courages abattus, cicatriser les plaies, repousser intrépidement les invasions hostiles. L'église de Trajectum, deux fois rougie du sang de ses évêques, attendait qu'une main ferme éloignât les crimes nouveaux, effaçât la trace des anciens et rendît au temple du Seigneur sa tranquillité première. Hubert résolut de prendre pour modèles non pas ces caractères indolents et mous, qui n'ont ni ardeur pour le bien ni zèle pour la science de Dieu, mais les antiques apôtres dont la vie fut une lutte continuelle, un effort incessant vers la plus haute perfection. Les pauvres trouvèrent en lui un consolateur, les orphelins un père, les opprimés un soutien. Il avait sans cesse à la pensée le glorieux martyre de son prédécesseur : un tel souvenir l'enflammait d'une ardeur sainte et généreuse. Fondant en larmes, il s'écriait : Malheureux que je suis et trois fois misérable, accablé sous le poids de mes fautes, je suis indigne du martyre ; je ne pourrai jamais cueillir la palme de Lambert!— Il parlait ainsi, et on le voyait chaque jour s'élever davantage aux sommets de la sainteté 1. » En 721, à l'époque où Charles Martel, vainqueur à Soissons du duc Eudes d'Aquitaine et du roi neustrien Chilpéric II, était à l'apogée de sa puissance , Hubert procéda à la translation solennelle des reliques de saint Lambert; il les fit rapporter de Trajectum à Liège dans la ville

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1. Surius, bc. cit., pag. 50-51. — 2. Cf. tom. XVI de cette Histoire, pag. 5S7

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p89   CHAP. I. — HAGIOGRAPHIE DES GAULES.    

 

qui avait été le théâtre des vengeances d'Alpaïde 1. Une pareille manifestation était de nature à réveiller dans l'âme du tout-puissant duc d'Austrasie des ressentiments héréditaires. Hubert, de son côté, ne s'y détermina par aucun motif humain. « Durant l'année précédente, reprend l'hagiographe, Lambert lui apparut à diverses reprises, pour lui ordonner cette translation. Cependant Hubert, placé dans une situation pleine d'anxiétés, quasi in meditullio positus, ne voulut pas s'en rapporter à des visions dont lui seul avait conscience. Il prescrivit à tous les religieux et clercs de son diocèse un jeûne et des prières solennelles, afin que le Seigneur fît publiquement connaître sa volonté. C'est ce qui arriva2. » Le biographe de saint Hubert omet de nous dire par quels moyens; mais les divers actes de saint Lambert nous apprennent qu'on vit alors, durant la nuit, la villa de Leodium s'illuminer de clartés resplendissantes. Des guérisons miraculeuses s'y opéraient en grand nombre ; enfin le glorieux martyr apparut à plusieurs prêtres et fidèles craignant Dieu, et leur renouvela les communications surnaturelles déjà faites à Hubert lui-même 3. La translation fut donc résolue ; elle eut un éclat et un retentissement extraordinaires. L'archevêque Anno de Cologne, saint Rigobert l'illustre proscrit de Reims, saint Vindicien évêque des Atrebates (Arras), Willibrord (saint Clément) apôtre de la Germanie, Garulfus de Tournai, Domi-nicus d'Amiens, Erkembodo (Archambaud) évêque des Morins (Térouanne 4), rehaussèrent par leur présence la pompe de cette cérémonie, qui attira un concours immense. L'humble villa de Léodium, jusque-là simple maison de campagne entourée de quelques chaumières, se transforma soudain en une véritable cité. De nouvelles familles accouraient de toutes parts se fixer près du tombeau de Lambert, centre de grâces et de prodiges sans nombre. Hubert y transféra le siège épiscopal, et construisit une basilique somptueuse. « Il prit en main, disent les Gesta episcoporum Leodiensium, le gouvernement de cette ville improvisée, lui donna des lois, régla

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1. Nous avous raconté cette translation au n° 33 de ce chapitre. —2.  Surius,

Vit S. Ilvberti, pag. 52. — 3.  Bolland., Act. S. Lambert., 17 septemfcr. — 4.  Cf. Bolland., ILid., Commenter, piueius. .

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p90      PONTIFICAT DE   SAIKT GRÉGOIRE  III  (7111-711).

 

la discipline et les mœurs des citoyens. Il fixa l'étalon des poids et des mesures : la livre de pain, la mesure de vin, le boisseau dont nous nous servons encore, ajoute le chroniqueur, furent réglés par lui avec une rectitude et une prudence admirables1. » C'est ainsi qu'au VIIIe siècle les reliques d'un évêque martyr faisaient éclore une cité dont l’évêque vivant devenait le véritable roi, en même temps qu'il en était le pasteur et le père.

