La foi chrétienne hier et aujourd’hui 68

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   Ce titre de « Fils” que Jésus se donne à lui‑même, et que nous ne trouvons que rarement dans les Synoptiques (dans le cadre de l'enseignement donné aux disciples), l'évangile de Jean en fait le centre de la figure de Jésus qu'il nous présente.

 

Cela correspond tout à fait à la ligne générale de cet évangile qui met l'accent beaucoup plus sur la réalité intérieure des choses. Le titre de « Fils” devient le fil conducteur de la présentation qui est faite du Seigneur; en même temps, grâce à la ligne générale de l'évangile, le sens du mot est explicité selon toute sa portée.

 

Comme nous avons déjà noté l'essentiel à ce sujet dans le cadre de nos réflexions sur la doctrine trinitaire, il suffira ici d'une brève indication, qui nous remettra en mémoire les considérations faites plus haut.

 

   Pour Jean, le nom de « Fils” donné à Jésus n'est pas l'expression d'un pouvoir personnel que Jésus s'attribuerait, mais l'expression de la relativité totale de son existence. Si Jésus est placé entièrement dans cette catégorie, cela veut dire que son existence est définie comme entièrement relative: elle n'est pas autre chose qu'un « être‑à‑partir‑de” et un «être‑pour”, coïncidant précisément, dans cette totale relativité, avec l'Absolu.

 

Ainsi, le titre de « Fils” recouvre les appellations qui désignent Jésus comme « la Parole” et «l'Envoyé”. Si Jean décrit le Seigneur avec la formule employée par Dieu dans Isaïe : “C'est Moi”, cela veut dire encore la même chose, à savoir cette unité totale avec le « Je suis”, qui résulte du don total.

 

Le coeur de cette christologie johannique du Fils, dont nous avons montré plus haut les fondements dans les Synoptiques et, à travers eux, dans le Christ historique (Abba), est donc constitué exactement par ce qui nous était apparu dès le début comme le point de départ de toute christologie : l'identité de l'oeuvre et de l'être, de l'action et de la personne, l'absorption totale de la personne dans son oeuvre, la coïncidence du faire avec la personne elle‑même, qui ne se réserve absolument rien mais qui se livre entièrement dans son oeuvre.

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p152 JESUS‑CHRIST

 

   De ce point de vue, l'on peut dire en fait que chez Jean, il y a une « ontologisation », un retour à l'être au‑delà de la phénoménalité des simples faits. Il n'est plus simplement question de l'agir, du faire, de la parole et de l'enseignement de Jésus; on constate plutôt maintenant que sa doctrine, c'est, au fond, lui‑même.

 

Il est tout entier Fils, parole, mission; son agir atteint jusqu'au fond de son être, est un avec Lui. C'est justement cette unité de l'être et de l'agir qui fait son originalité.

 

Cette radicalisation de l'énoncé christologique, ce recours à l'ontologie, ne signifient nullement, pour qui sait voir les choses dans leurs rapports et leurs implications, un abandon des données antérieures; il n'est pas question surtout de substituer à la christologie de service une christologie triomphaliste, qui ne saurait plus que faire de l'homme crucifié et du serviteur, pour inventer à nouveau, à la place, un mythe de Dieu ontologique.

 

Bien au contraire, celui qui a vraiment saisi le processus doit reconnaître que les données antérieures ne sont comprises dans leur profondeur que maintenant. Le fait d'être serviteur n'est plus présenté comme une action, derrière laquelle la personne de Jésus resterait confinée en elle‑même; il pénètre toute l'existence de Jésus, de telle sorte que son être lui‑même est service.

 

Et parce que précisément cet être tout entier n'est que service, il est être filial. En ce sens, c'est ici seulement que le changement des valeurs, opéré par le christianisme, est arrivé à son terme; ici seulement devient pleinement clair que celui qui se met entièrement au service des autres, qui s'engage dans le désintéressement total et la dépossession de soi, qui devient formellement désintéressement et dépossession, celui‑là est l'homme véritable, l'homme de l'avenir, où homme et Dieu se rejoignent.

 

   Cela nous permet d'avancer d'un pas: le sens des dogmes de Nicée et de Chalcédoine devient clair; ils voulaient uniquement affirmer cette identité du service et de l'être, dans laquelle apparaît au grand jour tout le contenu de la relation « Abba ‑ Fils ».

 

Ces formulations dogmatiques, avec leur christologie dite ontologique, ne sont pas dans le prolongement d'idées mythiques de génération. Celui qui le prétend prouve qu'il ne comprend rien ni à Chalcédoine, ni à la véritable signification de l'ontologie, ni même aux affirmations mythiques, qui s'y opposent.

 

Ce n'est pas à partir d'idées mythiques de génération que ces dogmes ont été élaborés, mais à partir du témoignage johannique, qui lui‑même est le simple

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p153 JE CROIS EN JESUS‑CHRIST

 

prolongement du dialogue de Jésus avec son Père, et de son « être-pour » les hommes, jusqu'au sacrifice de la croix.

 

© Robert Hivon 2014     twitter: @hivonphilo     skype: robert.hivon  Facebook et Google+: Robert Hivon