  

   42. L'apostolat de saint Hubert dans les Ardennes, la Toxandrie et le Brabant, se développa dès lors avec des succès merveilleux. « Les multitudes idolâtres, dit le biographe, se pressaient autour de l'homme de Dieu, sollicitant la grâce d'être baptisées de ses mains et délivrées par lui de la puissance du démon. Elles renversaient spontanément les temples païens, avec leurs idoles si longtemps l'objet d'un culte superstitieux. La parole d'Hubert avait une douceur, une grâce, une force irrésistibles. Elle réalisa dans le royaume des Francs la prophétie sacrée : «Le peuple assis dans les ténèbres vit se lever la grande lumière; les régions ensevelies dans les ombres de la mort s'illuminèrent des clartés de la résurrection 2. » Le témoin oculaire, qui raconte ces œuvres de conversion et de salut, nous a conservé quelques-uns des sujets développés de préférence par saint Hubert, devant les multitudes captivées par le charme de la sainteté et de l'éloquence. Les textes évangéliques sur l'amour infini de Dieu pour les hommes, et réciproquement les joies célestes de l'amour des hommes pour Dieu, revenaient dans presque tous ses discours. L'élévation surnaturelle du chrétien, dont le corps est un temple où l'Esprit-Saint réside; le respect pour ces temples vivants de Jésus-Christ, lui fournissaient l'occasion d'énumérer à son auditoire les lois de la discipline évangé-lique, en opposition avec la barbarie et l'immoralité païennes. Il lui arrivait de parler trois heures de suite, et l'on ne se rassasiait pas de l'entendre. « Mes fils bien-aimés, disait-il, si l'un d'entre vous se sent la conscience tachée par quelque faute, plongée peut-être

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1. Martene, Veter. Scriptor., tom. IV, col. S35. Cf. Hériger., Gest. ep. Lcrd., lib. II, cap. xvii Pair, lai., tom. CXXXIX, col. 10SO. — 2.  Surius, Ioc. cit.; Isai. IX, 2.       •

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p91  CHAP.   I.  — HAGIOGRAPHIE  DES  GAULES.

 

dans l'abîme du péché, qu'il songe que le remède est sous sa main, remède efficace qu'il suffit d'approcher de la blessure, car votre juge n'a pour le repentir que des entrailles de miséricorde. Tant que dure la vie, la porte de la miséricorde est grande ouverte ; elle ne se fermera qu'à la mort. Mais à ce moment terrible, une autre porte, une seule, celle de la géhenne, s'ouvrira à son tour devant les contempteurs de la loi divine, les déserteurs de Jésus-Christ. Qu'étiez-vous, qu'êtes-vous, que deviendrez-vous? telles sont les pensées qui doivent absorber toute votre attention. S'il se rencontre dans votre passé une offense contre la loi du Seigneur, rachetez-la par des œuvres de pénitence sincère; réconciliez-vous avec votre Dieu. Quand je vous parle ainsi, je tremble pour moi-même ; en songeant à tout ce que le ministère que je remplis près de vous exige de perfection, à tout ce que je devrais corriger dans ma misérable vie. L'heure approche pour moi où le juge va paraître; on criera dans ma nuit: «Voici l'époux qui vient 1 ! » Et ma lampe fera défaut; l'huile des saintes œuvres, la lumière de la charité y manqueront. Serviteur paresseux et négligent, le maître me demandera compte de mon administration. Je t'avais constitué pasteur de mon troupeau, dira-t-il, chef de ‘armée de mes prêtres. Le lait de mes brebis a nourri ton indigence, leur toison a réchauffé tes épaules, qu'as-tu fait pour leur salut?— Frères bien-aimés, je vous en prie, réfléchissez, que pourrais-je répondre? Quelle sera mon excuse devant ce grand juge, environné des bataillons angéliques, des phalanges d'esprits bienheureux, quand à son approche le ciel se repliera comme un livre dont on ferme les pages, la terre se consumera dans les ardeurs du feu, les pécheurs seront précipités dans l'abîme, les justes couronnés par le Seigneur entonneront l'hymne des miséricordes éternelles ? Ah ! du moins, si parmi vous il en est qui soient trouvés dignes de prendre place dans ce chœur des élus, je les présenterai au juge : Seigneur, dirai-je, voici près de vous mes intercesseurs. C'est en écoutant ma parole qu'ils ont revêtu le bouclier de la foi, qu'ils se

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1. Matin., xxv, 6.

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p92      PONTIFICAT  UE  SAINT GKÉGOIIIE  III   (791-751).

 

sont armés pour les combats de la vertu, pour l'honneur de votre nom, et qu'enfin triomphants ils ont conquis la couronne de gloire. — De leur côté, ces enfants de salut offriront au Christ les gerbes de leurs saintes œuvres, et en leur faveur il me sera dit, comme à eux : « Venez, les bénis de mon Père, prenez possession du royaume qui vous a été préparé dès l'origine du monde 1. »

 

   43. Telle était cette éloquence apostolique des grands évêques qui trempèrent si fortement dans la foi la nation française. Le jour où la prédication s'est abaissée parmi nous au point de revêtir « les formes persuasibles de la sagesse humaine, » l'esprit chrétien s'est retiré de nos sociétés, la civilisation a rétrogradé parallèlement, et aujourd'hui nous flottons suspendus sur des abîmes. Il est temps de revenir au verbe vivant de Jésus-Christ dans sa divine et toute-puissante simplicité. » Avec de la foi gros comme un grain de sénevé, disait le Maître, vous soulèveriez des montagnes2.» Saint Hubert joignait à la puissance du verbe chrétien celle du miracle. « Il advint, disent les actes, que, durant ses missions dans les campagnes, le vénérable évêque passa le second dimanche de carême dans une villa nommée Uivoch. Au matin, une femme de cette localité, transgressant la loi du repos dominical, se mit à préparer son pain. Tout à coup ses deux mains se contractèrent avec une telle violence que les ongles des doigts s'enfonçaient dans la chair. En ce moment, l'homme de Dieu sortait de l'église ; la malheureuse femme courut se jeter à ses pieds, implorant à la fois la guérison de cette terrible maladie et le pardon de sa faute. «Relevez-vous, dit Hubert, promettez de respecter à l'avenir le jour du Seigneur, et vous serez guérie. » La femme n'eut pas plutôt fait cette promesse qu'elle recouvra l'usage de ses mains. « Quelques mois après, un autre miracle, opéré par l'intercession du thaumaturge, rappelait, continue le témoin oculaire, les prodiges bibliques des prophètes Élie et Elisée. Une sécheresse extraordinaire désolait les campagnes, au point que le fleuve Mosa (la Meuse) n'avait plus assez d'eau pour faire flotter une barque. L'homme de

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1. Matlh., xxv. 34; Surius, foc. cit., pag. 56. — 2. Matth., xvn, 19.

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p93  CHAP. I.   —  HAGIOGRAPHIE  DES  GAULES.

 

Dieu se trouvait alors au vicus Gabelium; il s'entretenait avec ses disciples de ce fléau, qui désolait la population et l'affligeait vivement lui-même. Tout à coup il nous fit cette question : Pourriez-vous me dire le nom de celui qui d'une parole ouvrit les cieux fermés depuis près de trois ans, répandit l'humidité dans l'atmosphère, et fit tomber la pluie avec la fécondité sur le sol aride? — C'est Élie, répondit aussitôt l'un d'entre nous. —Le Dieu d'Élie est le nôtre, reprit Hubert ; sa puissance n'est pas diminuée. Implorons-le dans le jeûne et la prière, et sa miséricorde fera le reste. — En parlant ainsi, il s'agenouilla, priant avec ferveur. A. l'instant même, le ciel se couvrit de nuages ; bientôt la pluie commença à tomber, lentement d'abord, puis en plus grande abondance et d'une manière continue, jusqu'à ce que le fleuve, dont naguère les troupeaux franchissaient le lit desséché, eut ses rives remplies à pleins bords. » — « Dans une villa, nommée Hannal, comme jadis saint Martin de Tours, il arrêta subitement d'un signe de croix un incendie qui éclata dans la maison où il avait reçu pour la nuit l'hospitalité. » — « Une autre fois, dit toujours le témoin oculaire1, nous étions occupés, dans le proedium de Nuvella (Nivelle), à un travail qui rappelait le métier primitif des apôtres. Il s'agissait d'établir un barrage pour retenir le poisson, et d'enfoncer des pieux dans le lit du fleuve. Le saint était resté à Nuvella. Nous montâmes sur une barque; mais la violence du courant, jointe à un ouragan qui se déclara soudain, fit chavirer notre embarcation, et tous nous fûmes précipités dans le gouffre. Hubert, averti par une révélation du danger qui nous menaçait, se mit en prières et obtint du ciel notre salut. J'étais tombé au fond, continue le narrateur; ma tunique s'accrocha à l'un des pieux déjà à demi enfoncés, de sorte que, malgré les plus violents efforts, je ne pouvais réussir à me dégager. Deux ou trois fois j'essayai, mais inutilement, de rompre l'obstacle. Songeant alors à mon âme : 0 mon Dieu, dis-je intérieurement, par l'intercession de mon saint maître, secourez-moi ! A l'instant, je me sentis complètement libre ; je remontai à

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1 Surius, loc. cit., pag. E3-5L

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p94  PONTIFICAT  DE  SAINT  GRÉGOIRE  III  (7jM-7il).

 

la surface et pus gagner la rive, où tous mes condisciples étaient déjà réunis sains et saufs. »

© Robert Hivon 2014     twitter: @hivonphilo     skype: robert.hivon  Facebook et Google+: Robert Hivon